vendredi 28 octobre 2011

Tintin par Spielberg ? J'en veux encore !

J’ai encore les yeux dans les étoiles. Non, pas dans les étoiles. En pleine mer, dans un cargo miteux. Et dans les dunes du Sahara après un crash d’avion. Et à bord d’un galion à combattre des pirates. Non non non, encore mieux, au Maroc, à bord d’un side-car, à courser un faucon dans les rues étroites d’une cité ensoleillée. Mon esprit bourdonne de ces aventures en cascade. Mon pouls se repose à peine de ces péripéties internationales. Celles de Tintin, Milou et du Capitaine Haddock dans Les Aventures de Tintin : le Secret de la Licorne.

La salle était pleine, un peu méfiante de voir Hollywood s’emparer du héros de notre enfance et de lui faire subir le traitement de la motion capture désincarnée, mais en même temps excitée, se disant que peut-être, Steven Spielberg et Peter Jackson allaient nous embarquer pour un voyage palpitant dans l’univers d’Hergé. La crainte a commencé à s’éteindre dès le générique de début, petit bijou malin rappelant celui d’Attrape-moi si tu peux du même Spielberg. Dix minutes plus tard, je n’avais déjà plus la tête à craindre quoi que ce soit. Tintin m’avait déjà happé, pour ne me relâcher qu’1h45 plus tard. 1h45 parfois totalement folles, tant la qualité visuelle du film, incandescente, joue magnifiquement avec une mise en scène fluide et étonnante de Spielberg, où technique et narration se conjuguent à merveille, où l’action la plus déchaînée répond à l’humour le plus féroce.

J’ai jubilé, oh oui j’ai jubilé devant les aventures de Tintin, sa rencontre avec Haddock, leur amitié naissante sur fond de cette course effrénée pour percer le secret de la Licorne. Certes le scénario prend quelques libertés avec l’œuvre d’Hergé, principalement pour resserrer l’action et trouver un langage cinématographique propre à un personnage très BD dont les capacités à devenir un héros de cinéma n’étaient pas évidentes, mais il n’y a jamais trahison, et l’on se sent bercé dans l’univers avec lequel on a grandi. C’est ce qu’il fallait faire, savoir s’approprier les personnages pour mieux les propulser sur grand écran. Et ainsi nous propulser avec eux.

Tintin par Spielberg, c’est un plaisir de cinéma pur et intense, fougueux, plein de gouaille (Haddock est parfait). Qu’il fait bon déjà rêver à de futures aventures…

jeudi 27 octobre 2011

Mozart me traque dans les salles de ciné

Quel est le tube du moment ? Le morceau star que l’on entend partout ? Le doit-on à Eminem ? Rihanna ? Super Junior ? Francis Cabrel ? Coldplay, Muse, Mireille Mathieu, Julio Iglesias ? Les Black Eyed Peas peut-être ? Rien de tout cela. Non je ne me lance pas dans une rubrique musicale sur mon blog. Il est toujours question de cinéma, et de mes pérégrinations de spectateur. Mais depuis une semaine, il est un morceau de musique qui ne me lâche plus dès que j’entre dans une salle de cinéma. Publicité, bande-annonce, films. Quel que soit le film que je suis allé voir en salles ces derniers jours, à un moment ou à un autre, la même petite musique s’est fait entendre en Dolby Surround.

Le plus étrange, c’est que ce tube du moment, immanquable, a été composé il y a plus de 200 ans. Le Concerto pour piano n°23 de Mozart. Cela a commencé il y a quelques semaines lorsque la nouvelle publicité pour Air France est apparue sur les écrans. Dans un décor désertique majestueux, on y voit deux danseurs (dont Benjamin Millepied) œuvrer au rythme de la composition de Wolfgang Amadeus. Assez hypnotisant comme pub.

Samedi dernier, après avoir déjà vu plusieurs fois la publicité d’Air France au cours des semaines précédentes, j’étais installé au MK2 Hautefeuille pour voir Après le sud. Bien sûr, le spot pour la compagnie aérienne française a été diffusé, sans surprise. En revanche, j’ai ensuite découvert avec amusement la bande-annonce d’Il était une fois en Anatolie, le nouveau long-métrage du turc Nuri Bilge Ceylan. La musique accompagnant les images du film récompensé du Grand Prix au dernier Festival de Cannes ? Le Concerto pour piano n°23 de Mozart ! Marrant.

L’amusement a ensuite cédé la place à l’ahurissement lorsque le film (Après le sud, donc) a commencé. La scène d’ouverture montre un vieil homme dans son salon, nettoyant consciencieusement un fusil tout en l’assemblant. A l’écoute, un morceau de musique classique que je reconnais rapidement, l’ayant déjà entendu deux fois dans le quart d’heure précédent : le concerto pour piano n°23 de Mozart. Incroyable. En l’espace d’une séance de cinéma, j’aurai entendu la création du compositeur autrichien trois fois, dans trois contextes différents : musique de publicité, musique de bande-annonce, et musique de film.

Je me voyais déjà écrire ce billet. Après le Sud avait beau avoir failli m’endormir malgré son intéressante narration à multiples points de vue, la séance était suffisamment cocasse pour être racontée pour cette occurrence répétée de musique classique plus marquante que le film lui-même (ou que celui vu juste après, Un heureux évènement). Mais voilà, je ne l’ai pas écrit sur le champ. Et trois jours plus tard, contre toute attente, alors que je croyais l’avoir semé, Mozart m’est retombé dessus, toujours avec son Concerto pour piano n°23.

C’était mardi soir, une des dernières occasions de voir L’Apollonide, souvenirs de la maison close. Si la musique marque dans le film, c’est parce qu’elle est moderne, alignant quelques morceaux rock de la fin du 20ème siècle alors que le long-métrage de Bertrand Bonello prend place entre 1899 et 1900. Mais c’est aussi, pour moi qui avais encore la séance d’Après le sud en tête, parce que vers la fin du film, alors qu’une partie fine assez étrange se déroule à écran, le Concerto pour Piano n°23 de Mozart a de nouveau retenti à mes oreilles.

C’en est maintenant tellement surréaliste que je ne sais plus trop quoi en penser. Non pas du Concerto lui-même mais de son usage intempestif ces temps-ci. N’y a-t-il donc pas d’autre morceau de musique classique qui ravisse les cinéastes, les publicitaires ou les monteurs de bandes-annonces, pour que l’on ait à chaque fois droit au même concerto de Mozart – par ailleurs magnifique. Ils vont finir par me le rendre moins savoureux à force de le mettre à toutes les sauces. Ils vont aussi finir par me rendre parano, à croire que Mozart a un œil sur moi et me surveille. Quoi que je fasse, il est là, tapi dans l’ombre, prêt à me surprendre dans la moindre salle de cinéma où je me rends !

Assez curieusement, les deux films à l’affiche le plaçant, Après le Sud et L’Apollonide, sont passés par le Festival de Cannes en mai dernier, et chacun compte également Adèle Haenel à son casting. Et si elle aussi se sentait poursuivie par Mozart ?

mardi 25 octobre 2011

J’ai guidé un australien dans les salles obscures parisiennes

C’est toujours lorsque l’on a un ami venu de l’autre bout de la planète que l’on trouve que la programmation dans les salles de ciné laisse à désirer. Surtout si l’ami en question se fait un peu difficile arrivé devant un cinéma affichant près de vingt films dans ses salles, faisant preuve d’un flagrant manque d’enthousiasme à chaque titre de film annoncé. Australien passant un an à sillonner l’Europe, Jonas était depuis deux jours à Paris, fin septembre, et comptait sur son passage dans la capitale mondiale de la cinéphilie (je lui ai peut-être rabâché ça une ou deux fois…) pour se faire une toile.

Évidemment, la grosse sortie américaine de la semaine était un film que ni lui ni moi n’avions l’intention de voir, Identité secrète avec Taylor Lautner, star de Twilight cherchant à se transformer en action star. Voilà déjà un film de rayé sur la liste. Restless ? We need to talk about Kevin ? Warrior ? Shark 3D ? Aucun film n’a déclenché une folle envie de ciné chez Jonas (qui maîtrisant seulement deux ou trois phrases très ciblées de français ne se sentait pas d’aller voir autre chose qu’un film en anglais bien sûr). Finalement, à la fin de la journée, épuisé par une après-midi de marche à travers les rues parisiennes et désireux de se poser, l’australien était enclin à se laisser tenter par Warrior… manque de bol avec une durée de près de 2h20, les horaires des séances ne collaient pas.

