mercredi 31 octobre 2012

Festival du Film Coréen à Paris 2012, 1er jour : Masquerade en attente...


Relater un festival en publiant uniquement les critiques des films que j’y verrais n’a jamais vraiment été ma tasse de thé. Si de bons films peuvent faire un bon festival, les rencontres, péripéties et partages font autant partie de l’aventure que les films vus.  Et si j’ai bien l’intention de parler quotidiennement des films que je verrai au 7ème Festival du Film Coréen à Paris (FFCP), ne comptez pas sur moi pour mettre en ligne les unes à la suite des autres des critiques des dits films.

Pas lorsque le festival en question sera mon quotidien pendant huit jours et que j’y vivrai bien plus que des films. Pas après avoir vécu la cérémonie d’ouverture en pensant à mes compagnons blogueurs de Made in Asie et Kim Bong Park qui ont préféré fuir l’évènement à l’annonce de son succès annoncé. Pas après avoir attendu que mes pieds soient gelés au fond de mes baskets avant d’enfin pouvoir pénétrer dans cette salle 3 du Saint-André-des-Arts, rue git-le-cœur, après avoir vu tous les gens munis d’un carton d’invitation aller s’installer au chaud pendant que moi et quelques personnes munies d’une accréditation attendions que notre sort soit tranché.

Resterait-il assez de fauteuils pour nous caser ? Serions-nous obligés de suivre l’ouverture du festival debout dans la salle (perspective peu réjouissante lorsqu’il s’agit d’un film de plus de deux heures) ? Ou bien cette salle déborderait-elle tellement de monde que nous nous verrions contraints d’aller aligner les pintes avec le staff du festival pour noyer notre amertume de n’avoir pu accéder à Masquerade, le film ouvrant le festival… non que cette perspective eut pu nous accabler , le plaisir eut été manifeste, mais que voulez-vous, savoir que LE film coréen du moment, qui a passé les 10 millions d’entrées au box-office local, allait être projeté à quelques mètres de nous et que nous n’étions qu’à quelques centimètres de pouvoir poser nos yeux dessus sur grand écran, cela dépassait tout autre projet potentiel. Après tout, je brode, je brode, mais ce sont pour les films qu’on vient…

Où en étais-je moi ? Oui, les pintes, le froid, Made in Asie et Kim Bong Park absents. Mais dans ces ténèbres qui promettaient de se refermer sur nous d’un instant à l’autre quand les invités se faisaient toujours plus nombreux à entrer en salle tandis que nous restions penauds sur le trottoir, prêts à affûter nos armes lorsque viendrait le moment de nous jeter les uns sur les autres pour décrocher le strapontin restant… la lumière se fit. Il reste de la place !, allez en piste, les portes s’ouvrent, nous allons bien y avoir droit à Masquerade, et ayant demandé à une amie qui faisait partie des invités de me garder une place, au cas où je parviendrais à me faufiler, je n’eus même pas à me contenter du premier rang (merci Marie-Fleur).

Aaaah, ce soulagement de trouver un fauteuil pour soi lorsque quelques instants plus tôt, l’on doutait encore de pouvoir entrer… Oui, monsieur l’Ambassadeur, faites-nous un discours, avec plaisir ! Et Pierre Ricadat, cher chef programmateur, parle-nous de ces films qui nous attendent pour les huit jours à venir ! Et tiens, allez, il est déjà tard, mais accueillons le bonhomme de Mediavision et ses publicités, on s’en serait bien passé mais après tout, l’euphorie de savoir que dans quelques minutes, même pas, quelque secondes, Masquerade jouera sur l’écran, transforme tout en enchantement.

Dans ces moments-là, difficile de déterminer si l’on est plus enclin à être réceptif au film qui suit, ou si le risque de voir l’euphorie retomber peut rendre irascible. Mais quand Masquerade a commencé, le reste s’est trouvé relégué à l’arrière-plan. Je n’avais qu’une envie, me laisser transporter dans la Corée du 16ème siècle, sous le règne du Roi Gwang-Hae, dans les couloirs de son Palais où complots, politiques et menaces le poussent à demander à son premier conseiller de lui débusquer une doublure qui lui serait bien utile en ces temps où nombreux sont ceux qui à la cour aimeraient l’empoisonner. Le sosie est trouvé, et lorsque le roi est effectivement empoisonné et dans un état préoccupant, le conseiller craignant que cette nouvelle ne déclenche le chaos décide d’installer la doublure sur le trône en attendant que l’original se rétablisse.

Si vous vous dites « Hé, y aurait pas un peu de Kagemusha là-dedans ? », je vous répondrais effectivement, même si ambiance asiatique mise à part, Masquerade m’a plutôt fait penser à « Président d’un jour » d’Ivan Reitman (drôle de comparaison, non ?). Mais si, vous savez, ce film où Kevin Kline joue le Président des États-Unis et le sosie qui est embauché pour le supplée mais qui commence à faire un meilleur boulot que le vrai patron… Mais ce serait bien réducteur de se contenter d’affilier Masquerade à « Président d’un jour ». Parce qu’au-delà du cadre à l’évidence à mille lieues de là, le film de Choo Chang Min est profondément coréen. Pur film en costumes comme les coréens savent les faire et les apprécier, Masquerade navigue entre drame solennel et comédie avec une aisance confondante.

L’humour, d’abord nettement scato (inquiétant ?), parvient à trouver un ton bon enfant qui fait régulièrement mouche. Il est là pour désamorcer une intrigue en costumes magnifiquement léchée mais tout de même un brin solennel, voire trop solennel lorsque dans son dernier acte le film s’étire et perd de cet équilibre divin qui le parcourait jusqu’alors. Oui, le film est trop long, oui le patriotisme exacerbé qui en transpire peut prêter à sourire, mais la belle gueule bien sympathique de Lee Byung Hun (que l’on avait laissé ange de la mort dans « J’ai rencontré le Diable ») et les seconds couteaux parfaitement affutés que sont Ryu Seung Ryong, Kim In Kwon et Jang Kwang nous maintiennent bien ancrés au récit.

