mardi 29 novembre 2011

Ça y est, j'ai enfin vu Intouchables...

Quand un film devient un phénomène comme est en train de le devenir Intouchables, on est forcément amené à un moment ou à un autre à en parler. Certains pour taper dessus sans l’avoir vu et afficher un simple mépris du succès, d’autres pour annoncer leur déception face à la ferveur qui entoure le film, d’autres encore pour crier leur amour du feel good movie annoncé. Pourquoi donc en parle-je de mon côté ? Pour l’une de ces raisons ? Pour une autre tout à fait différente ? Et d’abord est-ce vraiment français de dire « parle-je » ? Pardon, je dérive…

Avais-je envie de voir le film d’Olivier Nakache et Eric Toledano avant que le public ne s’en empare et n’en fasse le plus grand succès de l’année au box-office ? Bien sûr. J’avais vu et apprécié chacun des films réalisés par le duo, j’ai rarement pour habitude de manquer un film avec François Cluzet… non il n’était pas question que je rate le film. Et non, je ne suis pas de ceux qui se montrent méfiants à l’égard d’un film dès qu’il devient très populaire sous prétexte qu’il risque d’être très consensuel pour avoir ainsi satisfait tant de monde. Non, le succès d’Intouchables n’a ni décuplé, ni amoindri mon envie d’aller voir le film. Il a simplement fallu que j’attende un peu plus longtemps que prévu pour le voir, les séances affichant continuellement complètes aux quatre coins de Paris.

Je l’ai finalement vu un samedi après-midi vers Opéra, quatre semaines après sa sortie, en ayant acheté ma place près d’une heure en avance histoire de ne pas avoir à faire la queue 30 minutes pour l’obtenir. La salle était pleine à craquer, et dans un étrange état d’excitation, le genre d’excitation que j’avais ressenti en octobre 99 quand j’étais allé voir Star Wars Episode I : La Menace Fantôme ou à Noël 2001 pour découvrir le premier volet du Seigneur des Anneaux par Peter Jackson. De mon côté j’étais content d’enfin pouvoir voir Intouchables, mais autour de moi, nombre de spectateurs venaient à l’évidence voir l’évènement de l’année, poussés par le bouche-à-oreille et la ferveur publique.

Tout au long du film, ce fut un festival de jubilation auquel j’ai assisté dans la salle. Tant de rires qu’il était parfois difficile d’entendre certaines répliques, tant d’applaudissements qu’on se serait cru au Festival de Cannes. L’expérience était à la fois déconcertante et amusante. Déconcertante car il se produit avec un film comme Intouchables quelque chose d’imprévisible et d’incontrôlable, une appropriation totale et immédiate du public vis-à-vis d’un film que rien ne prédestinait sur le papier à devenir l’un des plus grands succès de l’histoire du cinéma. Un succès qui se dessine jour après jour au box-office français. Un mois après sa sortie, le film n’a encore jamais affiché moins de deux millions d’entrées par semaine, et passe à l’heure où j’écris ces lignes les 10 millions de spectateurs en salles.

Il est regrettable de ne pouvoir pleinement s’en réjouir, car il apparaît assez évident que le succès monstre d’Intouchables est l’une des raisons notables de l’échec de films comme Toutes nos envies ou L’ordre et la morale, mais il y a tout de même matière à être satisfait. Bien sûr parce que le film confirme une embellie automnale incroyable pour le cinéma hexagonal au box-office… mais surtout parce qu’Intouchables est un bon film. L’enthousiasme déchaîné de certains pourrait toujours sembler disproportionné, il n’empêche que le film est une jolie bourrasque d’humour au cœur de laquelle l’aventure humaine des deux hommes interprétés par Omar Sy et François Cluzet est souvent réjouissante (même si tous les clichés en pagailles sur le personnage de gars de la cité qui parcourent le film auraient pu être mis nettement en sourdine).

Après le triomphe impérial un peu honteux d’un film aussi passable que Bienvenue chez les ch’tis, voir Intouchables s’en aller tutoyer les sommets et enthousiasmer les français fait décidément plaisir. Les plus grands succès du box-office sont rarement les plus innovants et ambitieux, Intouchables le confirme. Mais savoir se montrer réjouissant en toute simplicité, c’est aussi la force du film.

dimanche 27 novembre 2011

2h37 en Anatolie entre dérangements, piaillements et perplexité

Je me demande si je serais vraiment allé voir Il était une fois en Anatolie si je n’avais pas vu Café Noir le mois dernier au Festival Franco-Coréen duFilm 2011. L’idée me serait venue, certainement, je me serais persuadé que j’allais finir par y aller, sans doute, mais en fin de compte, j’aurais fini par le rater, à coup sûr, en m’en voulant un peu pendant quelques jours, puis finalement en m’en remettant très bien. La perspective d’un austère film turc de 2h37 m’aurait inconsciemment fait flancher, malgré le Grand Prix reçu à Cannes en mai dernier. Après tout, ce n’est pas la première fois que le cinéaste Nuri Bilge Ceylan se voit ainsi récompensé sur la Croisette, et jusqu’ici, je n’avais jamais fini par aller voir ses films.

Pourtant ça y est, je l’ai vu, le fameux Il était une fois en Anatolie. Et je pense que traverser Café Noir, ce drame amoureux contemplatif de 3h18 m’a endurci  face aux films d’auteur lancinants  de plus de 2h30. « Si j’ai tenu et même aimé l’expérience coréenne de 3h18, comment avoir peur d’un film turc de 2h37 qui paraitra certainement un court-métrage à côté ! » Par contre s’il y a une chose que les années m’ont enseigné, c’est que lorsqu’il s’agit de passer plus de 2h30 assis devant un film, autant choisir une salle confortable, pour le bien-être du corps et, ne nous voilons pas la face, la tranquillité du sommeil si d’aventure il devait m’arriver de m’endormir. Écarté d’emblée donc le MK2 Beaubourg ! En revanche, en quatrième semaine, Il était une fois en Anatolie tenait toujours l’affiche au Balzac à côté des Champs-Élysées, un bel exemple de confort, d’autant que le film était projeté en salle 3, cette fameuse petite salle de luxe que j’avais testé pour City of life and death il y a quelques mois.