C’est alors que je lui montrai ce qui passait à l’Orient Express, cinéma à la programmation souvent en léger décalé par rapport aux nouveautés, et que l’œil de mon ami australien se mit à briller lorsqu’il entendit le titre « La planète des singes : les origines ». L’enthousiasme était enfin là. Depuis qu’il avait entamé son tour d’Europe qui durera un an, Jonas n’avait pas vraiment eu le temps d’aller au ciné, et la rumeur mondiale grondant sur les qualités du prequel ayant cartonné cet été (en France autant qu’ailleurs, avec 3 millions d’entrées au compteur), toutes les autres possibilités cinéphiles s’évaporèrent dans son esprit. Il ne repartirait pas de Paris sans avoir vu le film de Rupert Wyatt !

Pour ce soir-là, c’était trop tard, et le lendemain, je n’aurais pas le temps d’aller revoir le film avec lui, ayant déjà d’autres engagements cinéphiles. Mais je lui proposai tout de même d’aller voir le film à une heure qui me permettrait de le guider jusqu’au cinéma, lisant sur son visage le doute lorsque je tentai de lui expliquer la situation de l’Orient Express, le cinéma le plus profondément enfoui de la capitale, planqué au dernier sous-sol du centre commercial des Halles.

Le lendemain donc, entre un Restless mou du genou mais ayant ses beaux moments (Hiroshi, le fantôme japonais !) et le dérangeant et fascinant We need to talk about Kevin, je retrouvais mon touriste de Perth au-dessus des Halles. Entre temps, je m’étais fait la réflexion qu’il vaudrait peut-être mieux le prévenir que le cinéma dans lequel il allait s’embarquer était… comment dire… un peu spécial. Pas franchement au top du confort. Je le mis donc en garde. « Bon, Jonas, au fait, j’ai oublié de te dire hier… le cinéma dans lequel La Planète des Singes passe… c’est un peu le plus pourri de Paris. Les salles sont minuscules, c’est au dernier sous-sol du centre commercial, il fait chaud, y a pas de clim’ (ce week-end là, les températures étaient estivales !), si t’as un mec devant toi ça te bouche une partie de l’écran, et surtout, surtout, t’as le RER qui passe sous tes pieds, toutes les 3 minutes tu sens les vibrations du train. Mais bon c’est le dernier cinéma de Paris qui passe le film en journée, donc c’est ça ou rien ».

« Really ? » me répond-il. « Bah, c’est pas grave, l’important c’est que je le vois dans une salle de cinéma, ça sera toujours mieux que le voir sur un petit écran. Et puis au moins comme ça la place est moins chère, right ? ». « Euuuuuh, baaaaah, non en fait, pas right du tout, j’ai bien peur que le prix soit dans les standards des cinémas parisiens, c’est quand même 9 euros la place ». Comment se fait-il que lorsque l’on va voir un film dans une salle minuscule de l’Orient Express, pas climatisée et ronronnant des vibrations du RER, le prix est le même que si l’on se rendait dans une belle salle de 300 places confortable et parfaitement insonorisée ?

Depuis le temps que mon ami australien m’avait prévenu de sa visite parisienne, je lui vantais les mérites de la cinéphilie parisienne, la qualité des salles de la capitale française, la diversité de l’offre cinématographique, des vieux films du Quartier Latin aux salles populaires des Halles, de Montparnasse ou d’Opéra. Mais lorsqu’une seule salle de Paris programme LE film que l’on a envie de voir, la diversité ne compte pas. Pour Jonas l’australien, ce film était La planète des singes : les origines, et la salle donc, l’UGC Orient Express. Des mois à vanter les cinémas de Paris, et il faut que mon ami aille caler ses fesses dans une salle de l’Orient Express, me faisant tout de suite honte.

La chance, c’est que le touriste de passage n’est pas forcément regardant sur la qualité de la salle mais surtout sur celle du film qu’il voit, et en l’occurrence, avec La planète des Singes, la qualité était au rendez-vous, et a pris le dessus sur les têtes mangeant une partie de l’écran, sur le RER vrombissant sous les pieds, sur l’écran minus et le prix maousse. J’ai appris à ne plus me plaindre de la qualité des salles de l’Orient Express. La carte illimitée aidant, et les efforts constants pour voir un film partout sauf au cinéma du sous-sol des Halles, j’ai fini par m’habituer à la présence de cet étrange UGC dans la cartographie cinéphile parisienne. Car après tout, en dernier recours, cela reste toujours préférable à un écran de télévision, comme me l’a justement fait remarqué mon ami australien (qui a dit « et d’ordinateur aussi ! » ? Au coin !).

Alors voilà, j’ai voulu faire découvrir les salles de cinéma parisiennes à un australien. Mais tout ce qu’il a découvert, c’est le sous-sol des Halles un dimanche après-midi. Au moins le dimanche, les métros et RER sont plus rares…

lundi 24 octobre 2011

Prise d'otage cinémaniaque en plein Skylab !

Planquez-vous, il arrive ! Certains ne se doutent jamais des dangers auxquels ils s’exposent en laissant un fauteuil libre à côté d’eux dans une salle de cinéma. Ils ne se doutent de rien lorsqu’un homme seul vient leur demander si la place est occupée ou non, et qu’ils répondent qu’elle est libre. Qu’ils laissent cet homme se poser à leur côté, innocemment, sans se douter que pendant les deux heures qui vont suivre, ce spectateur d’apparence lambda va attirer à lui toute l’attention de la salle presque autant que le film lui-même, et potentiellement transformer leur moment de ciné en enfer.

Moi par contre, je l’ai vu venir gros comme une maison alors que j’étais tranquillement assis dans une salle des Halles il y a quelques jours pour découvrir Le Skylab de Julie Delpy. Le bonhomme en question, ce cinémaniaque anonyme capable de dynamiter une séance, je le connais pour l’avoir régulièrement croisé, et il se trouve justement que c’est devant moi qu’il s’est installé ce jour-là. Qui donc est cet homme mystérieux ? Je l’appelle, dans un grand élan d’originalité, « l’homme qui rit ». La dernière fois que j’avais croisé son chemin, c’était il y a peu, dans la salle 1 de l’Orient Express, pour Sexe entre amis. Mais comme moi « l’homme qui rit » n’avait pas trouvé le film drôle et ne s’était donc pas fait entendre.

Quand je l’ai vu s’asseoir presque exactement devant moi pour Le Skylab, j’ai plaint les personnes autour de nous. Le Skylab semblait être le genre même de film risquant de déclencher les zygomatiques de l’homme qui rit. Dans cette optique, je savais parfaitement à quoi m’attendre, l’ayant déjà entendu à maintes reprises. La nouveauté, c’est que je n’avais jamais été aussi près de cet extravagant spectateur. J’ai donc pu l’observer à loisir pendant la projection. Et cela valait le coup d’œil. Sa caractéristique numéro un, c’est son rire, bien sûr. La première fois qu’il l’a fait retentir pendant le film, c’est pendant une chamaillerie entre deux gamines à l’écran. Alors qu’elles se tiraient les cheveux mutuellement, tout à coup, il a laissé échapper un rire qui a fait frémir la salle. « Hiiiiinnnnn hin hin hin hin hin ». Difficile à mimer avec des mots. Imaginez un croisement entre le rire d’une sorcière maléfique et celui d’une hyène. Je vous assure. Un rire hors norme, qui déclenche d’abord la surprise parmi les autres spectateurs, l’inquiétude pour ceux qui entourent l’homme et découvrent son rire, et l’amusement pour ceux qui sont un peu plus loin (ou moi, qui y suis habitué).

A partir de ce premier rire, ce sera un festival, une heure et demi durant. Toutes les quatre ou cinq minutes, ce sont des explosions artistiques de rire, des moments de joie intense partagées, l’homme qui rit ne se contente pas de rire. Il explose, il jubile, il tape des mains, il se tourne vers sa gauche et vers sa droite, pour voir si ses voisins prennent autant de plaisir que lui. Il se tourne même derrière lui et de temps en temps je croise son regard, et son hilarité s’avère communicative. La chance qu’il a, c’est que le film de Julie Delpy, une comédie pétillante et jouissive, se prête parfaitement à une joie collective. C’est un film un peu foutraque parfois. Un prologue et épilogue inutiles, quelques scènes s’étirant trop, des liens entre les personnages que l’on a du mal à assimiler, et même des prénoms que l’on a du mal à associer à certains personnages. Un beau bordel. Mais c’est une véritable fête de fraîcheur, un bel hymne à la famille et à la vie bourré d’humour et de tendresse, et peuplé de personnages (et comédiens) particulièrement savoureux.

