jeudi 28 juin 2012

"Les Enfants Loups" de Mamoru Hosoda en avant-première mondiale !


L’avant-première mondiale d’un film asiatique est rarement à la portée d’un spectateur parisien lambda. Pour la simple et bonne raison qu’un tel évènement n’a jamais lieu en France, hors les grands festivals bien sûr. Et puis comme ça, un beau jour, on se réveille, et la nouvelle tombe : l’avant-première mondiale du nouveau film de Mamoru Hosoda sera une projection publique à Paris, à l’UGC Ciné Cité des Halles. En un clic sur le site d’UGC, et avec un ticket de métro, le Graal serait accessible. Un mois avant que le film sorte dans son Japon natal, deux mois avant que le film débarque en salles en France. Un cadeau inattendu que j’ai été immédiatement prêt à ouvrir.

Alors voilà, lundi dernier, avec quelques 450 autres spectateurs, j’étais dans la file d’attente pour voir « Les Enfants Loups – Ame et Yuki » de Mamoru Hosoda. J’ai trépigné en attendant que la salle ouvre ses portes, j’ai joué des coudes pour ne pas me faire doubler lorsque cette marée humaine exaltée s’est avancée et est entrée dans la salle. Je n’ai pas fait le gourmand au milieu de cette cohue générale et j’ai pris le premier fauteuil libre à peu près bien placé, car dans ces moments-là, si l’on réfléchit trop à l’emplacement idéal, non seulement on se rend compte que celui-ci n’est pas disponible, mais en plus ceux qui étaient acceptables ont entretemps été réquisitionnés. Et puis j’ai attendu. Attendu que Mamoru Hosoda arrive.

C’est étrange une telle avant-première. On devine l’exaltation que peut en tirer un cinéaste qui montre son film pour la première fois à un public, on devine la joie qu’il peut ressentir à voir une salle pleine à craquer dans un pays qui n’est pas le sien, prête à se plonger avec lui dans un long-métrage auquel il a consacré deux ans de sa vie. Il y a cette électricité dans l’air, cette excitation palpable dans les rangs. L’excitation d’être parmi les premiers au monde à découvrir ce film que nous attendons impatiemment. Si la communion entre public et réalisateur est si forte, c’est parce que Mamoru Hosoda n’est pas le premier venu. Le japonais était déjà venu à Paris il y a deux ans pour présenter son précédent film, « Summer Wars ». De mon côté si Hosoda était si important jusqu’ici, c’était surtout pour « La Traversée du Temps », un des plus beaux films d’animation qui soit. Si beau que je n’ai même pas eu à regarder une bande-annonce ou même lire un simple synopsis pour découvrir ce qu’avait à offrir « Les Enfants Loups ». J’y suis allé les yeux fermés pour qu’une fois ouverts, l’effet soit encore plus grand.

Et l’effet fut grand. La banlieue de Tokyo, Anna est une étudiante qui tombe amoureuse d’un garçon qui s’avère être un homme loup. Cela n’empêche en rien leur amour, et bientôt, une fille puis un garçon naissent. Mais tout à coup, l’homme loup meurt. Notre héroïne se retrouve seule avec deux enfants, qui plus est deux enfants qui portent les mêmes caractéristiques animales que leur père. Alors pour cacher au mieux sa progéniture tout en leur offrant une vie agréable, Anna décide de s’installer loin, au milieu de nulle part, entre campagne et montagne, là où il n’y aura pas de voisins, là où il n’y aura que la nature à perte de vue.

Ainsi décolle « Les Enfants Loups ». C’est dans cet exil familial que Hosoda va trouver le cadre idéal à son récit. C’est dans cet exil qu’il va trouver la force narrative. C’est là que se dessine un magnifique portrait de femme, et que le réalisateur tisse la toile des relations humaines et familiales avec une justesse admirable. Si l’on trouve à l’évidence des éléments fantastiques dans le film d’Hosoda, ils sont là pour souligner son regard sur les hommes, et par les hommes il faut surtout entendre la femme et les enfants. Il est beaucoup question de maternité dans « Les Enfants Loups », des relations parents-enfants et de la lutte permanente pour qu’un enfant puisse choisir le chemin qui semble le mieux lui correspondre. « Les enfants loups » est un film majestueux parce qu’il ne joue pas la carte de la fantaisie pour faire de la fantaisie. Celle-ci est là pour appuyer un propos absolument humain et réel sur les êtres. Il s’appuie sur le fantastique pour parler de la société telle que nous la connaissons, et c’est souvent à cela que l’on reconnaît les grands films. C’est ainsi que le récit nous emporte vers le rire, l’émotion, la réflexion, sans la moindre esbroufe, avec une justesse et un naturel exemplaires.

Si je suis allé voir « Les enfants loups » chargé d’attente et d’excitation, c’est parce que Hosoda avait fait preuve d’un potentiel certain pour devenir, dans les années à venir, un grand nom du cinéma japonais. Nul doute que la plupart des autres spectateurs, qu’ils soient restés silencieux comme moi, encore envahis de la beauté du film, ou qu’ils aient pris la parole à l’issue de la projection pour lui poser une question, à lui ou à Aoi Miyazaki qui prête sa voix à l’héroïne du film et qui était elle aussi présente, étaient parés du même sentiment. La standing ovation fracassante à laquelle Hosoda a eu droit à la fin l’a bien illustré.

Pendant que les questions ont défilé pendant une quarantaine de minutes, sur le pays natal du réalisateur ou son amour pour les trains (ne cherchez pas à comprendre), je suis resté scotché à mon siège, l’esprit encore embué du spectacle ravissant auquel je venais d’assister, 1h50 durant.
Je suis venu voir « Les enfants loups » pour le plaisir de voir un film d’animation japonais avant que les japonais n’en aient la possibilité. Je suis venu voir « Les Enfants Loups » parce que l’émotion laissée par « La traversée du temps » était encore intacte. Je suis venu voir « Les enfants loups », et j’en suis sorti convaincu que Mamoru Hosoda est bien un cinéaste majeur.

mardi 26 juin 2012

Ce moment dingue où l’on entend quelqu’un dénigrer un film que l’on aime de tout son cœur


C’est un bel après-midi de juin, pour une fois le soleil donne sur la capitale mais malgré tout, l’heure est au cinéma. Il est 16h passées, vous vous trouvez dans le quartier d’Odéon et vous entrez dans un cinéma qui joue « The Dictator » de Larry Charles, la nouvelle farce de Sacha Baron Cohen. Vous vous dites qu’avec le beau temps qui se fait rare, cette journée ensoleillée, couplée avec l’entrée en piste de la Fête du Cinéma le lendemain fera que peut-être, pour un samedi après-midi, il n’y aura pas tant de monde au cinéma.

Dans les premières minutes qui suivent votre entrée en salle, effectivement, la salle, grande pour accueillir le film le plus populaire de la semaine parmi les nouveautés, n’est pas surpeuplée. Mais la séance n’est prévue que dans quinze minutes, et après tout, elle aura le temps de se remplir peu à peu. C’est une de ces salles des années 70 ou 80, conçues de cette façon étrange que l’on aimait concevoir les salles à l’époque, l’écran haut perché et les rangées de fauteuils en pente ascendante vers lui. Le genre de salle que vous n’aimez probablement pas parce que le rapport à l’écran y est froid et distant quand vous l’aimez englobant, proche, intime. Mais assis à votre 5ème rang favori pour une comédie futile, cela conviendra bien.

Les minutes passent et la salle se remplit effectivement. Devant vous, deux gamins à peine assez âgés pour être appelés adolescents. Et puis tout à coup, une conversation qui se tient dans votre dos attire votre attention. Il va bientôt être 16h30, les bandes annonces ne vont pas tarder à être projetées, mais quelques mots échangés vous intéressent soudainement plus que ce qui pourrait potentiellement apparaître à l’écran. C’est un jeune couple qui discute, et par jeune, il faut entendre adolescent, 17 ans peut-être.

Le mot qui a attiré votre attention, c’est Submarine. Il a attiré votre attention, parce que ce mot renvoie à l’un de vos coups de cœur de l’année dernière au cinéma. Il a attiré votre attention parce que pour vous, Submarine est un bijou de cinéma. Alors vous tendez l’oreille quand vous entendez l’adolescente prononcer ce mot. Vous tendez l’oreille et tout à coup, le cœur qui s’était mis à battre la chamade à la simple évocation du film de Richard Ayoade se fait soudain triste.

« L’année dernière j’étais allée voir un film, « Submarine » ça s’appelait. On était arrivé en retard. Pwaaaaa c’était naze.
- C’était ptet parce que vous aviez raté le début nan ?
- Ouais c’est vrai que ça a pas aidé, on a quand bien raté un quart d’heure du film. Du coup au début on savait pas trop. Mais quand on a compris de quoi ça parlait, nan c’était vraiment trop naze ».