Comme l’an passé avec le coloré Sunny, le Festival a su trouver un film léché et prenant pour sonner le lancement d’une semaine de films coréens que l’on espère pleine de promesses. A la sortie, se diriger vers le bar pour célébrer cette première projection réussie s’offrait à nous… Mais boire ou écrire…

dimanche 28 octobre 2012

Compte à rebours lancé pour l’orgie de films coréens


J’aimerais entendre parler coréen toute l’année dans les salles de cinéma hexagonales. J’aimerais que ces sonorités si particulières que j’ai appris à comprendre (pour certaines) et apprécier résonnent plus souvent sur nos grands écrans français dont ils restent trop évidemment absents. Hong Sang Soo réalise un à deux films par an, et n’étaient-ce les longs-métrages du réalisateur de "Ha Ha Ha", les cinéphiles français oublieraient presque à quoi ressemblent les douces intonations de la langue coréenne. Ces mêmes cinéphiles ne se lasseront-ils d’ailleurs pas un jour de ne voir que les films de celui dont on dit qu’il refait inlassablement le même film, et qui pousse le vice jusqu’à raconter, au sein d’un même film, plusieurs déclinaisons d’une même histoire et plusieurs facettes de mêmes personnages comme dans son charmant « In another country », aussi drôle et singulier que puisse être un film de Hong Sang Soo ?

Mais halte à la mélancolie, car voici venu le moment tant attendu pour tout amateur de cinéma coréen habitant la région parisienne. Le moment de l’orgie de films coréens que nous ne pouvons pas déguster le reste de l’année sur grand écran. Le moment du Festival du Film Coréen à Paris, ex-Festival Franco-Coréen du Film, qui nous parvient pour la septième année consécutive.
Il y a différentes façons d’appréhender un festival de films. Lorsque l’annonce des films tombe, que l’évènement se dévoile et que les titres des films que l’on pourra y découvrir sont enfin connus, on peut se plonger un à un dans les films, lire les synopsis, regarder les photos, découvrir les bandes annonces… Peut-être pour avoir un avant-goût de ce qui nous attend pendant les huit jours de festival… ou peut-être pour pouvoir faire une sélection de films, viser ceux qui nous parlent le plus car les journées ne durent que 24 heures et qu’il n’est pas dit qu’il sera possible de voir tout ce que l’on aimerait voir. C’est en général ce que je fais pour L’étrange festival.

Mais au Festival du Film Coréen à Paris (FFCP pour les intimes que nous sommes), je préfère sauter sans filet. Plonger dans tous ces films coréens la tête la première sans trop réfléchir. Je veux en savoir le moins possible pour être d’autant plus surpris. Je reste à la surface des films pour ne pas me poser de questions et en profiter du premier au dernier. Je ne veux pas ne pas avoir le temps, je ne veux pas avoir à faire un choix. Je veux étirer les jours pour que tous rentrent dans mon emploi du temps. L’année dernière, j’y étais parvenu, à quelques courts-métrages et avant-premières près. Les avant-premières de films qui sont assurés de sortir en salles, voilà les premiers sacrifiés. Je sais d’ores et déjà que cette année, je n’irai pas voir « L’ivresse de l’argent » de Im Sang-soo, sachant que dans trois mois il sera à l’affiche.

Et tous les films ne me sont finalement pas inconnus. J’ai perçu les bruissements du documentaire « Two Doors » lorsqu’il était sorti en Corée, j’ai entendu les acclamations du box-office lorsque le film d’ouverture (mardi 30 octobre), « Masquerade », et celui de clôture (mardi 6 novembre), « Thieves », ont squatté les sommets du box-office coréen, jusqu’à en battre le record pour le second. J’ai aperçu les visages de Ha Jung-Woo et Choi Min-Sik sur l’affiche de « Nameless Gangster ». Mais dans ses largeurs, le FFCP m’offrira dès mardi soir de la surprise. De la découverte. De l’inconnu. Des rires et des larmes. Peut-être de l’ennui, mais surtout de l’excitation. J’y rencontrerai un jeune cinéaste, Kim Kyung Mook, peut-être promis à une belle carrière. J’y découvrirai des films ayant fait scandale dans le passé, promettant fièvre et érotisme. J’y passerai mes journées et mes soirées, j’y discuterai âprement avec d’autres amateurs de cinéma qui n’auront pas les mêmes opinions que moi, des cinéphiles, des amatrices de K-Pop s’ouvrant un nouvel horizon, des coréens fiers de voir les parisiens venir en masse découvrir le cinéma de leur pays. Parce que nous viendrons en masse, n’est-pas ? Vous n’allez tout de même pas me laisser y aller seul ?

mercredi 24 octobre 2012

L’alchimie d’un après-midi de films


Quand l’heure d’enchaîner plusieurs films dans une même journée a sonné, trouver la bonne combinaison ne saurait forcément être laissé au hasard. Depuis que je suis « tombé » dans le cinéma, dans cette passion et cette obsession qui me poussent chaque semaine à guetter les sorties et à aller voir chaque film qui me tente sous peine de grosse déprime, j’en ai enchaîné, des films. J’en ai vécu, des journées où j’alignais deux, trois, quatre films. Et j’ai appris qu’il y a une certaine alchimie d’émotions et de sensations auxquelles il est parfois nécessaire de penser lorsqu’il s’agit de choisir les longs-métrages à faire se succéder.

Enchaîner des divertissements à la pelle, ce n’est pas si difficile, mais dès lors que l’on touche à des genres plus sérieux, des sujets plus délicats, des œuvres plus fortes, il n’est pas aisé de les voir les uns à la suite des autres comme s’ils n’avaient aucun impact sur nous. Combien de fois ai-je abandonné l’idée d’enchaîner un second film lorsque le premier m’avait bouleversé, ému, déstabilisé et que je ne me sentais pas en état de pénétrer dans un nouvel univers cinématographique si vite alors que tout ce que je souhaitais, c’était laisser le premier film infuser en moi.

Si les exceptions sont bien sûr nombreuses (pas évident de faire la fine bouche en festivals et laisser les films trouver leur place en nous avant d’embrayer sur les autres…), j’ai donc appris à étudier soigneusement , autant que faire se peut, l’ordre à choisir pour une après-midi de films, en gardant soigneusement dans un coin de ma tête cette alchimie potentielle qui ferait qu’en sortant d’un long-métrage, je me dirige sans mal vers le suivant. Comme ne pas prévoir une comédie avec Adam Sandler après un film de Terrence Malick, ou un film turc de 2h30 après le Tintin de Spielberg, sous peine de tomber dans les vapes en douze minutes chrono.

