jeudi 19 août 2010

Les cinéastes asiatiques doivent-ils répondre aux sirènes d'Hollywood ?

Il y a quelques jours, le blog The Playlist relayait une rumeur ciruculant depuis peu sur la toile : JJ Abrams, créateur de la série Lost et réalisateur de Star Trek, aurait rencontré Bong Joon-Ho en vue de produire un futur long-métrage que réaliserait le cinéaste coréen. La rumeur ne va pas plus loin. Bien sûr, tant qu’une quelconque confirmation ou information supplémentaire ne fera pas surface, les extrapolations seront futiles. Ce qu’il est possible de dire d’emblée, c’est qu’une telle nouvelle ne serait pas franchement étonnante en soi. L’intérêt que les cinéphiles du monde entier portent à Bong Joon-Ho n’est plus à prouver, et il ne serait pas surprenant qu’Abrams, véritable producteur autant que réalisateur, soit un fan de l’œuvre du cinéaste coréen, de Memories of murder, de The Host, de Mother. L’intérêt de l’américain pour le coréen est on ne peut plus crédible. La vraie question, c’est « Veut-on voir Bong Joon-Ho aller réaliser un film à Hollywood ? ».

L’intérêt qu’Hollywood porte aux cinéastes asiatiques n’est pas nouveau. Bong Joon-Ho ne serait pas le premier, ni certainement le dernier, à se voir proposer de réaliser un film pour un studio américain. C’est justement ce passif, ces déjà nombreuses expériences de réalisateurs d’Extrême –Orient ayant tenté leur chance en langue anglaise avec des acteurs occidentaux, qui poussent à la réflexion. Car en jetant un coup d’œil dans le rétro, on se rend vite compte que les réussites de cinéastes d’Asie à Hollywood sont quasi inexistantes.

Ce qu’on oublie assez facilement, c’est que le premier à avoir tenté de faire percer les cinéastes asiatiques aux États-Unis parmi la vague en cours ces vingt dernières années, c’est Jean-Claude Van Damme. Sérieusement. Aussi étrange que cela puisse paraître, Van Damme a insisté pour travailler avec la crème du cinéma d’action made in HK. C’est ainsi qu’on le voit en tête d’affiche des premiers films Hollywoodiens de John Woo (Chasse à l’homme), Tsui Hark (Double Team) et Ringo Lam (Risque maximum). Bien sûr le résultat n’est pas ce que les bonshommes ont fait de plus excitant dans leurs carrières respectives. Et si ses collaborations avec Van Damme ont finalement fait fuir Tsui Hark (retour à Hong Kong) et réduit Ringo Lam à réaliser pour le marché dvd plus qu’autre chose, John Woo s’est plus durablement installé aux États-Unis.

A l’origine, l’idée de voir ces maîtres du cinéma asiatique débarquer aux États-Unis a pu sembler séduisante, voire excitante, mais force est de constater que seul Volte/Face, dans la carrière Hollywoodienne de Woo, vaut ce qu’il a réalisé dans les années 80 et début 90 à Hong Kong. Que Tsui Hark a choisi de tourner Knock Off à Hong Kong (Piège à Hong Kong) pour reprendre ses repères. Et que les films de Ringo Lam ne sortent même pas en salles aux États-Unis.

Kirk Wong, avec The Big Hit, leur emboîtera le pas le temps d’un film, tout comme les frères Pang qui réaliseront un pitoyable remake américain de leur déjà bien faible Bangkok Dangerous original. Chaque nouvelle tentative semble être un échec couru d’avance, et ce n’est pas Andrew Lau qui avancera le contraire. Le co-réalisateur de Infernal Affairs a débarqué à Hollywood pour concocter le polar The Flock interprété par Richard Gere. Après des mois à être balancé d’un bout à l’autre du calendrier des sorties, le film finira par apparaître directement en DVD, sans passer par la case ciné.

Le cinéma de Hong Kong n’est pas le seul à avoir fait des envieux à Hollywood. La vague de cinéma fantastique japonais qui a soufflé à partir de Ring à la fin des années 90 a évidemment bien vite fait germer l’idée au sein des studios américains de faire venir les responsables pour leur faire reproduire leurs succès asiatiques. Hideo Nakata est ainsi venu réaliser le remake de son Dark Water ainsi que Le Cercle 2, la suite du remake de Ring. Il fut assez rapidement suivi par Takashi Shimizu qui vint, lui, refaire sa saga The Grudge au pays de McDonald’s. Difficile de dire qu’ils ont bien fait de répondre aux sirènes américaines.