Arrivé au galop, sur le fil alors que la séance commençait tout juste, j’ai été surpris de trouver une salle pas loin d’être pleine. Comme je l’avais décrite l’année dernière, la salle est barrée en son centre d’une travée centrale, et c’est au deuxième rang, sur cette travée centrale, que je me suis posé pour être tranquille (la taille de l’écran et le rythme reposant annoncé du film ne risquaient de toute façon pas de déclencher une crise d’épilepsie…). C’est alors, en retirant mon manteau et en jetant un œil par-dessus mon épaule, que je constatai que je me trouvais dans une salle de vieux, moyenne d’âge 75 printemps bien tassés. Pour un film comme Il était une fois en Anatolie, annoncé calme et silencieux, j’ai soudain eu peur que les bavardages des personnes âgées encombrent quelque peu la projection… voire des ronflements (ce n’est pas rare !). Lorsque la salle s’est éteinte et que le générique d’ouverture du film de Nuri Bilge Ceylan a commencé, une cacophonie de discussions et commentaires régnaient dans la salle, dont le jeune homme d’au moins 80 ans placé juste derrière moi qui se vantait bien fort auprès de sa compagne de pouvoir enfin profiter de quelques jours de vacances.

J’étais déjà prêt à lancer un bon gros « CHHHHHHHHUT !!! » bien placé lorsqu’un autre spectateur s’en est chargé pour moi, deux fois de suite car à l’évidence la première tentative n’avait pas atteint les oreilles de tout le monde. Confortablement installé dans ces grands fauteuils de cuir, seul sur mon rang de ce côté de la travée, je me suis rapidement trouvé plongé dans le film, face à ces trois hommes buvant et riant derrière une vitre, face à ce train traversant ce bout de civilisation désolé, face à ces phares de voitures éclairant un jour plus que déclinant dans la campagne. Mais alors que le film était commencé depuis cinq bonnes minutes, un couple est arrivé en retard et a bien sûr choisi de s’installer de mon côté. Non contents de me déranger pour aller s’asseoir au milieu de ma moitié de rangée, ils se sont tournés vers moi quelques instants après s’être assis pour me demander si je pouvais bouger mes affaires, qui étaient placées sur le fauteuil à côté de moi afin qu’ils se rapprochent un peu plus du centre de l’écran.

NAN MAIS JE RÊVE OU QUOI ?! Apparemment ce monsieur et cette dame n’ont aucune connaissance des règles du savoir-vivre dans une salle de cinéma, et précisément de celle-ci : quand on arrive en retard au cinéma, et que l’on entre dans la salle alors que le film est commencé, on se pose là où il y a de la place sans déranger les spectateurs qui eux sont arrivés à l’heure et sont déjà absorbés par le film. Si les places libres sont au premier rang, on opte pour le premier rang. Si c’est complètement sur un côté, on se met complètement sur un côté. Si cela ne nous plait pas, on se barre et on reprogramme une autre séance où l’on arrivera à l’heure. Mais en aucun cas on cherche à se placer au mieux aux dépens de l’attention et de la projection de ceux qui sont déjà plongés dans l’histoire qui leur est racontée. Il faut assumer et respecter le confort d’autrui.
Comme je n’avais pas envie de faire un esclandre en plein film et ainsi déranger les autres spectateurs qui n’avaient rien demandé eux non plus, j’ai attrapé mes affaires en leur lâchant un mot de mécontentement évident. J’ai horreur d’être sorti d’un film, même s’il n’a commencé que quelques minutes plus tôt.

Je ne pense néanmoins pas que je me serais beaucoup plus passionné pour Il était une fois en Anatolie si je n’avais pas ainsi été dérangé d’entrée de jeu. La vérité, c’est que cette errance nocturne de quelques flics et d’un procureur, à travers la nuit campagnarde turque et à la recherche d’un cadavre, a beau être forte visuellement, elle s’avère redondante et assez opaque sur le fond. La moitié du film consiste en une ronde répétitive au cours de laquelle le criminel indique un endroit aux autorités, qui fouillent et ne trouvent rien, reprenant alors la route jusqu’au prochain point que leur indiquera le criminel. Quelques discussions et saynètes émaillent le récit. Comme souvent avec ce genre de films contemplatifs, il y a quelque chose de fascinant qui se compose à l’écran, au-delà d’un sens du cadre remarquable et d’une photographie tout en finesse.

Il y a une certaine capacité du cinéaste à parler de son pays à travers le prisme réduit d’une poignée de personnages déboussolés et errant dans un quasi no man’s land. Mais le réalisateur fait commencer un deuxième film dans le film, en plein jour, en ville (aussi peu impressionnante soit-elle), une seconde partie qui est le prolongement logique de l’errance nocturne mais qui dans le même temps offre une nouvelle perspective et ne se dévoile que par suggestion et non-dits. Plus encore que dans la nuit de la première partie, le film est fait de regards et de gestes qui sont sensées en dire plus que les paroles… alors que tout reste trop flou, malgré deux performances d’acteur (le médecin et le procureur) dont la retenue n’a d’égale que la puissance. L’impression laissée est mitigée, entre la fascination hésitante et l’ennui évident, mais avec cette insaisissable certitude qu’Il était une fois en Anatolie est de ces films qui s’enracinent en vous malgré la lassitude que l’on peut ressentir à leur vision.

Lorsque le film s’est (enfin) terminé, la salle était plus que perplexe. Mes voisins retardataires se sont levés en disant « Pas besoin de regarder le générique c’est en turc » (ils étaient décidément charmants)… Sur ma gauche, une septuagénaire pousse un bruit entre la lassitude et le soulagement, un « Pfffffffff » qui en disait long, d’autant plus qu’elle a vite ajouté à l’adresse de son compagnon « J’ai trouvé le temps long. Mieux vaut voir Intouchables que ça », à quoi le compagnon tout aussi septuagénaire a confirmé par « Oh oui alors ! Plutôt deux fois qu’une !! ». Mais parmi les réactions que j’entendais à ma droite et à ma gauche, celle que j’ai préféré est venue de mon voisin de derrière (oui oui, celui qui était bien content de prendre des jours de vacances du haut de ses 80 ans au moins), que je suivais dans le couloir vers la sortie et qui m’a appris dans quel genre se classait le film contemplatif de 2h37 à travers la campagne turque que nous venions de voir : « Alors y a des trucs que j’ai pas vraiment compris… enfin, deux ou trois choses que je n’ai pas du tout compris… Mais bon ça me fait ça moi les films policiers ». 