Pourtant malgré mon soin du détail, parfois, je ne peux pas me permettre de chercher à harmoniser l’enchaînement des films, mais sans le vouloir, l’harmonie vient d’elle-même. Le retard s’est accumulé, je choisis deux films qui commencent à ne plus avoir beaucoup de salles, je trouve un moyen de les combiner et d’y ajouter un troisième film étant projeté dans le quartier et qui s’emboîte bien niveau horaire, et je m’aventure vers un trio cinématographique, en croisant les doigts pour que la vision de l’un ne coupe pas mon envie d’aller voir les suivants.

Il y a quelques jours, la journée a commencé avec « Dans la maison » de François Ozon, la pièce rapportée bonus s’ajoutant à mes deux films en retard (un risque, de commencer par le film qu’il n’est pas indispensable de voir maintenant, mais la disponibilité des deux suivants a dicté ce choix). Cela faisait bien longtemps qu’un film du cinéaste français n’avait eu droit à une si jolie réputation, une réputation dont j’ai pu constater toute la validité de mes propres yeux. Ozon y fait montre d’un art jubilatoire de la mise en abyme à travers ce professeur de lettres aiguillant l’un de ses élèves dans l’écriture. En plus de nous narrer une histoire captivante, Ozon prend lui-même un malin plaisir à perdre le spectateur, à jouer avec son récit pour nous faire constamment douter de ce qui sépare fiction et réalité.

« Dans la maison » est de ces films qui donnent un coup de fouet curieux et nous donne envie de cinéma, et de nous replonger vers un autre film, pour être de nouveau manipuler. Parfait lorsque l’on a prévu d’enchaîner quelques films, n’est-ce pas ? Ce fut d’autant plus parfait que j’enchaînai avec « Elle s’appelle Ruby », le nouveau film du duo Jonathan Dayton et Valerie Faris, dont on guettait le retour depuis « Little Miss Sunshine » en 2006. Le hasard, ou presque, a donc voulu que l’enchaînement soit idéal entre ces deux premiers films de la journée, le film indépendant américain traitant lui aussi de l’écriture, de la création, de la confusion entre réel et imaginaire. Le film va moins loin que son homologue français, il ne procure pas le même plaisir, mais on trouve dans « Elle s’appelle Ruby » une légèreté, une douceur qui au milieu d’une après-midi cinéma se ressentent comme une douce brise d’air frais. Après « For Ellen » un mois plus tôt, Paul Dano a décidément l’art de se trouver dans de jolis films ces derniers temps (ça a toujours été le cas, non ?)… Et en l’occurrence, un film dont on sort assez heureux, et prêt à s’aventurer plus loin dans l’offre cinématographique.

Ce « plus loin » sera très loin, à des années-lumière de la fraîcheur agréable de « Elle s’appelle Ruby ». Les circonstances l’ont voulu ainsi, mais finalement, ce fut très bien de voir « Después de Lucía » en fin de journée, avec le temps nécessaire derrière pour laisser le film être digéré. Car j’en suis sorti hébété, de ce récit d’une adolescente qui débarque à Mexico après le décès de sa mère et va voir son quotidien écrasé par le comportement de ses nouveau camarades à son égard, lorsqu’ils vont sans crier gare la traiter comme une carpette que l’on piétine et tord en tous sens.

La tension qui m’a habité à la vision du film, cette nervosité qui ne m’a pas lâché, cet énervement même, dans cette capacité à nous plonger dans la peau d’un personnage et son mal-être, m’a rappelé l’état dans lequel m’avait plongé Compliance de Craig Zobel quelques semaines plus tôt. On s’y sent perdre pied, suffoquer, s’agacer tout en ayant la sensation d’avoir affaire à une œuvre forte. Une œuvre qui ne cherche pas à prendre le spectateur dans le sens du poil mais à le malmener en même temps qu’elle malmène ses personnages. Ce n’est pas la première fois que le cinéma mexicain nous propose un tel défi cinématographique, et j’espère bien que ce ne sera pas la dernière. En dehors de la salle, quelques minutes après l’avoir quittée, j’ai eu du mal à retrouver mes repères, mais j’étais bien content de ne pas avoir à retourner dans une salle découvrir un autre film. Après « Después de Lucía », j’avais besoin de retrouver mon souffle et de repenser à ce à quoi je venais d’assister.
Et cette sensation, même s’il arrive qu’elle me prive d’autres films tant je veux la conserver dès qu’elle me frappe, je la chéris lorsqu’elle me trouve.

vendredi 19 octobre 2012

Frankenstein, de la scène à l'écran


La vie de cinéphile est jalonnée de choix cruels à faire, de séances alléchantes qui s’offrent et entre lesquelles il faut trancher. Certains me diront « Genre, devoir choisir entre Taken 2 et Resident Evil 17 au cinéma ? », à quoi je répondrais « Genre, mais pas vraiment, non ». Ben Affleck ayant réalisé deux petites bombes en guise de premier et second film derrière la caméra, Argo figure naturellement parmi mes films les plus attendus de l’automne. Des mois que je l’attends, et les échos arrivés des festivals de la rentrée, Telluride et Toronto, n’ont rien fait pour diminuer ma forte envie de voir la troisième réalisation du monsieur.

Alors forcément, quand j’ai découvert, en feuilletant mon Pariscope un mercredi matin comme les autres, qu’Argo allait être projeté à l’UGC Ciné Cité Les Halles un mois avant sa sortie française, calée début novembre, en présence de Ben Affleck himself, mon sang n’a fait qu’un tour. « Ouuuuh pinaise, en v’la une que tu vas pas rater David » m’a soufflé Homer (oui, Homer Simpson me parle parfois…). Du moins l’espérais-je, jusqu’à ce que je voie le jour où aurait lieu cette avant-première : lundi, 19h45. Une bonne douzaine de noms d’oiseaux me sont passés par la tête à cet instant, et au moins un a dû traverser mes lèvres. Évidemment, il fallait que cela tombe ce soir-là. Le soir où j’avais déjà un rendez-vous alléchant sur grand écran, un rendez-vous d’autant plus alléchant qu’il était inattendu et rare. Voir dans une salle de cinéma la captation de Frankenstein, la pièce de théâtre mise en scène par Danny Boyle et jouée il y a quelques mois sur la scène londonienne.