Alors oui, la salle appartenait un peu trop à l’homme qui rit, son esbroufe, sa grandiloquence rieuse que l’on est en droit de juger expressément surjouée parfois. Mais sa joie de cinéma correspondait si bien au film que l’on partageait qu’aucune rancœur ne s’en est développée. Encore moins lorsque le générique de fin est apparu, et qu’au son de « Born to be Alive », ce spectateur pas comme les autres dansait sur son siège, s’est levé au rythme de la chanson, et s’est mis à balancer son bras de haut en bas comme s’il était sur le dance-floor, mais avec une absence de grâce, tout engoncé qu’il était, parfaitement hilarante (je ne me moque pas je suis moi-même un terrifiant danseur). Et tout en quittant la salle, prenant son temps, lentement pour bien profiter jusqu’au bout de la chanson, il se déhanchait et agitait la tête en rythme en glissant quelques mots à d’autres spectateurs qu’il croisait. Il n’y en a pas deux comme lui.

Merci Julie Delpy, non seulement Le Skylab est assez réjouissant, mais en plus il m’a permis d’assister à un festival ininterrompu, jusqu’au sortir de la salle, de « l’homme qui rit ». Un vrai film dans le film.

vendredi 21 octobre 2011

27 choses dont je me souviendrai du 6ème Festival Franco-Coréen du Film

Voilà, c’est fini. Le FFCF 2011 est désormais définitivement derrière nous. Mais la semaine passée au cinéma St-André des Arts a été trop riche en films, en évènements, en émotions et en rencontres pour ne pas jeter un œil amusé sur ces huit journées intenses de cinéma coréen. Pourquoi vingt-sept raisons plutôt que douze ou quarante-deux ? Parce qu’il faut bien choisir un nombre, et que celui-ci correspond au nombre de films, courts et longs, que j’ai vus au cours de la manifestation franco-coréenne. Voici donc les vingt-sept choses que je retiendrai des huit jours passées au Festival Franco-Coréen du Film 2011 :

  • Il est possible de faire un film mêlant l’ennui indiscutable et l’excitation totale, en 3h20 avec le générique de début qui arrive au bout d’1h40. Cela s’appelle Café Noir, en français comme en coréen.

  • Les documentaristes coréens parlent décidément tous de leur vie dans leurs films. En Corée, le documentaire est plus un journal intime qu’autre chose. Parfois c’est passionnant (Grandmother’s Flower), parfois c’est maladroit mais touchant (Miracle on Jongno Street), parfois c’est à deux doigts d’être gâché (Cheonggyecheon Medley).

  • Late Autumn m'a sacrément déçu, qu’il date de 1981 ou de 2010. Mais n’allez surtout pas le dire à une amatrice de drama coréen. Au mieux, elle vous dira que « Pffff, tu peux pas comprendre ! ». Au pire, vous découvrirez une poupée vaudou à votre effigie clouée sur la porte de votre appartement avec un petit mot délicat indiquant que « c’est toi le prochain ! ». Bon, d'accord, j'ai "peut-être" employer les termes "daube" ou "navet" pour décrire le film, et j'ai peut-être insister sur la piètre performance de Hyeon Bin...

  • Le projectionniste du St-André des Arts ne sait ni changer une bobine, ni faire de mise au point. Bon y a pas mort d’homme. Mais quand même.

  • Lorsqu’il fait froid, les coréennes aiment s’emmitoufler dans une grosse écharpe rouge dans les films. Vous n’avez pas remarqué, dès qu’il fait froid à l’écran ? Pas bleue, ni jaune, et certainement pas verte. Rouge.

  • Les films qui ont nourri le plus de débats sont opaques, mystérieux, et aiguisent l’imagination quant à l’interprétation qu’on peut s’en faire. Parfois c’est moyennement convaincant (End of Animal, Anti-Gas Skin), parfois c’est subjuguant (Café Noir).

  • Je ne suis pas allé voir le nouveau film d’Hong Sang Soo passé par Cannes, alors que je ne l’avais pas encore vu. C’est fou ce que le fait de devoir faire des choix nous amène à laisser de côté. Heureusement que c’est l’un des rares films de la sélection qui sortira à coup sûr en salles en France

  • Il faut une petite heure à l’un des personnages de Anti-Gas Skin pour dire à la fille à barbe qui en est l’un des personnages principaux : « Hé, mais t’as des poils plein la figure ! ». Je n’ai toujours pas réussi à déterminer ce qui surprend le plus : qu’il ait fallu tout ce temps pour qu’une remarque soit faite à ce propos, ou que ce soit la seule de tout le film et qu’elle reste absolument sans conséquence.

  • J’ai versé ma larme devant un des films. Oh ça va, je vous entends, là, au fond, à ricaner, mais je vous mets au défi de ne pas être submergé par l’émotion devant le dénouement d’Hello Ghost. Et de toute façon, ce n’est pas la première fois que cela m’arrive, et ce ne sera certainement pas la dernière.

  • Contrairement à ce que disait la rumeur, et à ce que certains s’escriment encore à colporter, si si, dans Invasion of Alien Bikini, il y a bien une Alien sexy en petite tenue qui envahit la Terre, et donc le titre n’est pas trompeur. Et en plus, c’est super fun.

  • Kang Jin-A sera probablement une grande cinéaste coréenne, si ses futurs longs-métrages s’avèrent à la hauteur de ses courts.

  • J'ai toujours trouvé les croix éclairées d’un rouge diabolique à la cime des églises coréennes particulièrement angoissantes la nuit, presque flippantes. Possessed n’a pas eu besoin d’en montrer pour faire son petit effet.

  • Je dois avouer que les filles croisées pendant le festival avaient raison : Yoon Sung-Hyun est mieux en chair et en os que sur la photo du programme du FFCF. Quel beau gosse ce réalisateur !

  • Mon blog a une influence démesurée sur le déroulement du festival. Si si je vous assure. Après mon récit de la lumière diabolique qui m’a gâchée Bleak Night, je n’ai plus vu de lumière gênante sur les projecteurs de sous-titres, à aucune projection... à moins que le staff ait réglé un problème technique inhérent à cette projection… Ou que les plaintes de spectateurs aient été nombreuses... En fait c’est peut-être juste une coïncidence. Bon allez d’accord, oubliez ce paragraphe.

  • Les coréens posent des questions terriblement impudiques lors des séances questions/réponses avec réalisateurs et actrices, et ceux-ci y répondent allègrement. Les coréens n’auraient donc aucune pudeur ? Les français posent eux des questions assez cons parfois, ça compense pour l’égalité des peuples.

  • Guillaume P. d’1kult n’aime pas qu’on dise qu’on a préféré Castaway on the Moon à Sunny, les Kim Bong Park prennent des notes pendant le film, enfin Sans Congo au moins, les mecs d’East Asia gardent leurs bonnets dans la salle, Nicolas de Filmosphère est une vraie girouette quand il s’agit de End of Animal, ID de Made in Asie a dormi devant Café Noir… mais surtout ne croyez pas les rumeurs qu’ils pourraient colporter sur moi en retour !

  • Le staff du festival sait rester zen en toutes circonstances, même quand il se fait malmener par une attaque coordonnée de vieux en goguettes. Chapeau. Ca doit être l’uniforme de schtroumpf qui confère le calme et la sagesse nécessaires.

  • Il n’y a pas eu de discours du responsable d’Asiana Airlines cette année lors de la cérémonie de clôture. Une tradition savoureuse qui se perd.

  • Il paraît qu’il y a un mec qui s’est enchaîné les trois versions proposées de Late Autumn dans la même journée. Félicitations pour cette pointe de masochisme. Zut, j’avais déjà tapé sur Late Autumn !

  • Le barbu est toujours là le premier.

  • Je n’avais jamais vu autant de spectateurs se passionner une semaine durant pour le cinéma coréen. Heureusement qu’il reste les séances de documentaires en semaine à 14h pour pouvoir s’étaler un peu en salles.

  • A raison d’une diffusion devant chaque film projeté, je crois que je connais presque par cœur les dialogues en coréen de la bande-annonce du Festival. En tout cas c'est certain, je connais par cœur le texte de la pub pour la Kia.

  • J’ai vu Jung Yumi. En vrai. Si si. Trois jours de suite.

  • J’ai vu tous les films de la section « Paysage » ! Quinze longs-métrages ! Ah non, je ne suis pas allé voir The Unjust. Mais je l’avais déjà vu le mois dernier. Et comme j’ai aussi vu les films d’ouverture et de clôture, deux films classiques, le long-métrage du cinéaste invité et deux programmes de courts-métrages, j’en ai tout de même bien profité de ce festival !

