mercredi 28 avril 2010

La nudité, vous l'aimez comique ou fiévreuse ?

Dans « Friends », la sitcom américaine qui a accompagné mon adolescence, Monica, Chandler et les autres observaient avec dégoût mais fascination le « gros tout nu » qui leur servait de voisin. La pudeur et le comique de l’invisible faisait qu’on ne voyait jamais ce fameux gros tout nu. Ce week-end j’ai eu une réminiscence de ce fameux personnage télévisuel en découvrant une scène dans un film français au cinéma actuellement. Ce film, c’est Mammuth de Gustave Kervern et Benoît Delépine. La séquence en question est d’un aplomb monstrueusement drôle. Elle intervient alors que le long-métrage est encore furieusement drôle et rythmé.

Dans Mammuth, Gérard Depardieu incarne Serge, la petite soixantaine, qui voit devant lui se profiler une retraite dans son petit pavillon de province avec sa femme (Yolande Moreau) après avoir roulé sa bosse presque toute sa vie. Le problème, c’est que pour passer sa retraite tranquille en touchant l’argent qui lui est dû, il manque quelques justificatifs à Serge, qui va donc entreprendre de prendre la route à la recherche de vieilles fiches de paie…

La comédie sociale des figures emblématiques de Groland fonctionne à plein régime pendant une bonne heure, incisive, tendre et hilarante, enchaînant les moments de jubilation avec une aisance déconcertante. Depardieu y délivre sa performance la plus juste depuis des lustres. Le problème c’est que Kervern et Delépine ne parviennent pas à maintenir le cap de leur film sur toute sa longueur, perdant le contrôle dans la dernière demi-heure, semblant ne pas vraiment savoir où aller et comment conclure, oubliant le rythme, n’arrivant plus conserver le ton mordant, et le film s’achemine doucement vers un dernier acte mollasson très décevant.

Les compères enfilent tout de même suffisamment de perles niveau sketches pour laisser un bon souvenir à la sortie de leur film. D’autant qu’on n’est pas prêt d’oublier la fameuse scène, une scène qui est un peu à Mammuth ce que la séquence de poursuite à poil dans l’hôtel était à Borat. Bon les français vont bien moins loin que Sacha Baron Cohen, mais il y a ce même grain de folie et de stupéfaction dans cette séquence. Deux hommes, leurs jeunes années depuis longtemps oubliées (Gérard Depardieu et Albert Delpy, père de), nus sur un lit… se masturbant l’un l’autre. Si si. Sans déconner. Bon, Delépine et Kervern ont cadré le plan de façon à ce qu’on ne voit rien en dessous de la ceinture, mais tout de même, la crudité humoristique de la scène laisse pantois. Et hilare, évidemment, car voir ces deux vieux tout nus sur leur lit cherchant à atteindre l’extase comme lorsqu’ils étaient ado, c’est méchamment drôle.

Plus tard dans le week-end, je n’ai pu m’empêcher de repenser à cette séquence. Pourtant lorsque ce fut le cas, j’étais devant un film d’auteur chinois, bien loin de la France profonde. J’étais devant Nuits d’ivresse printanière, le beau film de Lou Ye contant les atermoiements sentimentaux et sexuels d’une poignée de chinois de Nankin. Il y est beaucoup question de désir, et son assouvissement est montré à de nombreuses reprises à l’écran, quoi que cela n’ait rien d’étonnant de la part de Lou Ye. Le réalisateur est un habitué du cinéma vif, filmé dans la fièvre des corps et de l’instant. Les hommes et femmes de Nuits d’ivresse printanière n’y échappent pas, les hommes surtout. Deux triangles amoureux se succèdent devant la caméra de Lou Ye, à chaque fois, deux hommes et une femme, à chaque fois, le même personnage masculin en son cœur qui attise le désir masculin et la jalousie féminine.

L’ardeur et les sentiments sont palpables. Pour un film tourné clandestinement pour contourner la censure chinoise en générale, et en particulier l’interdiction de tourner qui frappe Lou Ye, la maîtrise scénaristique du film, qui a pourtant dû composer avec les restreintes constantes, est remarquable. Le centre du scénario évolue avec naturel, basculant d’un triangle à un autre avec un naturel remarquable. Les personnages glissent, mais l’amertume demeure, elle imprime inlassablement la pellicule, ne semblant capable de rendre les armes qu’après une séquence de toute beauté dans un karaoké qui laisse ensuite la place un bref instant à la possibilité du bonheur, bien illusoire et éphémère. Gris de cœur, Nuits d’ivresse printanière se libère lors de scènes de sexe fiévreuses habitées par le comédien Qing Hao.

A la fin du week-end, j’aurais tout de même eu l’impression d’avoir vu bien trop d’hommes se masturber sur grand écran. Même si concrètement on ne voyait rien, ça fait beaucoup pour un week-end. Heureusement que je ne suis pas allé voir Camping 2, je me souviens que dans la bande-annonce, Antoine Duléry s’y baladait à poil. Non merci Camping 2.

samedi 24 avril 2010

Un petit documentaire de Michel Gondry pour de grandes émotions

Il semble bien illusoire qu’un des cinéastes les plus créatifs et demandés du cinéma américain retourne chez lui, dans la province française, pour réaliser un film familial. Pourtant c’est ce qu’a fait Michel Gondry. Non seulement il l’a fait, mais ce film, L’épine dans le cœur, bouscule les attentes et suscite bien plus qu’une petite émotion. Pas étonnant qu’il soit passé par le Festival de Cannes en 2009. Visible dans une unique salle la semaine de sa sortie (MK2 Bibliothèque à Paris), le film va peu à peu voyager à travers la France pour trouver son public.

Le réalisateur français des perles américaines Eternal Sunshine of the Spotless Mind et Soyez Sympas, rembobinez est parti poser sa caméra dans un petit coin des Cévennes où vit sa vieille tante Suzette, institutrice à la retraite, plus de 80 ans au compteur désormais, qui fut une enseignante emblématique des villages de la région où elle a vécu avec son époux et son fils presque toute sa vie d’adulte. Gondry et sa tante refont son parcours professionnel, retournant dans les salles de classe, retrouvant les anciens élèves, le tout avec une intimité et une simplicité inhérentes au fait que derrière la caméra, c’est le neveu Michel qui orchestre.