Il était une fois en Anatolie, film policier ? Des flics, un procureur, un meurtrier penaud, et un cadavre à trouver font-ils un film policier ? Au fond, comment détermine-t-on le genre d’un film ? Est-ce la trame ? L’atmosphère ? La nature des personnages ? Non on ne va pas se lancer dans une telle réflexion maintenant… On va juste se dire qu’on en entend vraiment de bonnes dans une salle obscure (peuplée de personnes âgées ?)…  

samedi 26 novembre 2011

Paris a désormais un PIFFF qui attire du monde

Il est des festivals dont on devine qu’ils peuvent devenir populaires dès leur première édition alors que personne n’en avait entendu parler quelques semaines plus tôt. Un festival de films fantastiques à Paris, proposant des longs-métrages inédits, forcément sur le papier c’était séduisant, et le potentiel était évident. Étrangement, ce festival porte un nom anglo-saxon, le Paris International Fantastic Film Festival, déjà appelé PIFFF par les intimes (à ne pas confondre avec le Festival International du Film de Pusan, longtemps appelé PIFF, renommé BIFF depuis qu’on appelle la ville coréenne Busan plutôt que Pusan).

Le PIFFF s’est inscrit sur mes tablettes dès que j’ai appris son existence, sans savoir quels seraient les films projetés. Assez court, du 23 au 27 novembre, avec des projections uniques, il s’est vite avéré que je ne pourrai pas voir autant de films qu’espéré, mais en voir un suffisait déjà à me satisfaire, dans la mesure où je pouvais voir l’un de ceux qui m’intriguaient le plus et où je sais déjà que l’année prochaine je ferai mieux (si si j’en suis sûr, même si l’Apocalypse s’abat sur Paris plus tôt que prévu).

L’équipe organisatrice a mis toutes les chances de son côté en squattant le Gaumont Opéra, un cinéma populaire où la foule est souvent nombreuse, un cinéma qui a déjà l’habitude de faire le plein avec le Festival de Cinéma Chinois de Paris chaque automne. Un cinéma qui a l’énorme avantage à mes yeux de se situer à 10 minutes à pied de chez moi. Mon créneau du weekend pour goûter au PIFFF, c’était donc vendredi soir, à l’heure où le festival projetait en compétition Extraterrestre, la seconde réalisation de l’espagnol Nacho Vigalondo. J’avais décidément bien fait de venir prendre ma place deux heures avant la séance, car la salle 3 du Gaumont Opéra (pas loin de 300 places à vue de nez), située en sous-sol, affichait un taux de remplissage pas loin des 95% lorsque la lumière s’est éteinte pour laisser le film commencer. En m’installant dans la salle, je ne me suis par ailleurs pas étonné d’apercevoir ici et là des têtes régulièrement vues à L’Étrange Festival en septembre. La communauté des cinéphiles amateurs de cinéma fantastique a vite trouvé ses marques au PIFFF.

Alors que l’heure de la séance approche, je me rends compte que je suis installé juste devant le rang réservé au jury et que bientôt, Christophe Gans, Roger Avary et Jaume Balaguero s’installent dans mon dos (même si Gans se déplace pour laisser son fauteuil à la jeune femme accompagnant son pote Avary, qui lui avait écrit le scénario de Silent Hill). Après un court-métrage allemand aussi étrange qu’on pouvait l’espérer, Der Fall Max Mustermann, Balaguero s’est éclipsé de la salle, ayant peut-être déjà vu le film de son compatriote.

De ce que j’ai pu voir dans le programme du PIFFF, Extraterrestre semble être une étrangeté au milieu des autres films présentés. Car si les autres jouent la carte fantastique au premier plan, Nacho Vigalondo ne la dessine qu’à l’arrière-plan. Contre toute attente, le film est, peut-être pas tant une comédie romantique comme les présentateurs nous l’ont annoncé, mais – et c’est encore plus incongru – un vaudeville. Un vaudeville prenant pour cadre un Madrid vidé de ses habitants et au-dessus duquel flotte un immense vaisseau extraterrestre. Un homme prénommé Julio se réveille dans le lit d’une certaine Julia avec aucun souvenir de ce qui s’est passé depuis la veille au soir. D’abord gênés de la situation, les deux amants d’un soir se rendent vite compte de la présence de l’OVNI géant dans le ciel et de l’absence de passants dans les rues de la ville.

A partir de là, le film pourrait vraiment basculer dans le film d’invasion extraterrestre, mais Vigalondo ne semble pas y tenir le moins du monde. Ce qui l’intéresse, ce sont ses personnages et les méandres relationnels dans lesquels ils vont s’embarquer lorsque le voisin amoureux, jaloux et obsessionnel et  le petit ami sociable et naïf vont pointer le bout de leurs nez. En ne quittant que rarement l’appartement autour duquel tout ce petit monde va se mettre à tourner, le réalisateur montre que c’est moins le suspense fantastique qui l’intéresse que le potentiel comique d’une telle situation. C’est inattendu de la part de Vigalondo, qui avait signé le réputé Timecrimes il y a quelques années, et de la part d’un Festival de Films Fantastiques. Et c’est exactement ce qui fait le charme du film, l’incongruité totale de son ton. Du coup lorsqu’il se fait plus sérieux dans son dernier tiers, il perd en allant, mais ce petit grain de loufoquerie humaine toujours prête à refaire son apparition garde tout de même le film sur de bons rails. On est loin d’un grand cinéma fantastique, mais cette cocasserie est des plus plaisantes. D’autant que les personnages sont croqués avec saveur, particulièrement les deux rôles plus secondaires du voisin psychotique et du petit ami cocu.

