lundi 31 mai 2010

Cannes à Paris : Ha Ha Ha, rions en coréen !


La première chose à laquelle j’ai pensé en sortant de Ha Ha Ha, c’est à quel point ce film porte bien son titre, moi-même et toute la salle du Reflet Médicis ayant tant ri aux éclats devant l’humour ravageur de Hong Sang Soo (pour une fois que le titre français peut être le même que le titre original 하하하…). Récemment récipiendaire du Prix Un Certain Regard à Cannes (certains ont clamé que ce n’était pas mérité, tant pis pour eux s’ils le pensent), le film était repris cette semaine dans la salle du Quartier Latin, comme Simon Werner a disparu dont je parlais il y a quelques jours.

Il y a quelques semaines à peine, je m’étonnais de la faculté du cinéaste coréen Hong Sang Soo a inlassablement charmer par ses films bien que ceux-ci sont les miroirs les uns des autres par leurs personnages et leurs thèmes abordés. Ha Ha Ha ne fait pas exception, et repousse une fois de plus les limites de Hong. J’irai même jusqu’à dire que le bonhomme n’avait jamais été aussi drôle dans son écriture qu’avec ce nouveau film. Pas étonnant que le jury Un Certain regard l’ait couronné.

Je ne surprendrais pas les familiers du cinéma d’Hong Sang Soo en révélant que le protagoniste de Ha Ha Ha est un cinéaste looser sur les bords. Celui-ci s’apprête à s’envoler pour le Canada où il compte s’installer, et avant de partir boit quelques verres avec un ami. Les deux hommes viennent tous deux de passer quelques jours dans une petite ville de province sans s’y croiser, et se racontent leurs pérégrinations mutuelles. Sans le savoir, ils ont fréquenté le même quartier et les mêmes personnes. Les mêmes femmes, surtout. Eux n’en savent rien, mais nous découvrons rapidement cela avec amusement.

Au premier abord, Ha Ha Ha a un drôle de look. On voit deux hommes sur des photos en noir et blanc se succédant, on entend leurs voix par-dessus les images fixes, leur dialogue. Puis lorsqu’ils commencent à se raconter leur séjour provincial, les images prennent vie et couleurs. A chaque fois que l’on reviendra à leur discussion, on entendra seulement leurs voix superposées à ces photos de retrouvailles en noir et blanc. Un vrai concept narratif qui fonctionne et offre un gimmick comique tout du long du film.

Les deux personnages n’ont pas la même saveur. L’un, le réalisateur qui ne réalise pas et vient rendre visite à sa mère, est un régal de tous les instants. Un indécis poursuivant assidûment une femme sur laquelle il craque, se posant tout un tas de questions existentielles et idolâtrant un militaire légendaire (cela aide grandement que le personnage féminin à qui il fait face soit une forte tête idéalement campée par la comédienne Moon So-ri…). Le second est tout aussi indécis, mais sur son dilemme immédiat : que faire de sa maîtresse qu’il aime tant ? C’est un personnage plus classique, mais ses aventures savent se montrer tout aussi drôles (bon, non, un peu moins quand même).

Ce qui fait le sel et l’humour de Ha Ha Ha, comme souvent chez Hong Sang Soo, ce sont les relations homme/femme. Le réalisateur n’a pas son pareil pour tricoter des liens houleux, des situations ubuesques et des dialogues savoureux entre les hommes et les femmes qui peuplent ses films. Prétendant et femme courtisée ; fils et mère ; amants. Les hommes et les femmes chez Hong Sang Soo ne savent pas vivre en harmonie et sont dans le conflit constant, même lorsqu’ils s’aiment. Ces conflits sont dans Ha Ha Ha source d’un humour délicieux qui parvient à faire ressortir et mettre en valeur le cadre du film, cette petite ville portuaire coréenne dans laquelle on se croise en long en large et en travers, sans forcément se voir.

Il n’y a pas meilleur catalyseur des relations entre les hommes et les femmes dans le cinéma coréen que les films de Hong Sang Soo, ainsi que ce portrait comico-pessimiste de la condition d’artiste en Corée le prouve avec panache. C’est long, comme toujours chez Hong, mais cette longueur n’apporte jamais la lassitude. C’est un film qui accroche malgré ces éternels bavardages et marivaudages comiques. Qui aime Hong Sang Soo se régalera de Ha Ha Ha le jour où il ne manquera pas de sortir dans les salles françaises.

dimanche 30 mai 2010

Cannes à Paris : La Casa Muda



On a beaucoup parlé, cette année, du changement de direction de la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes. Nouvelle tête (Frédéric Boyer), avec un désir d’ouverture vers le cinéma de genre. Parmi les films symbolisant clairement cette volonté d’ouverture, un qui a fait couler pas mal d’encre pendant le festival, l’uruguayen La casa muda (La maison muette / The Silent House) s’est clairement posé en incontournable. D’où ma surprise de voir la salle 500 du Forum des Images si désert pour le découvrir quelques jours après son passage remarqué à sur la Croisette.

La raison pour laquelle La casa muda a beaucoup fait parler de lui tient en un défi technique : le film a été réalisé en un plan séquence de 78 minutes avec une caméra qui est apparemment un appareil photo haute définition (d’excellente qualité bien sûr). Bien sûr, le défi est bluffant. Bon, malheureusement, on ne s’en rend souvent presque pas compte tant on est plongé dans l’obscurité pendant l’intégralité du film et que si le cinéaste avait voulu placer des plans de coupe, on ne s’en serait probablement pas aperçu.

Le début de ce long plan-séquence commence dans un champ. Un homme, la soixantaine, et une femme, la trentaine, avancent en direction d’une maison seule entre les champs et la forêt. Ils s’y arrêtent. Bientôt, une voiture arrive, et le propriétaire de la maison en descend. Celui-ci n’habite plus ici depuis des années, et veut la remettre un peu en état avant de la vendre. Le vieil homme et celle qui s’avère être sa fille sont là pour cela. Ils doivent rester sur place quelques jours pour travailler. Alors que le propriétaire vient de repartir et que les deux arrivants s’apprêtent à passer leur première nuit dans la maison, calés au rez-de-chaussée, des bruits viennent du premier étage. Annonciateurs d’un cauchemar d’une heure pour les protagonistes.

Au-delà de la prouesse technique, La casa muda déçoit un peu. Un peu, car il faut bien avouer que les prémices sont remarquables. Le tournage léger en plan séquence offre une vivacité au cadre qui imprime rapidement l’ambiance. La rapidité d’exécution nous interdit dans un premier temps les questionnements pour nous plonger avec tension dans une angoisse invisible. On ne voit rien, mais on ressent un danger permanent. Le réalisateur Gustavo Hernandez a au passage l’excellente idée de jouer avec les codes du genre, nous poussant à attendre les reflets dans les miroirs et les apparitions derrière les portes lorsque ceux-ci ne viennent finalement pas. Les sursauts se font donc rares, mais l’angoisse, elle, s’emmagasine sans pouvoir être expulsée. Il s’amuse aussi avec le point de vue de la caméra, nous faisant parfois croire à une caméra subjective lorsque ce n’en est pas une, et la surprise s’ensuit.

Si le film déçoit, c’est par son dernier acte, totalement raté. Tout à coup La casa muda tombe dans la facilité narrative, dans l’attendu, dans l’agaçant, alors qu’Hernandez maîtrisait jusqu’ici parfaitement son sujet. On tomberait presque dans le n’importe quoi à force de vouloir justifier et expliquer. Connaît-il si mal le genre, l’uruguayen, pour ne pas savoir que le non-dit est comme le non-vu ? C’est ce qui fait toute la force d’un film de ce type. Heureusement que la scène du polaroïd, flippante, se situe dans ce dernier acte, pour relever le niveau.

Si c’est cela la révolution de la Quinzaine des Réalisateurs 2010, je préfère me rappeler que The Host du coréen Bong Joon-Ho avait débuté dans la même section en 2006. C’était du cinéma de genre brillant de bout en bout à côté duquel La casa muda fait un peu pâle figure…

samedi 29 mai 2010

Cannes à Paris : Simon Werner a disparu…


La reprise à Paris des films des sections parallèles (Un Certain Regard, La Quinzaine des Réalisateurs, La Semaine de la Critique) du 63ème Festival International du Film de Cannes a débuté, et après avoir suivi l’évènement par la presse, les buzz et les critiques, je me suis concocté mon petit programme de films que j’ai l’intention de voir au Reflet Médicis, au Forum des Images et à la Cinémathèque dans les jours qui viennent. L’année dernière, j’avais ainsi découvert le pas assez vu Mother, le surestimé Precious, ou le toujours inédit Air Doll. Du français, du coréen, de l’américain ou de l’uruguayen sont ainsi dans mes tablettes pour l’édition 2010, et c’est un p’tit frenchy qui a eu mes premières faveurs.

Les teen movies, ces films dépeignant la jeunesse où tous les personnages principaux sont campés par des ados (plus ou moins) n’est pas un genre très prisé dans le cinéma français, et les rares fois où il s’y est aventuré, on ne peut pas dire que le résultat fut emballant, jusqu’aux fameux Beaux Gosses de Riad Sattouf l’année dernière, une franche réussite pour la comédie française qui déjà avait fait ses débuts dans une section parallèle cannoise en 2009.