Mais en cours de route, Michel Gondry a mis le doigt sur quelque chose. Une histoire de famille. Celle de la relation compliquée entre Suzette et son fils Jean-Yves, le cousin de Gondry. En filmant sa tante et son cousin, le cinéaste découvre une relation tumultueuse, un conflit sourd, une rancœur tenace, des non-dits difficiles à nommer. Le cœur de son film se déplace alors. Il s’agit alors autant du passé familial que des souvenirs professionnels.

On ne s'attendait pas spécialement à ce que Gondry s’attaque au documentaire, encore moins avec un sujet si personnel. Il y a parfois quelque chose d’étrange à voir le talentueux cinéaste de la bricole ainsi en famille au fin fond de la France, nous faisant découvrir sa famille et ses histoires. Mais il ne fait rien comme tout le monde, et son Épine dans le cœur, aussi quelconque soit-elle au premier abord, révèle une profondeur et une sensibilité inattendues. Finalement son film est celui d’une mère et de son fils, elle au caractère et à la personnalité forte, lui si insaisissable, décalé, fragile, dans son monde, que la communication entre eux s’avère ardue, et l’amour si difficile alors qu’il devrait couler de source entre une mère et un fils.

Brassant en moins d’1h30 des décennies de la vie de Suzette, Gondry parvient à imprimer du souffle à son sujet si tranquille, naviguant à travers les villages et les années. Son film si personnel devient un regard universel sur la famille, ses souvenirs, ses tensions. Eternal Sunshine of the spotless Mind, La science des rêves et Soyez sympas rembobinez ont montré à quel point Gondry s’intéresse à la mémoire et aux souvenirs, thème récurrent de ses œuvres auquel n’échappe pas L’épine dans le cœur. Cette amère nostalgie coule dans les veines de ses films, et cette exploration documentaire nous en révèle un aspect évident, avec la poésie et l’esprit système D qui sont l'apanage du cinéaste.

Gondry n’hésite pas à nous montrer les coulisses de son documentaire au fur et à mesure de l’aventure, ne cherchant pas à réaliser un produit lisse visuellement, apportant son grain de folie habituel.
Mais si son film nous émeut, ce n’est pas tant par son adresse de metteur en scène que par la sincérité de son entreprise, par ce regard aussi stupéfait que nous sur Suzette et Jean-Yves, cette famille marquée par l’amertume. « Jean-Yves, c’est une épine dans mon cœur » dit Suzette de son fils devant la caméra de Gondry. Un aveu terrible et remuant qui donne son titre à cette parenthèse inoubliable dans la carrière du cinéaste.

jeudi 22 avril 2010

Green Zone, l'Amérique en proie à ses démons

Le cinéma me rend maniaque. Pas à tous les coups bien sûr. Emmenez-moi voir Valentine’s Day (au hasard...), et je suis un spectateur conciliant : la salle m’importe peu, la place m’importe peu, l’environnement m’importe peu. Mais emmenez-moi voir un film qui me tient plus à cœur, et je me fais plus pointilleux. La salle, la place, l’environnement. Tout m’importe. Et si les conditions ne sont pas réunies, le film qui va me passer sous les yeux part avec un sérieux handicap.

Mardi soir, UGC Ciné Cité Les Halles. Nous sommes quatre, venus voir Green Zone de Paul Greengrass. L’arrivée devant le cinéma se fait en courant. Séance dans une douzaine de minutes, dans une grande salle. Plus qu’une quarantaine de places à vendre, j’émets un doute sur le plan tout à coup, craignant que l’on se retrouve au deuxième rang sur un côté (le temps que ce soit à nous de prendre nos places, il n’en reste plus qu’une trentaine). Un film de Greengrass, le réalisateur de Bloody Sunday et des deux plus récents Jason Bourne, à la caméra toujours bien calée à l’épaule et aux plans les plus mouvants qui soient, ça ne se regarde pas d’en bas dans un coin de la salle.

Tant pis, on fonce, et on se débrouille pour ne pas être trop mal placés, quatrième rang, sur le côté. Au moins un rang trop près, et six ou sept sièges trop à gauche. Quand je vous dis que lorsqu’il s’agit d’un film qui m’intéresse particulièrement, je suis maniaque… Tout cela pour dire que Green Zone, donc, partait avec un handicap à combler. Je savais que tout le film durant, je ne serai pas à l’aise. Dans ce cas-là, si le film est bon, il me faut tout de même un temps pour m’adapter. Si le film laisse à désirer, il sombre très vite à mes yeux.

Quinze ou vingt minutes, c’est le temps qu’il m’aura fallu pour m’ajuster. Le temps qu’il aura fallu à Green Zone pour combler son handicap, et me convaincre que ce soir-là, j’étais parti pour un bon, un très bon film. Le genre de film qui transcende ma maniaquerie de spectateur pour m’emporter dans sa course. La course d’une œuvre tout en paradoxes, s’affirmant comme ce que le cinéma américain a produit de meilleur ces derniers mois. Green Zone est loin d’être le premier film sur la guerre en Irak (la seconde), mais de tête, à brûle-pourpoint, je dirais que c’est la crème du genre.

Tout d’abord il faut bien spécifier que le film de Paul Greengrass est un film qui parle. Beaucoup. Il ne s’agit pas d’un simple film d’action en Irak. Il ne s’agit pas de Jason Bourne en Irak, même si affiche et bande-annonce ont pu le laisser entendre. Disons plutôt que Green Zone est une joute sur les coulisses de la guerre en Irak, mais des coulisses en direct de Bagdad, brûlantes. Une joute stratégique. Guerrière. Il s’agit bien de la guerre ici. C’est le cœur du film, cette guerre au pays de Saddam Hussein tout juste déchu. Un pays en ruine, dans lequel les américains cherchent des Armes de Destruction Massive. Il n’a pas encore été mis en lumière que ces fameuses ADM sont un nuage de fumée. Le commandant Miller officie dans une unité chargée de débusquer sur le terrain ces armes. Mais Miller ne trouve rien, alors que les émissaires de Washington le poussent à chercher toujours plus. Miller n’est pas le genre de militaire qui répond aux ordres sans se poser de questions. Tous les jours, il part avec ses hommes au charbon pour trouver ces armes, et ce militaire aguerri commence à se poser des questions sur les informations et les motivations venues « d’en haut ». Alors Miller se rapproche d’un homme de la CIA qui comme lui doute. Dans le but de lever le voile sur les raisons de cette guerre, et ce que l’avenir réserve à l’Irak.