  • Re-encounter est passé à 20 minutes d’être le meilleur film du festival. Il est quand même dans les tous meilleurs, avec Castaway on the moon, Grandmother’s Flower, Hello Ghost, Sunny et Café Noir. Hé mais, il y en avait des bons films cette année ! Et sans la lumière diabolique, j’ajouterais peut-être même Bleak Night !

  • C’est la dernière année qu’on appelle le festival le FFCF. Désormais, ce sera le FFCP (Festival du Film Coréen de Paris). Du moment que c’est toujours aussi bien l’année prochaine, je me ferai au nouveau nom.

Zut, il ne me reste plus qu’une chose à dire… que le staff du festival est vraiment génial, nan ça fait lèche-botte, que tous ces films m’ont donné envie de retourner en Corée, pfff c’est évident… que mon niveau de coréen est encore trop nul pour arriver à suivre le film sans sous-titres, nan ça aussi c’est évident. Aidez-moi, c’est quoi le souvenir qui VOUS restera du Festival Franco-Coréen du Film 2011 ?

mercredi 19 octobre 2011

Festival Franco-Coréen du Film 2011 : une clôture animée en surprenante compagnie

La pluie tombait mardi soir pour la première et dernière fois sur le FFCF2011, et lorsqu’il s’agit de patienter sur le trottoir en attendant l’ouverture des portes, on se rend vite compte qu’elle n’avait pas manquée. Devant le St-André des Arts, je retrouve pour la dernière fois cette année la bande d’habitués croisée tout au long de la semaine, parée pour clore le festival, si possible en beauté. Alors que Quentin de Mirae m’abrite sous son parapluie coréen géant, Joy Means Sick m’apprend que son comparse du blog Kim Bong Park ne s’est pas remis de Café Noir la veille au soir et a déclaré forfait pour la clôture. Tant pis pour lui. Il aura raté la surprise du chef.

La surprise du chef, c’est Yoo Dong Suk, directeur du festival et MC d’un soir, qui nous l’annonce alors que nous avons pris place depuis quelques minutes au chaud et au sec dans une salle pleine ou presque : il y a une invitée surprise dans la salle : « Merci à la comédienne Jung Yumi d’être présente avec nous ce soir ». Mon sang ne fait qu’un tour. Hein ?! Quoi ?! Jung Yumi est assise parmi nous ? Tout à coup, quelle n’est pas ma surprise lorsque je vois la comédienne, vue un jour plus tôt après la projection de Café Noir, se lever juste derrière le trio que je forme avec Joy Means Sick et Quentin. Je me tourne vers eux : « Sacre Bleu ! Elle est assise derrière nous, on ne l’avait même pas captée ! Jung Yumi va passer le film assise dans notre dos ! » Deux heures plus tard, l’écho de mes exclamations résonnait toujours alors que la salle s’était depuis longtemps vidée. Elle était là, souriante, à un mètre de nous !

Comment se concentrer sur la soirée en sachant l’actrice fétiche de Hong Sang Soo placée si près de nous ? Et comment jeter de temps en temps de petits coups d’œil vers elle sans que cela soit trop voyant ? Allez, deux p’tits regards pour la route histoire de s’en souvenir pendant quelques années, et on reprend le fil de la soirée !

Car le temps ne s’est pas arrêté avec la prise de conscience que l’actrice coréenne était parmi nous. La cérémonie s’est déroulée, récompensant les courts-métrages « Space Radio » du Prix Mubi et « Make-Up » du Prix Asiana. Le staff du festival se réunissait sous nos yeux pour célébrer la dernière soirée (c’est qu’ils étaient nombreux cette année !). Yoo Dong Suk nous annonçait avec fierté (et il y a de quoi) une augmentation de 75% de la fréquentation du festival, en même temps que Pierre Ricadat se félicitait que les deux cinéastes invités cette année au Festival, Kang Yeong Cheol et Yoon Sung Hyun, venaient tout juste de remporter deux prix coréens équivalents à nos Césars : respectivement Meilleur Réalisateur pour Sunny et Meilleur Premier Film pour Bleak Night. Comme quoi, le festoche a eu le nez fin cette année.

Le directeur du festival a également profité de la soirée pour annoncer qu’il s’agissait, avec cette édition, du dernier Festival Franco-Coréen du Film sous cette appellation, et que l’année prochaine aurait lieu le 1er Festival du Film Coréen de Paris (ouf, plus besoin d’expliquer autour de moi que non, le Festival Franco-Coréen ne passe pas de films français !). La soirée fut forte en annonce !

Et elle fut bien sûr le préambule à un long-métrage d’animation, Leafie, qui clôturait la manifestation dans un esprit bon enfant. Au terme de l’édition 2009 déjà, c’était un film animé qui renvoyait tout le monde à la maison, à l’époque le classique coréen Robot Taekwon V. Leafie est beaucoup plus familial que ce dernier. Gros succès au box-office coréen avec plus de deux millions d’entrées en salles, le film suit le parcours d’une poule nommée Feuillette, qui cantonnée dans une cage pour pondre des œufs du matin au soir à la ferme rêve de vivre à la basse-cour. S’évadant de sa cage, elle est rejetée par la basse-cour et se retrouve donc en pleine nature, sauvée de justesse des griffes d’une belette par un canard charismatique. Commence pour elle une nouvelle vie au milieu des animaux sauvages, qui va la voir devenir la mère d’un petit canard orphelin.

Vous l’aurez compris, Leafie s’adresse à un public très… familial. Malgré un aspect visuel assez léché mêlant l’animation digitale et les dessins plus traditionnels, le rendu est beau, mais l’histoire reste gentille. Des personnages secondaires apportent l’humour (pas toujours très fin), mais ce qui fait le plus rire dans le film, c’est un ton presque auto-parodique qui parsème occasionnellement le scénario, notamment avec le personnage de Voyageur, le colvert charismatique doublé par Choi Min-Sik. Le canard est hilarant presque à chacune de ses apparitions à l’écran, le réalisateur lui offrant un rôle de beau gosse prenant la pose, poils au vent, de profil devant le coucher de soleil, faisant se pâmer notre petite poulette (dont la voix est celle de Moon Sori, vue notamment cette année dans le divin Ha Ha Ha). Dans ces moments-là, Leafie touche juste. Est-ce le rire de Jung Yumi que j’entends d’ailleurs occasionnellement dans mon dos ?

Pour le reste, on regarde le film calmement, et ce n’est peut-être pas plus mal après une semaine intense de films ponctuée la veille par les 3h20 de Café Noir. Se reposer devant Leafie, finalement, pourquoi pas. Les plus jeunes y trouveront même sûrement de l’émotion (on me dit dans mon oreillette que même des moins jeunes ont été ému, information à confirmer…). Leafie ne restera pas comme l’héroïne numéro un du FFCF 2011, et le film ne restera pas longtemps en mémoire (sauf le colvert et ses poses lascives), mais après la densité de Café Noir bu la veille, cette légèreté n’est pas maligne. On peut même voir dans le dénouement, étonnamment sombre, une apologie du sacrifice pour le bien d’un écosystème qui laisse songeur…

Jung Yumi n’aura pas eu à s’étonner de ce dénouement et de sa signification à l’échelle de la société coréenne, s’étant éclipsée discrètement à la moitié du film, à notre plus grand regret, nous trois qui avons tout de même constaté sa fuite et qui nous en sommes tout de suite sentis orphelins. Snif.

Le sacrifice à l’écran et l’absence de Yu-mi n’auront toutefois pas entamé la bonne humeur de cette ultime soirée du Festival Franco-Coréen du Film. D’ici l’année prochaine, certains des spectateurs se recroiseront dans un festival ou un autre, autour d’un film coréen ou d’ailleurs. Une chose est sûre, le 1er Festival du Film Coréen de Paris est déjà dans mon agenda pour 2012.

mardi 18 octobre 2011

Festival Franco-Coréen du Film 2011 : et soudain le temps s’arrêta...

Lorsque j’ai parcouru pour la première fois du regard le programme du FFCF 2011, l’un des films m’a tout de suite sauté aux yeux, non parce que son titre faisait instantanément naître en moi une vive envie de fabriquer une DeLorean afin de me projeter dans le futur et le voir illico parce que cela faisait des mois que je l’attendais (un peu comme The Man from Nowhere l’année dernière). Non. Le film qui a tout de suite accroché mon œil, c’est Café Noir, un film dont je découvrais l’existence, mais dont la durée affichée et ses quelques lignes de synopsis excitaient ma curiosité insatiable autant qu’elles me faisaient trembler d’effroi.