J’aurais pu ne pas m’intéresser plus que cela à du théâtre filmé, si Benedict Cumberbatch n’était pas l’une des deux têtes d’affiche de la pièce adaptée de l’œuvre de Mary Shelley. Depuis que je l’ai découvert dans la nouvelle mouture de « Sherlock Holmes », je suis avec beaucoup d’intérêt la carrière de l’anglais, et si j’ai pu le voir ces derniers mois dans « La taupe » ou « Cheval de guerre », la perspective de le voir jouer sur scène, même si seulement sur grand écran, me semblait incontournable. La particularité de ce Frankenstein version Danny Boyle, c’est que d’un jour sur l’autre, selon les représentations, les deux comédiens se donnant la réplique échangeaient leurs rôles. Un soir, Benedict Cumberbatch incarnait le Docteur Frankenstein, le suivant, il se glissait sous les traits de sa créature, pendant que Jonny Lee Miller, révélé il y a plus de quinze ans au cinéma dans le Trainspotting de Danny Boyle, enfilait l’autre costume.

Oui bon, j’en entends dire « Jonny Lee Miller ?? », et effectivement depuis Trainspotting, celui-ci n’a pas eu une carrière des plus excitantes, et la perspective de le voir jouer la créature de Frankenstein me laissait craintif. La bonne nouvelle, c’est que le National Theater Live, qui retransmet donc aux quatre coins du monde dans des salles de cinéma quelques pièces jouées au National Theater londonien, avait fait le choix judicieux de proposer les deux versions à deux dates différentes. Un soir, la version avec Jonny Lee Miller en créature, et un autre soir la version avec Benedict Cumberbatch en créature.

Je n’ai pas hésité bien longtemps sur la séance à choisir, et lorsque la nouvelle de l’avant-première d’Argo est tombée, j’avais déjà acheté mon billet pour Frankenstein le même soir, avec Benedict Cumberbatch en créature, au Gaumont Parnasse. Sur Paris, tous les cinémas Gaumont proposaient la projection de la pièce, il n’y avait qu’à choisir. Je m’attendais à trouver de nombreux amateurs de théâtre, alléchés à la perspective de voir une pièce londonienne sur grand écran avec sous-titres français, mais lorsque j’ai mis le pied dans la salle – de taille moyenne – je l’ai trouvée fort peu fréquentée. Certes nous étions à un bon quart d’heure du début de la projection, mais lorsque finalement la lumière s’est éteinte, moins de 70% des fauteuils avaient trouvé preneurs.

La projection a commencé par une présentation du programme de retransmission des pièces du National Theater sur grand écran, avant de partir dans les coulisses de la pièce qui nous intéressait tout particulièrement, Frankenstein, et d’apercevoir Danny Boyle au travail en répétitions avec ses comédiens.

C’est la première fois, me semble-t-il, que j’assiste à la représentation d’une pièce sur grand écran, dans le confort d’une salle de cinéma. Lorsque nous nous sommes enfin trouvés projetés dans la salle du National Theater, ce ne fut pas loin d’être magique. La scène rappelle presque les théâtres antiques romains, circulaire, avec le public la dominant telle une arène, du moins un tiers d’arène. Au plafond, un gigantesque lustre composé de dizaine de petites lumières et posant d’emblée une atmosphère étrange.

Victor Frankenstein, l’homme concevant la créature immortalisée de nombreuses fois au cinéma, est quasi invisible pendant toute la première moitié de la pièce, qui se focalise entièrement sur sa création. Danny Boyle et son auteur projettent la créature sur scène de façon organique. C’est presque un accouchement auquel nous assistons, suivi par une prise de repères, un corps à apprivoiser, un ballet bestial de cet homme monstrueux qui découvre la vie. Les dix premières minutes sont des pas, des chutes, des sons, des cris. La créature devient homme dans cette première partie de la pièce, découvre les mots, la réflexion, et prend vie jusque dans l’intelligence et l’amertume.

C’est un numéro d’acteur incroyable réalisé sous nos yeux par Benedict Cumberbatch. Il est fort et fragile à la fois, imprévisible et impressionnant, il semble capable de tout. Je me demande bien ce que peut bien en faire Jonny Lee Miller de son côté. Celui-ci arrive au bout de 45 minutes sous les traits de Frankenstein, et il s’en sort étonnamment bien en scientifique tiraillé entre le dégoût de sa création et sa soif de reconnaissance.

La mise en scène de Danny Boyle est intense. De ces lumières au plafond qui font battre un pouls au cœur de la pièce, à ce socle tournoyant d’où jaillissent décors et personnages et qui donne un mouvement et une densité étonnante à la scène, on se trouve happé. La caméra nous permet par ailleurs de rester au plus près des acteurs, de chaque souffle, chaque regard fou, chaque goutte de sueur qui perle de leurs visages (des litres). Mais parfois ce sont les scènes les plus simples qui sont les plus fortes, comme ces échanges entre la créature et un vieil aveugle qui le prend en amitié et lui apprend à penser, à lire, à s’exprimer, tente de le diriger vers sa part d’humanité sans parvenir à l’affranchir de sa crainte et de sa bestialité.