C’est un tourbillon dans lequel est emporté Miller. Un tourbillon dans lequel nous sommes à notre tour happés. Étrangement, Green Zone apparaît presque comme un film un peu en retard sur son temps. Tourné il y a deux ans, sortant seulement maintenant, le film aurait dû sortir plus tôt. Le timing aurait été plus juste. C’était un film à mettre sous les yeux de l’Amérique de George Bush, plutôt que sous les yeux de celle d’Obama, mais maintenant il est là, il existe (et c’est là l’essentiel) ce film traitant avec une telle force, une telle rage, des mensonges qui ont conduit les États-Unis dans cette guerre en Irak, cette guerre de laquelle la première puissance mondiale semble incapable de s’extirper.

Green Zone ne s’intéresse pas au début de la guerre. Lorsque le film commence, Saddam Hussein est déjà destitué. Il ne s’agit donc pas de la prise du pays. Le film ne s’intéresse pas non plus à l’après-guerre. Cet après guerre dans lequel les États-Unis sont englués depuis des années, un après-guerre fait de combats, d’insurrection, de soldats tués. Non. Green Zone se penche sur une fine période transitive. Un petit purgatoire pendant lequel il a pu y avoir l’espoir que les rapports entre Irak et États-Unis prennent une autre tournure. Une période pendant laquelle l’Irak n’avait pas de chef d’État.

Green Zone tisse avec brio dans ce laps de temps, sur le terrain, un récit complexe et dense sur les rapports de force au sein même du camp américain. Sous des allures de thriller à suspense bourré d’adrénaline, Greengrass et son scénariste Brian Helgeland explorent les zones d’ombre de la machine stratégique américaine mise en place en Irak. Pourquoi et comment un gouvernement est allé jusqu’à tenter de berner le monde entier avec une histoire inventée de toute pièce pour entrer en guerre. Mais le film ne se contente pas de tirer à boulet rouge sur une administration trop bête pour croire que ces agissements puissent servir ses intérêts à court ou à long terme. Green Zone ose aussi poser une problématique plus affinée. Le film de Greengrass montre toute la complexité d’un conflit dans lequel chaque intervenant peut voir l’action des autres, alliés comme ennemis, comme un acte à ne pas exécuter. La naïveté se dispute constamment avec un réalisme amer. Le rêve d’une guerre que l’on pourrait régler en avançant ses pions avec sincérité se heurte à la constatation que la guerre nécessite parfois des concessions écœurantes. La vérité s’avère rarement triomphante, lorsque des intérêts matériels sont en jeu.

Green Zone est un film important dans le cinéma américain car il parle un double langage qu’il est difficile de maîtriser. Celui du film engagé, politique, revendicatif, ayant énormément de choses à dire, et les disant avec intelligence. Et celui du film d’adrénaline pure, échappée haletante dans les rues de Bagdad (même si le film a en réalité été tourné au Maroc), filmée au plus près des corps, suspense affolant qui ne nous lâche à aucun instant.

Green Zone c’est aussi Matt Damon. Longtemps j’ai eu du mal à voir en Damon un acteur intéressant, ne parvenant pas à dépasser son infatigable blondeur hollywoodienne. Il ne cesse pourtant, film après film, d’imposer son physique, de faire preuve d’intelligence, de s’effacer derrière ses rôles, et de s’affirmer comme un des acteurs majeurs du cinéma américain contemporain. Dans Green Zone autant que dans Invictus ou The Informant, pour ne citer que les plus récents.

Green Zone ne semble pas parti pour être un succès au box-office, pas plus européen qu’américain. Il n’aura pas non plus le retentissement de Démineurs à la prochaine saison des récompenses. Pourtant Green Zone restera, lorsque bien d’autres films disparaitront. Et c’est là l’essentiel.

jeudi 15 avril 2010

Le Patient Anglais, Robert Pattinson, et moi

Je me souviens d’un jour de printemps 1997. Bien que déjà pas mal accro aux salles obscures, l’idée d’aller voir Le patient anglais d’Anthony Minghella n’enchantait guère le lycéen de 15 ans que j’étais. « Le patient anglais ?! L'histoire d’amour dans le désert avec Juliette Binoche et Kristin Scott-Thomas ?! Ah nan, hors de question, je vais pas le voir, c’est un film pour nanas ça, nan nan nan, j’y vais pas, je m’en fous de ce qu’ils disent dans « Télérama ». Nan ! Je paye pas ? Bon… après tout il a eu pas mal d’Oscars… Bon ok, pourquoi pas. » Il a fallu une lourde insistance de ma mère à l’époque pour que je daigne les accompagner, elle et ma sœur, au cinéma art & essai du coin pour voir ce fameux Patient Anglais. C’est fou ce qu’un simple argument matériel, à l’adolescence, peut convaincre de ne pas passer 2h30 de plus devant une console de jeux vidéos.

Je me souviendrai longtemps des instants qui ont suivi notre sortie de la salle, ce jour de printemps 1997. Je me souviens que j’avais 15 ans, et qu’au lieu d’un « film pour nanas », je m’étais pris en pleine face un grand drame épique et romantique m’ayant transporté sur un nuage. Je me souviens surtout que des trois, j’étais le plus enthousiaste à la sortie du film. Je me souviens que ce public féminin, finalement, n’avait pas embrassé le film autant que moi. J’ai à nouveau connu ce sentiment de surprise à plusieurs reprises depuis 1997, à plus ou moins forte amplitude. Je viens de le vivre à nouveau, cette semaine. Pas avec la même intensité que devant Le patient anglais, c’est évident, car on est bien loin de la qualité du film d’Anthony Minghella ici. Mais tout de même, s’il ne finira pas dans mon Top 20 de l’année, Remember me m’a pris de court. Oui, le Remember me avec Robert Pattinson.