198 minutes pour suivre les errances sentimentales d’un professeur de piano inspirées des œuvres « Les Souffrances du Jeune Werther » de Goethe et « Les Nuits blanches » de Dostoïevski. Un premier film en couleur et noir et blanc, par un critique de cinéma coréen reconnu. Ceux qui me connaissent bien ne se seraient pas étonnés de m’entendre m’exclamer « Oh la vache ! » à la découverte de ces quelques lignes décrivant Café Noir. Le mélange de crainte et d’excitation était grisant à l’entame du festival, d’autant que l’une des comédiennes du film, Jung Yumi, était annoncée présente pour accompagner ce film (et l’oubliable Come, Closer).

Jung Yumi symbolise largement à mes yeux le Festival Franco-Coréen du Film, tant les films dans lesquels elle a joué ces dernières années s’y sont souvent affichés, Family Ties, The Room Nearby, Oishi Man. L’amateur d’Hong Sang Soo que je suis l’ayant également appréciée dans Like you know it all et Oki’s movie (sa présence dans le film Chaw est en revanche plus étonnante), la possibilité de rencontrer la comédienne en plus des caractéristiques si inattendues du film faisaient donc de Café Noir un évènement majeur du FFCF 2011.

Lorsque le lundi soir est arrivé, je regrettais presque de ne pas avoir plutôt vu le film trois jours plus tôt lors de sa première projection. Car à la veille de la clôture, je venais d’enchaîner en six jours dix-sept longs-métrages et deux programmes de quatre courts-métrages chacun, en parvenant à ne fermer les yeux devant aucun film jusqu’ici, restant insensible à la fatigue. En cette fin de festival donc, la perspective de voir le film d’auteur abstrait de 3h20 inspiré de Goethe et Dostoïevski revenait à prendre le risque de céder facilement aux joies de la sieste, à me laisser rattraper par le poids de cette semaine de films à gogo.

D’autant que ce n’était pas mon premier film de la journée, ayant été voir juste avant les courts de Yoon Sung-Hyun, le cinéaste invité du Festival dont j’avais déjà vu mercredi Bleak Night et à la rencontre duquel je m’étais rendu samedi soir. Comme les courts-métrages de Kang Jin-A la veille (qui restent un cran au-dessus quand même), ceux du jeune réalisateur se sont révélés de beaux films, pleins de justesse, de mélancolie et d’humour. Mention spécial à l’errance citadine improvisée de Daytrip.

Lorsqu’est donc venue l’heure de découvrir Café Noir, je me voyais déjà somnolent sur mon siège, prêt à me délecter des bras de Morphée. Et il s’en est fallu de peu que je rejoigne dans ce camp mes voisins de salle, qui sur ma droite comme sur ma gauche ont cédé au sommeil au bout de deux heures de film (précisément lors du long monologue en plan fixe de Jung Yumi, c’est là qu’autour de moi, les gens ont sombré). Dès la première séquence, on comprend pourquoi la durée du film est tant étirée : il s’agit d’un plan séquence fixe (le réalisateur Jung Sung-Il les adore) de cinq bonnes minutes où l’on voit, face caméra, une jeune femme manger goulûment et en larmes un hamburger. On ne peut s’empêcher de sourire devant un tel plan en sachant que plus de trois heures de film vont suivre.

Alors que dire de cette balade cinématographique de 3h20 ? Que comme souvent avec ces films d’auteur posés et longs, la mise en scène en impose malgré son minimalisme. Ce qui saute aux yeux en premier, c’est la façon dont le réalisateur Jung Sung-il s’approprie l’espace et filme Seoul. En réalité, l’essentiel du film se déroule autour de la rivière de Cheonggyecheon coulant au centre-ville de la capitale coréenne, et c’est ce quartier que le réalisateur filme avec soin et embrasse pleinement avec sa caméra. Il détaille son espace avec langueur avant même d’y poser ses personnages, faisant d’emblée de la ville et du quartier un personnage propre de Café Noir.

Le film a donc pour protagoniste le professeur Lee, qui au début du film apprend que la parenthèse dorée qu’il vient de vivre auprès d’une parent d’élève est terminée car le mari est de retour. Les époux s’étaient-ils séparés, est-il juste de retour d’un voyage d’affaires, le réalisateur reste vague. Mais l’on comprend tout de même que le professeur avait profité de cette absence pour prendre la place du père auprès de la mère et de la fille. Transi d’amour, il a dû mal à admettre qu’il doit renoncer, alors qu’une collègue séduite essaie d’attirer ses faveurs. Ce va-et-vient amoureux et indéterminé, empreint de mélancolie et promis à la déception, occupe la première moitié du film. On y est parfois subjugué par la minutie du cinéaste, autant que pris en otage d’une vision du récit dont on ne possède pas toutes les clés, Jung Sung-Il aimant suggérer plutôt qu’expliquer (c’est ce qui fait aussi l’un des charmes du film). Cette indécision était à deux doigts de me transporter dans un état léthargique, lorsque tout à coup une décharge électrique m’a réveillé.

Cette décharge, c’est l’apparition impromptue, au bout d’1h40 de film… du générique de début. Titre du film, défilé du nom des acteurs et du réalisateur, comme si le film avait commencé quelques instants plus tôt alors qu’en réalité, il apparaît à l’heure où d’autres font dérouler le générique de fin (record à battre). Cette surprise hallucinante faisant de tout ce à quoi l’on avait assisté auparavant un pré-générique m’a donné un coup de fouet. J’étais quasi hilare. Il a fallu que je regarde l’heure qu’il était pour m’en assurer, mais oui, cela faisait bien 1h40 que le film avait commencé. Incroyable. Une telle insolence cinématographique m’a réveillé vitesse grand V et m’a tenu en éveil jusqu’au bout, alors justement que j’étais peu à peu en train de sentir mes paupières s’alourdir, en me disant qu’ils restait bien au moins une heure de film, que je ne voyais pas où le cinéaste pourrait aller désormais, et que j’allais craquer. C’est à ce moment-là que le titre s’affiche enfin, et qu’un second film commence presque à l’intérieur de Café Noir, un second film avec le même personnage principal et à durée équivalente. C’est d’ailleurs au bout de tout ce temps que Jung Yumi apparaît enfin à l’écran. En réalité elle était déjà rapidement apparue un peu plus tôt, mais trop fugacement. Dans cette seconde partie, elle est le premier rôle féminin.

C’est aussi à ce moment-là que le film bascule au noir et blanc. Notre professeur rencontre une troisième femme, incarnée donc par Jung Yumi, une jeune femme en détresse qu’il aide, devenant rapidement son confident. Un nouveau va-et-vient amoureux se créé, retournant parfois à la couleur, comme lorsque le couple d’amis se rend dans un bar et qu’elle se lance dans une danse aux accents méditerranéens la rendant heureuse pendant quelques minutes. C’est l’un des rares moments où la joie s’exprime à l’écran, alors que l’œuvre respire plus l’amertume, même si plus que de la joie, il s’agit là de fêter brièvement un sentiment passager de satisfaction. Qui pour elle se transformera peut-être en espoir, tandis qu’il apparaît clairement tout au long de Café Noir que le destin du Professeur Lee n’est pas d’être heureux. Ce dernier est incarné tout en repli sur soi par Shin Ha Kyun, l’un des acteurs fétiches de Park Chan Wook vu dans JSA, Sympathy for Mr Vengeance et Thirst. Difficile de se contenter de dire si l’on aime ou pas Café Noir, tant il offre une proposition de cinéma unique, forte et maîtrisée, en même temps que souvent opaque et somnifère. Mais une expérience de cinéma que je suis heureux d’avoir vécu tant elle est hors norme.

A l’issue de la projection, alors que minuit sonnait aux montres, celle que j’avais effleurée la veille dans le hall du St André des Arts s’est présentée à nous, la frêle Jung Yu-Mi. Vue l’heure tardive, cette rencontre ne s’est pas éternisée, elle n’est restée en notre compagnie qu’une vingtaine de minutes, au cours desquelles la comédienne a tenté de répondre aux quelques questions cinéphiles de spectateurs un peu fascinés, un peu déconcertés, certainement troublés par le film et l’apparition surréaliste de la comédienne parmi nous au milieu de la nuit. Comme avec Yoon Sung-Hyun l’autre soir, des questions impudiques sur la vie privée ont également parasité l’échange, à laquelle la comédienne, comme le réalisateur avant elle, a pourtant répondu avec la même impudeur.
Fin d’une soirée étrange, exténuante, et fascinante, avant la clôture du festival le lendemain.

lundi 17 octobre 2011

Festival Franco-Coréen du Film 2011 : y a-t-il un projectionniste dans la salle ?