C’était une conversation entendue par-dessus l’oreille. Quelques phrases qui auraient pu vous mettre en rogne, vous révolter, vous indigner. Mais elles vous ont juste attristé. Parce que Submarine vaut tant à vos yeux, bien sûr. Mais aussi parce que c’est justement un film qui devrait parler à l’adolescence et qu’une adolescente l’a envoyé baladé d’une pichenette dédaigneuse. Vous vous dites qu’elle manque peut-être encore de recul sur la personne qu’elle est aujourd’hui. Vous repensez à ces adolescents que vous aviez vus dans la salle de "I wish". Vous vous dites que tous les adolescents n’ont certainement pas dénigré Submarine. En tout cas vous l’espérez. Car sinon, quel avenir pour l’humanité ? Oui, vous mettez parfois trop d’importance dans ce que les autres peuvent bien penser des films qui vous tiennent à cœur. Mais après tout, c’est la passion qui parle, non ?

dimanche 24 juin 2012

Et finalement, j'ai vu "Men in Black 3"...

Je ne voulais pas voir « Men In Black 3 ». Bon, laissez-moi reformuler cela. Je ne voulais pas spécialement voir « Men in Black 3 ». Il y a quelques années, j’y serais allé sans l’ombre d’une hésitation. A l’époque où j’étais prêt à voir n’importe quel film du moment qu’il y avait écrit « blockbuster » dessus. Quelques sages désillusions m’ont fait reconsidérer mes priorités cinématographiques, lorsque je me suis rendu compte que les journées étaient véritablement limitées à 24 heures et que parfois, il fallait faire des choix. Je m’étais juré que dès qu’une machine Hollywoodienne ne me plaisait pas, je m’abstiendrais d’aller voir sa (ou ses) suites. Cette ligne de conduite m’a éloigné de plusieurs suites de Shrek, Pirates des Caraïbes et autres films dispensables en tous genres.

Lorsque « Men in Black 3 » a débarqué, j’étais prêt à le laisser de côté, avant tout parce que « Men in Black 2 » était un sombre navet (excusez mon langage technique), et dès ce postulat posé, l’envie de voir une quelconque nouvelle aventure de Will Smith et Tommy Lee Jones était de facto très limitée. La production chaotique du film (budget explosé, scénario remanié pendant le tournage…) et une bande-annonce fort peu excitante ont fini d’achever tout éventuel désir. Et je n’aborde même pas le fait que le film ait droit à un traitement 3D. Non, décidément, j’étais prêt à me passer volontiers de « Men in Black3 ».

Pourtant, que voulez-vous, l’homme est faible, influençable, et quelques semaines après la sortie du film, j’ai commencé à tendre les oreilles vers ces chuchotements qui bruissaient ici et là, sur Internet et dans mon entourage. Qu’entendis-je ? Que la troisième aventure des hommes en noir valait le déplacement. Que c’était une des bonnes surprises que nous avait concocté Hollywood cet été. Diantre, c’est bien la dernière chose que je voulais entendre. Avec les nombreuses sorties intéressantes du 20 juin à ma porte, et le Festival Paris Cinéma à l’horizon, je n’avais pas besoin que l’on titille ma curiosité autour de « Men in Black 3 », j’avais déjà largement de quoi voir pour m’occuper.

Mais voilà, c’était trop tard. Le bruissement s’était infiltré dans mon esprit et ne me lâchait plus. Ma curiosité insatiable était mise à l’épreuve. Serai-je tenté ? Bien sûr. Bien sûr que j’ai cédé à la curiosité. J’ai attrapé mes lunettes 3D, j’ai foncé au ciné et je me suis assis devant « Men in Black 3 ». Et vous savez quoi ? Au bout de quinze minutes, je regrettais déjà de m’être laissé influencer. Le scénario était d’une mollesse incroyable. Les personnages d’une platitude évidente. Tommy Lee Jones avait tellement l’air de s’ennuyer avec son air semblant signifier « Qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour un gros chèque… ». Le summum a été atteint lorsque lors d’un hommage funèbre, Emma Thompson (à propos de laquelle j’ai donc immédiatement pensé « Quelle déchéance… ») s’est lancée dans un blabla extraterrestre aigu qui m’a fait me demander si elle ne cherchait pas à imiter Adam Sandler.

Et puis contre toute attente, une étincelle s’est produite. Will Smith a remonté le temps pour sauver son collègue K d’une mort signifiant la fin de la planète. Will Smith s’est retrouvé en 1969, entre un Josh Brolin imitant Tommy Lee Jones, un Andy Warhol sous couverture inattendue et un extraterrestre capable de voir l’avenir. Et là, « Men in Black 3 » a non seulement commencé à ressembler à quelque chose, mais en plus, ce quelque chose avait de la gueule. J’ai toujours eu un faible pour les voyages dans le temps comme intrigue cinématographique, cela m’a aidé à m’impliquer dans le film, mais Barry Sonnenfeld et son scénariste Etan Cohen (à ne pas confondre avec l’un des frères Coen) ne se sont pas contentés d’utiliser le voyage dans le temps comme un gimmick amusant.  Ils ont compris tout ce que pouvait apporter cette intrigue. De l’humour, bien sûr, mais également un petit quelque chose en plus, une façon d’offrir de l’épaisseur à la mythologie de Men in Black. Et dès lors, contre toute attente… oui, une certaine émotion.

Mais la plus grande trouvaille du film, sa réussite numéro un, c’est dans un second rôle qu’il faut la chercher. Un extraterrestre, Griffin l’archanien, le dernier de son espèce, qui de par sa nature parvient à voir les différents futurs potentiels. Un personnage à la fois maladroit et sage, candide et grave. Il est incarné à la perfection par Michael Stuhlbarg, le Serious Man des frères Coen, également vu l’hiver dernier dans Hugo Cabret de Scorsese. Ce personnage, et l’acteur qui lui donne vie, sont une merveille. Ils effacent à eux seuls tout ce que l’on peut reprocher à « Men In Black 3 », au premier rang desquels un grand n’importe quoi dans l’attribution des rôles. En confiant le rôle de K jeune à Josh Brolin, et d’Alice Eve pour Emma Thompson, Barry Sonnenfeld perturbe. Entre les deux époques, un gouffre de 40 ans, il n’y a aucune logique dans les âges des acteurs, entre une Thompson censée être largement sexagénaire dans le film, et Brolin avoir moins de 30 ans. C’est tout simplement n’importe quoi.

Mais voilà, la balade en 1969 est tellement rafraichissante, Brolin tellement sympa en version junior de Tommy Lee Jones, et Griffin tellement enthousiasmant, que lorsque la lumière se rallume, j’étais heureux d’avoir écouté les bruissements et de leur avoir fait confiance. Parce que « Men in Black 3 », finalement, c’est vraiment pas mal.

jeudi 21 juin 2012

Woody et moi


Voir un documentaire consacré à Woody Allen, c’est un peu comme faire un saut dans le temps pour se pencher sur ce qui a contribué à faire de soi le cinéphile que l’on ose se dire aujourd’hui. J’ai eu la chance de grandir avec Woody Allen. Il vous dira le contraire, que je suis trop jeune pour avoir vécu à Brooklyn dans les années 40, mais lui, sans le savoir, a vécu en banlieue parisienne dans les années 90. Le fait qu’aussi loin que je me souvienne, le cinéaste new-yorkais par excellence ait réalisé un film par an l’inscrit irrémédiablement dans le paysage de mes souvenirs de spectateur. Bien sûr à l’époque ma mère m’entraînait au ciné avec elle pour voir tout ce que Télérama lui avait recommandé, mais pour Woody (il fait partie de ces cinéastes que l’on a envie d’appeler par son prénom, comme s’il faisait partie de la famille), c’était différent. Une mauvaise critique ne l’a jamais empêché de se déplacer pour un de ses films.

J’aimerais pouvoir affirmer que « Meurtre Mystérieux à Manhattan » est le premier Woody Allen que j’ai vu au cinéma, mais je suis loin d’en être sûr alors que je me souviens distinctement y avoir vu « Coups de feu sur Broadway », que je me dois donc de considérer officiellement comme mon premier Woody sur grand écran. Avec son rendement de métronome, le réalisateur a appris au cinéphile en herbe que j’étais dans les années 90 qu’il est des rendez-vous qui ne se manquent pas et bercent le rythme régulier des saisons cinématographiques. Dans « Woody Allen : a documentary » de Robert B. Weide, Woody Allen dit que s’il s’évertue à réaliser un film par an, c’est parce que plus il en fait, plus il a de chances d’en concocter un bon de temps en temps. Même si l’on peut penser qu’en faisant cela, il agrandit plutôt ses chances d’en faire des dispensables… Sa modestie transparaît à l’écran, autant que ses doutes dans ses capacités à faire de grands films. Il parle même comme s’il n’en avait jamais réalisé.

Dans le documentaire, un de ses collaborateurs dit que même dans ses films les moins réussis, il y a quelque chose, une patte qui justifie toujours le déplacement. A l’évidence, celui-là n’a jamais vu « Anything Else » pour oser affirmer cela. « Woody Allen : a documentary » ressemble parfois trop à une hagiographie du cinéaste, se contentant souvent de faire intervenir des acteurs ayant travaillé pour lui et venant dire à tour de rôle, face caméra, à quel point Woody Allen est un réalisateur exceeeeptionnel, un directeur d’acteurs hors pair, un génie comique i-né-ga-lable… On aimerait que le documentaire ose frayer plus hors de ces violons intempestifs, mais il remplit au moins une fonction essentielle : celle de donner envie de replonger dans les films de Woody.