A la base, je n’avais même pas particulièrement envie de voir le film, certainement influencé par l’effet Robeeeeeeeert Pattinson. Depuis l’avènement du jeune comédien britannique dans le cœur de la gente féminine (dans sa quasi intégralité) grâce à la saga Twilight, un réflexe est né rapidement. Une association d’idée : Film avec Robert Pattinson = Film pour adolescente de 7 à 77 ans. Mais certainement pas fréquentable pour un mec. Pourtant une part de moi était  titillée devant Remember me. Robert Pattinson a beau être la tête d’affiche, il s’agit du second long-métrage d’Allen Coulter, qui avait débuté avec le très prometteur Hollywoodland (Adrien Brody en privé dans le Hollywood des années 50, enquêtant sur la mort de l’acteur de la série « Superman » incarné par Ben Affleck, Prix d’interprétation à la Mostra de Venise). Et puis merde, si Chris Cooper est au générique, il y a forcément quelque chose dans ce film, l’acteur est un habitué des films de Spike Jonze et Sam Mendes, pas de bluettes sans fond.

Alors lorsque mardi soir, on s’est retrouvé à trois au cinéma, une fille, deux garçons, avec comme choix Manolete ou Remember me, on a dit banco pour Robert Pattinson. A la sortie, les deux mecs étaient très agréablement surpris, la fille vraiment pas. Et nul doute que de nombreuses autres furent déçues, attendant une gentille bluette avec leur beau Rob, et non ce qu’offre en réalité Remember me - bien que je suis sûr que mon amie Élodie ne venait pas voir le film en attendant une bluette et manqua juste d’affinité avec le travaille d’Allen Coulter (c’est bon, mes arrières sont assurées).

Mais c’est quoi Remember me, si ce n’est pas un film pour adolescentes en mal de Rob ? Croyez-le ou non, un bon film. Non exempt de défauts, abusant parfois des petites scènes d’amour entre Pattinson et Emilie de Ravin, mais un bon film. L’histoire d’une fille et d’un garçon, chacun endeuillé, l’une par le meurtre de sa mère, l’autre par le suicide de son frère. Elle ne roule pas sur l’or et vit avec son flic de père. Il vit dans la crasse pour tourner le dos à la fortune de son père. Oui, dit comme cela, Remember me a tout sur le papier d’une bluette en puissance. Pourtant le film se détourne de cette possibilité, et prend un autre chemin.

Le chemin d’une peinture de la famille, new-yorkaise, aisée. Le portrait de l’absence, et du poids que pèse ce vide dans la vie de ceux qui restent. Remember me n’est peut-être pas le film le plus approfondi sur la question, mais il a le mérite de ne pas se laisser emporter ou dépasser, de ne pas renoncer à la retenue, même lorsque le point de convergence final, bien amené, avec le sentiment d’étouffement qui convient, déboule et en tenterait plus d’un de basculer dans le pathos absolu. Non. Allen Coulter maintient le cap, et fait preuve d’une remarquable pudeur.
S’il s’emporte un peu dans l’emphase lors de quelques scènes, Pattinson s’en tire de son côté plutôt bien, tenant joliment tête aux vieux pros que sont Chris Cooper et Pierce Brosnan.

Remember me n’est pas Le patient anglais, loin s’en faut (quoi que je n'ai jamais revu Le patient anglais et ne sais pas comment il a vieilli...). Mais le masque derrière lequel on a voulu cacher le film d’Allen Coulter recèle un long-métrage bien plus attrayant que la Pattinsonmania aurait pu laisser deviner. Et ce genre de surprise me ravit toujours, même si je ne suis plus un adolescent de 15 ans.

mercredi 14 avril 2010

Le coup de poing coréen est enfin là !

Voilà neuf mois que le film coréen Breathless m'a collé un coup de boule en pleine poire. C'était un jour de juillet, réfugié dans une salle climatisée du Festival Paris Cinéma, et la caméra brute de Yang Ik-June, dont c'est la première réalisation, m'a arraché à la torpeur de l'été. Une claque désemparante dont j'ai rapidement chanté les louanges.

Puis quelques mois plus tard, en novembre, rebelotte. Le film faisait l'ouverture du Festival Franco-Coréen du Film, pour lequel j'avais une accréditation presse, et donc sans hésitation, j'y suis retourné, pour le plaisir. Pour voir si l'émotion était la même au second visionnage. Oh oui, elle était toujours là.

Le film devait sortir dans les salles françaises en décembre. Annulé. Puis le distributeur a annoncé février. Repoussé. Aujourd'hui nous sommes le mercredi 14 avril 2010, et Breathless sort enfin. 12 salles en France, selon Allociné. Trois seulement à Paris : le Saint-Lazare Pasquier, le Reflet Médicis, et l'Escurial. C'est peu, mais c'est bien assez pour tous les passionnés de cinéma coréen, tous les curieux de cinéma d'ailleurs, tous les amateurs de cinéma qui sort de sentiers battus et vous remue aux tripes. Alors essayez de ne pas le rater.

mardi 13 avril 2010

Retrouvailles du cinéma indépendant américain


Il y a quelques semaines sortait discrètement en France un joli film indépendant américain, The Good Heart. Il faut vraiment de bons arguments pour que je me déplace à un film au générique duquel figure Isild le Besco (c’est la même chose pour sa sœur, remarquez), et celui-ci en comptait bien assez pour que j’ignore le facteur Le Besco. Je ne dirai pas que la présence derrière la caméra de Dagur Kari était la raison numéro un qui m’a attiré vers The Good Heart, mais le réalisateur islandais m’avait suffisamment séduit il y a quelques années avec son Noi Albinoi pour éveiller ma curiosité.

L’intérêt premier de The Good Heart résidait à mes yeux dans le duo formé à l’écran par Brian Cox et Paul Dano. Le premier incarne Jacques, propriétaire de bar acariâtre et misanthrope sur les bords, qui rencontre à l’hôpital Lucas, un jeune sans abri, doux et naïf. L’un est là pour une énième crise cardiaque, l’autre pour une tentative de suicide. A sa sortie d’hôpital, Jacques décide de prendre sous son aile Lucas, et de le modeler pour qu’il assure la relève de son bar une fois que l’heure de la retraite aura sonné pour lui.