Les applaudissements ne se firent pas entendre qu’à l’écran lorsque la troupe vint saluer. Je serais presque curieux de découvrir ce que la pièce devient lorsque les comédiens inversent leurs rôles (projections lundi 22 octobre…). Mais une chose est sûre, je ne regrette pas le moins du monde d’avoir manqué la venue de Ben Affleck pour Argo. D’autres occasions de voir Affleck ou son film se présenteront sûrement à l’avenir. Voir Benedict Cumberbatch en créature de Frankenstein de la scène à l’écran, c’était probablement ce soir-là ou jamais.

mardi 16 octobre 2012

Reality, petit frère de "The Truman Show"


En 1998, la télé-réalité était un concept encore assez vague vu de Gaule. « Big Brother » n’avait pas encore franchi nos frontières, alors voir débarquer « The Truman Show » de Peter Weir avait peut-être quelque chose d’extravagant. Je me souviens de l’anticipation, de l’excitation autour du film. Pas seulement parce que Jim Carrey était la plus grande star comique américaine en 1998, mais aussi, et surtout, parce que le long-métrage semblait immédiatement avoir le potentiel pour devenir un film phare de son temps, précurseur dans ce qu’il allait montrer, et questionner non seulement sur son époque, mais également sur les années à venir. C’était cela, « The Truman Show », un avertissement sur grand écran de ce qu’était en train de devenir le petit écran. Et au-delà du petit écran, de la tournure qu’allait prendre la célébrité, et la perception que tout un chacun se ferait d’elle.

C’était il y a quatorze ans, et c’est peu dire que Peter Weir et Andrew Niccol, le scénariste de « The Truman Show », ont visé juste. Le temps leur a malheureusement donné raison, même si aucun producteur ne s’est encore risqué à faire du concept du film une réalité télévisuelle. Mais quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit où l’on zappe, les chances sont fortes de tomber sur des bimbos filmées 24 heures sur 24, des ch’tis filmés 24 heures sur 24, et tout autre couillon d’être humain qui pense que voir sa vie épluchée par les caméras est le summum de la réussite et du bonheur sur Terre. En 1998, l’heure était à l’avertissement, mais en 2012, c’est le triste constat qui sonne à la porte, sous la forme de Reality, le nouveau film du réalisateur de Gomorra.

Si le constat est triste, le film ne l’est pas. Du moins l’amertume n’empêche-t-elle pas Matteo Garrone d’inscrire son film dans la droite lignée de la noble comédie italienne, où la bouffonnerie souligne le mal-être d’une époque. Luciano est un poissonnier napolitain, figure de son quartier et de sa famille qui aime faire le clown mais se satisfait très bien de le faire pour son proche entourage. Jusqu’au jour où ce même entourage va lui mettre dans le crâne qu’il devrait passer le casting pour participer à « Il Grande Fratello », la version italienne de « Big Brother » (que l’on a connue en France avec « Loft Story », puis de nombreuses déclinaisons). Tout d’abord peu intéressé, Luciano va se prendre au jeu jusqu’à être obsédé par cette émission.

Voilà donc où nous en sommes. A être prêt à tout pour nous exposer aux yeux du monde. A étirer nos quinze minutes de célébrités pour qu’elles s’étendent à la journée entière, et la suivante tant qu’on y est. Ainsi se pose le regard triste de Garrone. Son film est un conte, comme le prouve cette ouverture en calèche et cette conclusion vers les étoiles. C’est un conte comme le prouve la douce musique composée par Alexandre Desplat. Un conte où l’on rit, où l’on pleure, où l’on crie et où l’on s’aime, mais un conte bien réel.

Truman rêvait d’être un homme comme tous les autres. Luciano a peur d’en rester un. Truman paniquait à l’idée de savoir que tout le monde le voyait. Luciano panique à l’idée que personne ne le remarque. Truman se savait épié de tous. Luciano le désire tellement qu’il parvient à se persuader qu’il l’est. Truman était un messager. Luciano est un pauvre bougre comme il en existe aujourd’hui des millions. Hier, c’était un show télévisé. Aujourd’hui, ce n’est plus qu’une réalité.

jeudi 11 octobre 2012

Quelques notes de musique déjà entendues ailleurs…


Je me souviens de cette scène de « Kick-Ass » dans laquelle Nicolas Cage est retenu prisonnier et où sa fille Hit Girl doit le délivrer. Séquence intense dans l’obscurité où poignent le danger et la mort. La musique est là pour accentuer les sensations, une musique à la puissance sans équivoque. Cette musique, ce n’était point une composition de la bande originale, mais l’un des thèmes du beau Sunshine de Danny Boyle, composé par John Murphy. Aussi intense que fut la séquence, et aussi grande que fut la partition de Murphy, la juxtaposition de cette bande originale d’un autre film sur « Kick-Ass » m’avait presque semblé déplacée.

Cette gêne, je l’ai de nouveau ressentie en salles en découvrant « Quelques heures de printemps » de Stéphane Brizé. Dès la première scène du film. Vincent Lindon est assis dans un train et regarde le paysage défiler, les yeux dans le vague. Une douce musique se fait alors entendre, une musique qui me fait étrangement penser à une bande originale que je vénère, celle de « L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford », le magnifique western crépusculaire d’Andrew Dominik. Était-ce une simple ressemblance ? Cela semblait plus que cela, mais le doute étant permis, j’ai mis cette pensée de côté. D’autant que plus en avant dans le film, le mouvement revient et est dès lors identifié comme le thème principal du film de Stéphane Brizé. Non, ça ne pouvait décemment pas être la musique de Nick Cave et Warren Ellis… Placer un morceau, à la limite, mais en faire le thème principal de son film, ce serait tout de même gonflé…

Pourtant il a fallu se rendre à l’évidence, car le doute s’est dissipé avant la fin du film lorsqu’un autre morceau de la bande originale de « L’assassinat de Jesse James » s’est fait entendre. La suspicion était donc fondée, la jolie musique que l’on entendait depuis le début de « Quelques heures de printemps » était bien celle de Cave et Ellis, semble-t-il très légèrement réarrangée. Lorsque le générique de fin a commencé, la mention « Musique composée par Nick Cave et Warren Ellis » est apparue sans vergogne, comme si les deux compères avaient spécialement écrit la musique pour le film. Plus loin au cours du générique, en prêtant un œil attentif, il fut tout de même possible de lire que les quatre mouvements entendus étaient extraits de la bande originale du long-métrage réalisé par Andrew Dominik.

Dans l’absolu, impossible de reprocher à Stéphane Brizé d’avoir été conquis par la musique de Nick Cave et Warren Ellis. La bande originale du western fait partie de ce qui s’est composé de plus beau pour le grand écran dans les années 2000. Mais le problème ne se pose pas en ces termes-là. Le problème, c’est qu’une telle situation touche non seulement à l’intégrité d’une œuvre (quoi que cela se fasse certainement avec l’accord du « copié »), mais elle joue avec l’appropriation que le spectateur a déjà pu se faire de la dite œuvre.