Les souvenirs remontent, les sensations procurées par certains films refont surface. Pour tout un pan du public, Woody Allen n’est peut-être qu’un intellectuel new-yorkais réalisant des films bavards. Pourtant à mesure que les souvenirs remontent, la fantaisie que peuvent opérer certaines de ses œuvres revient. Qu’on se le dise, Woody Allen est un magicien capable de procurer des bonheurs simples et intenses.
Je me souviens du nuage sur lequel je planais en sortant de « Tout le monde dit I love you » lorsque j’avais 15 ans. Je me souviens de la découverte d’ « Annie Hall » un soir sur Arte, de cette joie et cette mélancolie, de cet art du verbe enthousiasmant. Je me souviens du bonheur intense éprouvé à la vision de « Minuit à Paris ». Je me souviens des rires de « Bananas », des délires de « Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe sans jamais oser le demander », des rêves de « La rose pourpre du Caire » et de l’écrin inattendu de « Match Point ». La carrière de Woody Allen a contribué à l’ossature de mon parcours de cinéphile. Il m’a accompagné avec ses hauts et ses bas. Et dans quelques jours, c’est déjà l’heure du cru 2012, « To Rome with Love ».

Alors non Woody, je n’ai pas grandi dans le Brooklyn des années 40, mais quelque part, toi et moi, on a grandi ensemble, parfois pour le meilleur, d’autres pour le pire, mais avec suffisamment de bonheur le long du chemin pour que je reste fidèle, vaille que vaille.

mercredi 20 juin 2012

"The incident" : directement à l'asile sans passer par la case "Ciné"


La nécessité de voir certains films sortir directement en DVD est évidente. Si une part de moi rêverait que tous les films puissent sortir en salles, ou à défaut tous ceux susceptibles de m’intéresser, la raison l’emporte et je finis toujours par convenir que tous les films ne peuvent décemment pas passer par la case grand écran. Il n’y a pas assez d’écrans de cinéma en France, et pas assez de jours dans l’année pour que ce rêve prenne vie. Ce serait la mort du cinéma. Alors je me contente de ce que les distributeurs veulent bien nous proposer, et lorsqu’un film passe directement par la case DVD, je pousse un soupir de déception.

C’est pourquoi lorsque l’on me propose de découvrir sur grand écran un film promis au marché vidéo, si le film en question a l’air un tant soit peu prometteur, je peux difficilement décliner. C’est ce qui est arrivé récemment, on m’a offert de voir un petit film de genre inédit au siège de M6, qui éditera le long-métrage cet été en vidéo. Ce film c’est « The Incident », premier long réalisé par Alexandre Courtès, qui a une longue carrière dans le clip derrière lui (celui de « Seven Nation Army » des White Stripes, c’est lui) et une participation au film à sketches « Les Infidèles », pour lequel il avait réalisé les courts interstices séparant chaque long sketch, plus le sketch « Les infidèles anonymes ».

Son CV était suffisamment intrigant et la réputation de « The incident », présenté notamment à Gérardmer et au BIFFF, le Festival de Films Fantastiques de Bruxelles, suffisamment solide, pour que ma curiosité soit éveillée. Pendant l’Euro, il semble que la salle de projection de M6 soit squattée par le service des sports qui en profite pour regarder dans des conditions optimales les matches… et quand ils ont vu débarquer une bande de blogueurs qui venaient mater un film d’horreur, c’était la soupe à la grimace. Pour nous aussi c’était un peu la soupe à la grimace, parce que le film s’est fait attendre de looongues minutes (ce qui au moins m’aura permis de terminer « Le déchronologue » de Stéphane Beauverger, pas mal comme lecture).

Alexandre Courtès était présent pour l’une des seules projections que son film connaîtra sur grand écran en France (mais il est également à Panic Cinéma samedi !). Le réalisateur est allé en Belgique tourner son premier long, en langue anglaise. Ou la nuit cauchemardesque de trois potes musiciens qui gagnent leur vie en faisant la cuisine dans un asile de fous, et vont se trouver coincés sur leur lieu de travail, enfermés suite à une panne dans l’asile alors que les fous semblent péter les plombs et s’attaquer au personnel. Une trame somme toute classique. Je m’attendais à un pur film d’horreur, et j’ai eu la bonne surprise de trouver un film de genre qui renvoie plus dans la forme au cinéma de l’enfermement de John Carpenter. L’intrigue est maline et l’exécution fait son effet. Le dernier acte appuie assez brutalement sur le gore alors qu’il se faisait plutôt discret jusqu’ici, avant de se clore dans un moment de « What the fuck ! » total qui peut amuser ou décevoir.

Courtès a dû se trouver un peu déçu de voir l’audience aussi peu interagir à l’issue de la projection, les questions ne fusant pas vraiment, mais il y a des spectateurs dont je fais partie qui sont encore à moitié dans le film lorsque la lumière se rallume, et personnellement, il me faut toujours de longues minutes en sortant d’un film pour arriver à articuler une phrase. Alors poser une question au réalisateur qui te scrute, on oublie. « The incident » ne se rangera probablement pas dans la catégorie des longs-métrages inédits que j’enrage de ne pas voir sortir en salles, mais pour ce qui est d’un cinéma de genre fauché, le film se pose comme de bonne facture. Tous les inédits ne peuvent s’en vanter.

mardi 19 juin 2012

« Le Solitaire » de Michael Mann : mais où sont les extraterrestres ?


Non, Le Solitaire n’est pas, après Battleship, la nouvelle adaptation par Hollywood d’un classique du jeu de société…  enfin… de cartes… Enfin non, Taylor Kitsch n’y joue pas le valet de trèfle devant empêcher une invasion extraterrestre fomentée par le huit de pique (quel salaud ce huit de pique). Non, « Le Solitaire », c’est le tout premier film de Michael Mann, un film aussi vieux que moi qui porte assez mal son titre français, auquel il vaut mieux préférer l’original « Thief ». Pour ceux qui se demandent pourquoi « Le solitaire » irait mal à une adaptation du célèbre jeu de cartes en solo, je rappelle que non, ce n’est toujours pas une adaptation du jeu de cartes.

« Le Solitaire » est un film noir dans lequel James Caan, alors pimpant quadra, arpentait les rues de Chicago de nuit pour perpétrer des vols de diamants audacieux, tout en gérant une concession de voiture le jour pour faire bonne figure. Le problème du titre français c’est qu’il laisse entendre que le héros serait un hors la loi… euh, solitaire donc, alors que ce n’est pas vraiment le cas. Entre son partenaire de casse qu’il entraîne toujours avec lui et avec qui il va à la plage en famille, sa nouvelle femme avec qui il veut absolument vivre, le bébé qu’il veut adopter, son vieux pote qu’il essaie de faire sortir de taule parce qu’entre eux, c’est à la vie à la mort, son autre vieux pote qui lui fabrique ses outils pour faire des casses… non je crois qu’on peut dire que le solitaire n’est pas si solitaire que cela (d’où le doute, le titre ne laisse-t-il pas finalement entendre qu’il s’agit bel et bien d’une transposition cinématographique du jeu de carte, et Robert Prosky ne va-t-il pas à un moment ou un autre révéler qu’en fait il est un extraterrestre venu conquérir la Terre ?).

Quoi qu’il en soit, Michael Mann prouvait déjà à l’époque sa finesse dans la construction d’une atmosphère cinématographique, à travers un univers urbain et nocturne majestueux. Il développe ici une certaine idée de la mise en scène qu’il perfectionnera dans « Heat », qui reprendra presque des plans de « Thief » près de quinze ans plus tard, notamment ces nombreuses rencontres nocturnes dans les diners. Le souci de « Thief », comme cela peut arriver chez Mann, vient du scénario. Toute la difficulté de ce genre de film, c’est de trouver un déroulement au récit qui soit adéquat à l’atmosphère puissante. Et le problème, c’est que Mann est tellement focalisé sur sa cité nocturne qu’il ne se rend pas compte à quel point le récit est quelque peu rocambolesque et mal rythmé. Les puristes me diront « Nan mais c’est pas grave, c’est la mise en scène qui est importante dans le film », tout de même. J’ai un peu de mal à avaler un personnage qui en l’espace de quelques jours invite une fille à dîner un soir, lui demande de vivre avec elle, lui achète une maison dans laquelle ils s’installent immédiatement, et ensemble ils adoptent un bébé. Le tout en deux ou trois semaines. Hum hum… Je ne peux décemment pas reprocher à Prometheus d’être habité de personnages n’ayant ni queue ni tête, et pardonner la même chose à Michael Mann parce qu’il a réalisé son film l’année de ma naissance.