Je n’avais pas entendu parler de Simon Werner a disparu avant que le Festival de Cannes commence, et n’y prêtai pas grande attention avant de lire une double page élogieuse dans Libération consacrée à ce premier film de Fabrice Gobert. C’est vite devenu un des films que je ne devais pas rater à la reprise parisienne des films cannois, et malgré un bus se traînant dans les bouchons parisiens, j’ai pu le découvrir en me calant à la dernière minute entre deux grandes têtes.

Bien sûr ce serait mentir que de le vendre comme « teen movie » si l’on associe le teen movie aux films pour ados attardés ou aux comédies lourdaudes. Simon Werner a disparu tient du teen movie car il prend pour héros des ados et plonge son regard sur la vie des ados, avec leurs mots, mais c’est plus qu’un teen movie comme on pourrait en attendre d’un film hollywoodien. L’action prend place dans une banlieue pavillonnaire française au début des années 90 (on reconnaît ça au fait que la console à la mode soit la super nintendo et que les jeunes aient encore des baladeurs cassettes, deux choses que les moins de 20 ans aujourd’hui prennent pour des antiquités). Simon Werner, élève en Terminale C, a disparu. La petite ville est en émoi, même si entre entraînements de foot, cours et fête d’anniversaire, la vie continue pour Jérémie, Alice, Jean-Baptiste et les autres. Mais chacun y va de ses doutes, de ses soupçons, et de ses angoisses. Bientôt, une autre élève de Terminale C disparaît…

Au-delà du fait que ce soit un film sur l’adolescence, il est difficile de ranger Simon Werner a disparu dans une case (et c’est tant mieux). Ni film d’enquête, ni franche comédie, ni drame social ou film d’angoisse, le film de Gobert parvient à être un peu de tout ça à la fois. Ce qu’il est surtout, c’est un film sur le microcosme lycéen qui parvient à déjouer les attentes. Il parvient à déjouer les attentes car il se donne le temps d’approfondir chaque personnage pour éviter les écueils et stéréotypes. Gobert aime à prendre des personnages à priori caricaturaux, le joueur de foot, le pote lourdaud, la fille inaccessible, le loser solitaire et quelques autres, qui si ils rentrent à priori dans des cases bien définies par tout ce qui peut se faire habituellement dans le genre, sont observés d’un œil différent. Gobert, scénariste et réalisateur, s’appuie sur les stéréotypes pour les dépasser, et y parvient en adoptant une technique narrative pas inédite mais suffisamment rare, et ici bien utilisée, pour qu’elle donne de la profondeur au récit : le point de vue multiple.

Simon Werner a disparu est découpé en plusieurs chapitres, chacun couvrant à peu de choses près la même unité de temps, avec pour chaque chapitre le point de vue d’un lycéen différent. Le récit se reproduit ainsi plusieurs fois avec à chaque nouveau point de vue une nouvelle vision du lycée, des lycéens, et de l’affaire, la disparition de Simon. C’est cette superposition de points de vue qui permet au réalisateur d’affiner son regard et de développer en profondeur ses personnages, les rendant plus criant de réalisme que dans bien des longs-métrages prenant des adolescents pour protagonistes.

Bien sûr, Elephant de Gus Van Sant, Palme d’Or 2003 et chef d’œuvre du genre, revient forcément en mémoire. Déjà le film américain épousait plusieurs points de vue dans un lycée en temps de crise. Le fait que Gobert aime lui aussi filmer ses lycéens de dos, et qu’il ait obtenu du groupe Sonic Youth de signer la bande originale du film (Kim Gordon avait tourné dans Last Days de Van Sant), ajoute certaines similitudes. Mais la comparaison ne peut aller plus loin, tant les films demeurent différents.

Simon Werner a disparu parlera certainement pas mal à ceux qui comme moi ont été ado à la même époque, mais Gobert parvient à rendre ses jeunes héros intemporels. Les époques changent, mais les angoisses et préoccupations restent les mêmes. En quittant très peu l’enceinte du lycée (si ce n’est pour nous entraîner dans les bois), il trouve également un cadre plus séduisant que les productions françaises se glissant dans le genre. On ne se sent pas dans un téléfilm pour TF1 ou France Télévisions.

Mon seul bémol concernant Simon Werner, c’est le dénouement, qui déçoit peut-être un peu, car le long-métrage parvient pendant 1h30 à instaurer une telle tension, et à éveiller une telle curiosité, que l’on en attendrait presque du sensationnalisme pour emballer le tout. Mais finalement, n’est-ce pas mieux ainsi, un dénouement finalement simple et réaliste à un film qui aura su se montrer convaincant grâce ses choix de narration et de mise en scène, à ses jeunes acteurs parfaitement dirigés, et à une maîtrise visuelle remarquable ?
A guetter absolument lorsqu’il sortira, à priori à la rentrée prochaine.

mardi 25 mai 2010

Gaspar Noé a volé deux heures et demie de ma vie



J’ai regretté de ne pas avoir un papier et un stylo pendant la projection d’Enter the Void. Déjà parce que cela m’aurait occupé, m’aurait permis de me détacher du film et de ne pas ressortir avec le sentiment d’avoir gâché 2h34 de ma vie. Ensuite parce que tant de pensées ont traversé mon esprit à la vision du nouveau film de Gaspar Noé que cela m’aurait évité de presque toutes les perdre à la sortie du film. Mais je n’avais ni papier, ni stylo. J’ai donc dû subir le film, et me condamner à ne pas pouvoir formuler après coup tout ce que j’aurais voulu en dire.

La première chose que j’ai à dire sur Enter the Void, c’est ma surprise de n’avoir assisté à aucun départ en cours de route de spectateur faisant une overdose du film. Si, un. Mais sur une salle pleine de 60 ou 70 personnes, un seul renoncement face à un tel film, c’est surprenant. Plusieurs fois, l’idée de laisser la lâcheté spectatrice s’emparer de moi afin de détaler, d’arracher mes yeux à ce spectacle fatigant, m’a assailli. Sans se concrétiser, comme d’habitude.

Dix jours après l’insupportable visionnage d’Izo de Takashi Miike, me voici donc si vite devant un autre morceau de cinéma brûlant les yeux. Il y a huit ans, avec Irréversible, Gaspar Noé avait déjà signé un film difficile, mais un film ayant une véritable identité cinématographique, une force pointant avec conviction dans une direction. Un film ne se laissant pas déborder par l’autosuffisance. Ce qu’est incapable de faire Noé avec Enter the Void, bouillie choc laissant espérer pendant une vingtaine de minutes que l’on va assister à une œuvre forte, avant de se rendre compte que le cinéaste va plutôt nous embarquer dans un dédale sans créativité, sans lumière, sans puissance.

C’est comme s’il n’avait pas compris ce qui faisait l’essence et la force de son cinéma, comme s’il se fourvoyait lui-même sans le comprendre. Ce que j’ai aimé par le passé chez Gaspar Noé, c’est cette capacité à évoquer la grâce et la déchéance humaine en parallèle. A les faire coexister comme elles coexistent dans le monde. Il n’y a pas de grâce dans Enter the Void. Il n’y a que la déchéance. Il n’y a que le glauque, encore et encore, inlassablement. Il y a Oscar, la vingtaine, américain dealant à Tokyo jusqu’au moment où il est abattu par la police dans les toilettes d’un bar de la capitale japonaise. Alors son esprit quitte son corps et déambule, dans le passé puis dans le présent, entre ses souvenirs et ceux qu’il laisse, sa sœur désemparée, son pote traqué.

Oscar est un protagoniste qu’on ne voit presque pas. Tout le récit est filmé en caméra subjective, du point de vue d’Oscar, qu’il soit vivant ou mort. Cette approche séduit avant de n’être qu’une bonne idée se dissolvant dans la mêlasse. Passées les vingt premières minutes, balade nocturne tokyoïte dans laquelle on pressent un sentiment d’urgence terriblement prometteur, Enter the Void se noie dans le néant créatif suffisant de Gaspar Noé. J’exagère. Pendant les deux (longues) heures qui vont suivre, le réalisateur va avoir une idée de mise en scène. Une seule. Faire glisser sa caméra d’un lieu à l’autre, à travers les murs, à travers les corps, et introduisant les changements de cadre par une plongée dans un objet du plan, la plupart du temps un objet lumineux. Cette idée plait tellement à Noé, elle lui semble tellement être le point d’ancrage du film, celle qui définit son œuvre, qu’il ne fera rien de plus pendant deux heures. Faire glisser sa caméra le long de la ville, dans une pièce, dans une rue, avant de s’en échapper par un objet lumineux. C’est tout.