Le défaut de The Good Heart (autant commencer par là, ce sera dit), est Isild Le Besco. Non je ne raille pas gratuitement l’actrice (quoi que…), car le défaut réside plus dans son personnage que dans Le Besco elle-même. Elle incarne une jeune femme instable qui va entrer à un certain moment dans la vie de Lucas, et donc de Jacques, et mettre à mal cet étrange équilibre qui va peu à peu naître entre les deux hommes. C’est le personnage superflu du film, trop attendu, trop prévisible, qui ramène le film à un triangle parfois convenu lorsque le face-à-face Jacques / Lucas se suffisait à lui-même et promettait une confrontation plus complexe que s’il était perturbé par l’irruption d’une femme.

Mais finalement le défaut n’est que mineur. Car l’essentiel, c’est eux. Jacques et Lucas. Brian Cox et Paul Dano. Le vieux briscard et le jeune paumé. Le chien méchant et le frêle agneau. Le blasé et l’ingénu. La réussite de Dagur Kari, c’est d’aimer ses personnages, qualités comme défauts, de les embrasser, leur donnant du même coup une consistance séduisante. La réussite, c’est aussi la mise en scène du réalisateur, qui préfère adopter le style new yorkais des années 70, une atmosphère grise, un grain terne, où chaque éclair de lumière est une bouffée d’air. Dans la vie de ces deux marginaux, ce parti pris esthétique prend sens. Jusqu’à un dénouement sec, inattendu, confirmant la maîtrise de son sujet par l’islandais.

Bien sûr, il s’agit beaucoup à l’écran de Brian Cox et Paul Dano. De l’alchimie entre les deux comédiens. C’est une saveur particulière que Kari offre peut-être involontairement à The Good Heart en réunissant ces deux là. Car Paul Dano a été révélé il y a neuf ans, âgé à l’époque de 16 ou 17 ans, dans L.I.E. – Long Island Expressway, le premier long-métrage de Michael Cuesta… face à Brian Cox. L’histoire délicate et remarquable d’un adolescent perturbé et d’un vieil homme ayant une affinité particulière avec les jeunes garçons. C’était en 2001 (le film est sorti en salles en France en 2003). Ce petit film a eu un impact majeur sur les carrières des deux comédiens.

Cox, irlandais né en Ecosse, avait certes une longue filmographie derrière lui, particulièrement Le sixième sens de Michael Mann dans lequel il campait le premier Hannibal Lecter sur grand écran, ou des petits rôles dans Braveheart, Au revoir à jamais ou Rushmore. Mais LIE – Long Island Expressway, outre quelques récompenses méritées, lui a valu des rôles plus consistants, et une reconnaissance immédiate, dans des blockbusters comme la trilogie Jason Bourne, X-Men 2 (le meilleur) ou Troie, ou chez des cinéastes tels que Spike Jonze (Adaptation.), Spike Lee (La 25ème heure), Woody Allen (Match Point) et David Fincher (Zodiac).

D’acteur de troisième plan, Brian Cox est devenu un dévoreur d’écran, un acteur au visage si fort, à la verve si puissante, qu’il imprime la rétine sans difficulté. Qu’il n’apparaisse que le temps de quelques scènes ou tout le long d’un film, comme c’est le cas dans The Good Heart. Un parfait antagoniste, en apparence, pour son partenaire Paul Dano, qui a jusqu’ici principalement construit sa carrière sur les personnages effacés, sans pour autant qu’il le soit lui. Étudiant transparent et pourtant brillant dans Le Club des Empereurs, ado nietzschéen n’ouvrant pas la bouche dans Little Miss Sunshine, jeune travailleur rêvant de paternité dans Gigantic, ou créature que personne n’écoute dans Max et les Maximonstres. Et bien sûr aujourd’hui sans-abri pris en charge par un vieux grincheux.

Pourtant Paul Thomas Anderson a eu l’audace de faire de Paul Dano une force dévastatrice dans There will be blood, dans lequel le jeune homme, contre toute attente, tenait magnifiquement tête à la fureur intense de Daniel Day-Lewis (combien de types d’à peine plus de 20 ans l’auraient fait ?). Le réalisateur a révélé la force qui sommeille en Dano, sans l’ombre d’un doute un des comédiens les plus prometteurs du cinéma américain, où il s’épanouit dans l’indépendance. Car pour un blockbuster avec Tom Cruise de prévu (Knight and Day, sortie cet été, et qui a l’air plutôt fun pour le coup), il compte trois petits films alléchants à venir : le nouveau Kelly Reichardt (réalisatrice d’Old Joy), le nouveau Kim So Yong (le récent Treeless Mountain) et The Extra Man, le nouveau film du duo Robert Pulcini / Shari Springer Berman (American Splendor, c’était eux). Tous des cinéastes sensibles, aux univers forts et aux personnages fascinants, auprès desquels Dano ne pourra sortir que grandi j’en suis sûr.

Les carrières de Brian Cox Cox et Paul Dano s’étaient croisées en 2001, les propulsant vers une décennie glorieuse pour chacun. Nul doute que ces retrouvailles autour de The Good Heart ne font qu’annoncer une nouvelle décennie riche en cinéma pour les deux. En bon cinéma.

lundi 12 avril 2010

Julien Doré n'est pas un acteur

Parmi les sorties de la semaine, le film de Pascal Thomas, Ensemble nous allons vivre une très, très grande histoire d’amour… (qui concourra pour le titre le plus long de l’année à coup sûr), m’intriguait. Aucune des critiques ne définissait clairement de quoi le film parle, et pour cause le réalisateur a apparemment spécifiquement demandé aux journalistes de taire le synopsis du film. Mais qu’avait donc bien pu concocter le réalisateur de La dilettante pour qu’une telle confidentialité règne sur son nouveau film ?