Je sais, je sais, je fais ma fine bouche et je ne me laisse pas assez porter par le pouvoir de la fiction. Mais bon. Après des semaines à avoir couru après le film depuis qu’il est ressorti en version restauré, des semaines à l’avoir idéalisé, des semaines à me dire que j’allais le rater… quand enfin je me suis calé dans un large fauteuil de la salle 2 du Grand Action, un samedi soir à 21h30 pendant que sur le trottoir d’en face, russes et polonais regardaient les matches du Championnat d’Europe de foot… eh bien ça m’a agacé de découvrir que déjà à l’époque, Michael Mann était plus doué pour le sens du cadre que pour celui du récit. Pour autant il est amusant de noter à postériori à quel point Drive de Nicolas Winding Refn doit au « Solitaire ». Après tout, peut-être que sans le film de Michael Mann, nous n’aurions pas eu droit à l’ébouriffante conduite de Ryan Gosling. Alors forcément, il est plus facile de pardonner le laxisme scénaristique…

lundi 18 juin 2012

"Dangerous liaisons" : Valmont et Merteuil parlent chinois


Hum… bon okay cela fait plus d’une semaine que le Forum des Images a baissé le rideau sur la reprise des films de la Quinzaine des Réalisateurs…  et cela fait plus d’une semaine que j’ai vu « Dangerous Liaisons », le quatrième film vu dans ce cadre au Forum. Évidemment cela m’aurait bien arrangé que le Champs-Élysées Film Festival ne tombe pas exactement la même semaine… mais bon inutile de refaire le monde c’est trop tard (expression un tout petit peu exagérée dans le cas présent je sais).

Comme attendu, ce n’était pas la foule des grands jours au Forum des Images pour cette transposition du roman de Pierre Choderlos de Laclos dans le Shanghai des années 30. Il faut dire que c’est loin d’être le film à avoir fait le plus parler de lui au cours de la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes. Très loin. Le film est passé quasi inaperçu, pourtant dans le genre curiosité, « Dangerous Liaisons » avait de quoi attirer l’œil, par son concept même. Alors je me suis permis d’outrepasser le silence critique entourant le film sur la Croisette pour aller voir à quoi les Valmont, Tourvel et Merteuil made in China ressemblaient. Enfin, c’est faux car je savais à quoi ils ressemblaient, et c’est justement parce que leur allure me plaisait que le film me rendait encore plus curieux.

Dans la peau de Valmont le séducteur, ici rebaptisé Xie Yi-Fan (oui on est à Shanghai je le rappelle), le coréen Jang Dong-Gun, révélé par « Friend » dans son pays d’origine, vu en France dans le « Coast Guard » de Kim Ki-Duk et le guerrier « Frères de sang ». Dans la peau de Tourvel la vertueuse tentant de résister au séducteur, rebaptisée Du Fen-yu, Zhang Ziyi. Et l’incontournable Merteuil, ici Madame Mo, prend les délicieux traits de Cecilia Cheung. Jang Dong-Gun n’est pas le seul coréen à bord, puisque le réalisateur n’est autre que Hur Jin-Ho, un spécialiste du mélo coréen à qui l’on doit notamment « Christmas in August » ou « April Snow », ce dernier étant sorti en salles en France. Bon je n’écris pas ce billet pour vous détailler le CV de toute l’équipe du film. Disons que le réalisateur me faisait un peu peur. Un spécialiste du mélo transposant « Les liaisons dangereuses » dans le Shanghai de 1931, cela risquait d’être suranné, ou déjà vu, ou kitsch. Le ratage était à portée de main, et c’était déjà une surprise que de trouver un tel film parmi la sélection de la Quinzaine des Réalisateurs.

La surprise a été d’autant plus grande. « Dangerous Liaisons » est une belle réussite. La platitude que j’ai pu trouver par le passé aux mélos de Hur Jin-Ho est oubliée. Sa transposition du classique français fonctionne à merveille. Il nous plonge dans la bourgeoisie chinoise à une époque où se dessinent déjà les prémices de la guerre avec le Japon, et il le fait avec une classe parfois insolente. Si la caméra manque parfois un peu d’assurance, il y a un je-ne-sais-quoi de cette langueur chatoyante et sensuelle que l’on aime à retrouver dans le cinéma chinois. Bon ce n’est pas non plus du Wong Kar Wai, mais il y a de l’élégance dans ces Liaisons Dangereuses chinoises.

Sortira-t-il en salles en France, difficile à dire. Pour le moment le film manque d’un quelconque buzz. L’auditorium du Forum des Images n’était pas franchement peuplé en ce samedi-après-midi pour découvrir le film. Néanmoins le film a semblé plaire. A la sortie, une spectatrice m’a souri en me disant « Il ne manquait que la petite vérole ». Son sourire indiquait bien que cela importait peu, à juste titre. Le pari est tout de même réussi. 

dimanche 17 juin 2012

Mobilisation pour joli film ignoré


Il y a des insuccès qui font plus de peine que d’autres. Parce que certains pourraient marquer leur époque et qu’ils ont finalement l’impact d’une goutte d’eau dans l’océan, et parce que d’autres sont si modestes qu’ils ont finalement besoin de peu pour être considérés comme un succès. Et parfois même ce peu est insurmontable. Ce destin injuste est en train de frapper un beau film sorti à l’ombre des autres, une ombre qui semble trop grande. Ce film c’est « Couleur de peau : miel », sorti il y a une dizaine de jours dans 49 salles.

A l’origine, il s’agit d’une bande dessinée de Jung qui y raconte sa propre histoire, celle d’un enfant errant dans les rues de Séoul, recueilli dans un orphelinat avant d’être adopté par une famille belge qui deviendra sienne. Aujourd’hui donc, Jung a coréalisé avec Laurent Boileau une adaptation de son œuvre, entre documentaire et animation. Il y apparaît face caméra pour son premier voyage à Séoul, 40 ans après avoir quitté le pays enfant. Au gré de sa découverte de la ville et de son passé, Jung nous raconte son enfance sous forme animée, son arrivée en Belgique, ses frères et sœurs ses parents, son adolescence…

Peut-être le sujet m’intéressait particulièrement parce qu’il se rapproche de celui de mon amie, mais quel qu’ait pu être mon intérêt initial, il ne m’avait pas préparé à découvrir un film si délicat, trouvant dans cette introspection très personnelle du cinéaste un émouvant portrait de cette enfance déracinée. Nous sommes trop peu à avoir découvert « Couleur de peau : miel » au cinéma ces derniers jours. Nous sommes trop peu à avoir ri avec ce petit coréen devenu belge, à ce village qui dans les années 70 a vu beaucoup d’enfants coréens débarquer dans le plat pays parce qu’à l’époque, avoir un petit coréen c’était comme avoir la dernière voiture à la mode.

Combien serons-nous à avoir vu le film de Jung une fois son tour des salles terminé ? Trop peu. Alors faites-moi plaisir, allez sur Allociné ou prenez votre Pariscope, regardez si « Couleur de peau : miel » joue du côté de chez vous, et allez le voir. Vous n’êtes pas contre un peu de rire et d’émotion, n’est-ce pas ?

vendredi 15 juin 2012

Qui de Sony ou 20th Century Fox décroche la palme du plus mauvais distributeur du mois ?


Est-il possible qu’un distributeur sorte un film sans l’avoir vu ? Quelle pensée diablesse que celle-ci ! Bon, certes, j’extrapole énormément et en guise de distributeur, peut-être ne s’agit-il en fait que de l’équipe marketing chargée de vendre le film. Ah oui, au fait, je parle de Sony Pictures et « 21 Jump Street ». Oui, je soupçonne l’équipe marketing s’étant occupée du film de n’avoir même pas vu le film dont elle avait la charge. Si c’est vrai, cela en dit long sur la motivation au sein de Sony pour s’occuper de leur catalogue. Cela paraît énorme et pourtant, le doute est à peine permis.

Vous me réclamerez la preuve de ce que j’avance, bien sûr. La preuve tient dans un détail qui pourrait paraître anodin, mais si une telle chose est anodine, alors effectivement, il ne faut plus s’étonner de rien. Le problème tient dans la phrase d’accroche du long-métrage, placardée sur toutes les affiches de France et de Navarre. En dessous du titre « 21 Jump Street », on peut lire ceci : « Être flic, c’était cool… jusqu’à ce qu’on les envoie à la fac ! ». Mesdames et messieurs travaillant au service marketing de Sony... Voyons. Un petit effort. Le film dure moins de deux heures. Je suis sûr que plusieurs personnes travaillent dans votre service. Je suis sûr que quelqu’un, au cours des mois qui ont précédé la sortie du film, quelqu’un a bien eu le temps de jeter un œil au film. Allez, même pas en entier, ne serait-ce que 30 ou 40 minutes. Non ? Vous n’aviez pas un tel laps de temps disponible dans votre emploi du temps ces trois derniers mois ?