Dimanche soir, aux alentours de 21h, les abords du St-André des Arts étaient gorgés de spectateurs, entre ceux comme moi qui sortaient d’une séance de courts-métrages, ceux qui sortaient de Come, Closer dans la salle mitoyenne, et ceux qui faisaient le pied de grue sur le trottoir en attendant de pouvoir entrer pour la seconde projection de Late Autumn, ce bijou de mélodrame déjà vu vendredi soir (fort taux de sarcasme à détecter dans ce bout de phrase). Et ils étaient nombreux les curieux, certainement pressés de se marrer devant l’ineptie de la chose… quoique, il paraît que je suis l’un des rares à être resté insensible au film. C’est dans cette foule humaine confirmant l’engouement public pour le festival cette année que je l’ai frôlée. Elle venait de sortir de la salle voisine elle aussi pour rencontrer le public, et Jung Yumi s’est ainsi retrouvée dans le hall du cinéma, et à l’instant où la pensée m’a traversé l’esprit que peut-être j’allais tomber par hasard sur elle, avant de la voir officiellement à l’issue de la projection de Café Noir le lendemain, elle est apparue contre moi, me tournant le dos, discutant avec une compatriote. Je ne l’ai qu’aperçue, le mouvement de la foule m’écartant d’elle. Ce n’est pas grave Yumi, on se reverra dans de meilleures circonstances j’en suis sûr.

La veille, samedi, c’était la présence d’un des frères Dardenne en tant que simple spectateur, pour la projection de Bleak Night, qui en avait mis certains en émoi. D’autant que le cinéaste belge a paraît-il fortement apprécié le film de son jeune confrère coréen. Moi j’ai définitivement abandonné l’idée de m’extasier devant les frères Dardenne, alors je préfère m’en tenir à ma semaine de cinéma coréen, et en l’occurrence à mon dimanche encore riche de films.

Le premier film du jour, qui était aussi l’un de ceux qui m’intriguaient le plus par son idée de départ, était The Code of a duel, dont le titre coréen se traduit apparemment plutôt par « la jouissance du sabre », un programme alléchant. Cependant avant même que le film commence, j’aurais bien moi-même sorti mon sabre de son fourreau pour aller défier une triplette de spectateurs proche du troisième âge (ou carrément dedans) ayant réussi à démontré en quelques instants que la sagesse et la civilité ne vont pas de soi avec l’âge, justement. Le premier s’est manifesté avant même que l’on pénètre dans la salle. L’un des tous premiers dans la queue, il s’obstinait à ne pas vouloir donner son ticket au contrôle. Le staff avait beau gentiment insisté, si si, il faut donner le ticket pour comptabiliser les entrées, monsieur insistait en retour, à deux doigts de s’énerver, prétextant qu’il aimait la photo au dos du ticket (probablement celle de Jean Reno, qui revient souvent au dos des tickets du St-André des Arts ? Hum…). Moi-même adepte de la collecte des tickets de cinéma, je pourrais comprendre sa réaction si elle en était restée à la simple déception. Mais bon, cela reste gentil.

Le second malotru s’est lui signalé en se plaçant dans la salle juste devant le projecteur de sous-titres. Au FFCF, on commence à savoir comment ça marche, les sous-titres sont projetés directement de la salle, et si donc un spectateur se place dans l’axe juste devant le projecteur, les spectateurs sont privés de sous-titres. Et je ne sais pas vous, mais moi, les sous-titres français me sont tout de même assez utiles pour un film coréen. Une nouvelle fois, le staff a poliment demandé au spectateur de se déplacer d’un siège sur sa droite afin que tout le monde puisse profiter du sous-titrage. Réaction outrée de notre second « vieux », auprès duquel il a fallu une nouvelle fois insister avec gêne.

Mais le roi des imbéciles est intervenu juste après celui-ci. Le deux premiers restent de petits actes d’égoïsme sans méchanceté, quand notre troisième concurrent au titre d’empaffé en chef est lui un vilain tout entier. Alors que la programmatrice coréenne du film faisait sa présentation de The Code of a Duel et qu’elle a mentionné des duels « à l’épée », cet idiot mal élevé, en train de s’installer et toujours debout, n’a rien trouvé de mieux à faire que balancer (assez haut pour qu’on l’entende de mon côté opposé de la salle), « N’importe quoi, ce n’est pas « épée » qu’il faut dire mais « sabre », avec le ton exaspéré et condescendant de la bêtise. J’en étais gêné d’être français.

A croire que la promesse d’un film d’épées (ça c’est pour l’idiot) attire les vieux cons. Cela n’a pas non plus gâché le film, un festival de duels sabrés filmés avec un aplomb sidérant étant donné le budget riquiqui du film (une poignée de milliers d’euros). La volonté d’imprimer une atmosphère de western interpelle, avec des sons un peu country qui surprennent dans ce cadre urbain coréen.

Dans ce film de Yeo Myung-Jun, les duels au sabre font partie intégrante de la société coréenne. Young-Bin, employé de bureau transparent aux yeux de ses collègues, est dès qu’il sort du boulot le plus redoutable et aguerri des sabreurs, enchaînant les duels et les victoires. Alors qu’une certaine lassitude le gagne, il s’entraîne avec son ami de toujours, un maître sabreur qui a lâché les duels, et un jeune homme plein de fougue, d’envie et de promesses. Intriguant dans son concept, The Code of a Duel accroche surtout par sa maestria inattendue dans les fameux duels, car pour ce qui est du scénario en lui-même, du parcours des personnages et des minis revirements, le film reste sage, voire même un peu facile dans sa volonté de faire s’affronter les protagonistes.

Mais tel un Vincent Gallo coréen, le réalisateur fait tout, absolument tout sur son film, en plus d’être le réalisateur et l’un des deux acteurs principaux, et cela force l’admiration. La rumeur veut qu’il ait aussi opéré en tant que stagiaire café et photocopieuse, mais je n’ai pas pu vérifier cette information à prendre avec des pincettes…

Kang Jin-A est, elle, une réalisatrice que j’ai hâte de voir passer au long comme nombre des cinéastes dont on a pu découvrir les premiers films au FFCF. Vainqueur à l’édition 2010 du Prix du Meilleur court-métrage pour Suicide of the quadruplets, l’équipe du festival a choisi cette année de la mettre à l’honneur en projetant en un programme le fameux film récompensé l’année dernière (et que j’avais justement raté !), plus trois autres vraisemblablement tournés depuis si les quatre films ont été diffusés dans leur ordre chronologique. Le premier donc raconte sous une forme iconoclaste et assez jubilatoire l’impact humain et médiatique du suicide de quadruplés trentenaires, avec une dose d’humour sarcastique qui rend le film inattendu.

Mais si la qualité de ce court était attendue, du fait du bouche-à-oreille élogieux dont il bénéficiait l’an passé, ce qui était intéressant, c’était de découvrir s’il y avait dans le reste de son travail la qualité qui ferait d’elle une réalisatrice à suivre. Et la réponse est indubitablement oui. Le second court-métrage, Be with me, m’a particulièrement touché, récit du deuil d’un jeune homme dont la compagne pleine de vie a été fauchée par une voiture, le laissant seul et amorphe, mais hanté par l’impétuosité de sa chère et tendre. Un court délicat et poétique sur la perte et la difficulté à laisser partir les résidus sensoriels de l’être aimé. Un vrai bijou.