Au passage il explore la vie de son protagoniste sans visage (on le voit seulement dans la glace à deux ou trois reprises pour l’oublier aussitôt, il redevient vite une nuque), une vie de malheur, une vie de perdition, une vie de cris que l’on semble revoir à l’infini avec une infinie douleur. Noé ne semble pas tenir à ce que l’on aime son film ou ses personnages. Il fait de Tokyo une ville de bas-fonds sans lumière aucune sinon celle des néons perçant la nuit.
Où se trouve cette lumière qui côtoyait l’ombre dans Irréversible ? Cette lumière qui donnait son importance au film, et son style à Noé ? Cette lumière qu’il s’appliquait à assombrir pour la rendre plus précieuse ? Elle est ici totalement absente, faisant de la noirceur du film un spectacle de misérabilisme sans ambition, sans perspective, sans saveur. Il s’amuse à filmer des parties de jambes en l’air à tout-va dans un love hôtel comme si le général fou de Docteur Folamour l’avait convaincu que son obsession des fluides corporels étaient la base de tout. Il s’amuse à filmer une éjaculation de l’intérieur, précédant l’étincelle de vie qui n’a rien d’étincelant.

Gaspar Noé s’amuse beaucoup, à l’évidence, à concocter un objet très particulier qu’il voudrait très dérangeant. Mais il a oublié au passage qu’il ne suffit pas de forcer les traits pour faire du cinéma électrochoc. Il faut surtout des idées, de l’ouvrage, et du cœur, même pour exprimer la noirceur du monde. Sinon, un film peut vite être bête et fatigant. Comme le sien.

lundi 24 mai 2010

Les gros bras du cinéma d'action retrouvent le chemin des salles

2010 s’apprête à être une année particulièrement réjouissante pour les nostalgiques des films d’action des années 80 et 90. Leurs stars, ces héros déchus dont les longs-métrages ne cherchent plus à agripper la première place du box-office mais une étagère placée à hauteur d’yeux et pas loin de la caisse du vidéoclub – quoi que la notion même de vidéo club perde de sa superbe en ces temps de téléchargement et d’automatisation - retrouvent en effet presque tous des rôles leur offrant une exposition sur grand écran. Ca les change.

Depuis quelques années, comme l’a si bien montré JCVD de Mabrouk El Mechri, ceux qui ont forgé leur carrière sur l’action se trouvent désormais pour la plupart à tourner leurs films avec des budgets microscopiques à l’échelle américaine, non plus sur les flamboyants plateaux hollywoodiens, mais dans des hangars désaffectés d’Europe de l’Est pour des faiseurs plus que pour des cinéastes. Leurs noms évoquent la gloire de l’action man, la force américaine aux dernières heures de la Guerre Froide pour lesquels les spectateurs aimaient il y a 15, 20 ou 25 ans à se délecter de leurs prouesses martiales ou armées. Sylvester Stallone, Steven Seagal, Wesley Snipes, Dolph Lundgren, Jean-Claude Van Damme, Arnold Schwarzenegger… Cette liste avait peut-être de la superbe en 1990, aujourd’hui elle ressemble plus à un cimetière de carrières fanées.
Qui se souvient de la dernière apparition dans un long-métrage ciné de Steven Seagal, Wesley Snipes ou Dolph Lundgren ? Eh oui, ça se compte en années. Pourtant, tous trois pourront être vus sur un écran de 8 mètres de large en cette 2010.

Pour Wesley Snipes, le film est déjà visible, il s’agit d’un polar social de très bonne tenue, L’élite de Brooklyn d’Antoine Fuqua. Snipes y campe un ancien caïd tout juste sorti de taule, hésitant entre reprendre les rennes perdus lorsqu’il est parti entre quatre murs et se détacher de ce milieu qui lui a tant pris. Sobre et juste, Snipes a rarement été aussi bon, pas depuis des années en tout cas. L’air de rien, l’acteur découvert par Spike Lee il y a 20 ans a passé les dernières années à jouer les gros bras dans des séries B pour le marché vidéo, disparaissant totalement d’Hollywood. Ses ennuis avec le fisc américain n’ont rien arrangé, mais sa performance chez Fuqua laisse espérer que l’acteur, qui avait reçu le Prix d’Interprétation à la Mostra de Venise en 1997 pour Pour une nuit de Mike Figgis, reviendra doucement vers un cinéma de qualité qui semble si loin pour lui.

Au moins, Snipes a connu le cinéma de qualité dans sa carrière, en plus de ses rôles d’action guy dans Passager 57, Demolition Man ou Drop Zone. On ne peut pas en dire autant de Steven Seagal, qui étonnamment n’a pas une filmographie si longue que cela. L’homme aux bras les plus dangereux du cinéma américain n’a tourné qu’une dizaine de films dans les années 90, avant de tomber dans la case « ringard » pour marché DVD. Son moment de gloire, Piège en haute mer. Son meilleur film (oui je sais je dis cela parce que c’est un de mes péchés mignons), Ultime Décision dans lequel il laissait la vedette à Kurt Russell en claquant à la fin de la première bobine. Au cours de la décennie qui vient de s’écouler, Seagal est resté cantonné dans les productions de troisième zone, défrayant plus la chronique pour son engagement auprès de la police sous les caméras américaines, les attaques en justice de femmes se plaignant de harcèlement sexuel, ou (mais là il ne s’agit pas de défrayer la chronique) ses concerts pour sa reconversion musicale.

Pourtant, comme Wesley Snipes, Steven Seagal débarque lui aussi en 2010 sur grand écran dans un film dans lequel on ne l’attendait pas forcément. Ce film c’est Machete, le nouveau Robert Rodriguez. Le réalisateur de Une nuit en enfer et The Faculty transforme là en long-métrage la fausse bande-annonce qu’il avait réalisé il y a quelques années pour Grindhouse, la version double sortie aux États-Unis du diptyque Planète Terreur / Boulevard de la mort. Le héros de cette série B sanglante qui s’annonce savoureuse a beau être l’acteur fétiche de Rodriguez, Danny Trejo, le plus étrange membre de la distribution du film, au côté de Robert De Niro, Jessica Alba et Lindsay Lohan, est à n’en pas douter l’ancien champion d’aïkido qu’est Steven Seagal.

Seagal, qui s’est évertué à incarner les héros en tous genres depuis ses débuts d’acteur à la trentaine passée, semble parti pour prêter ses traits dans Machete au premier méchant de sa carrière, alors qu’on ne l’avait plus vu sur grand écran depuis Mission Alcatraz au printemps 2003 (vous allez rire, j’étais allé le voir…). Saura-t-il nous surprendre comme Van Damme et Snipes nous ont surpris dans JCVD et L’élite de Brooklyn ?

Bien sûr il est impossible de parler du retour des gros bras des années 90 sans évoquer The Expendables de Sylvester Stallone. Ce dernier a voulu engager toutes les anciennes gloires du cinéma d’action, ses anciens concurrents au box-office, en plus de quelques petits « jeunes », pour peupler sa nouvelle réalisation. Toutes les ex stars du genre se sont vus appelées par Sly, qui leur a proposé un rôle dans son film, au premier rang desquels Van Damme qui a ouvertement refusé d’y prendre part faute d’un rôle suffisamment écrit (étrange tout de même de la part d’un acteur qui peine à transformer l’essai deux ans après JCVD, se cantonnant pour le moment à ce qu’il fait depuis des années).

Faute d’avoir pu engager Van Damme ou Seagal, l’attraction du casting de The Expendables se nomme Dolph Lundgren. Le géant suédois, célèbre pour être la plus grosse tête des stars du cinéma d’action (il est diplômé en ingénierie chimique), a été éloigné d’une sortie en salles depuis encore plus longtemps que ses collègues. Il semble qu’aucun de ses films n’ait trouvé le chemin des salles obscures aux États-Unis depuis le milieu des années 90, ce qui en dit long sur l’état de sa carrière. On trouvera à ses côtés, dans une courte apparition, Arnold Schwarzenegger et Bruce Willis, et dans des rôles plus conséquents, Jason Statham, Jet Li et Mickey Rourke.

En 2010, revoir tous ces gros bras sur grand écran a beau être étrange et quelque peu anecdotique, une part de ceux qui ont grandi avec ces mecs s’en réjouit un peu. Mais je me demande quand même quand quelqu’un ramènera Chuck Norris sur un plateau de cinéma, autrement que pour un cameo comique avec Ben Stiller. Les réalisateurs craignent peut-être que Chuck mette les pieds où il veut… et tout le monde sait bien que c’est souvent dans la gueule.

jeudi 20 mai 2010

Mai Mai Miracle, la pêche à l'exclusivité animée


Il n’est pas toujours évident d’être en alerte pour repérer les exclusivités, raretés et autres films immanquables que Paris a à offrir. L’offre est tellement vaste dans la capitale qu’elle nécessite une attention de renard. Si je n’étais pas passé devant le Forum des Images le week-end dernier, je n’aurais peut-être pas découvert que le lieu cinéphile allait projeter, quelques jours plus tard, un film d’animation japonaise en exclusivité dans le cadre de leur programmation « Teen Corner ». Grand bien leur a pris de mettre une grande affiche pour annoncer l’évènement, sans quoi…

En même temps je dis ça alors qu’en toute franchise, Mai Mai Miracle, l’anime en question, n’est pas le représentant du genre le plus emballant de ces dernières années. Il s’agit du second long-métrage réalisé par Sunao Katabuchi, près d’une décennie après son coup d’essai Princesse Arete. Le japonais y conte l’histoire de fillettes dans la campagne nipponne des années 50. L’une, Shinko, est une gamine du coin, espiègle et rêveuse, fascinée par l’Histoire de sa région qui lui a été transmise par son grand-père. L’autre, Kiiko, débarque de Tokyo orpheline de mère et timide. Shinko va prendre la petite nouvelle sous son aile pour vivre ensemble ses aventures imaginaires la transportant mille ans plus tôt, lorsque les vastes champs étaient encore une ville.