Bon alors attention, je vais vous faire une révélation qui va vous faire un choc : les deux héros du film, incarnés à l’écran par Jonah Hill et Channing Tatum… ils ne sont pas envoyés à la fac. Non non, sérieusement. Ils sont envoyés au lycée. Arrêtez de rire, je vous assure, c’est véridique. Je suis allé voir le film (moi). Je sais, je sais, comment peut-on croire à Channing Tatum lycéen, c’est absurde, mais justement, c’est une des qualités du film, cette capacité d’embrasser avec humour l’absurdité d’une telle situation et jouer dessus. Allez, je vous le dis puisque l’on est à l’évidence dans un moment où on se dit ce que l’on a sur le cœur. C’est doublement stupide d’avoir ainsi bâclé votre travail, puisqu’en plus de perdre de la crédibilité auprès des spectateurs potentiels, vous avez-vous-mêmes manqué ce qui sera peut-être LA comédie US de l’année. Oui, « 21 Jump Street » est une vraie réussite, une comédie hilarante, folle dans l’esprit et magnifiquement maîtrisée dans la conception, alignant les situations et les répliques irrésistibles dans un drôle de mélange de lourdeur et de finesse.

Malgré votre bourde, le film s’en tire plutôt bien au box-office. Vous ne l’avez pas sorti dans énormément de cinémas, donc le nombre d’entrées n’est pas impressionnant, mais le taux de remplissage des salles est bon. Qui sait, peut-être qu’avec un peu plus d’effort et de confiance dans le film, il aurait pu être un vrai succès, ce qui se fait rare pour la comédie américaine en France. En tout cas, j’espère que pour ce qui est de vendre vos films, vous assurez sur le reste de votre catalogue, parce que pour « 21 Jump Street », vous méritez un zéro pointé.

J’exagère peut-être, parce s’il y a bien un distributeur qui mérite toujours plus de zéros dans son carnet de notes, c’est 20th Century Fox. Encore eux. C’est drôle parce que l’article le plus lu de tout mon blog, c’est celui dans lequel je poussais un coup de gueule envers la branche française du studio américain, pour cause de VF intempestive lorsqu’ils sortaient une comédie confidentiellement. Il faut croire que ce billet n’était pas remonté jusqu’à la Fox (ou qu’ils s’en foutent royalement, après tout), puisque le distributeur a remis ça cette semaine, avec une deuxième comédie dont la tête d’affiche est Jonah Hill. « Baby Sitter malgré lui » de David Gordon Green, « The Sitter » dans le texte. Une fois de plus, le film n’est visible qu’en VF, sur Paris c’est au Publicis. La Fox n’a donc toujours pas compris qu’aussi peu nombreux soient les spectateurs potentiels d’une telle sortie technique, ils sont plus nombreux à attendre le film en VO qu’en VF, et qu’en VF, le public potentiel ne se déplace pas. Je serais allé le voir, « Baby Sitter malgré lui », s’il était passé en VO, et je connais d’autres cinéphiles qui y seraient allés. Mais en VF, aucun n’ira (les chiffres ne trompent d’ailleurs pas : 41 entrées en France pour son premier jour…). Allô, il y a quelqu’un à la 20th Century Fox ?

Vous savez, que vous travailliez chez Sony ou 20th Century Fox, je ne dis cela que pour votre bien et pour vous offrir la chance de nous prouver que vous êtes capables de vous améliorer. Alors, tentés de relever le défi ?

mercredi 13 juin 2012

Bernie mangeait des canaris, maintenant il embaume les morts


Le titre de ce billet est des plus étranges, mais jusqu’à il y a quelques jours, lorsqu’on me parlait de Bernie, l’image qui se formait immédiatement dans mon esprit consistait en Albert Dupontel menaçant de mâcher un petit oiseau. Son film est l’un des souvenirs cinématographiques forts de mon adolescence, mais vendredi dernier, j’ai découvert un autre Bernie au Champs-Élysées Film Festival. Après la débâcle de « Not waving but drowning » deux jours plus tôt, je me suis orienté vers une valeur sûre du cinéma indépendant américain, Richard Linklater. Si ce dernier est surtout connu en France pour son diptyque « Before Sunrise » / « Before Sunset » avec Julie Delpy et Ethan Hawke, deux œuvres très européennes de nature, Linklater est Texan, et son cinéma est souvent associé au fameux État américain, du précurseur « Slackers » à l’hypnotique « A scanner darkly ».

Le Bernie de Richard Linklater est en ce moment même à l’affiche aux États-Unis, où il est sorti assez discrètement fin avril dans une combinaison de salles réduite. Accompagné de critiques élogieuses, il connaît une belle carrière art & essai, et c’est sans doute une des raisons pour lesquelles Bernie était le film qui m’interpelait le plus dans la programmation du Champs-Élysées Film Festival. Alors je n’ai pas hésité à lâcher le billet de 10 euros pour l’occasion en allant le voir dans un Gaumont. Ca faisait un bail que je n’avais pas payé plein pot pour voir un film, et cela faisait au moins aussi longtemps que je n’avais pas mis les pieds au Gaumont Ambassade. Je crois que mon dernier souvenir dans ce ciné du bas des Champs-Élysées remonte au film d’animation « Le Prince d’Égypte ». C’était quand, Noël 1998 ? Oui ça remonte.

En tout cas je n’étais pas seul à avoir répondu à l’appel de Richard Linklater, et confirmant le succès du festival, la salle n’était pas loin d’être pleine. Il faut dire que comme tout film indé qui se respecte, Bernie n’est pas garanti de sortir en salles en France, alors au cas où, mieux valait ne pas rater l’une des trois projections du film au CEFF. Surtout qu’en jetant un coup d’œil dans le rétro, on constate vite que tous les films de Linklater ne sont effectivement pas sortis en France, et il n’est pas besoin de remonter jusqu’à Slackers, car celui qu’il avait réalisé avant Bernie, « Me and Orson Welles », malgré Zac Efron en tête d’affiche et un sujet potentiellement enclin à séduire les cinéphiles français, attend toujours de sortir chez nous (mais n’attendez pas, c’est trop tard maintenant).

Cependant après avoir vu Bernie, il ne fait aucun doute dans mon esprit qu’il y a dans la comédie réunissant Jack Black, Matthew McConaughey et Shirley MacLaine de quoi réjouir les français regardant d’un œil méfiant cet État Texan que l’on associe encore naturellement à George W. Bush. De Texas il est certes question dans Bernie, du Texas et des texans, mais ces texans-là seraient plutôt du genre à nous réconcilier avec eux (si tant est qu’il en était besoin, bien sûr...).

Le récit prend place à Carthage, une bourgade du nord-est du Texas tout ce qu’il y a de plus tranquille. Le dénommé Bernie y a longtemps été assistant funéraire, et l’homme le plus apprécié de la ville, toujours serviable, toujours dévoué, toujours prêt à aider son prochain… même Marjorie Nugent, cette vieille veuve pleine aux as que personne à Carthage n’a jamais pu supporter, pas même sa propre famille. L’histoire qui nous est contée est celle de Bernie, et du drame qui a défrayé la chronique à Carthage.

Bernie, raconté tel quel, de façon directe, pourrait n’être qu’une gentille histoire entre le drame et la comédie, un peu banale, un peu déjà vue, pas franchement excitante. Pourtant Richard Linklater, en s’emparant de cette histoire vraie ayant pris place dans les années 90, a trouvé un moyen de la rendre dynamique, surprenante, et souvent irrésistible : il la raconte comme si son film était un documentaire, ou plutôt un docu-fiction. Car ce sont les habitants de Carthage qui narrent le film, à travers des interviews témoignages où chacun y va de son anecdote, de son opinion et de son point de vue tranchant exprimé avec un aplomb accentué par cet accent traînant du sud des États-Unis. Ce sont ces interventions qui rythment le récit, et plus on en découvre, plus on se demande s’il s’agit là d’acteurs ou des véritables témoins de l’affaire s’étant nouée dans les années 90. Il est certain que plusieurs d’entre eux sont des comédiens, à commencer par Matthew McConaughey, qui sous les traits du procureur de Carthage méfiant et texan pur-jus déploie une palette comique à laquelle il est difficile de résister. Mais d’autres pourraient très bien être des personnes ayant véritablement côtoyé Bernie et Marjorie Nugent.

Toujours est-il que lorsque ces témoignages se font plus rares pendant 20 ou 25 minutes du film, ce dernier perd en rythme, se traîne un peu et quelques bâillements sont à deux doigts de se faire sentir… jusqu’à ce que les habitants de Carthage réapparaissent à l’écran et ressortent leur langage texan bien fleuri pour nous raconter cette histoire avec mordant. La vérité, c’est que je n’ai découvert qu’il s’agissait d’une histoire vraie qu’à la fin du film, lorsque Richard Linklater fait apparaître à l’écran le véritable Bernie. C’est peut-être pour ça que son film m’a tant plu. Je pensais deviner que ce serait une petite comédie indé bien mise, alors que s’est révélé un récit trublion plein de surprise et haut en couleurs. Et les surprises, ça n’a pas de prix. Oui, après la déception du premier jour, le Champs-Élysées Film Festival s’est bien repris. Et si les rires entendus dont la salle sont un bon indicateur, je ne suis pas le seul à le  penser. Vous verrez que grâce à Richard Linklater, on entendra bientôt des « Vive le Texas ! » clamés en France. Avec le sourire.

mardi 12 juin 2012

Cannes à Paris : de l’animation coréenne


Un soir de semaine à 21h30 au Forum des Images, le spectateur se fait rare. Encore plus pour un film d’animation coréen dont presque personne n’a parlé pendant le Festival de Cannes - bien qu’il fut au programme de la Quinzaine des Réalisateurs. Nous étions peut-être une trentaine pour découvrir « The King of Pigs », et lorsque je suis arrivé peu après 21h, nous étions à peine cinq à attendre l’ouverture de la salle. C’est sûrement grâce à ces espaces bien vides du Forum des Images que j’ai croisé une connaissance dont la simple vue m’a collé un sourire au visage.