J’aurais aimé voir les autres films du PIFFF, pour ressentir la sensation de découvrir ce vaudeville fantastique au milieu de films plus sérieusement appliqués au cinéma de genre, mais vu l’accueil rigolard de la salle, il y a fort à parier que ceux qui avaient eu la chance de découvrir quelques autres films au festival se sont autant amusés que moi. Le juré Roger Avary doit être à l’aise en français pour découvrir un film espagnol sous-titré en français. Il ne sera de toute façon pas le seul juré, puisque tous les spectateurs sont amenés en fin de projection à noter le film en vue de ce qui semble être un Prix du Public.

Dehors, une fois sortis dans le froid parisien, sur le trottoir longeant le Gaumont Opéra, la queue est déjà longue pour enquiller la séance de 22h projetant Retreat, un thriller en huis clos interprété par Jamie Bell, Cillian Murphy et Thandie Newton. Moi je repars en prenant rendez-vous pour l’édition 2012. Le PIFFF est parti pour durer.

jeudi 24 novembre 2011

"L'ordre et la morale" fait le vide

En début d’année, lorsque je citais les onze films que j’attendais le plus pour 2011 au cinéma, L’ordre et la morale de Mathieu Kassovitz en faisait partie. C’était une évidence. Parce que je n’aimais plus le cinéaste que le français était devenu. Je n’aimais plus ses films depuis trop longtemps. Parce que je l’avais au contraire tant aimé, et que je l’aimais encore tant chaque fois que je tombais sur La Haine ou Métisse. Oui, paradoxalement, L’ordre et la morale était sur les tablettes de mon impatience parce que je croyais ne plus pouvoir ou devoir attendre grand-chose de Kassovitz réalisateur, englué dans les souvenirs de Gothika et Babylon AD.

Sur le papier, L’ordre et la morale semblait pouvoir être un retour au Kassovitz que j’admire, celui des années 90. Un cinéma français fort et engagé. Je croyais que les cinéphiles étaient nombreux à attendre le retour de Kassovitz à ce cinéma promis par L’ordre et la morale. Les premiers chiffres parus la semaine dernière m’ont fait retomber du nuage sur lequel m’avait propulsé la sortie du film. En fait nous ne sommes pas tant que ça à nous réjouir de la sortie du film. Pas tant que ça à être excités de curiosité au point de se précipiter vers une salle de cinéma pour le découvrir.

Mon attente était trop grande cette semaine, je ne pouvais pas laisser le weekend filer sans avoir vu L’ordre et la morale. Et j’ai donc pu constater de mes yeux ce que les chiffres du premier jour laissaient entendre : les spectateurs français sont peu nombreux à être intéressés par le nouveau film de Kassovitz. Un samedi en début d’après-midi dans une grande salle de 300 fauteuils au moins, nous ne devions pas être plus de 30 ou 40 curieux. Les chiffres de la semaine sont tombés, et le film atteint tout juste les 100.000 spectateurs en sept jours dans plus de 300 salles. La désaffection ou le désintérêt du public est flagrant, et désolant.

Le sort du film de Kassovitz sera une de ces injustices dont le cinéma et sa roulette géante ont le secret. On ne pourra pas dire que le sujet, la prise d’otage de gendarmes en Nouvelle-Calédonie à la veille des élections présidentielles de 1988, n’était pas porteur. On ne pourra pas dire que le marketing aura été mauvais, quand on jette un œil à l’affiche ou à la bande-annonce. On ne pourra pas non plus dire que le film a débarqué avec une mauvaise réputation. Le bouche-à-oreille était excellent, et les critiques porteuses. Les ingrédients étaient là, ils n’ont pas pris, et j’ai du mal à croire que les 200 ou 300.000 spectateurs de plus que le film aurait dû attirer en première semaine étaient tous occupés à regarder Intouchables.

Tant pis. Les spectateurs français choisissent délibérément de passer à côté d’un des films français majeurs de l’année, un film de conviction et de doutes, une bourrasque cinématographique à la mise en scène implacable et au discours écœuré par l’héritage du colonialisme, par les méandres politiques, par l’écrasement de l’humain au profit du pouvoir. Pourvu que Kassovitz sache que ceux qui ont vu son film l’ont aimé et attendent d’autres longs-métrages de cet acabit à l’avenir. Les autres s’en mordront les doigts un jour ou l’autre. Et si vous lisez ces lignes et que vous n’avez pas encore vu L’ordre et la morale, mais que faites-vous donc encore devant votre ordinateur ? Attrapez votre veste, une bonne écharpe pour le froid, et foncez au ciné !

lundi 21 novembre 2011

Mais qu'ai-je donc à pleurer ?

Je trouve que j’ai souvent la larme à l’œil en ce moment au ciné. Oh, ce n’est pas nouveau me direz-vous, vous souvenant peut-être de quelques anecdotes déjà racontées. Bon d’accord, j’avoue, et j’assume, devant un film, je laisse l’émotion m’emporter, et si je suis touché, la boule se noue dans la gorge, les yeux s’humidifient, et de temps en temps, les larmes glissent discrètement sur mes joues (parfois, ce n’est même pas discret). L’objectivité froide, ce n’est pas moi. Et ces jours-ci, je le constate particulièrement.

Il y a d’abord eu Hello Ghost au Festival Franco-Coréen du Film le mois dernier, un film qui m’a vu vainement tenter de retenir mon émotion devant un final inattendu qui avait en même temps emporté presque toute la salle dans le sillage des larmes. Et puis la semaine dernière, il y avait eu Toutes nos envies de Philippe Lioret, un mélo assumé dans lequel le couple Marie Gillain / Vincent Lindon avait su faire vibrer mes cordes sensibles.

Je pensais être tranquille pour quelque temps, n’ayant pas non plus pour habitude de lutter contre les larmes toutes les semaines au cinéma, mais contre toute attente, je me suis déjà fait piéger une troisième fois en à peine plus d’un mois. Et après le cinéma coréen et le cinéma français, c’est cette fois un film américain qui m’a fait renifler à la sortie d’une projection : 50/50 de Jonathan Levine (qui a la particularité d’être connu pour un film sorti nulle part, All the boys love Mandy Lane).