Bien sûr il y a plus dans Mai Mai Miracle (« mai mai » désignant en japonais un épi de cheveux, l’épi de Shinko qu’elle pense être responsable de sa capacité à faire revivre le passé dans ses jeux) que les simples amusements de deux fillettes faisant les folles dans les champs. Dans ce Japon d’après guerre, Katabuchi distille la confrontation entre deux mondes, ce Japon campagnard encore bien imprégné de sa vie traditionnelle, et le Japon moderne dessinant déjà ses contours et se confrontant à sa tradition.

Il y a aussi, bien sûr, la confrontation de l’enfance à l’âge adulte. L’idée qu’il n’y a pas d’âge pour se frotter à la réalité et devoir ravaler ses rêveries, ne serait-ce qu’un instant, pour encaisser l’intrusion des difficultés de la vie, par la maladie, par la mort. Mais si certains films d’animation ces dernières années ont abordé les confrontations de la jeunesse à des épreuves trop grandes pour leurs frêles épaules avec une profondeur et une densité étonnantes (Amer béton ou, plus proche de Mai Mai Miracle, Un été avec Coo), Katabuchi préfère lui ne pas trop perturber la légèreté de son film, préférant pocher son film d’amertume plutôt que l’en peindre tout à fait. C’est louable et réussi, mais laisse du même coup Mai Mai Miracle à un niveau plus enfantin et gentil qu’il n’aurait pu l’être sous la houlette de cet ancien collaborateur d’Hayao Miyazaki.

Je suis tout de même bien heureux d’avoir pu le découvrir dans la grande salle du Forum des Images plutôt que sur DVD, comme la plupart des amateurs devront le faire puisque Kaze (son distributeur) ne fera pas passer le film par la case cinéma, préférant le sortir directement en DVD cet été. Quand je vous disais qu’il fallait avoir l’œil pour repérer les projections à ne pas manquer…
En revanche pour les amateurs d’animation japonaise, dans moins de trois semaines sort sur grand écran Summer Wars… pour un plus grand nombre de spectateurs.

dimanche 16 mai 2010

De Hong à Miike : Extrêmes du cinéma d'Orient

Si celles et ceux qui n’ont guère le goût du cinéma d’Orient ont tendance à tout mettre dans le même panier dès que les acteurs apparaissant à l’écran ont les yeux bridés, les autre savent très bien que la richesse cinématographique du continent amène à une diversité souvent ahurissante. Jeudi dernier a pour moi été synonyme de cinéma asiatique (sur grand écran évidemment), et j’ai fait une fois de plus le constat du grand écart qu’il est possible de faire d’un film à l’autre. Un plaisir coréen en début d’après-midi, un navet japonais en soirée.

Le plaisir coréen s’intitule Les femmes de mes amis et est signé Hong Sang-Soo. Pour qui connaît le cinéma du réalisateur, il est facile de reconnaître en quelques minutes un de ses films, et celui-ci ne fait pas exception. Cet habitué du Festival de Cannes (le film était présent l’année dernière à la Quinzaine des Réalisateurs, et son nouveau, qui porte le titre Ha Ha Ha, est sélectionné cette année à Un Certain Regard) s’attache presque toujours à prendre pour protagoniste un cinéaste pris dans des tourments amoureux. Les femmes de mes amis n’échappe pas à la règle. Ku, plus ou moins quarante ans, réalisateur de son état, débarque en province pour être juré dans un festival de films. Plus intéressé par ce que les gens pensent de lui que par les films qu’il est venu voir, Ku boit beaucoup, cherche à séduire, et tombe sur un vieil ami perdu de vue depuis des années.

S’il existe des metteurs en scène qui s’évertuent à changer de genre et de style à chaque film, Hong Sang-Soo n’en fait certainement pas partie. Il est plutôt de ces cinéastes s’escrimant à creuser un sillon, à faire de leurs films un genre en soi, à revisiter constamment, inlassablement les mêmes thématiques, les mêmes types de personnages et de situation. Et il fait partie de ceux qui le font bien (et inutile de dire que c’est loin d’être toujours le cas…). C’en devient presque étonnant. Que John Carpenter ait consacré sa carrière à faire des remakes plus ou moins déguisés de Rio Bravo d’Howard Hawks avec un talent constant peut se comprendre, le réalisateur américain ayant mis son talent au profit de différents genres et différentes situation. La réussite d’Hong Sang-Soo est plus surprenante.

Car le sud-coréen créé des œuvres moins malléables que le cinéma fantastique. Ses films se résument souvent à une poignée de personnages évoluant dans des milieux artistiques, buvant, parlant et couchant énormément. Des triangles amoureux, des mensonges, des engueulades. Toujours ces femmes, toujours ce cinéaste. A chaque film d’Hong Sang-Soo, il est tellement facile de penser que l’on sait ce que l’on va voir que l’on parvient tout de même à se laisser surprendre. Les femmes de mes amis a beau ressembler à Woman on the beach, Conte de cinéma ou La femme est l’avenir de l’homme, la comédie nous entraîne dans son sillage. Les personnages, un peu paumés, un peu rêveurs, un peu hystériques, amusent et prennent de court.
Tout comme je ne pensais pas autant aimer Night and Day voilà deux ans, je ne pensais pas sortir si satisfait des Femmes de mes amis. Et pourtant.

La surprise s’est également emparée de moi plus tard dans la journée, en me rendant à la rétrospective Takeshi Kitano au Centre Pompidou. Pour le moment je n’ai pas encore énormément profité de l’évènement. Après un nouveau visionnage de Hana Bi et la découverte (enfin !) d’Aniki mon frère, je ne m’y suis rendu jeudi soir que pour la troisième fois, pour découvrir le réalisateur de L’été de Kikujiro comme comédien cette fois, dans Izo de Takashi Miike.

Le cinéma de Miike n’a jamais vraiment été ma tasse thé (enfin… pas du tout même), mais le synopsis de celui-ci semblait suffisamment barré pour recéler un p’tit film fun. Comme je me suis trompé... Comme je me suis lourdement trompé. Izo est un guerrier du 19ème siècle, torturé et exécuté, qui revient un siècle plus tard, de nos jours, avec une soif de vengeance et de mort qui va décimer peu à peu tout ce qui se fait de dignitaires et gouvernants du coin.

Le film de Takashi Miike consiste donc essentiellement, pendant plus de deux heures, à regarder Izo courir partout, sabre à la main. Un coup de sabre par-ci, une tête qui tombe par-là, dans le bruit, dans la fureur, dans un râle rauque très bestial. De temps en temps cela parle, du blabla sortant de la bouche de mystérieux aristocrates s’inquiétant de plus en plus de ce vieux démon rongé par son karma qui court vers eux pour les massacrer, mais cette parlotte ne mène pas bien loin. Alors Miike retourne filmer Izo, affrontant d’autres samouraïs, deux, cinq, dix. Il affronte aussi des vampires. Il affronte des flics tirant à l’arme automatique. Combien de fois se fait-il trancher, combien de coups de couteau et de balles se prend-il, bien trop pour tenir le compte.

Mais toujours Izo se relève, plus furieux, plus sanguinaire, plus fatiguant. Si ce n’était que ça. Mais non, Miike ne s’est pas contenté de cette intrigue bête et bruyante, il lui a également adjoint des à-côtés ajoutant à la douleur du spectateur. Des images d’archives, de diverses guerres, se déversant régulièrement à l’écran. Des scènes de sexe ridicules, dont l’une incestueuse sur les bords est fort peu ragoûtante. Et le summum nous vient sous la forme d’un mystérieux musicien, hantant le film de sa silhouette et sa guitare, revenant à l’écran à peu près toutes les 12 ou 15 minutes pour nous chanter une chanson à la guitare au milieu d’un champ, dans une grotte inquiétante, ou au milieu des bois. A sa première apparition, il séduirait presque. Un son sec, une voix éreintée très inattendue, il apporte un décalage intéressant. Mais vient la seconde apparition. Puis la troisième. La quatrième, la cinquième, la sixième, la septième... La voix éreintée devient voix éreintante, il hurle en toussant, pendant que dans la salle, je m’affaisse en gloussant.

Bon bien sûr il y a la laideur visuelle, le scénario risible (mais profondément ennuyeux), les personnages qui disparaissent purement et simplement de l’intrigue sans que l’on sache ce qu’il advient d’eux, et bien d’autres défauts encore… Mais en fin de compte si je me souviendrai encore de ce film dans 20 ans, ce sera surtout grâce à cette voix qui donne envie de tousser lorsqu’on l’entend hurler sur sa guitare. Et Kitano dans tout cela ? Il a trois ou autre scènes, et sa tête finit comme beaucoup d’autres sous le sabre de Izo. Mais il faut souffrir plus de deux heures avant que cela ne se produise.