Bon, j’exagère lorsque je parle de connaissance, car je suis certain que lui ne m’a pas reconnu. Alors que je montais les escaliers du Forum, lui les descendait, à l’évidence sortant d’une séance précédente. Lui, c’est ce sympathique japonais qui lors des deux dernières éditions de Paris Cinéma a officié en tant qu’interprète pour les cinéastes ou acteurs invités. Souvenez-vous de ce garçon dont les hésitations et les silences avaient le don de rendre ces instants irrésistibles  et inoubliables. Souvenez-vous de la projection d’Hospitalité. Ca y est, vous voyez de qui je veux parler pour ceux qui y étaient ? Cette année c’est Hong Kong qui sera mis à l’honneur au Festival, donc les chances sont minces d’y croiser notre interprète préféré, mais qui sait ?

Mais parlons de la Corée plutôt que du Japon ou d’Hong Kong. J’ai l’impression que ce n’est pas du luxe de parler de ce lointain pays, quand je découvre à quel point les français le méconnaissent encore. J’en ai eu une sacrée preuve devant « The King of Pigs », grâce à mon voisin de salle. Un cinéphile (il faut l’être pour être maniaque au point de venir se coller à côté de moi dans une salle presque vide, histoire d’être le mieux placé possible) sexagénaire qui avait toute les chances d’être un tant soit peu cultivé ou au fait de ce qui se passe dans le monde. Le cinéma ouvre de beaux horizons, et qui part à la recherche de films du monde entier en apprend forcément un peu sur la géopolitique mondiale. Mais si mon voisin était cinéphile, il ne semblait pas très au fait de ce qui peut profondément distinguer la Corée du Nord de la Corée du Sud. Comment expliquer autrement le fait qu’à la fin du film, lorsque le générique s’est mis à défiler sous nos yeux, mon voisin s’est tourné vers moi pour me demander avec une sincérité étonnante : « Vous pensez que c’est la Corée du Nord ou la Corée du Sud ? ». « Baah, c’est la Corée du Sud là » lui répondis-je, surpris. « Ah d’accord ». En une simple question, les connaissances lacunaires du pays de Park Chan-Wook et Hong Sang-Soo par mes compatriotes furent flagrantes. Si un français n’est pas capable de faire la différence entre Corée du Nord et Corée du Sud en regardant un film comme « The King of Pigs », il n’y a pas de doutes possibles sur les progrès à faire pour mieux connaître le Pays du Matin Calme dans l’Hexagone.

J’estime faire ma part du travail pour faire connaître un peu plus la Corée du Sud, au moins à travers sa cinématographie, mais il faut croire que tous les français ne lisent pas L’impossible blog ciné (haha).  Et je dois bien avouer que si c’est à travers un film comme « The King of Pigs » qu’ils découvrent la nation asiatique, ils n’auront peut-être pas plus envie que cela de se frotter à la Corée plus en avant. Mais je dis peut-être cela parce que le film d’animation de Yeon Sang-ho m’a déçu. Non que j’attendais des merveilles particulières de ce long-métrage, après tout je savais à peine de quoi il retournait dans le film avant de le voir, mais disons que je suis toujours plein d’espoir lorsque je vais voir un film coréen, alors lorsque je n’en sort pas ébahi, je suis toujours un peu déçu.

« The King of Pigs » montre les retrouvailles entre deux hommes qui ont été amis lorsqu’ils étaient au collège. Après s’être perdus de vue pendant des années, ils vont passer une soirée ensemble autour d’un repas et se remémorer leurs années collège, des années peu glorieuses où ils étaient régulièrement martyrisés par un clan qui régnait en maître sur le collège… jusqu’à ce qu’un autre collégien change la donne. Si à travers le microcosme d’un collège en proie aux clivages sociaux et à la violence brute, le réalisateur se penche sur les maux de la société coréenne, il le fait avec une telle froideur, une telle distance, et à travers des personnages si insaisissables et peu enclin à attirer l’empathie que le film peine à emballer, ou pour le moins à séduire. Certes il ne s’agit pas là de prendre le spectateur dans le sens du poil, mais ce n’est pas à cette séduction-là que je fais référence. Je me serais contenté d’une séduction aride et amère, de celles qui remuent les tripes par son absence de concession. De concession il n’est pas question dans « The King of Pigs », qui emprunte le chemin traditionnel du film coréen sec et désespéré, mais il manque tout de même quelques grammes de lumière dans ce monde si sombrement dépeint. Pour faire ressortir l’ombre avec plus d’éclat.

Non, ce n’est peut-être pas avec ce film-là que les français vont s’amouracher de la Corée, ou enfin être capable de distinguer sans l’ombre d’une hésitation le Nord du Sud, comme mon voisin l’a prouvé à la fin du film. Mais les films coréens sont trop rares ces temps-ci pour faire la fine bouche. D’autant que le film est également sélectionné au Festival Paris Cinéma qui commence à la fin du mois. Alors si les films d’animation durs comme la pierre ne vous effraient pas…

P.S. : petite anecdote amusante, l’un des deux personnages principaux du film est doublé par l’acteur/réalisateur Yang Ik-Joon lorsqu’il est adulte et par la comédienne Kim Kkobbi lorsqu’il est enfant. Soit l’actrice du magnifique Breathless et son réalisateur.

dimanche 10 juin 2012

Premiers pas du Champs Elysées Film Festival


Pour une ville censée être la capitale mondiale de la cinéphilie, l’absence d’un grand festival renommé à Paris peut surprendre. C’est ce que semble avoir pensé la productrice/distributrice/exploitante Sophie Dulac qui a œuvré pendant plusieurs années pour mettre sur pied un nouveau festival de films à Paris, le Champs Élysées Film Festival. Alors bien sûr, j’entends déjà à juste titre les maîtres d’œuvre du Festival Paris Cinéma, dont la nouvelle édition s’ouvre par ailleurs dans quelques semaines à peine, élever la voix pour dire « Et nous, on compte pour du beurre ?! ». Que tout le monde se rassure, les parisiens sont suffisamment cinéphiles pour que deux festivals coexistent à quelques semaines d’intervalle, des festivals qui plus est judicieusement tournés vers le public.

Le Champs Élysées Film Festival (CEFF) ne joue de toute façon pas dans le même cercle que Paris Cinéma, le p’tit nouveau étant spécialisé dans le cinéma indépendant américain quand le festival déjà bien implanté se veut plus large et sans frontières. Le choix de Sophie Dulac de mettre en avant un cinéma indépendant américain inédit ne peut que réjouir ceux qui comme moi trouvent que « l’autre » cinéma US est trop souvent sous-représenté dans les salles obscures françaises. C’est pourquoi alors même que la reprise de la Quinzaine des Réalisateurs battait son plein au Forum des Images, je me suis penché sur la programmation du CEFF, histoire de trouver quelques pépites américaines dont les chances de sortie en France étaient minces. Et croyez-moi, il y a de quoi faire dans le programme.

J’ai attaqué bille en tête dès le premier jour du festival, qui comme son nom l’indique investit la plus célèbre avenue parisienne, du Gaumont Champs-Élysées tout en bas au Publicis au pied de l’Arc de Triomphe. Le premier film à m’avoir attiré s’intitule « Not waving but drowning ». Si le festival diffuse quelques avant-premières attendues comme « Blanche Neige et le Chasseur » ou « Friends with Kids », s’il passe des films indépendants avec des stars comme « Bernie » de Richard Linklater, « Not waving but drowning » fait partie des films les plus mystérieux projetés. Une toute jeune réalisatrice dont c’est le premier film, une distribution quasi inconnue, et un pédigrée vierge, le film n’ayant été présenté dans aucun grand festival auparavant. Une vraie rareté en somme, qui en la voyant lors de la première de ses diffusions au cours du festival, allait faire de moi l’une des toutes premières personnes au monde à découvrir officiellement le film (ça fait toujours plaisir).