J’ai beau avoir l’outrecuidance ponctuelle de me penser plus fort que les émotions évidentes, force est de constater que finalement, on n’est peut de chose émotionnellement parlant devant la maladie et la perspective de la mort, car il s’agit après tout ici encore un peu de cela, avec cette histoire d’un jeune mec de 27 ans (Joseph Gordon-Levitt) qui apprend du jour au lendemain que ses douleurs au dos sont dues à un cancer qui a une chance sur deux de le tuer à court terme. Balancé comme ça, forcément, ça sent le mélo, encore. Pourtant non. 50/50, c’est autant une comédie qu’un drame (celui qui a dit « Une dramedy quoi, comme disent les ricains » a droit à un bon point).

En même temps, lorsque l’une des deux têtes d’affiche du film est Seth Rogen, l’humour point rapidement. Rogen interprète Kyle, le meilleur ami du héros malade, débonnaire, protecteur et lourdement dragueur. Si l’émotion nait, finalement, dans ce 50/50 tout de même sacrément déconneur, c’est parce qu’au-delà du fait qu’il s’agisse d’une histoire vécue par le scénariste du film, Will Reiser, le film laisse transparaître une belle humanité dans les interactions entre les personnages. C’est cette mère qui a la tête d’Anjelica Huston, particulièrement couveuse mais délaissée par son fils, c’est cette psy stagiaire qui a du mal à gérer la relation docteur / patient avec objectivité, et bien sûr c’est cette amitié masculine entre Adam le héros et Kyle son meilleur pote. Cette fausse décontraction, cet art du non-dit et de la pudeur que l’on cache derrière le futile pour ne pas avoir à trop se dévoiler.

L’amitié est belle devant la caméra de Jonathan Levine, et c’est elle, sûrement, qui a emballé mon cœur et fait piquer mes yeux. Parce qu’elle est faite de rire autant que d’émotion, parce que Joseph Gordon-Levitt et Seth Rogen sont toujours bons  et qu’ils le montrent ici une fois de plus. Devant moi, lorsque le générique s’est terminé et que la lumière s’est rallumée, un mec racontait à sa copine qu’il était déçu, qu’il aurait préféré quelque chose « à la Marc Webb » (véridique), comme si le réalisateur de 500 jours ensemble, du haut de son film surestimé, était une référence à suivre et que son style aurait fait de 50/50 un meilleur film. Drôle de remarque. J’essaie de me représenter ce qu’aurait été le film de Jonathan Levine à cette sauce-là… Je suis sûr que je n’y aurais pas versé ma larme. Et j’ai beau faire celui qui se plaint de trop verser sa larme ces temps-ci, je n’aurais échangé cette sensation pour rien au monde devant 50/50.
Je pleure souvent au cinéma en ce moment ? Tant mieux ! 

vendredi 18 novembre 2011

Y a-t-il de la place au box-office dans l'ombre d'Intouchables ?

Le mercredi 16 novembre a vu sortir plus de films qui m’attirent que mon emploi du temps ne me permettrait raisonnablement de voir. Huit, exactement, quand j’ai toujours quelques films des semaines précédentes à rattraper (je vais bientôt finir par être le seul français à ne pas avoir vu Intouchables à ce rythme-là !). C’est trop, mais je ne devrais pas avoir un grand nombre de sacrifices à faire au bout du compte (pour répondre à la jeune fille au troisième rang, non, le quatrième chapitre de Twilight, Révélation, ne fait pas partie des huit).

Jeudi j’avais envie d’aller au ciné. Le plan A était d’aller au Festival Kinotayo à la Maison de la Culture du Japon pour voir When I kill myself, un drame au pitch explosif s’inscrivant dans la lignée de Battle Royale. Les échos peu flatteurs et la flemme de me déplacer jusqu’à Bir-Hakeim m’ont fait caresser un plan B consistant en Le Trésor de la Sierra Madre de John Huston au Grand Action, un film que je ne me souviens pas avoir vu. Cette fois ce sont des problèmes de transports qui m’ont finalement rabattu vers un plan C plus tardif. Me faufilant entre les parisiens célébrant sur les trottoirs l’arrivée du Beaujolais nouveau, je me suis donc finalement engouffré devant Les Neiges du Kilimandjaro de Robert Guédiguian.

Quelques heures plus tôt, je découvrais avec effarement les chiffres des démarrages des nouveautés de la veille. Si bien sûr Robert Pattinson et Taylor Lautner ont tiré à eux la première place haut la main, le reste des films du 16 novembre semble resté sur la ligne de départ. Notamment Le Stratège de Bennett Miller, mais bon, un film de plus de deux heures prenant pour cadre le base-ball est difficile à vendre à un public français étranger à ce sport, même si Brad Pitt en est la tête d’affiche. Surtout, le gadin de la semaine est à mettre au crédit de L’ordre et la morale de Mathieu Kassovitz, qui n’a totalisé pour son jour de lancement que 4.500 entrées sur Paris et sa périphérie, 12.000 en tout sur la France. Douze mille spectateurs pour la première journée de sortie du nouveau film de Kassovitz, à la bande-annonce alléchante, aux critiques plutôt élogieuses, au bouche-à-oreille éloquent. Douze mille petites entrées qui se traduiront vraisemblablement par une première semaine sous la barre des 100.000 spectateurs, alors que le long-métrage est à l’affiche de 300 salles.

Le film de Robert Guédiguian fait deux fois plus d’entrées que L’ordre et la morale alors qu’il est distribué dans un peu plus de 200 salles seulement. Sur Paris, L’ordre et la Morale fait moins d’entrées mercredi, son jour de sortie, que Polisse, qui en est lui à son cinquième mercredi ! Suis-je donc le seul à avoir les yeux qui pétillent d’envie chaque fois que je vois la bande-annonce du film de Kasso ? Sommes-nous donc si peu nombreux en France à vouloir retrouver le cinéaste conscient, percutant, humain et talentueux qu’était Kassovitz dans les années 90, et que ce nouveau film semble nous permettre de retrouver ? C’est décevant, et inquiétant.