C’est une question qu’il est déjà possible de se poser avec des chansons que des films se sont approprié et qu’ils ont rendues iconiques et immédiatement identifiables à un univers cinématographique précis. « The Sound of Silence » de Simon & Garfunkel par exemple, qui est issu de la culture populaire mais qui a été si parfaitement utilisé dans « Le Lauréat » qu’il est impossible, pour qui a vu le film, d’entendre la chanson sans immédiatement l’associer au film de Mike Nichols, et revoir Dustin Hoffman assis au fond du bus après être allé "voler" Katharine Ross à l'église . Ça n’a pas empêché Zack Snyder de placer le titre de Simon & Garfunkel dans « Watchmen », mais ce film est un tel bordel musical qu’il n’y avait de toute façon aucune chance que l’on distingue véritablement la chanson. L’effet que pourrait produire une telle chanson iconique dans un autre film que « Le Lauréat » est forcément amoindri par le poids de son aîné.

Mais une chanson, c’est bien sûr différent (à moins qu’elle ait été spécialement composée pour le film) de l’orchestration musicale d’une bande originale, qui pour le coup est une partie intégrante de l’ADN du film qu’elle illustre. Elle a été pensée, écrite, composée pour être en adéquation avec un film. Le spectateur s’est déjà empli de cet univers musical, et s’est potentiellement déjà laissé envoûter par lui. Replacer cet univers pensé pour un autre film dans son propre film, c’est non seulement appauvrir l’œuvre que l’on réalise - en n’essayant pas de lui trouver un son unique - mais c’est également arracher le spectateur à la possibilité de se plonger dans ce nouveau film, emporté que l’on peut être par le souvenir du précédent. Bien sûr tout le monde n’a pas vu « L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford ». Et bien sûr aussi que tous ceux qui l’ont vu ne gardent pas forcément en mémoire la musique du film. Mais si c’est le cas, entendre cette douce musique en long en large et en travers dans le film d’un autre laisse un goût amer et donne au spectateur un sentiment de malaise et d’inachevé. Les images et les mots ont beau être ceux d’une œuvre nouvelle, la petite musique intérieure qui s’en dégage n’est que la pâle copie d’une autre expérience cinématographique. Eut-ce été la bande originale d’un nanar sans nom passé inaperçu, à la limite, mais pour ce qui est du film d’Andrew Dominik, film majeur des dernières années, justement salué et récompensé, le raccourci musical a bien du mal à passer inaperçu.

Stéphane Brizé aura beau me demander ce que j’ai pensé de son film (la formule est rhétorique, mon avis lui importe certainement peu), je pourrais très bien lui dire que « Quelques heures de printemps » est plutôt réussi, parfois fort, parfois touchant avec un beau duo Vincent Lindon / Hélène Vincent (même si la fin est un peu tire-larmes), mais dans le souvenir que j’en garderai pour les années à venir, ce que j’ai véritablement pensé du film s’estompera et n’aura au bout du compte pas vraiment d’importance. Car « Quelques heures de printemps » restera comme le film qui a malencontreusement emprunté la musique de « L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford » (sans toutefois emprunter son plus bel élément, « Song for Bob »)…

mardi 9 octobre 2012

Pourquoi j'aime le cinéma, 5(00)ème !


Un jour on commence à écrire un blog. On décide de parler de cinéma, mais en essayant de ne pas être un blog de plus qui ressemble à tant d’autres. On tâtonne, et puis finalement on trouve sa voie au milieu de cette autoroute embouteillée de l’expression virtuelle. On écrit un billet, deux, dix, cinquante. Et un beau jour, on se réveille et on se rend compte que le prochain billet sera le 500ème. Les 499 écrits jusqu’ici n’ont pas toujours été très inspirés, très originaux ou très remarqués. Certains furent laborieux, certains excessifs, certains lunatiques, certains agacés. Mais tous ont reflété leur auteur et son amour immodéré des salles obscures et de ces étranges objets cinématographiques qui y sont continuellement projetés, pour des siècles encore je l’espère. Oh là, je crois que je viens de parler de moi à la troisième personne, et quand c’est le cas, il est généralement temps de changer de ton.

J’aurais pu préparer un billet spécial pour l’occasion, cet anniversaire des 500. Mais je me suis finalement rendu compte que la meilleure façon de fêter l’occasion était peut-être d’ajouter une chronique de plus à ma série des « Pourquoi j’aime le cinéma » qui reflètent si bien ce que j’ai voulu partager avec ce blog depuis quelques années. Ce ne sont peut-être pas les plus élaborés pour ce qui est de l’éloquence, mais ils compensent amplement en sincérité, en passion, en sourires, en souvenirs et en émotions. Un jour on commence à écrire un blog, et on a envie d’expliquer inlassablement, encore et toujours, l’addiction, l’adrénaline, la passion. Alors, une fois de plus, je me le demande, et à travers moi, à vous aussi, pourquoi j’aime le cinéma ?

Parce que c’est le seul moment où j’adore m’engueuler avec mes potes.

Parce que je suis hanté par les cinémas de mon enfance. Le Colysée de Villeparisis. Le JacquesTati de Tremblay. Le Concorde de Mitry. Le Majestic de Meaux. Le Ciné 104 de Pantin.

Parce que Luke la main froide sait gober les œufs mieux que personne.


Parce que les soirées Bis de la Cinémathèque font découvrir d’autres chefs d’œuvre, oubliés, moqués, inénarrables du cinéma.

Parce que pour clore le débat, admettons-le, les ouvriers qui travaillaient à la reconstruction de l’Étoile Noire étaient des victimes innocentes.

Parce que je me souviendrai toujours de ma sœur en larmes sur le parking de Rosny 2 à la sortie du Grand Bleu, en 1998, pour les dix ans du film de Luc Besson, s’extasiant devant la beauté du film pendant que moi, je me marrais de la voir pleurer pour un film pareil.