Un jour de semaine en fin d’après-midi, pour un si petit film dans un festival n’ayant pas fait ses preuves, je me demandais si nous n’allions pas être qu’une petite poignée de curieux à se présenter au Lincoln. La réalisatrice devant être présente, je n’aurais pas aimé que l’on se retrouve à cinq devant la jeune femme, sous peine d’une atmosphère silencieuse. Le Festival semble avoir réussi sa promotion, car contre toute attente, la salle n’était pas vide. Bon, elle n’était certes pas pleine, mais entre trente et quarante spectateurs pour une telle projection, c’était finalement encourageant. Et c’est bien ce qu’il fallait car en guise de réalisatrice présente, c’était presque toute l’équipe du film qui était là. La réalisatrice, donc, Devyn Waitt, mais également la productrice, des co-producteurs, des acteurs, le compositeur, et d’autres encore restés anonymes. Tout le monde a fait le voyage à Paris. Et à les voir ainsi s’épancher sur leur tout petit film fait entre amis, avec des étudiants en cinéma et un cœur gros comme ça, l’envie d’aimer le film m’est venue soudainement.

Bien sûr, lorsque l’on va voir un film, on veut tous l’aimer. Mais il y a ceux dont on ne savait trop quoi attendre quelques instants plus tôt, comme celui-là, et qui en quelques minutes, en voyant une jeune réalisatrice partager son enthousiasme d’être en France, en voyant sa productrice s’enflammer pour son équipe, en voyant son expérimentée actrice (Lynn Cohen tout de même !! La Golda Meir du Munich de Spielberg !!) louer le film, tout à coup, leur enthousiasme se fait contagieux. J’ai envie de l’aimer ce film. Non, je vais l’aimer, c’est sûr !

Eh bien non. Lorsque la lumière s’éteint et que le film commence, l’enthousiasme communiqué quelques instants plus tôt ne compte plus et seule la vérité du film parle… et ce qu’elle m’a dit ne m’a pas convaincu. Du tout. Malheureusement, « Not waving but drowning » souffre d’un syndrome récurrent chez quelques cinéastes, celui de confondre long-métrage et clip. Ce sont des cinéastes qui adorent les belles photographies, qui aiment la musique planante, et pensent que l’on peut dire autant de choses en filmant de jolis décors avec un petit morceau de pop par-dessus qu’en écrivant une page de dialogues. Et la plupart du temps, il en résulte des films assez indigestes, poseurs, qui donnent la sensation de voir un bout à bout de clips plutôt qu’un long-métrage. C’est exactement le sentiment que laisse « Not waving but drowning ». Celui d’avoir assisté à la projection d’un clip musical de 90 minutes dans lequel deux amies d’enfance qui ont grandi dans un patelin américain rêvent de New York, mais seule l’une d’elle part vivre dans la ville qui ne dort jamais.  Et l’on suit le destin parallèle des deux amies, celle qui découvre la vie new-yorkaise et celle qui trouve un job à la maison de retraite de leur patelin.

Et inlassablement, sans aucun recul ou aucune jugeote, au choix, la jeune réalisatrice coupe le son toutes les dix minutes, envoie une jolie petite chanson aérienne composée pour l’occasion, et filme l’une de ses actrices gambadant dans un champ, ou déambulant dans New-York, ou toute autre situation qui rendrait le film cool visuellement. Je pourrais appeler cela le syndrome Elizabethtown, car le film de Cameron Crowe était l’archétype même du film se souciant plus de l’ingérence de la musique dans ses séquences plutôt que de la qualité de son scénario, mais le film de Crowe n’était pas si poseur que cela.

Toute l’équipe du film était assise derrière moi, et je me sentais presque embarrassé d’assister au déroulement d’un film si mal conçu et exécuté avec tous les responsables dans mon dos. Lorsque le générique de fin est apparu, cette mini délivrance a été accueilli par de polis applaudissements, les plus chaleureux venant bien sûr de l’équipe du film elle-même. J’ai timidement applaudi, pour la forme… et je suis sorti de la salle en espérant que cette première projection au Champs Élysées Film Festival n’était qu’un faux pas… Deux jours plus tard, un bien meilleur film m’attendait… (à suivre)

jeudi 7 juin 2012

The We and the I and Michel Gondry


C’est la cerise inattendue trônant à la cime du gâteau. Aller voir un film que l’on attend depuis des mois, bien avant qu’il sorte en salles, et découvrir à quelques instants du début de la projection que son réalisateur que l’on admire tant est assis dans la salle, juste devant soi, pour regarder le film avec nous. C’est ce qui m’est arrivé l’autre soir au Forum des Images pour la projection de « The We and the I ». Quelques jours après sa première mondiale au Festival de Cannes 2012, en ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs, le nouveau film de Michel Gondry était visible à Paris. Et contrairement à la veille où « Touristes » n’avait pas su remplir la salle 300, le Gondry parvenait sans mal à remplir le grand amphithéâtre du Forum des Images.

La venue du réalisateur de « Eternal Sunshine of the Spotless Mind », « L’épine dans le cœur » et « Green Hornet » avait beau ne pas avoir été annoncée, Gondry est suffisamment aimé des cinéphiles pour attirer une salle entière désireuse de croquer dans son nouveau film. Ce qui est marrant, c’est que quand le projet « The We and the I » avait été annoncé, il se murmurait qu’il s’agissait d’un film de science-fiction. Pendant le tournage du film, beaucoup se demandaient s’il n’y avait pas quelque chose de plus qui se cachait derrière le principe de base du film, le voyage en bus d’un groupe de lycéens du Bronx… il a été question à un moment de voyage dans le temps… Mais non. Gondry n’a pas ajouté d’élément fantastique à sa virée dans le Bronx. Et si je ne suis jamais contre un peu de fantastique, Gondry n’a pas eu besoin de cela pour rendre « The We and the I » passionnant.

Tourné avec des adolescents du coin, le film se déroule le temps d’une fin d’après-midi à la sortie d’un lycée du Bronx. Le dernier jour de classe vient de s’achever, c’est l’été, et une trentaine de lycéens prennent le bus pour rentrer chez eux. Un dernier trajet ensemble avant les vacances. Un trajet fait de discussions d’ados, de jeux, de blagues, de ragots, de malaises et de joies, de toutes ces choses qui font l’apparente insouciance de ce jeune âge. S’il s’agit d’une fiction, les ados jouent presque leurs propres rôles, et à travers ces gamins du Bronx, c’est le Michel Gondry de « Block Party » que l’on retrouve, prenant le pouls d’un New York populaire et d’une jeunesse en verve. Laissant la part belle à la spontanéité, le film vibre par ses jeunes acteurs et la vie qui se dégage d’eux.

A travers eux, Gondry s’amuse à étudier la place et le comportement de l’individu dans un groupe et vis-à-vis d’un groupe. A mesure que le bus traverse la ville et se vide, le cinéaste français observe le glissement de certains caractères et brouille les cartes du phénomène des clans. Au début du film, dans le bus plein, des groupes se forment au sein du groupe, des liens sont établis, des façons d’être. Et au fil des minutes, au fil du resserrement du groupe, les personnages s’affinent, les comportements changent. Le « nous » et le « je ». Le visage que l’on offre à un groupe n’est pas forcément celui qu’on offre en tête-à-tête.

Ces jeunes sont tellement passionnants à observer que j’aurais voulu voir le film durer plus longtemps encore, j’aurais pu rester encore dans ce bus, même lorsqu’il se vide, même lorsque l’excitation laisse peu à peu place à une amertume certaine, lorsque justement l’insouciance se gomme ou que les individus sont mis face à eux-mêmes. Michel Gondry est décidément fort. D’autant que le quasi huis-clos imposé par cette balade urbaine en bus ne l’empêche pas de faire preuve de cette créativité visuelle qui est sa marque, grâce à quelques sorties de bus ou flash-backs saillants et festifs.

A la fin du film, Gondry semblait hésitant, ne sachant s’il allait être rappelé sur scène peut-être, mais non, la lumière s’est rallumée, la salle s’est vidée plus vite que le bus du Bronx pendant que lui restait planté devant son fauteuil. Quelques admirateurs l’ont pris d’assaut pour lui serrer la main, bien sûr. « The We and the I » ne peut que renforcer l’admiration des cinéphiles pour le french filmmaker.

mercredi 6 juin 2012

Cannes à Paris : des Touristes anglais détonants !


C’est un rendez-vous traditionnel pour cinéphiles parisiens n’ayant pas eu la chance/le temps/l’envie/le courage/l’opportunité (rayez les mentions inutiles) de descendre à Cannes quelques jours plus tôt pour profiter du Festival de cinéma le plus célèbre au monde. Aller au Forum des Images voir les films de la Quinzaine des Réalisateurs, au Reflet Médicis découvrir la sélection d’Un Certain Regard, à la Cinémathèque Française jeter un œil aux premiers et seconds films ayant constitué la Semaine de la Critique. L’année dernière, j’en avais à peine profité (seul « Martha Marcy May Marlene » m’était passé sous les yeux), mais cette année, j’ai bien l’intention de faire le plein de films cannois.