Ma curiosité a donc pris le pas sur la méfiance (la récente filmographie de Thomas aurait pourtant pu laisser la méfiance maîtresse de mes sentiments), et je me suis engouffré dans une salle jouant Ensemble nous allons vivre une très, très grande histoire d'amour... Comme cela arrive parfois (assez rarement en y réfléchissant bien), mon aversion pour le film de Pascal Thomas fut immédiate et violente. Non je ne suis pas monté sur mon siège pour hurler au milieu de la salle « C’est nuuuuul ce film » (contrairement à certains devant un autre film), mais franchement, l’envie ne m’en manquait pas.

Comment décrire l’affliction qui fut la mienne pendant la première partie d’Ensemble nous allons vivre une très, très grande histoire d’amour ? C’est bien simple il m’a fallu à peu près 30 secondes (sans exagérer, demandez à l’ami qui m’accompagnait) pour pousser mon premier soupir, à la vue de Christian Morin (oui oui, le clarinettiste de « La roue de la fortune ») commentant un défilé campagnard de danses régionales au milieu d’un champ. Ce fut autant un soupir d’étonnement que de crainte. Les nombreux soupirs qui suivirent celui-ci au cours des 90 minutes suivantes furent divers et variés. De lassitude, d’énervement, d’outrance.

Les deux protagonistes de la grande histoire d’amour décrite par Pascal Thomas sont un beau brin de fille de la campagne et un drôle de gars du sud, qui se rencontrent donc à cette foire paysanne, ont un coup de foudre, et entament quelques mois plus tard une histoire d’amour pour le moins compliquée et iconoclaste. Pendant une quarantaine de minutes, c’est l’amour à la campagne, avec violons romantiques, tripotages au grand air et sentiments contrariés. Un n’importe quoi assez indigeste qui essaie de se démarquer dans l’absurde sans parvenir à trouver le recul nécessaire à faire de ce cinéma de l’absurde une qualité et une capacité à conduire au rire délicieux.

Dans la seconde moitié du film, le récit se déplace à Paris et gagne en second degré et légèreté enfin bienvenue. C’est un peu tard, et cela ne se manifeste malheureusement qu’à travers un personnage, et un acteur, le tailleur sourd et muet délicieusement interprété par Guillaume Gallienne. Ce rival amoureux au p’tit gars du sud est une pépite au milieu du bazar orchestré avec imagination mais sans talent par Pascal Thomas, et apporte une belle réplique surnageant dans ce fade scénario (« Le muet était polyglotte ! »).

Ce qui me fait revenir au titre de ce billet désappointé. Julien Doré n’est pas un acteur. Cette nouvelle star, récente coqueluche du showbiz français pour l’univers décalé qu’il a apporté à la scène française, se lance donc dans le cinéma par la grande porte, avec un premier rôle romantique. Julien Doré n’est pas un acteur. Cet avis n’est pas un mal en soi, car le cinéma a vu à de nombreuses reprises débarquer des garçons et des filles sans véritable expérience devant la caméra et briller malgré cela de mille feux. Des garçons et des filles chez qui le jeu est inné, des garçons et des filles dégageant dès leur début une présence palliant l’inexpérience.

Julien Doré n’est pas de ceux-là. Pas dans ce rôle-là en tout cas. Pas dans ce film-là. Dans Ensemble nous allons vivre une très, très grande histoire d’amour…, Julien Doré trimballe ses cheveux frisés et son accent du sud sans séduire, sans faire rire, sans émouvoir. Il fait le boulot, mais ne fait pas naître d’étincelle. Parfois il irrite, jouant de son accent comme le comique marseillais Titoff (dans ces moments-là, les soupirs se sont enchaînés).

Apparemment certains, d’après ce que j’ai lu ici et là dans la presse, ont apprécié la performance de Doré. Mouais. Je pense que le chanteur n’est pas aidé dans ce film par des dialogues trop ouvertement niais, sans que cela explique toute ma désespérance devant le spectacle de son interprétation. Ensemble nous allons vivre une très, très grande histoire d’amour est un drôle de film, mais n’est certainement pas un film drôle comme il voudrait l’être. Julien Doré est un drôle d’acteur, mais il n’est ni un acteur drôle, ni un acteur, tout simplement. Qui plus est sa présence en tête d’affiche d’un film de Pascal Thomas doit (ou devrait ?) faire grincer pas mal de dents parmi les acteurs de 25 / 30 ans qui tournent depuis un bout de temps avec talent sans accéder encore aux premiers rôles, et voient la performance sans intérêt d’un mec propulsé ici après avoir fait une émission télé et un album. Il y a de quoi se poser des questions.

vendredi 9 avril 2010

Vent de fraîcheur sur la comédie française

A l’évocation de l’expression « comédie française à succès», un tas de films se bousculent dans les mémoires collectives, pas forcément fins et jouissifs (pas dans la mienne en tout cas). Si l’on excepte les formidables OSS 117 de Michel Hazanavicius, rares sont les comédies multimillionnaires au box-office qui valent mieux que quelques rires, à l’image des Bienvenue chez les ch’tis, Camping et autres Petit Nicolas qui n’ont de mémorables que le nombre d’entrées en salles.

Un vent d’air frais souffle donc en ce moment dans les salles françaises, car pour une fois, le carton incontournable de la comédie française le mérite amplement. Plus de 2 millions d’entrées en 3 semaines (avec un taux de remplissage phénoménal des salles) pour L’arnacoeur, un premier film qui bouscule les habitudes de l’humour à la française.
Stricto senso, L’arnacoeur navigue plutôt dans les eaux de la comédie romantique, un genre plus ou moins non-existent en France. En général, lorsque le cinéma hexagonal s’attaque au genre plus typiquement anglo-saxon, ça ne ressemble qu’à une pâle copie d’originaux déjà souvent mineurs.

Avec L’arnacoeur pourtant, Pascal Chaumeil réussit un truc de dingue : faire une comédie romantique française hilarante et jouissive. Son film dépasse non seulement le carcan de la comédie à la française, mais il dépasse également celui de la comédie romantique à l’américaine en utilisant ses codes et y insufflant une vitalité toute européenne. Chaumeil ne cherche pas à calquer ce qui s’est déjà fait outre-manche ou outre-Atlantique. Le jeune cinéaste français avance plus dans le sens d’un Riad Sattouf avec ses Beaux gosses : un cinéma référentiel, embrassant ce que notre époque peut compter de contre-culture pour la transformer en une arme de rire massif.