Parce qu’Alec Guiness peut jouer huit rôles différents dans un même film sans qu’il en joue un de trop.

Parce que l’écho de « The sound of silence » résonne longtemps après avoir vu Anne Brancroft séduire Dustin Hoffman.

Parce que quand j’avais 11 ans, mes parents m’ont emmené voir la Director’s cut de quatre heures de « Danse avec les Loups » au Grand Rex et que ce fut un de mes premiers grand chocs cinématographiques, si ce n’est le premier.


Parce que Will Ferrell court nu dans la rue en croyant que le monde entier le suit alors qu’il est seul et bourré.

Parce que je ne me suis toujours pas remis de la découverte de « Rio Bravo » et « Il était une fois dans l’Ouest » sur grand écran.

Parce que quand j’étais gamin, on regardait toujours les mêmes films en boucle et qu’après on les rejouait en connaissant les répliques par cœur.

Parce que j’ai découvert "The Host" de Bong Joon-Ho dans la grande salle du Cinéma des Cinéastes des mois avant qu’il ne sorte en France et en Corée, et que j’en ai ressenti cette joie rare d’avoir vu là un film qui allait marquer son époque avant même que le monde le sache…

Parce que quand « Sur la route de Madison » est sorti, je n’ai pas voulu accompagner ma mère au ciné pour le voir. Parce que quand il est sorti en location au vidéo-club, je n’ai pas voulu le louer pour faire plaisir à ma mère. Parce que quand je l’ai enfin découvert à la télé, j’ai pleuré comme une fillette.

Parce que chaque fois que je remonte la rue Lepic, je revois Amélie la faisant traverser au vieil aveugle illuminé par la joie.


Parce que quand je regardais « Indiana Jones et le temple Maudit » enfant, je me cachais les yeux lorsque le cœur était arraché au pauvre bougre pendant la scène de sacrifice.

Parce que je n’arrive pas à croire qu’un producteur à Hollywood ait pu accepter de laisser Frank Darabont tourner la fin de « The Mist » telle qu’elle existe, mais je l’en félicite.

Parce que Sigur Ros accompagne la découverte du requin par Steve Zissou et son équipe dans « La vie aquatique ».

Parce qu’Alan Rickman n’est pas que Hans Gruber, le Shériff de Nottingham ou Severus Snape. Il est aussi la voix de Marvin, et celle de Dieu.

Parce que la mère d’Harold ne réagit pas aux mises en scène mortelles de son fils.

Parce que ce porc d’Irlandais de Malloy engage cet enfoiré de rital de George Stone dans la brigade d’Eliot Ness.


Parce que dans la tristesse de la mort d’un acteur se trouve aussi la joie de pouvoir découvrir ses films sur grand écran. Je me souviens de toi, Leslie Cheung.

Parce qu’au bout du compte… enfin…  au début du conte, Clementine retrouve Joel à Montauk.

Parce qu'on n'a pas vu un film tant qu'on ne l'a pas vu sur grand écran.

Retrouvez les précédents billets de la série :

vendredi 5 octobre 2012

Où se cachent Brillante Mendoza et sa "Captive" ?


Nous sommes moins de dix dans la plus petite salle de cinéma de Paris. La salle 7 de l’UGC Orient-Express. J’ai beau me dire que j’aurai un pincement au cœur lorsque le complexe du dernier sous-sol des Halles fermera, c’est une pointe de déception, voire d’agacement, qui m’assaille lorsque je découvre que le film que j’ai choisi est projeté dans cette minuscule salle. Et malheureusement, lorsqu’un tel choix s’opère, c’est qu’il n’y a plus vraiment de choix possible.

Si l’on m’avait dit il y a un mois à peine que, douze jours après sa sortie, c’est dans cette fameuse salle 7 que je verrais Captive de Brillante Mendoza, j’aurais eu du mal à le croire, probablement. Le cinéaste philippin est passé par la compétition berlinoise avec ce film, et chacune de ses précédentes œuvres a eu suffisamment d’impact auprès de la critique française et des cinéphiles pour faire de sa première coproduction hexagonale, avec Isabelle Huppert en tête d’affiche, un évènement cinématographique attendu par les amateurs de 7ème Art. D’autant qu’après un rythme de réalisation frénétique il y a trois/quatre ans, Mendoza s’est fait amplement attendre depuis son dernier long-métrage sorti en salles, Lola (depuis, il s’est tout de même rattrapé, puisqu’un nouveau film était en compétition à Venise il y a quelques semaines à peine…).

Mais les critiques ne furent pas aussi enthousiastes que pour ses précédents films, et malgré l’affichage conséquent dans les couloirs du métro parisien, malgré Isabelle Huppert, les chiffres de Captive au box-office français en première semaine furent proches de l’anémie. Bien sûr, une sortie en salles en septembre, mois d’ordinaire peu porteur (le moins porteur de tous en vérité) – et cette année en particulier – n’a rien arrangé aux affaires. En seconde semaine, le film de Brillante Mendoza était déjà relégué à l’arrière-boutique des cinémas parisiens. A savoir des séances presque inexistantes en semaine, d’autres très ponctuelles le weekend, dans une toute petite poignée de salles. Le seul cinéma offrant un peu de souplesse ? Cette fameuse salle 7 de l’Orient-Express que je cherche en général à éviter  et où je n’ai finalement eu d’autre choix que de m’aventurer, par crainte de le rater définitivement si je laissais passer deux jours de plus.

Elle est surprenante cette salle 7. Lorsque l’on tire la porte pour y entrer, on trouve six rangées de fauteuils faisant face à un écran qui pourrait presque paraître grand pour une si petite salle. Mais ce n’est qu’un leurre car lorsque la lumière s’éteint, on se rend vite compte que seule une portion de l’écran est exploitée pour la projection, un gros tiers, et que ce voile blanc qui paraissait presque grand à la lumière se révèle pathétiquement petit dans l’obscurité. Un home-cinéma plus qu’un grand écran en vérité. C’est bien là la salle de la dernière chance où viennent se cacher les longs-métrages en fin d’exploitation (ou à tout petit potentiel). C’est là que se cachait donc Captive moins de deux semaines après sa sortie.