Qu’il est plus doux de rire avec Hong Sang-Soo que de crier avec Takashi Miike…

samedi 15 mai 2010

Le cinéma américain en toute indépendance

J’ai vu un petit film indépendant américain dont j’ai vraiment envie de parler. Je l’ai vu quelques jours après un autre indépendant, plus visible, réussissant une belle carrière dans les salles obscures françaises, mais honnêtement excellent lui aussi. Ce dernier film, c’est la nouvelle réalisation d’Antoine Fuqua, qui avait offert il y a quelques années l’Oscar du Meilleur Acteur à Denzel Washington pour Training Day. Si depuis son polar urbain, le cinéaste américain s’était plutôt égaré avec du film d’action pour Bruce Willis (Les larmes du soleil), pour Clive Owen (Le Roi Arthur) puis pour Mark Wahlberg (Shooter), il revient à son meilleur avec L’élite de Brooklyn.

Son film est le portrait croisé de trois flics du fameux quartier new-yorkais : l’un est un père de famille touchant à l’argent sale de la drogue pour déménager les siens dans un logement plus grand ; le second est à une semaine de la retraite, après une carrière où il a soigneusement évité les ennuis ; le troisième est infiltré depuis des années au sein d’un gang de trafiquants et veut en sortir. Ces trois flics sont à un moment crucial de leur vie, et Fuqua dépeint cet instant charnière avec un soin remarquable. Sa mise en scène, sobre, fait luire un sentiment d’oppression, palpable dans chacun des destins observés.

Préférant le réalisme d’un labeur pesant et de caractères balançant entre l’exemple et la déception à un quelconque embellissement cinématographique, le cinéaste touche juste. Les trois héros naviguent dans des zones d’ombre, figures de justice ne sachant plus où se situe cette fine ligne séparant le bien du mal, le courage de la lâcheté. Fuqua, comme pour Training Day il y a bientôt dix ans, se montre excellent directeur d’acteur Dirigeant Wesley Snipes, impeccable en caïd sortant du trou, dans son premier film de cinéma depuis des années après un abonnement aux productions de vidéoclub, il offre à Richard Gere son meilleur rôle (et sa meilleure performance) depuis (attention ça remonte !) Les moissons du ciel de Terrence Malick (Si si... mais bon vu la filmo de Gere, en même temps, c’est pas bien dur…). Il est moins surprenant d’admirer Ethan Hawke et Don Cheadle, acteurs fiables s’il en est.

L’élite de Brooklyn a donc trouvé son public en France. Mais ce n’était pas de ce film que je voulais parler. Je voulais parler d’un autre, plus confidentiel, plus art et essai et un petit peu moins américain. Âmes en stock. Un titre intriguant pour un film qui ne l’est pas moins. S’il est un petit peu moins américain, c’est parce qu’il est à moitié français, par sa scénariste et réalisatrice Sophie Barthes qui signe ici son premier long. La française a imaginé un film que n’aurait sûrement pas renié Charlie Kaufman s’il l’avait lui-même signé.

Le comédien américain Paul Giamatti (l’amateur de vins de Sideways, le concierge héroïque de La jeune fille de l’eau) y incarne… Paul Giamatti, acteur de son état, qui répète une pièce de Tchekhov à New York. Paul rame, il n’arrive pas à gérer son personnage, à l’apprivoiser. Il se sent mal dans sa peau, broie du noir, souffre au plus profond de son âme. Alors lorsqu’il découvre qu’il existe à New York un institut capable d’extraire l’âme du corps humain et de la stocker, le temps que son ou sa propriétaire le désire, son intérêt est piqué au vif. Sans cette âme qui le pèse et le mine, peut-être Paul retrouverait-il un peu de joie de vivre ? Peut-être maîtriserait-il enfin son rôle ? Au pire, on pourra toujours lui réintégrer son âme, de toute façon.

L’idée de départ, très séduisante, est assez folle. Ne plus s’embarrasser de son âme, cette chose que l’on ne saurait décrire physiquement mais qui est ancrée en nous. Et si nous pouvions essayer de vivre sans ? L’être humain, sans âme, qui est-il ? Aussi séduisant que ce point de départ soit, j’ai craint, pendant une partie du film, que mademoiselle Barthes ne parvienne à conduire son film, à le faire évoluer et à l’orienter dans une direction qui soit à la hauteur de son idée farfelue. J’ai eu tort. Car Paul Giamatti, celui de fiction, veut finalement récupérer son âme (il s’est entre temps fait implanter l’âme d’un poète russe, pour voir), alors même qu’une femme russe - opérant comme mule entre New York et Saint-Pétersbourg pour alimenter le marché noir d’âmes - la lui a dérobée.

Commence alors pour Giamatti une excursion à Saint-Pétersbourg pour tenter de remettre la main sur cette âme qu’on lui refuse. C’est là qu’Âmes en stock parvient à transformer l’essai d’un pitch ambitieux. Car le portrait d’acteur farfelu se double alors d’un beau portrait de femme, celui de Nina, la mule utilisant son corps comme convoyeur illégal d’âmes. Lorsque l’on se fait extraire une âme, il en reste toujours quelques résidus, et Nina, qui a convoyé nombre d’âmes pour se les faire extraire, est ainsi une femme à âmes multiples, hantée par celles des autres.

Âmes en stock vagabonde dès lors entre deux êtres perdus, l’un sans âme, l’autre avec des centaines sauf la sienne, cherchant ce qui les rend humains mais leur fait défaut. Des petits moments de grâce traversent alors le film, petit frère d’Eternal sunshine of the spotless mind et Dans la peau de John Malkovich. Un croisement moins agité, moins fou, et moins talentueux que les films écrits par Kaufman, mais qui laissent entrevoir de réelles capacités, et une vraie poésie des mots et de l’image pour l’avenir de cinéaste de Sophie Barthes.

mercredi 12 mai 2010

Génération Besson ? Oui... mais non.


Je n’ai jamais été un fan de Luc Besson. Le seul film de lui à m’avoir enthousiasmé au moment où je l’ai vu fut Le cinquième élément. A l’époque j’avais 15 ans et tout ce qui touchait à la science-fiction et était bien foutu devenait immanquablement un de mes films préférés du moment. Ce fut le cas de l’épopée SF de Besson, qui à l’époque avait fait l’ouverture du Festival de Cannes et m’avait plongé dans un état de jubilation intense, malgré le très mauvais positionnement en salles. Je m’en souviens comme si c’était hier, à l’époque j’allais encore plus facilement voir les films à Rosny-sous-Bois, direct en bus, qu’aux Halles, où il y avait un changement en métro.

Certes c’était de la VF, certes c’était un public banlieue pas toujours fréquentable, mais j’avais quinze ans et je n’étais pas encore maniaque des conditions de visionnage d’un film (la chance, je regrette ce temps béni parfois…). Ma mère, ma sœur et moi étions donc allé voir Le Cinquième élément à l’UGC Ciné Cité Rosny, qui était pour ainsi dire flambant neuf à l’époque. Le cinéma coexistait encore pour un temps avec l’Artel local de ma préadolescence, où je vis encore à la même époque la reprise 1997 du Retour du Jedi dans une salle quasi vide (quel pied !). Mais je m’éparpille.

Dans une grande salle de l’UGC Ciné Cité Rosny donc je vis la cuvée 1997 de Luc Besson, au troisième rang, complètement à droite. Dans ces moments-là, j’ai beau être mal placé, si le film m’emballe, j’oublie vite que je ne suis pas à la bonne place (comme récemment avec Green Zone). Je crois me souvenir que pendant un temps, j’ai admiré Luc Besson, grâce au Cinquième élément. J’ai revu Léon, que jusqu’ici je n’aimais pas, et l’ai amplement réévalué (depuis je l’ai vu une troisième fois et l’ai de nouveau trouvé soporifique). En juin 1998 en revanche, à l’occasion de son dixième anniversaire, la ressortie en copie neuve de la version longue du fameux Grand Bleu me confirma que non, décidément rien ne résonnait en moi à la vision du film culte de Besson, sinon l’ennui. Et l’amusement de la passion de ma sœur, présente avec moi à la redécouverte sur grand écran de son film culte (vu, vu, revu et archi revu jusqu’à extinction de la VHS sur le magnétoscope de notre enfance), ne pouvant retenir ses chaudes larmes en s’exclamant « C’est pas possible de faire un film aussi beau !!! » sur le parking du cinéma. A cet instant, je me suis senti bien loin du cinéma de Luc Besson.

Je suis certainement trop jeune pour être de la génération des passionnés du Grand Bleu, et probablement trop peu fasciné par la grande bleue et ce qu’elle cache pour frissonner aux descentes en apnée de Jacques et Enzo.
Entretemps Besson est devenu cet entrepreneur du cinéma, ce mogul français capable d’être à la fois scénariste sans imagination (la série des Taxi ou des Banlieue 13) et producteur ou distributeur audacieux (Trois enterrements de Tommy Lee Jones, I love you Phillip Morris). Un nabab à casquettes multiples qui a tellement d’ambitions qu’il oscille sans difficulté entre le bon et le mauvais. Son gros coup de 2010 ? Distribuer via Europa Corp le film le plus alléchant de l’année, l’ultra attendu The tree of life de Terrence Malick (quand sera-t-il prêt Terrence ?!).