La reprise des films de la Quinzaine des Réalisateurs est d’autant plus incontournable chaque année que c’est celle qui offre le plus de possibilités sur dix jours, et que la section parallèle cannoise a toujours été plus ouverte que les autres au cinéma de genre (et ça, c’est une énorme qualité). Alors ne vous étonnez pas si dans les jours qui viennent, les films de la Quinzaine des Réalisateurs occupent abondamment ces pages. D’autant que la dégustation a commencé avec un morceau de choix amplement attendu par celles et ceux qui ont eu la chance de voir « Kill List » l’an passé à l’Étrange Festival (bien sûr j’en étais !). Le nouveau long-métrage de Ben Wheatley, son troisième alors que dans quelques semaines sortira enfin en salles en France le fameux « Kill List » (guettez-le en juillet !).

Après le thriller sec et mystérieux, le réalisateur britannique s’attaque à la comédie noire. Très noire. Je pensais que la réputation du précédent film du cinéaste et les critiques enthousiastes lors du passage en séance spéciale à Cannes attireraient plus de curieux au Forum des Images ce soir-là, d’autant que contrairement à la plupart des autres films, « Touristes », connu en VO sous le titre « Sightseers », n’était projeté qu’une fois à Paris. Pourtant même en n’étant pas diffusé dans la plus grande salle du Forum, la salle était loin d’être pleine. Les cinéphiles parisiens ont raté un festival d’humour noir réjouissant.

Ce que j’aime avec les festivals, c’est pénétrer dans la salle sans trop savoir à quoi m’attendre, et en entrant dans la salle du Forum des Images, la seule chose que je savais du film de Ben Wheatley, c’était que les protagonistes étaient un couple faisant du tourisme dans la campagne anglaise. Un point de départ simple, mais avec « Kill List » en tête, il était difficile d’imaginer que la balade dans la verdure de nos voisins d’outre-manche allait en rester à ce calme niveau. Loin de moi l’idée de vouloir déflorer le grain qui traverse « Touristes », mais sachez au moins qu’il s’agit d’une trentenaire vivant avec sa mère un brin obsessionnelle et reprochant toujours à sa fille la mort de leur chien, et d’un barbu d’apparence débonnaire, partant en caravane sur les routes d’Angleterre faire du tourisme pour le moins plan-plan. Le genre de tourisme que Jean-Pierre Pernaut prônerait dans son JT de 13h…

Quand on les voit comme ça, ces deux-là, on les imagine bien solitaires et ayant peu l’habitude des relations de couple. Et à mesure qu’ils se découvrent l’un l’autre, le spectateur découvre par la même occasion qu’ils ne sont pas aussi plan-plan qu’ils en ont l’air. Et que derrière cette joviale barbe, monsieur cache un caractère volatile qui a bien du mal à ne pas extérioriser ses émotions, et à ne pas manifester sa désapprobation lorsqu’il rencontre quelqu’un ne partageant pas les mêmes opinions que lui. Le voyage plan-plan se transforme vite en une odyssée folle de deux imbéciles qui trouve dans sa noirceur un humour détonnant dont il est difficile de ne pas se régaler. Amateurs de bienséante morale, passez votre chemin, car Ben Wheatley confirme que le conformisme cinématographique, ce n’est pas sa came.

Quand « Kill List » sortira dans les salles dans quelques semaines, certains se mordront les doigts d’avoir rater cette projection exceptionnelle de « Touristes ». 

lundi 4 juin 2012

Prometheus, promesse non tenue

Essayer de définir l’attente qu’a pu susciter Prometheus n’est pas chose aisée. C’est l’excitation que seuls les grands projets renvoyant à ce qui nous a fait aimer le cinéma peuvent faire ressentir. C’est la promesse du retour d’un cinéaste qui s’est trop souvent égaré au cours de sa carrière vers un cinéma certes impressionnant mais trop facile, quand on sait qu’il a commencé dans la grandeur pure et simple. C’est la possibilité que le cinéma Hollywoodien puise dans ses riches ressources pour offrir au spectateur une aventure qui sorte du carcan du divertissement prévisible dont il se contente trop souvent. Prometheus, c’était l’idée, l’envie que peut-être, Hollywood allait nous offrir un de ces blockbusters qui nous file la chair de poule et nous fait battre le cœur à cent à l’heure.

La chair de poule et le cœur qui bat, c’est l’effet en tout cas que procurait la bande-annonce. Le genre de bande-annonce qui arrête le temps et vous fait ressentir une irrépressible envie de voir le film qu’elle promeut et rend difficile l’acceptation que non, le film que l’on va voir juste après n’est pas celui que l’on vient de nous vendre à l’instant. Le genre de bande-annonce qui donne envie à un allergique à la science-fiction de se convertir aux aventures cinématographiques spatiales.

Forcément, avec une bande-annonce pareille, on n’en attend pas moins du film. D’autant plus que l’on entend se murmurer depuis des mois que le long-métrage en question serait un prequel d’ « Alien le huitième passager », un des plus grands films SF que le cinéma ait porté. Et quand on connait bien le film que Ridley Scott avait réalisé en 1978, et que l’on voit la bande-annonce de celui qu’il nous offre en 2012, le doute est à peine permis quant à la filiation entre les deux. Bien sûr que Prometheus a un lien avec Alien. C’est une caractéristique qui a forgé l’excitation, mais c’est une telle évidence dès les premières minutes du film, par le vocabulaire employé ou les décors aperçus (certaines pièces du vaisseau Prometheus ressemblent assez nettement à celles du Nostromo dans lequel se déroulait Alien), que rapidement ce n’est plus un enjeu de curiosité ou de doute à dissiper.

Alors plus que pour aucun autre film encore cette année, la grande question s’impose aux lèvres de tous ceux qui ne l’ont pas encore vu, et même de ceux qui l’ont déjà vu et sont curieux de savoir ce que les autres ont pensé de ce long-métrage tant attendu : et alors, c’est comment ? Question incontournable dont la réponse peut pour bon nombre de films se résumer en quelques mots si ce n’est en un seul (de « Génial ! » au grand classique « Bof », voire « Mouais »). Mais Prometheus n’est pas de ces films qui peuvent amener une réponse simple. Prometheus n’est pas « Pas mal », ou « Énorme », ou « Nul ». Prometheus est de la race des films dont l’on pourrait discourir pendant des heures, s’interrogeant, débattant pour tenter de trouver une vérité qui n’existe bien sûr pas.

Non, non, je vous rassure, je ne vais pas me lancer dans une analyse détaillée et pointue du film de Ridley Scott. Ce blog n’a pas cette vocation. Mais je répondrai tout de même à cette question : Prometheus est-il donc à la hauteur de l’incommensurable attente qu’il avait fait naître en moi ces derniers moi ? Non. Je suis aussi mitigé à la sortie que j’étais excité lorsque la lumière s’est éteinte dans la salle et que le logo de la 20th Century Fox s’est mis en branle. Je rêvais de retrouver le Ridley Scott des meilleurs jours, celui de « Duellistes », « Blade Runner », et justement de « Alien, le huitième passager ». Je rêvais d’un Ridley Scott dont l’ambition serait totale autour d’un scénario en béton armé et d’un savoir-faire cinématographique remarquable. Mais si l’ambition de Ridley Scott est évidente, imposant à l’écran un sens du cadre écrasant de grandeur et un potentiel épique dans le récit, le scénario de Prometheus laisse trop souvent perplexe pour que le film coupe véritablement le souffle.

Je ne m’aventurerai pas sur le terrain du spoiler, mais il suffit de dire que le mystico-religieux dans lequel le film baigne n’est pas des plus excitants. Non que le mystico-religieux soit une mauvaise approche ("The Tree of Life" baignait dedans et je ne m’en plains pas…), mais les questions que se pose le scénario sur l’univers, sur la création ou Dieu amènent des phases narratives ratées et des dialogues qui sentent bon la facilité dans le domaine.  Au-delà même de l’aspect métaphysique, le scénario souffre de quelques situations écrites d’une incohérence folle pour ce qui est de rendre des personnages un tant soit peu crédibles. Comme si Ridley Scott avait les yeux tournés si haut et l’ambition si vaste qu’il en oublierait presque les bases d’un bon film de genre. De sa part, c’est presque impardonnable.

Prometheus est-il pour autant un plantage total ? Non bien sûr. Le sens de la grandeur du récit est admirable, et il est facile de se laisser porter presque tout du long tant Scott parvient à nous propulser dans un univers fascinant, inquiétant et qui nous renvoie à tout un pan du cinéma avec lequel on a pu grandir. Et il faut bien avouer que Michael Fassbender sait mieux que les autres acteurs déjouer les pièges du personnage caricatural dans lequel le scénario l’enferme peu à peu, parvenant par son seul jeu à affiner le personnage et à dévorer l’écran.

J’aurais aimé un Prometheus différent, inattaquable et promis à la légende. Un Prometheus qui me transporte autant que l’idée que je me faisais du film était capable de le faire. J’ai rêvé un Prometheus trop grand, trop beau, trop parfait pour ne pas sortir déçu du Prometheus bancal qu’a en réalité conçu Ridley Scott. Mais le succès lui est promis, et une suite lui tend les bras. Puis-je rêver à une suite qui rectifie le tir et m’offre le film que j’ai tant désiré ? Je garde ce rêve dans un coin de ma tête, aussi improbable soit-il.
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