Romain Duris y campe un briseur de couples professionnel. Son boulot, c’est de séduire des femmes pour les faire quitter leurs compagnons, payé qu’il est dans cette tâche par un proche de la future victime. Pour l’assister dans ces missions parfois périlleuses, il s’appuie sur sa sœur maline et son beau-frère gauche. Leur petite entreprise est au bord de la faillite, et pour la sauver, la bande accepte de planifier la conquête d’une fille de riche sur le point de se marier à Monaco avec un britannique, alors que le couple a l’air parfaitement heureux. Une entorse à leur étique, mais leur situation ne leur permet pas de jouer la fine bouche.


L’histoire a beau être simple et prévisible, le scénario est en béton armé. Les personnages sont croqués avec humour et tendresse, les dialogues finement ciselés, et le rythme imprime constamment la pellicule. Romain Duris, un comédien aussi à l’aise dans le cinéma d’auteur pointu que dans le divertissement intelligent, excelle en séducteur millimétré. Vanessa Paradis, dans le rôle plus ingrat de la fille à séduire, se fait certes éclipser, mais n’importe quelle actrice l’aurait été. Surtout lorsqu’en plus du numéro imparable de Duris (aaaaah, la séquence « Dirty Dancing », un régal), Julie Ferrier et son compagnon de fiction François Damiens apparaissent à l’écran. Le comédien belge, comme toujours délicieusement drôle, dynamite le film. Il lui suffit d’ouvrir la bouche pour voler les scènes dans lesquelles il apparaît, en adéquation parfaite avec les dialogues savoureux. Son numéro de pathétique attachant tire invariablement les rires.

Les spectateurs accourent, et pour une fois, on ne se demande pas pourquoi. Devant un film si drôle, enjoué, survitaminé, la jubilation est constante. Comment s’étonner ?

Parallèlement à la franche réussite de L’arnacoeur, il y a en ce moment une autre comédie française valant le coup d’œil, la seconde réalisation de la comédienne Anne Le Ny, Les invités de mon père. Parce que le film illustre magnifiquement ce qu’est une alchimie parfaite entre deux comédiens, ici Fabrice Luchini et Karin Viard, qui provoquent constamment des étincelles en frère et sœur devant gérer la lubie amoureuse de leur père Michel Aumont, épris d’une émigrée moldave. Luchini et Viard sont au diapason d’une écriture qui sait se montrer irrésistible (« Quand je t’ai dit de te lâcher, c’était sur le nombre de blinis, pas sur un inceste échangiste !! »).

Deux bonnes comédies françaises qui offrent avec talent du succès au genre, histoire de compenser l’arrivée prochaine d’un Camping 2 qui aura peut-être autant de succès en salles, mais certainement pas la même saveur gustative…

mercredi 7 avril 2010

Ces anonymes sympathies éphémères...

Au cinéma, contrairement au DVD que l’on regarde dans son salon, il n’y a pas que le film. L’expérience ne consiste pas uniquement en un tête-à-tête avec une œuvre. Celle-ci se partage et se vit avec d’autres. La plupart du temps, je dois bien avouer que voir son film en ermite a du bon. Pas de seau de pop corn exploré bruyamment par son propriétaire (ça c’était Shutter Island samedi dernier), pas de gamin tenant difficilement en place et se levant toutes les 20 minutes pour aller s’aventurer aux toilettes (Alice au pays des merveilles dimanche soir), et pas de p’tit vieux qui s’endort et ronfle à côté de soi (ça… non ça ne m’est pas arrivé cette semaine, mais bien assez d’autres fois).

Forcément on ne peut pas totalement en vouloir à ceux qui préfèrent rester bien au chaud chez eux, sans ces désagréments notoires, pour déguster les films dans des conditions de calme qu’ils peuvent maîtriser. Mais avant de pénétrer dans la salle, au cinéma, il y a aussi des petits à-côtés étonnants, pour le meilleur et pour le pire. La confrontation entre spectateurs en dit long sur les relations humaines. J’aime ces sympathies fortuites que l’on peut créer en quelques instants avec des inconnus que l’on ne reverra jamais, ces petites étincelles où l’on partage un rien qui nous fait sourire.

Mardi soir, j’étais à l’UGC Ciné Cité les Halles en compagnie d’une amie. Notre choix du soir s’était porté sur Dragons, le nouveau film d’animation de Dreamworks (parfait pour éviter les gamins et obtenir la VO). Alors que l’on attendait l’entrée en salles avec des spectateurs d’une salle adjacente, un mouvement s’est créé lorsqu’il fut annoncé que l’accès à l’une des deux salles se faisait. Encore un peu de patience, ce n’était pas la nôtre. A ma gauche, un couple, fin de la trentaine, n’a pas compris si c’était leur salle qui s’ouvrait. Le mec se tourne vers moi.

« C’est quelle salle qui entre ?
- La 21.
- Ah bah c’est nous. Vous allez voir quoi vous ?
- Dragons.
- [avec le sourire]Oh ? Vous allez voir ça vous ?
- [rendant le sourire] Eh ouais, je vais voir ça ! Vous allez voir quel film vous ?
- [se marrant] Je sais même pas ! Y a écrit « Kitchen » sur le ticket !
- Aaaah, Soul Kitchen !
- C’est ça ! Vous l’avez vu ?
- Oui je l’ai vu, c’est très sympa.
- C’est drôle hein ? Parce que moi j’ai envie d’un truc léger !
- Oui oui c’est une bonne comédie, bien légère.
- Tant mieux. Bon bah vous n’entrez pas en salle vous ?
- Non non, faut attendre encore un peu pour Dragons.
- Bon bah nous on y va !
- Bon film alors !
- Merci vous aussi ! »

Je ne saurais jamais si ce mec relax et sa compagne ont apprécié le film de Fatih Akin, mais quelques jours après avoir vu un homme et une femme se traiter de « connasse » et de « pédé » à une caisse de cinéma pour je ne sais quelle raison triviale, partager une éphémère discussion anonyme mais joviale en attendant d’entrer en salle, cela fait partie des petits plaisirs que ne parviendra jamais à offrir une soirée DVD, contrairement à une salle de cinéma.