Malgré toute la tiédeur que l’on peut ressentir vis-à-vis de Luc Besson réalisateur, il est difficile de ne pas guetter d’un œil les films où il officie derrière la caméra. Après une décennie 2000 fade à souhait, entre ses Arthur et les Minimoys trop gamins et l’inepte Angel-A, 2010 promettait le premier projet intéressant de Besson cinéaste depuis son Jeanne d’Arc en 1999. Transposer sur grand écran le fameux personnage de Tardi dans Les aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec. Une idée ambitieuse, pour laquelle Besson s’est donné les moyens de reconstituer le Paris des années 1910, s’y adjoignant les services d’une distribution masculine trois étoiles : Mathieu Amalric, Gilles Lellouche et Jean-Paul Rouve, tous trois entourant Louise Bourgoin, actrice peu enthousiasmante mais très en vogue (ça me rappelle quelqu’un).

Pour la première fois depuis bien longtemps Luc Besson semblait retrouver son statut de réalisateur majeur, du moins incontournable du cinéma français, et le fan du Cinquième élément au fond de moi se disait « Pourquoi pas ? ». J’ai mis du temps à voir Adèle Blanc-Sec, suffisamment longtemps pour entendre quelques personnes dire du bien du film, et toutes les autres le descendre en bonne et due forme.

Bon, je n’irai pas jusqu’à dire que le résultat m’a atterré… le mot est trop violent… mais la médiocrité de l’œuvre m’a tout de même pris à la gorge. Les défauts du film de Besson ne sont pas ceux que j’attendais. Comment aurais-je pu imaginer qu’Adèle Blanc-Sec ressemblerait à un premier film malade d’un jeune cinéaste sans personnalité ni sens de la narration ? Car c’est là tout le problème des Aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec, et il est sérieux. Le film souffre de laxisme de la part de son scénariste / réalisateur. Laxisme d’un homme qui semble croire qu’il suffit d’avoir de bons acteurs, quelques gags, et un univers visuel fort (le Paris 1910) pour tenir un film d’aventure satisfaisant.

A-t-il si peu de jugeote ? Manque-t-il à ce point de respect pour les spectateurs pour penser que l’on puisse se satisfaire d’une œuvre qui commence avec un narrateur pour le faire disparaître au bout de 5 minutes ? Pour penser que le rôle du méchant déjouant les plans du héros, souvent le plus savoureux dans le genre, est à ce point superflu qu’il ne l’introduit dans les 10 premières minutes que pour le ranger au placard pendant tout le reste du film ? Avoir l’audace d’engager Mathieu Amalric pour ce rôle qui aurait pu grandement apporter au récit, pour ne finalement pas l’utiliser sinon comme feu de paille, voilà un geste grotesque.

L’intrigue, sans contrepoids maléfique, perd de son enjeu dramatique, qui s’apparente désormais à une gentille balade d’époque, avec des gags paresseux, des seconds rôles sans épaisseur (seul Gilles Lellouche et son personnage de commissaire parviennent à apporter un gimmick comique qui tient éveillé), et des dialogues… peu fameux (le « Eh, Ramsès de mes deux » déclamé par Louise Bourgoin m’a fait trembler de dégoût et rappelé au souvenir peu fameux de Besson scénariste pour ados fans de cascades…).
Tout à coup, en fin de film, Besson semble craindre d’avoir effectivement été léger narrativement, et alors qu’une partie du générique a déjà défilé et que la salle s’est vidée aux trois quarts, il ajoute 4 ou 5 minutes au film, expliquant quelques trous du récit, et tentant de finaliser tant bien que mal le film en lançant une piste pour la suite, une piste assez grotesque qui plus est, qui a pour unique mérite de faire réapparaître un court instant Mathieu Amalric, que nous n’avions pas vu depuis 1h30 à l’écran.

Avec Les Aventures Extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec, le cinéma d’aventure hollywoodien peut tranquillement dormir sur ses deux oreilles, la concurrence française est loin d’être à la hauteur, et le public ne s’y trompe pas. 1,2 millions d’entrées en 3 semaines, c’est probablement le score qu’espérait atteindre Besson en une semaine à peine. Les deux millions ne semblent même pas envisageables…

Pendant longtemps, Luc Besson répétait inlassablement qu’il arrêterait de réaliser après son dixième film derrière la caméra. Tout à coup, le regret qu’il ne s’y soit pas tenu apparaît. Produire et distribuer des films ambitieux est toujours dans les cordes de notre mogul national, il le prouve régulièrement. Pour ce qui est de l’écriture, et de la mise en scène… mieux vaut conserver de bons souvenirs (enfin, pour ma part, un seul).

lundi 10 mai 2010

J'ai fêté l'Europe au cinéma

L’Union Européenne, et ses incarnations passées, a fêté le 9 mai ses 60 ans. Depuis quelques années, les cinémas UGC célèbrent à leur façon cette date, en programmant à Bruxelles, Strasbourg, Lyon, Rome, Madrid et Paris des films de l’Union Européenne dans certains cinémas de chaque ville. Un film par pays de l’Union, à savoir 27 films, tous inédits. A Paris, c’est bien sûr à l’UGC Ciné Cité Les Halles, premier cinéma d’Europe en terme de fréquentation, que la manifestation a lieu.

Pour l’occasion, quatre salles étaient réquisitionnées dimanche 9 mai pour programmer ces 27 films dont la plupart ne sortiront probablement jamais en salles en France. Seule une poignée parmi ceux programmés à Paris ont déjà un distributeur et une date de sortie en France, notamment l’espagnol Cellule 911, grand succès du cinéma ibérique, l’italien Le premier qui l’a dit et le britannique La disparition d’Alice Creed, qui doivent tous trois sortir dans les salles hexagonales cet été.

Bien sûr, voir 27 films en une journée, c’est impossible, et malgré mon envie de dévorer un quart des films présentés aux Halles, il a fallu faire des choix. J’ai cru un moment que je réussirai à voir trois des films sélectionnés, mais je n’ai finalement pu en voir que deux. J’ai donc consciencieusement étudié chaque film, et observé le programme, pour choisir les deux films que je déciderais de voir. J’ai d’emblée écarté l’espagnol, l’italien et le britannique, que je pourrai découvrir cet été sans difficulté.

Six films ont particulièrement attiré mon attention. N’étant pas spécialement connaisseur ou amateur du cinéma d’un pays européen en particulier, je ne me suis pas laissé entraîner par une subjectivité quelconque autre que l’attrait pour un sujet. Le bulgare The Goat, le polonais My flesh, my blood, le roumain L’autre Irène et le slovaque Broken promise ont tous quatre été sur la liste des films qui m’intéressaient particulièrement. Le problème c’est que chaque film n’avait qu’une unique séance dans la journée. Le roumain était programmé à 10h du matin, les trois autres à 22h. C’est donc naturellement que je me suis tourné vers les deux films qui complétaient ma liste.

Le premier fut 9:06, le film slovène de la sélection. Je dois bien avouer qu’avant de me pencher sur les films programmés lors de cette journée européenne, je pensais plutôt être attiré par un film irlandais, allemand ou belge. Mais cette journée fut finalement l’occasion de sortir des sentiers battus du cinéma européen. Jusqu’ici en 2010, sur les 80 films vus en salles, seuls sept d’entre eux étaient des films européens (hors France bien sûr). Trois britanniques, un espagnol, un allemand, un danois et un bulgare. Il était vraiment temps d’augmenter le compteur… Alors pourquoi pas un film slovène, tant le synopsis m’intriguait.

Le protagoniste est un flic de Ljubljana, Dusan, enquêtant sur le suicide d’un joueur de piano mort en sautant d’un pont. Bientôt Dusan va se trouver fasciné par le défunt, et petit à petit s’identifier à lui, prenant place dans son appartement, nouant un lien avec sa petite amie. Dusan est séparé de sa femme, en conflit avec elle sur la garde de leur fille, et culpabilise du décès de leur première fille. En s’appropriant la vie du suicidé, il trouve une échappatoire à son quotidien, et des réponses qu’il cherchait au plus profond de lui.

En moins d’1h15, le slovène Igor Sterk tisse une toile psychologique dont le fascinant flou n’a d’égal que la maîtrise formelle de l’œuvre. La caméra est posée avec précision, elle glisse avec finesse pour mieux épouser un sentiment d’inéluctabilité qui pèse sur l’œuvre. La mort plane constamment sur 9:06, elle est un fardeau que chaque personnage porte en lui, et une fatalité que chacun entrevoit. C’est autant une enquête policière qu’un drame psychologique, le portrait d’un homme déboussolé, acculé par ses propres doutes, qui trouve dans la mort d’un autre quelque chose à quoi se raccrocher.
On en sort dans une sorte de brume plaisante, la brume d’un film qui choisit de ne pas trop en dire, ni trop en montrer. Juste quelques plans, préférant nous laisser imaginer l’œuvre dans son ensemble que nous l’expliquer.