La mort est d’ailleurs un thème omniprésent dans les films de Kang Jin-A, toujours dans le troisième film projeté, 49th Day, beaucoup plus court, moins de dix minutes, et également dans son plus récent, Paprika Feast, qui a lui des accents de long-métrage évidents, absurde (au sens noble du terme) film noir contant les mésaventures d’un petit village où l’on retrouve le corps d’une jeune femme qui menace de faire mauvaise publicité à la localité spécialisé dans le poivron. La mort y est donc toujours présente, et l’on devine dans ce dernier film tout le potentiel de la jeune femme à passer au long. Cela tombe bien, puisque Kang Jin-A aurait dû être présente à l’occasion de cette mise à l’honneur au FFCF 2011 mais a finalement dû annuler sa venue… car elle commençait tout juste le tournage de son premier long-métrage ! Voilà déjà un film que j’espère voir apparaître au programme de l’édition 2012 du Festival Franco-Coréen du Film…

L’évènement du jour au Festival, si l’on excepte la venue de Jung Yumi bien sûr, c’était les projections successives des différents films tirés d’un même sujet, et dont j’avais déjà vu vendredi soir la plus récente version datant de 2010, Late Autumn (oui, celui-là même que j’ai légèrement malmené dans un billet précédent…). En début d’après-midi, c’était donc The Promise of the Flesh de Kim Ki-Young que je n’ai pas vu, et avant la séance du soir, en rediffusion, du Late Autumn 2010, un remake datant de 1981, déjà intitulé Late Autumn et réalisé par Kim Soo-Yong. L’œuvre d’origine, dont plus aucune copie ne semble exister, avait été réalisée en 1966 par Lee Man-Hee, et les trois versions vues au FFCF sont donc des remakes.

Je suis allé à la version 1981, curieux de comparer avec la « chose » interprétée par Hyeon Bin et Tang Wei, et persuadé que de toute façon, cela ne pourrait être pire. J’ai été assez déçu de découvrir qu’à défaut d’être pire, la version 1981 de Late Autumn n’était déjà pas fameuse… L’histoire on la connaît donc, c’est celle d’une femme condamnée à la prison pour meurtre qui se voit autorisée deux jours de permission pour aller se recueillir sur la tombe de sa mère. Sur le chemin, elle croise la route d’un homme, mauvais garçon mais charmeur, qui va bouleverser ces deux jours de liberté. Après avoir vu deux versions de cette histoire, je finis par me dire que c’est le sujet qui décidément ne me séduit pas, et qui s’avère inlassablement mal mis en valeur par les cinéastes qui s’y frottent. Au-delà du plaisir de découvrir la comédienne Kim Hye-Ja jeune (vous savez, la mère du Mother de Bong Joon-Ho), et d’un thème musical amusant mais trop présent, le film lasse vite. La scène d’ouverture, pleine de défiance sexuelle, laissait augurer d’un film provocateur, mais très vite il s’installe dans un confort d’une mollesse désespérante.

Trop mou, trop long le Late Autumn de 1981. Le scénario tourne à vide, et si l’on pense au remake 2010, plutôt fidèle à cet autre remake, on ne peut que constater son incapacité à améliorer cette histoire déjà bancale. Peut-être les versions plus anciennes sont-elles plus regardables ?

En sortant de cet épisode somnifère, alors que l’essentiel du public constituant la foule squattant les trottoirs du cinéma, foule dans laquelle j’ai frôlé l’actrice Jung Yumi comme décrit plus haut, trépignait de découvrir (ou pour certains revoir, qui sait, l’être humain peut parfois être diablement étrange) Late Autumn avec Hyeon Bin, je me suis doucement mis en position d’attente pour Possessed, le film d’horreur de la sélection. Le film était à l’affiche en Corée lorsque j’y suis passé à l’été 2009, l’opportunité de le voir enfin en salles était donc savoureuse.

Le réalisateur Lee Yong-Joo, assistant réalisateur sur Memories of Murder de Bong Joon-Ho, gage de qualité par excellence, y conte l’histoire d’une étudiante, Hee-Jin, dont la jeune sœur disparaît de chez sa mère. Préoccupée, elle retourne à l’appartement familial pour découvrir que sa mère, chrétienne intégriste, jure que seule la prière fera revenir la gamine. Pressant un policier de mener une enquête, Hee-Jin va peu à peu découvrir qu’il se passe des choses étranges dans cet immeuble, où les suicides suspects s’enchaînent depuis la disparition de sa sœur.

Après la lassitude de Late Autumn, rien de tel qu’on bon p’tit coup de flip pour finir la journée, et le week-end, dans la joie. C’est ce que j’attendais de Possessed, et c’est qu’il avait à offrir : du frisson. Si le film ne parvient pas à maintenir la tension sur toute la longueur, voulant trop en mettre plein la vue vers la fin, et perdant de cette part de mystère qui fait naître la peur, Lee Yong Joo réussit tout de même son coup de jouer avec l’austérité et l’angoisse qui peut découler de la religion et de son fanatisme. J’ai toujours trouvé que les églises chrétiennes coréennes, avec leurs croix baignées de lumière dans la nuit, avaient quelque chose de flippant, et ce n’est pas Possessed qui va m’enlever cette idée de la tête. Deux rangs derrière moi, une spectatrice était totalement paniquée devant le film, surtout dans la première demi-heure, émettant des bruits d’inquiétude constante particulièrement drôles (eh oui, la peur des uns peut faire l’amusement des autres).

Par contre il est temps de distribuer un carton rouge au projectionniste de la salle 2 du St-André des Arts. Déjà la veille, il avait été à deux doigts de gâcher totalement la projection de Hello Ghost avec son incapacité chronique à faire la mise au point sur la copie 35mm du film. Dimanche, il a confirmé ses lacunes avec Late Autumn et Possessed. Pour chacun des films, il a mal géré un changement de bobines, nous sortant des deux films par un écran noir suivi du compte à rebours du début de bobine. Et comme si cela n’était pas suffisant, conséquemment à cette erreur sur Possessed, il a eu bien du mal à refaire la mise en point, nous laissant une fois de plus dans le flou pendant de longues minutes. Le métier de projectionniste vit déjà des heures difficiles, il n’a certainement pas besoin d’une telle mauvaise presse. Alors reprend-toi l’ami, et montre-nous que tu es un pro !

dimanche 16 octobre 2011

Festival Franco-Coréen du Film 2011 : un tueur, des larmes, et une Alien sexy en bikini (ou presque)

Depuis plusieurs jours, les films m’assaillaient pour essayer de me tirer des larmes. J’en entendais qui reniflaient pour contenir leur émotion, mais non, les retrouvailles des filles de Sunny ne m’ont pas ému à ce point-là, et non, la romance impossible entre Hyeon Bin et Tang Wei dans Late Autumn ne m’a pas déchiré, ou alors de rire. Je croyais donc être à l’abri lorsque je suis allé au Festival Franco-Coréen du Film samedi après-midi. Mais une bourrasque émotionnelle inattendue m’a emportée.

Il était autour de 18h30 dans la salle 2 du St-André des Arts. Perché au sixième rang, exactement au centre de l’écran, à l’instant précis où dans la rue repassait pour la troisième fois de la journée un mec en pousse-pousse cycliste, à la seconde exacte où un pigeon se posait tranquillement sur la tête de la statue de Molière rue de Richelieu, au moment même où Sébastien V., 34 ans, assis au Gaumont Marignan devant Les Trois Mousquetaires 3D, se disait que finalement, il aurait dû prendre du pop corn à grignoter devant le film, oui à cet instant-là, j’ai versé une larme devant un film du Festival Franco-Coréen du Film.

Ce n’était pourtant pas le film que j’attendais le plus en ce samedi, cinquième journée du festival. Cette étiquette était réservée à Anti-Gas Skin, le film annoncé si strange du duo Kim Gok et Kim Sun. Et strange, il l’est bel et bien, mais comme End of Animal la veille, il est des raisons de se demander si faire du cinéma étrange, profondément énigmatique et potentiellement métaphorique est un gage de qualité en soi. Je ne renie aucunement la nécessité de montrer et voir un film tel que Anti-Gas Skin, mais je me demande s’il y a autre chose à en tirer qu’un paluchage interprétatif post-projection. Car dans la vérité et le plaisir immédiat, le film me pose problème.

Tout d’abord le long-métrage est à peu près impossible à résumer, mais ce n’est pas là une faute. Il fourmille de personnages et de pseudos intrigues, alors réduisons cela à la présence d’un tueur en série dans les rues de Seoul qui opère camouflé derrière un masque à gaz ; un député qui se présente comme candidat à la mairie de la ville ; une adolescente à barbe qui est le gourou d’une petite secte suicidaire ; et un flic qui se rêve justicier costumé et est persuadé qu’il est le seul à pouvoir arrêter le fameux tueur au masque à gaz.

En guise de présentation, la programmatrice nous a notamment mentionné l’hommage voulu dans le film à Robert Altman, et je vois bien que dans ces destins croisés de citadins, les cinéastes lorgnent en effet sur le Altman époque The Player et Short Cuts, bien sûr dans une lignée fantaisiste. Le problème principal de Anti-Gas Skin réside dans son incapacité chronique à faire naître tout enjeu scénaristique. Chaque scène nous plonge dans l’expectation d’une tension à naître qui finalement n’arrive jamais. Chaque scène induit des évènements imminents qui ne pointent jamais le bout de leur nez. Chaque agencement du montage, chaque enchaînement d’un plan à l’autre, induit une dangerosité qui en fait ne décolle jamais et reste à l’état larvaire. La folie reste circonscrite à une impression.