Bien sûr, il est toujours possible de se dire qu’il s’agit là de l’effet Intouchables. Un revers de la médaille. En attirant 5,3 millions spectateurs en deux semaines seulement, le film de Tolédano et Nakache aspire à lui seul 50% des entrées en France, un chiffre énorme. Et étant donné son chiffre réalisé mercredi, soit encore 49.000 entrées sur Paris, tout indique que le phénomène va garder à peu près le même rythme en cette troisième semaine d’exploitation. J’ai beau ne pas l’avoir encore vu, je ne peux que trouver cela formidable, même si cela peut se faire au détriment d’autres films, Mon pire cauchemar, Toutes nos envies, ou donc cette semaine L’ordre et la morale, qui ne rencontreront pas le succès escompté de leur côté, trop occupés que sont les français à aller s’enthousiasmer pour le duo François Cluzet / Omar Sy.

J’espère sincèrement qu’Intouchables se hissera vers un score remarquable au box-office français. C’est déjà le cas, mais sa limite semble reculer de jour en jour (les 10 millions sont aujourd’hui une certitude, jusqu’où pourra-t-il aller ?). Ce que j’espère surtout, c’est que parallèlement à ce carton phénoménal qui booste les chiffres d’un cinéma français radieux en cette fin d’année, d’autres films français parviendront à exister au box-office. Peut-être n’est-ce qu’une sanction du public à l’encontre de L’ordre et la morale en particulier, peut-être les français n’ont-ils simplement pas envie du film de Kassovitz (les fous !). Après tout le film de Robert Guédiguian fait lui un score tout à fait correct, correspondant à un caractère lumineux transpirant dans les affiches et la bande-annonce., et qui sied plus à l’humeur et au désir des spectateurs du moment. Pour ce qui est des Neiges du Kilimandjaro, ils auraient tort de s’en priver. Le film est de ceux qui illuminent tout en questionnant. Sa naïveté parfois confondante dans le propos m’a pendant un moment laissé confus, avant que je n’embrasse la volonté du cinéaste de questionner nos valeurs, nos attentes et notre vision de la vie. Le film est de ceux qui provoquent et poussent à la réflexion, sur fonds de douceur et mélancolie. Naïf, mais charmant et fort.

Le cinéma français épate en ce moment, aussi bien artistiquement que numériquement (la semaine dernière, sa part de marché était de 76% au box-office national !). Pourvu que le formidable succès d’Intouchables (au titre prémonitoire ?) se conjugue avec d’autres à venir, et que le mauvais démarrage du film de Mathieu Kassovitz soit un accident isolé (et bien sûr que ses chiffres remontent dans les jours et semaines qui viennent… en attendant l’ambiance se dégageant du visuel de l’affiche correspond étrangement à l’amertume des chiffres décevant au box-office…).

lundi 14 novembre 2011

L'humanité de Vincent Lindon

Vincent Lindon est un drôle d’acteur. En fait non, pas vraiment. Il fait partie de ces acteurs français, populaire sans être vraiment star, respecté sans être vraiment révéré, apprécié sans être vraiment encensé. C’est surtout un acteur que l’on prend pour acquis dans le cinéma français parce qu’il n’est pas de ceux qui se mettent en danger à chaque film. Il n’a jamais reçu de César et vois rarement ses films concourir pour la Palme d’Or à Cannes. Non, Vincent Lindon n’est pas un acteur qui fait vibrer la fibre cinéphile. Trop confortable, trop conforté, trop souvent dans la peau de personnages dans lesquels on devine qu’il pourrait se reconnaître, une vision de la vie retrouvée chez eux.

Et pourtant. Pourtant il y a quelque chose chez Vincent Lindon. Une certaine incarnation de l’humanité peut-être. Je l’ai vu il y a quelques jours dans Toutes nos envies de Philippe Lioret, avec lequel il avait déjà tourné Welcome. On y retrouve le Vincent Lindon que l’on connaît et que l’on se prend à aimer, à la fois incarnation parfaite de l’homme, le vrai, et d’une certaine fragilité, cette douce humanité toute féminine. Il y a chez l’acteur ce conflit masculin/féminin que l’on retrouve chez très peu de ses collègues avec un naturel si fort, un choc constant entre sa virilité et sa douceur. C’est parfait pour Toutes nos envies, qui fait affleurer l’émotion parce qu’il accepte le mélo qu’il est et parvient à le dépasser (quand La couleur des sentiments, dans le genre mélo, s’étalait trop dans l’exploration de chaque recoin des clichés émotionnels), faisant jaillir l’étincelle grâce à la retenue et la suggestion.

Lioret n’évite pas les défauts, comme lorsqu’il esquisse la préparation de l’après (à la Ma vie sans moi d’Isabel Coixet), trop succinctement pour être véritablement essentiel, mais il parvient à trouver une autre nécessité à son film, autre que l’émotion pure. Un portrait d’homme et de femme, et à travers eux un regard sur la place de l’humain au sein d’une société où la consommation, le capital, la loi du marché priment trop souvent sur l’individu. Toutes nos envies cherche l’humanité... d’où Vincent Lindon.

Il y a quelque chose de bouleversant chez Lindon, d’évident. J’aimerais tant le voir sortir de sa zone de confort, de ces rôles d’homme luttant envers et contre tout, contre l’injustice, contre le système, contre la maladie. Mais contre quoi n’a-t-il jamais lutté ou couru, Lindon ? Le comédien nous a tout de même pris de court au printemps dernier grâce à Pater d’Alain Cavalier, un des films les plus audacieux de l’année, et une sortie flamboyante de ses rôles de briseur d’injustices, qui lui a valu de monter les marches à Cannes où le film fut un cruel oublié du palmarès. Une performance entre la fiction et le documentaire où l'acteur se mélangeait avec son double cinématographique, où la limite entre l'homme et le comédien était floue.

Il y a quelques jours, le quotidien Le Parisien réclamait un César pour Vincent Lindon, et semblait croire que cette année serait peut-être, sûrement, la bonne. J’espère que le journaliste qui y croit ne sera pas trop déçu, car il ne fait aucun doute qu’il sera une fois de plus absent des récompensés. Lindon aura peut-être un jour un César, mais pas cette année. Peut-être serai-je un peu déçu moi aussi parce que même s’il se limite lui-même, même s’il va trop souvent là où on l’attend, même si ses performances ne sont pas forcément électrisantes, Vincent Lindon m’émeut.  Il est là, l’humanité faite homme, fort, naïf, hésitant, bouleversant. Et cela me suffit à le trouver indispensable au cinéma français.

samedi 12 novembre 2011

Le chewing-gum du MK2 Beaubourg

Il est vraiment temps que j’écrive un guide du savoir vivre dans les salles de cinéma et que j’aille le placarder sur tous les murs cinéphiles de Paris. Il ne se passe pas une semaine sans qu’un spectateur mette mes nerfs à l’épreuve pendant une projection, et à chaque fois je découvre un nouveau comportement qui me donne envie de faire comme Rainn Wilson dans Super, d’attraper une clé anglaise et de la balancer à la tronche du malotru.

