Parfois les ressorties de vieux films me mettent face à
mes lacunes cinématographiques. En ce moment je suis dans une spirale qui me
fait revenir continuellement dans le Quartier Latin pour profiter au maximum
des ressorties en version restaurée de classiques du cinéma américain. Certains
classiques sont surtout des raretés et des films méconnus plus que de
véritables classiques et… Bon je le dis, je le chuchote… non allez je le dis
tout haut, autant assumer les lacunes jusqu’au bout. Jusqu’à ce que j’aperçoive
ici ou là dans la presse des articles pour mentionner la ressortie du film, je
crois bien n’avoir jamais entendu parler de « L’ultimatum des trois
mercenaires » de Robert Aldrich.
J’en entends certains ricaner et dire « Oh le mec il
connaissait pas… », j’en entends d’autres murmurer « L’ultimatum de
quoi ? ». Non, désolé, je n’étais pas familier du film d’Aldrich,
mais les quelques lignes aperçues dans Libé et Les Inrocks ont éveillé ma
curiosité, et lorsqu’il s’est agi de trouver un film dans le quartier pour
enchaîner avec « Une place au soleil » de George Stevens qui était
sur mes tablettes, « L’ultimatum des trois mercenaires » s’est donc
contre toute attente imposé à moi.
Je n’étais manifestement pas le seul dans la salle à ne
pas vraiment savoir à quoi m’attendre et à avoir lu le synopsis du film en
patientant sur le trottoir que Le Champo nous ouvre ses portes. Le film était
projeté dans la salle du sous-sol, celle avec les petites loupiottes au plafond
qui font penser à un ciel étoilé, façon Grand Rex miniature. Assis juste
derrière moi, deux mecs, plus ou moins mon âge, e mettent vite à glousser
lorsque le film commence. Dès le générique d’ouverture en fait, et
régulièrement – pour ne pas dire continuellement – au cours des dix ou quinze
minutes suivantes.
Pour ceux qui comme moi il y a quelques jours ne sont pas
familiers du film de Robert Aldrich, une mise en place est requise. Réalisé à
la fin des années 70, le film est un suspense dans lequel des militaires
renégats, dont un général incarné par Burt Lancaster, s’introduisent sur une
base secrète américaine où sont stockés neuf missiles nucléaires. Ils en
prennent le contrôle et avisent les autorités qu’ils n’hésiteront pas à appuyer
sur le bouton si leurs exigences, quelques millions de dollars et la
publication d’un rapport confidentiel sur la Guerre du Vietnam, ne sont pas
écoutées et appliquées.
Vous imaginez donc bien que les gloussements répétés de
mes voisins du rang derrière ont pu paraître incongrus, voire agaçants. M’est
avis qu’ils n’avaient jamais vu un film des années 70 (réalisé avec les moyens
du bord, le bureau ovale de la Maison Blanche reconstitué dans un studio
allemand), et la direction artistique de l’époque que cela implique, forcément
différentes d’un film tourné en 2013. Heureusement les rieurs en ont eu marre
de rire et ne s’imaginaient pas le faire pendant les 2h25 que dure le film, et
ont donc pris la tangente. Ouf.
La version proposée en ce moment dans les salles est en
fait inédite dans les salles françaises, l’échec au box-office américain du
film à sa sortie en 1977 ayant poussé le studio à l’époque à opérer un
charcutage en règle du film, qui s’est retrouvé amputé de près d’une heure pour
expurger au maximum l’aspect politique et resserrer le montage vers le film de
casse plutôt que sur la diatribe politique. Il aura donc fallu attendre 2013
pour qu’enfin « L’ultimatum des trois mercenaires » voit son ambition
et son audace restaurées, et Burt Lancaster, Charles Durning, Richard Widmark,
Joseph Cotten et Melvyn Douglas replonger pendant 2h30 dans ce qui fut l’un des
tout derniers films de Robert Aldrich. Un suspense haletant doublé d’un discours
politique acerbe et explosif qui en fait un exemple remarquable de
divertissement intelligent. Et si vous ne jurez que par les films de Michael
Bay, sachez que « The Rock » (oui oui, Sean Connery et Nicolas Cage à
Alcatraz) doit beaucoup au film d’Aldrich. Jetez-y un œil, vous verrez, c’est
flagrant.