Et Dragons, me demanderez-vous ? Une réussite visuelle qui sait se montrer éblouissante, au service d’un univers de vikings chasseurs (ou dresseurs) de dragons, où les forts accents scottish adultes (Gerard Butler, Craig Ferguson) et ceux adolescents américains (Jonah Hill, Christoph Mintz-Plass) dessinent une atmosphère générale forçant la sympathie. Parfait pour un ciné de semaine.

mardi 6 avril 2010

Perdu au Pays des merveilles

La journée avait commencé dans le malaise. Un film mexicain joliment mais froidement maîtrisé, Daniel y Ana, comparé ici et là au cinéma de Michael Haneke, vu dans la crispation qui sied bien au MK2 Beaubourg. Bienheureux celui qui ne se sentira pas mal devant ce frère et cette sœur kidnappés et menacés de mort s’ils n’acceptent pas de se laisser filmer en plein acte sexuel.

Peut-être m’aurait-il fallu un film exceptionnel après cette plongée douloureuse dans les ravages psychologiques faisant suite à cet acte forcé. Cette sœur bouleversée faisant l’effort de remonter la pente et de surmonter cet épisode traumatisant. Ce frère plus en retrait, tiraillé entre la culpabilité et un sentiment qu’il a dû mal à contenir. Cette douleur sourde qui découle de cet acte imprime l’image, et laisse clairement entrevoir des conséquences comportementales irrémédiables sur ces protagonistes. Le malaise ronronne avant de rugir avec évidence, conduisant vers un dénouement inexorablement perturbant mais par trop prévisible.
Daniel & Ana est une mise en bouche amère pour une journée cinématographique, et m’aventurer dans la version Burtonienne d’Alice au Pays des Merveilles après le malaise mexicain offrait au moins la perspective d’une évasion bienvenue.

Si Tim Burton m’a un jour séduit, amusé, emballé, ce jour est lointain. En y réfléchissant c’est étrange car mon rapport au cinéaste américain est peu ou prou similaire à celui du japonais Kitano que j’ai relaté il y a quelques jours. Des années 90 fantastiques, des années 2000 décevantes. Dans le cas de Burton, la poésie sombre et mélancolique d’Edward aux mains d’argent ou l’humour corrosif et débridé de Mars Attacks ! ont laissé la place à des univers de pacotilles, grandiloquents mais désespérément creux.
Le remake inutile de La planète des singes, l’univers acidulé tournant mollement en rond de Charlie et la chocolaterie, le ridicule d’un Sweeney Todd faussement sanglant mais véritablement niais, m’ont fait largement oublié qu’à une époque, Tim Burton représentait autre chose qu’un instrument de studio sans âme.

Je me suis rendu à Alice aux Pays des Merveilles sans conviction, et sans franche envie. Mais certains noms du cinéma continuent à laisser espérer qu’un jour la flamme reviendra. Un semblant de flamme traversait Big Fish il y a quelques années, mais hormis ce film, le dernier Burton à m’avoir séduit était bien Mars Attacks ! il y a… bientôt 15 ans ! Le dernier Burton en date, Sweeney Todd, m’a pratiquement fait hurler d’horreur, et pas au sens où le cinéaste l’entendait. Je n’attendais donc pas énormément d’Alice. Heureusement, car dans le cas contraire, je serais tombé de haut.

Bien sûr, si l’on a beaucoup parlé d’Alice au pays des merveilles ces dernières semaines, c’est parce qu’il s’agit du premier film majeur à sortir en 3D après le triomphe planétaire d’Avatar. Ils seront nombreux les films à surfer sur la vague 3D, dans les mois et années à venir, mais pour le moment il ne s’agit pas là de films pensés pour la 3D, et tournés comme tels. Le film de Burton a été tourné comme un film « 2D », et customisé pour la 3D. Je me suis donc rendu sans scrupule ni regret aucun à une projection du film sans la brûlante 3D.

Je ne doute pas que j’ai bien fait, tant cette version « plate » m’a déjà trop encombré les papilles visuelles de superflu et de fourbi lassant. L’œuvre de Lewis Carroll, j’ai grandi avec, entre l’écrit et ses adaptations animées, du long-métrage de Disney à la série. Burton a choisi de s’en écarter pour imaginer une suite à « Alice au pays des merveilles ». Une suite dans laquelle Alice retourne au Pays des merveilles des années après sa première visite, et doit de nouveau se frotter à la Reine Rouge, au Chapelier fou et au Chat invisible.

L’idée aurait pu être bonne, si l’univers qu’a imaginé Burton était pourvu de sens et de légitimité. Or, narrativement ou visuellement, son Alice est à la ramasse. Un récit précipité qui montre très vite ses limites, hésitant entre la réinvention et l’acquis. Burton semble incapable de se décider entre l’hommage et le détournement, entre une ligne Disneyenne light et un univers sien plus enlevé. Son Alice picore dans les deux tons avec fadeur.

Visuellement, c’est le pompon. Le cinéaste a eu cette idée farfelue pas vraiment lumineuse de laisser aux ordinateurs le boulot, et qu’on le ressente parfaitement à l’écran. Si c’est un hommage à l’univers animé d’Alice avec lequel on a grandi, c’est peine perdue. Le rendu est criard et loin du merveilleux. Quant aux décors, Burton et son équipe donnent l’impression de se reposer sur ce qui a été fait dans l’heroic fantasy cinématographique ces dernières années… en moins bien. Comment ne pas reconnaître dans ces palais tour à tour lumineux et sombres, dans ces champs de batailles désolés et ces ruines l’influence très prononcée du Seigneur des Anneaux et du Monde de Narnia ? Comme si le réalisateur s’était dit « Les gens ont adoré le mélange de merveilleux et de médiéval qu’on trouve dans ces films, c’est ce qu’il faut faire avec Alice au pays des merveilles ! ». L'apothéose tient dans une danse que nous offre Johnny Depp en fin de film, sur une musique moderne. Un instant de ridicule affligeant prêtant plus à la consternation qu'au rire.

Tim Burton sera président du jury au Festival du Film de Cannes en mai prochain. Espérons qu’il saura faire preuve de plus de discernement au moment de remettre la Palme d’Or. Pour le moment, il semble perdu.

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