Le sentiment amer laissé par 9:06 a été balayé par le second film européen vu. Après la Slovénie, direction la Grèce avec Plato’s Academy, L’académie de Platon, un titre grandiloquent pour une comédie sociale juste et terriblement sympathique. La crise grecque ne s’était pas encore abattue sur le pays lorsque Filippos Tsitos a concocté son film de quartier. Stavros, la cinquantaine, y tient une petite boutique style supérette dans un carrefour urbain tranquille. Avec ses trois potes, dont deux tiennent les autres boutiques du croisement, il passe ses journées assis devant son échoppe, sa vieille mère à portée de main pour la surveiller du coin de l’œil. Le passe-temps favori des quatre compères ? Compter les chinois qui s’installent dans le quartier, et dire du mal des travailleurs immigrés albanais, des voisins qu’ils ne supportent pas et aiment à railler.

Mais un jour, la vieille mère de Stavros se met à déblatérer en albanais à la vue d’un de ces travailleurs étrangers. Elle reconnait en lui le fils qu’elle a abandonné en quittant l’Albanie lorsque Stavros était bébé. Pour Stavros, c’est un choc. Non seulement il se découvre une ascendance albanaise, cette nation même qu’il ne peut supporter, mais en plus voilà qu’il doit ouvrir sa porte à un étranger pour faire plaisir à sa mère. Tout cela sous l’œil désorienté de ses amis patriotes.

Vous l’aurez compris l’ambiance était bien différente après l’opacité de 9:06Plato’s Academy parvient à conjuguer légèreté et société avec une dextérité bienvenue. S’il s’agit en premier lieu d’une comédie, le film de Tsitos dessine les contours d’un malaise sociétal qu’il serait mal avisé de ne croire restreint qu’à la Grèce. Les difficiles relations entre grecs et albanais ont beau être au cœur de Plato’s Academy, la bonne humeur imprimée au film lui donne un caractère largement universel qui pourrait s’appliquer à bien des situations xénophobes à travers le monde. Ce qui rend le film peut-être plus mineur qu’il aurait pu l’être le rend du même coup appréciable au-delà de ses frontières. La crise d’identité de Stavros, est autant matière à l’aspect comique que dramatique du film, ses innombrables tentatives de faire revenir son ex-femme, sa volonté d’affirmer le grec qui est en lui pour combattre ses racines albanaises…

Plato’s Academy rappelle étonnamment le cinéma de quartier américain des années 90, les Smoke, Clerks et autres Brooklyn Boogie, toute proportion comique ou thématique gardée bien sûr. Il plane sur le film grec cet esprit de proximité, cette volonté d’observer la société par la petite porte marginale des êtres, hésitant constamment entre le tragique et le comique. En temps de crise, ça fait du bien. Et rend impatient d’assister à la prochaine édition de la Journée de l’Europe au cinéma, vers de nouvelles contrées, peut-être…

jeudi 6 mai 2010

Les projections tests s'immiscent dans le cinéma français

Il y a quelques années encore, les projections tests étaient l’apanage de l’industrie hollywoodienne. Depuis des décennies, afin de s’assurer l’approbation du public, les studios américains testent leurs films sur des spectateurs lambda, leur offrant une projection d’un de leurs films encore en phase de postproduction. Le but ? Prendre le pouls du public, voir avant d’apposer le mot « fin » au film si celui-ci fonctionne, s’il est compris et bien sûr apprécié. C’est le passage obligé pour un film de studio, et souvent un cauchemar pour un metteur en scène ne disposant pas du « final cut », craignant que si son film ne passe pas haut la main le test de la projection, le studio lui demande (pas forcément gentiment) de retourner en salle de montage (voire retourner sur le plateau) et de modifier son film afin qu’il devienne plus attractif pour le plus grand nombre.

Les anecdotes de films se voyant altérer suite aux projection-tests sont légions, l’une des plus célèbres restant le Liaison Fatale d’Adrian Lyne pour lequel le réalisateur dut tourner de nouvelles scènes pour changer le destin funeste du personnage de Glenn Close, le public trouvant qu’elle méritait de se faire tuer d’un geste vengeur plutôt que de se suicider. C’est donc Hollywood… ou plutôt c’était.
En France, où le cinéma est perçu comme un art avant d’être une industrie, la projection test a mis longtemps à s’ancrer dans le paysage. Mais aujourd’hui, elle est bien là. Sûrement moins systématique et moins vitale qu’elle ne peut l’être à Hollywood, mais force est de constater qu’aujourd’hui, les projections tests se multiplient. J’ai déjà dû assister à une demi-douzaine d’entre elles au fil des ans, si je me souviens bien.

Bien sûr ce ne sont pas les films indépendants qui sont soumis à l’avis du public, mais bien les films de nos studios à nous. Pathé, Gaumont, UGC testent leurs films quelques mois avant de les envoyer en salle. Lors des projections, les films ne sont pas encore terminés. Le mixage (son) et l’étalonnage (lumière) sont parfois en cours de finalisation. Les effets spéciaux, s’il y en a, sont souvent assez basiques. Quant à la musique, elle est parfois absente. Bien sûr on prend bien soin de nous préciser cela avant le début d’une projection afin que l’on n’en tienne pas compte lorsqu’il s’agira de donner notre avis sur le film.

Et ce qu’on nous demande va généralement bien au-delà des simples « Avez-vous aimé ? » et « Recommanderiez-vous ce film à vos proches ?». Il s’agit d’un questionnaire, s’étalant sur 3 à 5 pages en fonction des films, allant des questions d’usage comme celles citées plus haut à d’autre nécessitant plus d’élaboration de la part du spectateur, comme nommer nos personnages préférés et pourquoi, préciser quelles scènes ne nous ont pas plu et pourquoi, révéler si la fin nous satisfait telle qu’elle est (et bien sûr… pourquoi)…

Je me souviens avoir vu ainsi, par le passé, Le parfum de la dame en noir de Bruno Podalydès ou Un secret de Claude Miller en projection-test. Parfois on se rend compte que l’avis des spectateurs ne devrait vraisemblablement pas influer sur la forme ou le destin du film, comme ce fut sûrement le cas de ces deux films là.
En revanche il y a quelques mois, j’ai assisté à l’une de ces projections pour un film que je ne nommerai pas par respect pour une clause de confidentialité que j’ai signé à l’époque… un film qui a semble-t-il bien souffert de cette projection test puisqu’il était programmé à l’origine pour l’hiver dernier… mais qu’il n’est finalement toujours pas sorti. Aux dernières nouvelles (le calendrier des sorties du Film Français), il devrait finalement sortir cet automne. Production française conséquente, le film en question frôlait le catastrophique. Il était clair et net que le film, même si la version vue n’était pas finalisée, était insortable, un ratage artistique flagrant. Si tout le monde a pensé comme moi à l'issue de cette projection, nulle surprise à ce qu’il ait disparu du calendrier des sorties pendant de longs mois, suggérant que le réalisateur a plus que fignolé son ouvrage…

Après ce souvenir de projection test douloureux, j’allais craintif à une autre de celles-ci, la semaine dernière. D’autant que j’imaginais, vu le délai, qu’il s’agirait probablement d’un film prévu pour cet été, et avouons-le, la période estivale n’est pas le temps fort du cinéma hexagonal. Finalement ce fut une heureuse surprise de découvrir, pas avant que le film ne commence, qu’il s’agissait du nouveau film de Pierre Salvadori, réalisateur entre autre des savoureuses comédies Les apprentis ou Hors de Prix. Dans la version qui nous a été projeté, le film s’intitulait « De vrais mensonges », alors qu’il a été tourné sous le titre « Soins complets ». Il n’est pas sûr du tout que le film conserve le titre sous lequel je l’ai vu, l’une des questions posée après le film tenant justement sur le titre et son possible changement. Du reste, j’espère grandement que le film changera de titre tant il lui sied moyennement.

Si je me permets d’écrire ouvertement sur ce film, c’est tout d’abord car cette fois-ci on ne nous a pas fait signer de clause de confidentialité, j’aurais donc tort de m’en priver. D’autant que, seconde excellente raison de parler du film, celui-ci est tout à fait plaisant. Cette nouvelle comédie de Pierre Salvadori est interprétée par Audrey Tautou, Nathalie Baye et Sami Bouajila. Elle conte les atermoiements amoureux d’un interprète reconverti en homme à tout faire d’un salon de coiffure dans le sud de la France, amoureux de sa patronne, qui elle essaie de gérer la vie sentimentale de sa mère.

De vrais mensonges, Soins complets, quel que soit son futur titre, Salvadori devrait tenir avec son nouveau long-métrage un beau succès public, grâce à un ton léger, des quiproquos savoureux, et des personnages bien croqués (mention spéciale à une nouvelle venue qui campe une employée toute timide du salon). Sa comédie romantique a tout pour ravir, malgré des longueurs sur la fin… Le film manquait de chaleur visuellement, mais la projection n’ayant pas eu lieu en 35mm, et dans une version non finalisée, nul doute que lorsqu’il sortira (pas avant cet automne apparemment), le long-métrage aura plus de caractère.