Certains argueront peut-être que Ang Lee est un bel exemple de réussite d’un cinéaste asiatique aux États-Unis, mais le taïwanais est un cas à part, ayant vécu plus longtemps en Amérique du Nord qu’en Asie. Et même ses premiers films sont déjà des coproductions américaines. Lee était en réalité un artisan du cinéma indépendant américain avant d’exploser à l’international avec Tigre et Dragon. Même Lust, Caution, son beau film chinois avec Tony Leung et Tang Wei ayant fait scandale à Pékin et remporté le Lion d’Or à Venise, est une coproduction américaine.
Il serait également tentant de citer Wong Kar Wai s’étant malheureusement essayé à l’export avec My Blueberry Nights, mais si les États-Unis donnent au film son cadre (et une partie de ses comédiens), ils ne sont intervenu ni artistiquement, ni monétairement.

A la lumière de ce coup d’œil dans le rétro, il n’y a donc pas de franche excitation à l’annonce de cette rumeur associant potentiellement Bong Joon-Ho à JJ Abrams. Pour le moment, Hollywood ne s’est pas trop intéressé aux cinéastes coréens. Le cas particulier de cette rumeur est tout de même bien différent des exemples abordés plus haut. Nul doute que Abrams ne viendrait pas chercher Bong pour contrecarrer l’expression et la créativité du cinéaste sud-coréen. Ni doute non plus, sans vouloir amenuiser les talents des cinéastes chinois et japonais mentionnés, que Bong Joon-Ho affiche pour le moment un talent sans ombre et une filmographie remarquable. On voit mal le réalisateur se vendre et se plier à des règles qui ne lui conviendraient pas (ce n’est pas Van Damme qui vient le chercher après tout).

Le réalisateur de Mother est à l’heure actuelle un des tous meilleurs cinéastes en activité, et s’il y a bien un cinéaste asiatique qui serait capable d’apporter quelque chose même en changeant de langue et de pays, c’est bien lui. Il suffit de voir son bijou de court-métrage réalisé pour Tokyo ! pour s’en convaincre. Il est de toute façon déjà prévu que Bong s’internationalise l’année prochaine avec une adaptation de la bande dessinée française « Le transperceneige », réalisée par ses soins et produite par son compatriote Park Chan-Wook. Gros budget et casting international en vue pour ce film post apocalyptique dans lequel un train traversera une Terre meurtrie et ensevelie sous la neige, à bord duquel un groupe de survivants se battra pour s’en sortir.

Le tournage du Transperceneige est prévu pour 2011. Bong Joon-Ho travaille dessus depuis quatre ans. Même si la rumeur d’une collaboration JJ Abrams/Bong Joon-Ho est vraie, elle devra attendre un peu. Et ce n’est pas plus mal. Les cinéastes asiatiques ne sont jamais meilleurs qu’en Asie.

3 commentaires:

I.D. a dit…

Le sentiment lorsque je te le dis c'est qu'il faudrait répondre négativement à la question qui donne son titre à ce billet. Tu cites pas mal d'exemple qui se veulent frappant. C'est le sentiment que cela donne. En ce qui me concerne, je viendrais également à répondre par un non au vu des piètres films qui sont nés là-bas des cinéastes asiatiques. Après, il y a tout un tas de raison : la culture, la façon de travailler, le poids des producteurs, etc... si on laisse carte blanche à BJH pourquoi pas. Mais bon, cela ne me réjouit pas plus que cela pour être franc. Après ça ne veut pas dire qu'il ne fera pas quelque chose de bon. Loin de là mais bon...

Au-delà d'Hollywood c'est pas forcément mieux. En France Tsai Ming-liang avec Visage, Hou Hsiao Hsien avec Le Voyage du ballon rouge. En cherchant un peu, on doit en avoir d'autres, dans d'autres pays du côté occidentale. Maintenant pour en trouver un qui a livré du bon boulot, va falloir s'accrocher.

David Tredler a dit…

Ma réponse à la question du titre du billet est effectivement non, I.D. Les exemples sont trop nombreux, quasi exclusifs, de passage ratés de l'autre côté du Pacifique pour les cinéastes asiatiques. Il n'y a guère qu'une poignée de films pour lesquels s'enthousiasmer, Volte Face le premier (mais ça fait des années que je ne l'ai pas vu, il faudrait que j'y rejette un oeil quand même).

Mais peut-être serait-ce intéressant de voir un grand cinéaste s'y coller avec une liberté totale, même si j'y crois peu.
Les exemples que tu cites pour ceux qui sont venus en France sont également frappant, bien que, je dois bien l'avouer, je ne suis fan ni de TML, ni de HHH...

Helena a dit…

Je dois avouer que ma reaction en lisant cet article du Playlist, c'etait, Noooooooon! Ca me rend un peu triste, quand meme, parce que, comme tes exemples le montrent, les directeurs asiatiques ne font guere (jamais) leur meilleur travail en Amerique (les comediens asiatiques non plus). Mais peut-etre que ca marchera pour Bong Joon Ho, enfin.

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