L’avoir découvert dans ces conditions en a probablement altéré la saveur, et certainement l’impact. Peut-être me serais-je trouvé happé avec une plus grande force par le récit de cette prise d’otages dans la jungle philippine, sans ce bout d’écran. Peut-être n’aurais-je pas trouvé ce retour attendu de Brillante Mendoza être un film moindre dans sa passionnante filmographie, avec cette Huppert tantôt forcée, tantôt admirable. Mais jamais l’ennui n’est entré en jeu pendant cette odyssée humaine de plus de deux heures. Et puis je pensais à ces amis qui au moment même où je découvrais Captive étaient eux en voyage aux Philippines (et avaient osé aller voir le film de Mendoza juste avant de partir !). Quelque part dans cette salle des sous-sols parisiens, j’étais presque avec eux, tendant le visage vers mon bout d’écran. Eux vivaient l’aventure pour de vrai. Encore mieux que sur un (vrai) grand écran.

mardi 2 octobre 2012

Savages, de l’adrénaline en roue libre


J’ai eu une drôle d’impression en sortant de Savages. J’étais le premier surpris à avoir autant envie de voir le nouveau film d’Oliver Stone - la faute certainement à ce goût amer laissé par « World Trade Center » il y a quelques années et qui persiste inlassablement – pourtant j’y étais le lendemain de sa sortie. Cette impression, qui m’a pris au débotté et nécessiterait certainement que je me penche sur les films vus ces dernières années pour être tout à fait sérieux, c’est que contre toute attente, ça faisait un bail que je n’avais pas vu un tel film venu d’Hollywood. Comprenez un film d’action qui ressemble aux films d’action que l’on faisait à Hollywood il y a quelques années encore mais plus vraiment aujourd’hui, burné, sanglant et sensuel, sans collants ni masques sinon ceux de truands se cachant à peine derrière leur sauvagerie.

Le film n’est pas exempt de défauts, loin de là, j’y viendrai plus loin, mais il y a quelque chose d’étrangement old school dans Savages qui fait un bien fou. C’est pêchu, c’est mordant, c’est bourré d’action et d’intrigues où le bruit et les couleurs ne parasitent pas ce mélange paradoxal d’insouciance et de sérieux rafraîchissants à l’heure du super héros roi. La sauvagerie, la tension et la sueur dispensées à l’écran ont d’ailleurs quelque peu déteint sur les spectateurs de la salle dans laquelle j’ai vu le film. J’ai repensé à cette étude de Claude Forest sur le placement des spectateurs dans la salle, et particulièrement à sa théorie du dominant (ceux qui aiment se mettre au fond dans la salle aiment le sentiment de dominer les autres spectateurs) quand j’ai entendu quelques mecs vers le fond se gueuler dessus un rang au-dessus de l’autre et être à deux doigts d’en venir aux mains. Peut-être le chercheur n’avait-il pas tout à fait tort sur la question, même si les râles des autres spectateurs alentour ont fini par éteindre le feu alors que l’un des excités proposait à un autre de sortir de la salle pour régler ça (quand même oui…). En fin de compte, ils en rediscuteront avec un étonnant calme en fin de séance… A croire que la sauvagerie déployée à l’écran les aura calmés, ou qu’ils auront finalement retrouvé leur sang-froid seuls (que s’était-il passé à l’origine de leur dispute, je n’en sais rien…).

Mais ce n’est pas tant de la sauvagerie que découle le plaisir procuré par Savages. C’est des dialogues écrits aux petits soins. C’est peut-être surtout de la direction d’acteurs qui laisse au premier abord soucieux avant d’emporter l’adhésion. Soucieux, parce que les acteurs en font des tonnes, ou presque. Ils s’amusent, c’est évident, mais il y a quelque chose de presque ridicule dans cette effusion de jeu, une effusion qui est renforcée par un jeu d’observation des physiques, John Travolta pour une fois sans moumoute, Salma Hayek qui en porte une sexy, quant à Benicio Del Toro le verdict n’est pas encore tranché pour savoir si ce panache de cheveux est naturel ou non (mais bon, ça l’est sûrement).

Mais une fois les premiers doutes passés, assimilés, quelque chose d’enthousiasmant se dégage du trio Hayek / Del Toro / Travolta. L’acteur oscarisé de Traffic, en particulier, fait un numéro qui ressemble à de l’équilibrisme. Il est toujours à deux doigts du ridicule en homme de main de la pègre mexicaine mais n’y bascule jamais, prouvant au passage que la ligne entre pathétique et excellence est diablement fine. Benicio Del Toro est simplement jubilatoire, illuminant d’intensité et d’absurde chacune des séquences où il apparaît, et l’on se demande bien ce qu’il était devenu ces dernières années. Il s’était fait trop rare, assurément. Salma Hayek et John Travolta en font à peine moins et se montrent également rayonnants, la mexicaine en chef mafieuse incroyablement sensuelle et l’américain en agent du FBI véreux. Il faut la voir, engueulant ses troupes et leur lâcher du « Pendejo ! » intempestif.

Du coup, le trio de « jeunes vedettes qui montent » Blake Lively / Taylor Kitsch / Aaron Johnson se fait purement voler la vedette par les briscards. Et si Johnson et Kitsch s’en sortent malgré tout plutôt bien, affichant de la présence à l’écran, Blake Lively est clairement le maillon faible de la bande, allez, du film. La caméra d’Oliver Stone a beau filmer (trop chastement) le corps de la jeune actrice de « Gossip Girl » avec désir, elle semble bien fade quand elle partage l’écran avec ses camarades, encore plus lorsque c’est avec l’exquise Salma Hayek. Elle a en plus le malheur d’être le vecteur du récit en lui offrant une voix-off clairement faiblarde et gênante, qui atteint son paroxysme d’inefficacité lors d’un final qui frise l’ineptie. Stone nous offre une double conclusion qui met son film le cul entre deux chaises et laisse un goût amer d’inachevé. Un comble pour un spectacle qui aura su être jusqu’ici vivant, pulsant un amusement communicatif, bien que semblant étrangement vain et trop gentil malgré le sang. Mais Savages a de la gueule, et un rythme emballant. Et en semaine en sortant du boulot, ça fait un bien fou.
over-blog.com