Bien sûr il y a toute une symbolique derrière le dédale scénaristique qui à un moment creuse les méninges. Mais plus le film avance, moins cela semble avoir de l’importance. Il arrive un moment, non défini, juste une sensation qui s’installe, où à force de ne jamais chercher à faire décoller la tension de son film, à ne jamais se lâcher et plutôt tout contenir, la curiosité se perd en route. Super Bok-Shi, le flic adepte d’arts martiaux qui court après le tueur, maintient le film à flot par son grain de folie qui fait battre le cœur de l’intrigue, mais les autres personnages s’enfoncent dans un cercle monotone duquel ils ne parviennent à s’extraire. Je n’ai même pas mentionné le GI américain dont la fiancée coréenne a été assassiné, qui est un personnage absolument pathétique tant ses dialogues sont ridicules et le jeu du comédien absolument risible. Est-ce voulu de la part des réalisateurs ? Espérons-le. Je suis sorti un peu décalqué d’Anti-Gas Skin, frustré de cette matière riche qui n’arrive à rien mais qui aurait pourtant pu offrir tant.

J’avais envie de très vite retourner en salle pour un film plus direct, après cette déception de constater que mon film le plus attendu de la journée s’était posé sans faire de bruit alors que j’attendais un crash violent. Hello Ghost semblait un film gentil et sympathique à même de calmer ma frustration. Mais la douleur dans laquelle le film a commencé à être projeté m’a fait un temps penser que j’étais peut-être embarqué pour une journée maudite. Pendant un bon quart d’heure (voire même un peu plus), le projectionniste du St-André des Arts s’est montré incapable de faire la mise au point sur la copie. L’image restait désespérément floue tandis que la salle se tournait régulièrement vers lui, abasourdie de constater que le film se déroulait sous nos yeux sans qu’on le voie vraiment (alors que les sous-titres eux, projetés de la salle elle-même, étaient tout à fait lisibles).

Essayez donc de rentrer dans un film en passant les quinze premières minutes sans focus. C’est dur, et désagréable. Un moment j’ai envisagé de quitter la salle. D’autant qu’au bout de ce quart d’heure, le projectionniste avait trouvé une mise au point qui semblait à peu près lui convenir et n’était donc plus affairé en cabine, mais à l’écran, le résultat était peu probant. D’après ce que j’ai cru voir, il semble que ce soit quelqu’un du staff du festival qui s’est introduit en cabine pour tenter de faire mieux que le projectionniste, et effectivement, à partir de ce moment-là, le focus a offert une meilleure tenue, même si ce n’était pas parfait.

Enfin. Au bout du compte, je suis peu à peu parvenu à rentrer dans la vie de Sang Man, ce jeune homme suicidaire qui après une tentative ratée de mettre fin à ses jours se réveille à l’hôpital et découvre… qu’il peut voir les morts. Quatre en particulier qui ne le lâchent pas, deux hommes, une femme et un enfant. Décidé à s’en débarrasser, Sang Man accepte de les aider à accomplir chacun une volonté. Avec ma difficulté à rentrer dans le film en raison des problèmes techniques pourtant, le film semblait d’emblée un peu faiblard.

Mais à force, on finit par trouver les personnages attachants, et malgré un décalage de quelques secondes dans l’affichage des sous-titres qui faisait tomber à plat nombre de répliques, Hello Ghost prenait lentement mais sûrement le chemin de la comédie réussie, drôle avec quelques grains de folie. Et puis sans prévenir, le missile est tombé. Alors que le film se dirigeait vers une sortie appropriée et sage, Kim Yeong-Taek, le réalisateur, a sorti sa botte secrète. Un twist final inattendu nous bombardant d’émotion. Tout à coup je me suis senti con. « Nan. Nan. Nan attend c’est pas vrai. Qu’est-ce qu’il me fait là. J’y crois pas. Pas ça. Nan. Oh le con il va me faire chialer. Je le sens ça monte là. Ca y est j’ai les yeux humides je le sens. Attend attend. Ah d’accord carrément. Je l’ai pas vue venir celle-là. Oh merde ça y est j’ai la larme à l’œil. Le salaud il m’a bien eu ». Partout dans la salle, les nez reniflaient, les mouchoirs s’activaient. Hello Ghost ne promettait pas grand-chose, mais parfois, c’est lorsque l’on en attend le moins que l’on se laisse le plus emporté, et c’est ce qui est arrivé en fin d’après-midi lorsque ma larme a coulé devant cette comédie sensible.

En sortant, il s’agissait d’avouer que oui, moi aussi j’ai versé ma larme devant Hello Ghost, alors qu’on arrête de me dire que je suis insensible parce que j’ai trouvé Late Autumn pathétique. Les blogueurs de Kim Bong Park ne nous croyaient pas quand on leur disait que l’émotion avait été au rendez-vous de cette improbable comédie. Eh non les gars, je ne déconnais pas. En début de soirée, on s’est tous trouvés à la séance de rencontre avec Yoon Sung-Hyun, le réalisateur Bleak Night. Une fausse masterclass pour ce jeune cinéaste mis à l’honneur par le FFCF. Très vite je ne me suis pas senti à ma place dans la salle. J’avais eu du mal à suivre Bleak Night à cause de cette satanée lumière qui m’avait perturbé pendant tout le film, je n’étais donc pas un fervent fan du film, et je n’avais vu aucun des courts-métrages.

Du coup, la conversation qui s’est engagée avec le cinéaste m’a peu passionnée, à l’exception d’une question posée par Pierre Ricadat, l’un des programmateurs du festival, à propos de l’école de cinéma dont Yoon est issue. Le réalisateur nous a éclairés sur le fonctionnement de cette école, et les informations étaient assez passionnantes. Le reste des questions et réponses ont manqué de proprement m’intéresser, du fait de ma méconnaissance du personnage. Je ne mentionnerai même pas quelques questions du public qui se sont révélées… étonnantes pour rester diplomatique. J’aurais sûrement mieux fait de zapper la rencontre pour aller manger tranquillement (choses que j’ai peu fait depuis le début du festival) avant la dernière séance du jour, Invasion of Alien Bikini.

Quiconque attendait du film de Oh Young Doo d’être LE film du festival était promis à la déception, mais en y allant avec l’amour de l’absurde, le rendez-vous était immanquable et culte avant l’heure. Le titre parlait pour lui-même, même si la rumeur bruissait dans les couloirs du festival qu’on ne trouverait que peu d’Aliens et point de bikini dans le film. Quoiiiiii ? C’est vrai ? Mais moi je veux voir des aliens sexy en bikini qui envahissent la Terre moi, le titre me le promet, je le veux !

J’ai découvert en voyant le film que le déploiement de la rumeur sur l’absence de bikini dans le film était en fait la petite bête cherchée par des spectateurs pointilleux. Certes, ils ont raison, on ne trouve point d’Alien en bikini dans Invasion of Alien Bikini. En réalité, l’alien en question passe les trois-quarts du film en sous-vêtements plutôt sexy qui lui vont à ravir (oui, l’Alien a les traits et le corps d’une ravissante jeune femme, elle ne mesure pas 2m50 et n’est pas bleue). Bon, c’est déjà ça de pris. Et le reste ? Le reste, c’est une comédie parodique et absurde souvent délirante ou un justicier anonyme de Seoul sauve une belle jeune femme qui se fait agressée par une bande de mecs. Il la ramène chez lui, elle tente de le séduire, car il ne sait pas qu’elle est une Alien cherchant à se reproduire…

Non, Invasion of Alien Bikini ne restera pas dans les annales, probablement même pas dans les annales des nanars et autres séries B tendance Z rendant hommage à l’amour de l’absurde. Mais il y règne dans sa première partie une telle vigueur comique (l’intrigue interrompue par une coupure pub pour Rolex, c’est divin) qu’on peut bien lui pardonner de n’être qu’une gentille comédie SF délirante. Un samedi soir, entre 22h et minuit, c’est le genre de films qu’il est savoureux de se coller au palais dans une ambiance de festival. D’autant plus qu’il confirme le grand écart osé par les programmateurs et laisse penser qu’après les surprises, bonnes ou mauvaises, du jour, le FFCF 2011 peut encore nous étonner. Tant mieux.
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