Le dernier épisode en date de souffrance spectatrice a eu pour décor le MK2 Beaubourg où j’ai passé mon après-midi du 11 novembre pour enchaîner deux films, Bonsai et Michael. Le premier, une comédie chilienne dosant à merveille la cocasserie et la mélancolie au cours d’un récit en deux temps, s’est déroulé sans accroc pour mon plus grand plaisir. Un film lumineux, sur la brèche du drame sans jamais vraiment y basculer, qui ne joue que dans deux salles à Paris, d’où ma présence au cinéma bordant le Centre Pompidou. Celui-ci offrant deux salles que j’abhorre parfaitement, je l’évite autant que faire se peut, histoire de ne pas me retrouver dedans (les salles 3 et 6 pour ceux qui connaissent, cette dernière ayant abrité ma projection somnolente d’Oncle Boonmee), mais n’ayant pas le choix pour Bonsai, je m’y suis finalement rendu.

Voyant que Michael était programmé dans une salle acceptable du cinéma, j’en profitai donc pour enchaîner avec le film autrichien ayant glacé le Festival de Cannes en mai dernier, où il était en compétition pour la Palme d’Or. C’est là que les choses se sont gâtées. La séance de 15h30 affichait presque complet, à deux ou trois places près. Le responsable de ma misère spectatrice s’est pointé deux ou trois minutes avant que le film commence. Il est venu s’installer exactement à ma gauche, l’un des derniers fauteuils libres de la salle. Grand gaillard baraqué, il s’est installé en jetant rapidement un œil à son Canard Enchaîné avant que le film commence. Jusqu’ici rien d’anormal ni de gênant. Il avait peut-être les coudées larges, mais ça j’ai l’habitude, ça ne me gêne plus depuis longtemps.

C’est alors que le film était commencé depuis une dizaine de minutes que j’ai commencé à m’agacer d’un bruit qui venait de ma gauche. Un mâchouillement très prononcé.  J’ai commencé par croire que mon voisin mangeait un petit quelque chose, je ne m’en suis donc pas inquiété. Mais le bruit était lancinant, constant, et ne s’arrêtait pas. Un chewing-gum. Un petit chewing-gum de rien du tout. Un petit chewing-gum de rien du tout qui grondait dans sa bouche, inlassablement. On aurait qu’il avait avalé des Mini-pouces hurlant pour leur survie, mais lorsqu’il ouvrait de temps en temps son antre facial pour faire encore plus de bruit avec son mâchouillement, point de Mini-pouces tentant l’évasion pour rejoindre leur cachette derrière les murs. Juste un petit chewing-gum de rien du tout. Mais dans l’atmosphère glacée, souvent silencieuse de Michael, un bruit qui bourdonnait à mon oreille. Je me croyais revenu dans cette salle des Halles où un autre voisin jouait avec mes nerfs avec sa lanière de casque de moto.

Que faire ? Lui dire « Vous pourriez arrêtez de mâcher votre chewing-gum ? ». Ca va sonner très con à dire et il pourrait très bien me répondre qu’il a quand même le droit de mâcher un chewing-gum, ce qui n’est pas faux. Et de toute façon, j’ai horreur de parler pendant un film, même si c’est pour tenter d’améliorer les conditions de projection. Un regard noir dans sa direction, c’est mieux. Les regards noirs en disent long dans la nuit d’une salle de cinéma, l’énervement ressort encore mieux. Mais les regards noirs, ça marche mieux avec le rang de derrière. Là, à côté, difficile de croiser son regard.  Peut-être que des mouvements de tête vers lui suffiront, il va les capter et comprendre qu’un de ses gestes m’énerve. Héééé mais, ça a l’air de marcher ! Quand le silence est plombant à l’écran, il arrête de mâcher ! Mais il reprend dès que le moindre bruit se fait entendre. Raté.

Tout ce qu’il me reste à faire, c’est de mettre au point un rempart défensif. Heureusement, j’avais mis mon gilet à capuche ce jour-là. J’attrape la capuche et la cale contre mon oreille gauche. Certes je perds l’audition de ce côté-là, mais au moins je n’ai plus ce bruit de mastication continue à l’oreille. Pendant un instant, mon voisin me fait espérer qu’il en a marre de mâcher, s’arrêtant cinq bonnes minutes… avant de reprendre finalement de plus belle. C’est peine perdue. Son chewing-gum est là pour rester et être mastiqué jusqu’à la dernière image du film. Devant la bourrasque visuelle et sonore de Tintin ou les robots boxeurs de Real Steel, je n’aurais probablement pas entendu ce bruit si anodin prenant des proportions monstres dans une salle silencieuse. J’aurais voulu lui dire « Merci pour le chewing-gum » une fois le film fini, mais ce mâcheur compulsif s’est éclipsé dès les premières secondes du générique de fin (faut-il s’en étonner ?), avant que j’aie eu le temps de reprendre mes esprits. Peut-être suis-je un peu trop maniaque au cinéma ?

jeudi 10 novembre 2011

Mais qu'arrive-t-il à Terrence Malick ?

Il y a treize ans, Terrence Malick sortait d’une ellipse de 20 ans pendant laquelle le cinéaste américain s’était retiré des plateaux de tournage et n’avait réalisé aucun long métrage. Avec La ligne rouge il signait seulement son troisième film en 25 ans. A l’époque où Malick sortit sa quatrième réalisation, Le nouveau monde  en 2005, cette période de sept ans séparant ses deux plus récents longs-métrages semblait être courte après la retraite de 20 ans que le réalisateur des Moissons du Ciel nous avait infligés.