Je ne crois pas être retourné voir un film vu en projection test lors de sa sortie en salles, histoire de voir si la version finale diffère notablement de celle que j’avais vu quelques mois plus tôt, fraîchement sortie de la table de montage… Si le film de Pierre Salvadori ne fera peut-être pas exception (il y a trop de films à voir !), je ferai peut-être une exception pour le film dont j’ai conservé l’anonymat, car celui-ci, nul doute que ce sera un long-métrage très différent de celui qu’il m’a été donné de voir l’année dernière. En espérant que son réalisateur l’ait grandement amélioré.

lundi 3 mai 2010

Ricky Gervais déride la moribonde Avenue des Champs-Elysées

Je n’aime pas aller au cinéma sur les Champs-Élysées. L’avenue que nous envient les francophiles du monde entier n’a pas tant de succès que ça dans le cœur des parisiens, et celle qui fut un temps le haut lieu du cinéma à Paris a bien perdu de sa superbe. Les premières de films hollywoodiens ont beau continuer à privilégier la « plus belle avenue du monde », ce ne sont pas moins de trois cinémas qui ont rendu l’âme ces douze dernières années sur les Champs-Élysées. Le Gaumont Champs-Élysées et l’UGC Champs-Élysées, les deux dernières salles uniques de l’avenue, puis l’UGC Triomphe ont disparu, réduits à l’état de souvenirs dans les mémoires des spectateurs (aaaaah, Boogie Nights à l’UGC Champs-Élysées en 1998…).

Quelques années après le prestige cinéphile élyséen, les salles de l’avenue se sont transformées en archétypes des salles pop-corn. Le public y est bruyant, souvent des bandes d’ados de sortie sans les parents, des touristes bavards, bref, le genre de public avec lequel il n’est pas recommandé d’être assis deux heures durant. Dommage tout de même car les Champs abritent l’une des plus belles salles parisiennes, la grande salle de l’UGC Normandie, vestige de la gloire cinéphile du quartier, avec ses 900 fauteuils et son grand rideau bleu. Bien sûr je n’inclue pas dans ces salles le Balzac et le Lincoln, les deux salles art & essai du quartier, sur des rues perpendiculaires.

Non, décidément, il ne reste plus qu’un cinéma fréquentable avenue des Champs-Élysées. Le Publicis. Surtout depuis qu’il a été complètement restauré il y a quelques années. Le Publicis, c’est le trésor le mieux gardé des Champs-Élysées, un de mes cinémas préférés de Paris. Deux belles salles à la programmation originale, au confort optimum, au personnel sympa. La qualité première du Publicis, c’est la programmation. Comme je l’ai sûrement dit plusieurs fois, on y trouve généralement des films ne passant presque pas ailleurs, au mieux dans une autre salle de la capitale, rarement plus. Le cinéma s’est fait une spécialité de programmer les sorties techniques, ces films sur lesquels les distributeurs préfèrent ne pas dépenser trop d’argent, en les sortant dans une poignée de salles, sans promotion pour signaler leur arrivée dans les salles.

De tels films, il y en a tous les mois, et croyez-moi, ce sont rarement les plus mauvais. Bien sûr il n’y a pas que des sorties techniques au Publicis, il y a aussi des films qui sortent seulement dans peu de salles, des films de genre le plus souvent, polars australiens, science-fiction hollywoodienne, et bien sûr comédie étrangère. L’un de mes films préférés de 2009 était d’ailleurs un tel film, une petite comédie américaine sortie en catimini au Publicis, un bijou que nous n’avions été que peu à découvrir, La ville fantôme. A l’affiche, Ricky Gervais, comique britannique irrésistible à la réputation en béton chez les anglo-saxons mais dont la plupart des français n’ont jamais entendu parler. La série « The Office » (la version britannique originale), c’est lui. La série « Extras » sur la dure condition de figurant, c’est lui aussi.

Cette semaine est sortie en salle sa première réalisation, The invention of lying, écrite et interprétée par ses soins. Parmi le peu de cinémas à la programmer en France, le Publicis. Bien sûr. Vendredi soir, direction le Publicis, donc. The invention of lying y était programmé en salle 2, pendant que Le choc des titans passait en 3D en salle 1. Il y a peu je parlais des spectateurs sympas que l’on peut rencontrer au cinéma… eh bien vendredi soir au Publicis j’ai constaté que même au Publicis, un cinéma où les spectateurs sont presque toujours irréprochables, des cons passent entre les mailles du filet. Enfin, presque.

Alors que je faisais la queue pour prendre mon billet, une femme, la cinquantaine, accompagnée de celui qui devait être son compagnon, a brusquement crié au scandale sous mes yeux. Elle se rendait à la projection 3D du Choc des titans, et avait pour l’occasion amené avec elle une paire de lunettes 3D. Le personnel du cinéma lui explique alors qu’il existe différents types de projections 3D, et que ses lunettes sont incompatibles avec la projection numérique 3D que le Publicis utilise, et qu’elle doit donc prendre celles fournies par la salle pour 1€. Mais la femme ne veut rien entendre. « Vous vous foutez de ma gueule ?! C’est quoi cette arnaque ? ». Le personnel lui explique calmement qu’elle peut essayer avec ses lunettes si elle veut, mais qu’elle ne verra pas l’effet 3D, c’est un système différent. « C’est n’importe quoi votre truc, vous vous foutez de la gueule du monde, c’est une arnaque, vous n’avez pas honte, j’ai jamais vu ça de ma vie !!! ».

Il fallait la voir, crachant presque ses paroles en achetant son billet, insultant sans détour le garçon essayant de garder son sang froid malgré le ton insultant de la spectatrice. Il essaie bien de lui dire que cela ne sert à rien de lui dire tout cela, que ce n’est pas sa faute à lui s’il existe plusieurs types de projection 3D, il faut qu’elle se plaigne aux responsables du marché de la projection 3D, mais la femme ne veut rien entendre. Elle paye tout de même son billet, insultant encore allègrement le caissier. Qui craque et ne supporte plus de se laisser insulter, retirant finalement les tickets des mains du couple, leur disant « Ca suffit je ne peux pas vous laisser rentrer. On va vous remboursez et vous allez partir, vous n’avez pas à m’insulter comme ça madame ». Qui lui crache une salve d’insultes de plus avant de récupérer son argent et de se barrer.

La scène était proprement hallucinante, et fut une belle entrée en matière pour se glisser dans la folie douce de The invention of lying. La comédie réalisée par Ricky Gervais et Matthew Robinson prend pour cadre une société ressemblant en tous points à la nôtre à une énorme différence près : le mensonge, la duplicité, la malhonnêteté n’existent pas. C’est un monde où chacun dit ce qu’il pense, ne cachant rien à ses semblables. Dans ce monde, pas de tromperie, pas de fiction. La vérité et les faits, c’est tout.

Dans ce monde, Mark Bellison a du mal à trouver sa place. Il travaille pour la plus grande firme de production de films en tant que scénariste. Dans une société où la fiction n’existe pas, le cinéma consiste en un acteur récitant un épisode de l’Histoire rédigé par un scénariste. Mark Bellison est l’un de ces scénaristes, qui a la tâche ingrate de s’occuper du 14ème siècle, considéré par tous comme un siècle inintéressant. D’ailleurs Mark est sur le point d’être viré, tout le monde le sait. Et ce n’est pas comme si Mark pouvait au moins compter sur un physique avantageux, non, Mark n’est pas bien grand, rondouillet, bref il ne plait pas aux femmes, qui ne se gênent pas pour le lui dire, bien sûr.

Viré de son boulot et de son logement, balayé par la femme qu’il convoite, Mark est au bord du gouffre. C’est dans ce moment de dénuement le plus total, acculé, que Mark va faire une chose qu’aucun être humain avant lui, dans cette société, n’avait eu l’idée de faire. Ce n’est même pas une idée, mais un réflexe de survie. Mark va mentir. Un petit mensonge pas bien méchant, juste de quoi récupérer son appartement. Mais Mark va vite se rendre compte du pouvoir que cette chose, le mensonge, à laquelle il ne peut même pas donner de nom tant le concept est inédit dans ce monde, va lui offrir. En affabulant comme il l’entend, Mark va vite abandonner sa condition de petit homme médiocre. Mais tout cela n’est pas sans conséquence…

L’idée est remarquable, mais l’on n’en attendait pas moins de Gervais, l’homme le plus drôle outre-manche qui conserve son humour tranchant britannique et le transpose dans un cadre clairement américain. Si le film souffre de coups de mou constant qui font regretter que scénario et mise en scène ne parviennent pas à un mitraillage comique nous laissant sans répit, The invention of lying brille par son esprit, ses dialogues loufoques et sa capacité à ne pas se donner de limites. Le monde qu’ont créé Gervais et Robinson est la star du film, cette société où règne l’honnêteté la plus totale, donnant lieu à des situations d’une cocasserie savoureuse. Le voisin discutant de ses plans suicidaires, le rendez-vous galant prévenant d’entrée que vu votre physique, ça ne se finira pas au lit… Et au milieu, Mark Bellison, ce petit gros au nez court qui va révolutionner le monde avec ses mensonges éhontés.

The invention of lying n’est pas la comédie de l’année, mais c’est une belle bouffée d’originalité, et la confirmation quelle que soit le projet auquel s’attèle Ricky Gervais, il vaut d’être vu. Amusez-vous à repérer les nombreuses têtes connues qui n’ont pas résisté au plaisir d’apparaître dans le premier long-métrage du comique. Cela en dit long sur la réputation du bonhomme méconnu chez nous.

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