Alors qu’arrive-t-il donc à Terrence Malick ces derniers temps ? Lui que l’on avait depuis longtemps catalogué parmi les cinéastes les plus rares de la planète, autant en terme d’apparitions publiques qu’en terme de films réalisés, semble avoir changé son fusil d’épaule depuis quelques mois. L’idée que Malick serait de ces cinéastes ayant besoin de plusieurs années pour se consacrer à un film est en train de se déchirer. Après la longue gestation et la postproduction interminable de The Tree of Life, ce joyau cinématographique ayant ravi la Palme d’Or cette année à Cannes, Malick semble avoir été pris d’une frénésie de tourner.

En fait, cela a commencé avant même que The Tree of Life ait été officiellement terminé, avec un premier projet tourné l’année dernière, un projet sans titre mais avec une belle brochette d’acteurs, Javier Bardem, Ben Affleck, Rachel McAdams, Rachel Weisz et quelques autres. Terrence Malick commençant le tournage d’un film alors que le précédent n’est même pas encore sorti, c’est du jamais vu. Enfin, ça l’était. Car il y a quelques jours, Terrence Malick annonçait officiellement qu’il s’apprêtait à réaliser deux nouveaux longs-métrages, déjà titrés et castés.

Le premier, intitulé Lawless, serait interprété par Christian Bale, Ryan Gosling, Rooney Mara, Cate Blanchett et Haley Bennett. Des photos de tournage montrant Gosling et Mara devant la caméra du cinéaste circulent déjà sur le net. Le second film annoncé aurait pour titre Knights of Cup et réunirait encore Bale et Blanchett, plus Isabel Lucas, aperçue dans le second Transformers. Sans compter qu’après The Tree of Life, Malick avait fait savoir qu’il préparait un documentaire, The Voyage of Time, partant sur les traces des images de l’espace vues dans son film récompensé à Cannes.

J’ai beau être mauvais en math, cela fait quatre films en préparation pour Terrence Malick, dont l’un est déjà tourné et un autre vient d’entrer en phase de tournage. Pour un cinéaste qui ne nous a offert que quatre longs-métrages entre 1973 (Badlands) et 2005 (Le nouveau monde), savoir qu’il pourrait signer autant de films dans les trois ou quatre prochaines années est tout à fait incroyable. Bien sûr, Malick nous a tout de même appris à tolérer nos impatiences au fil du temps, et rien ne nous dit que nous ayons droit à la sortie d’un de ces films dans les prochains mois.

Car si le réalisateur américain enchaîne les tournages, c’est aux dépens de la postproduction des films dont les tournages s’achèvent. Une postproduction à laquelle il faudra qu’il revienne plus tard. Et s’il y a bien une chose que la longue gestation de The Tree of life nous a fait comprendre, c’est que Malick est un perfectionniste capable de peaufiner un film plusieurs années. Alors avec tous ces films sur son agenda, qui sait, peut-être n’en aurons-nous encore vu aucun dans deux ans ? Cependant quel que soit le temps qu’il mettra à les amener jusqu’à nos yeux pétillants d’envie, le cinéaste nous aura au moins convaincu entre temps de sa soif de tourner, et en amateur passionné de Malick, je m’en réjouis pleinement.

mardi 8 novembre 2011

Le gentil cinéma a la cote

Dimanche après-midi, je me suis retrouvé devant La couleur des sentiments, le carton surprise de la rentrée aux États-Unis, où il avait cumulé plus de 100 millions de dollars de recettes en salles. Je ne savais pas trop pourquoi j’allais le voir, par curiosité probablement, par envie de voir quel est ce film qui a enthousiasmé le public américain et se voit depuis parmi les potentiels candidats aux futurs Oscars, sûrement. Un peu craintif tout de même devant la durée du film (2h30 !!), un peu blasé et persuadé que le film ne serait pas exceptionnel.

Le sentiment que laisse le film est étrange, pris entre un savoir-faire narratif qui le rend plaisant à regarder, et un manque flagrant d’audace  qui le rend aussi passionnant qu’un article de 20 minutes. Efficace mais léger en somme. En fait le film souffre d’un mal récurrent et bien connu, celui des films qui préfèrent emprunter les chemins archi balisés de ce qui fonctionne auprès du public plutôt que de trouver une voie propre. Ce n’est pas profondément déshonorant, c’est même certainement pour cela que le public aime le film. Car il l’aime, aucun doute là-dessus, et c’est difficile de lui en vouloir. Moi aussi j’ai apprécié cette histoire d’une jeune journaliste blanche qui essaie d’aider les bonnes noires de Jackson, Mississipi à révéler les conditions de vie qui sont les leurs au sein de la communauté encore très sudiste et ségrégationniste dans cette Amérique période Kennedy.

On l’apprécie parce qu’il ne prend pas de risque, parce qu’il brosse tout le monde dans le sens du poil, parce qu’il allie humour et émotion (apparemment), et parce qu’il s’appuie sur tout un tas de clichés sur les relations humaines qui nous confortent dans l’idée que l’être humain est bon et beau (si si). Finalement, il y a de l’espoir pour tout le monde ici bas. C’est louable, et cela permettra peut-être même au film de Tate Taylor, adapté du best-seller de Kathryn Stockett, de glaner quelques nominations aux Oscars (à commencer par Octavia Spencer pour la statuette de la meilleure actrice dans un second rôle).

Mais la sortie du film est tout de même un peu amère. Non pas par cynisme (« Ralala, qu’est-ce que c’était gnan-gnan quand même !), mais plus par déception de voir un sujet et un cadre potentiellement si forts traités avec l’ambition d’un film Disney. Ah, on me fait signe dans ma cabine que le film est distribué par Disney, donc tout va bien, ceci explique certainement cela. Et puis La couleur des sentiments est aussi l’occasion de voir pour la troisième fois cette année la révélation féminine 2011 du cinéma américain, Jessica Chastain (avant de la revoir en décembre puis en janvier, alléluia !). C’est un plaisir non négligeable après tout.

Mais finalement, La couleur des sentiments n’est pas le seul à souffrir en ce moment du syndrome du cinéma gentil. Real Steel  est encore à l’affiche, et le film de Shawn Levy est un autre exemple parfait de ce que donne un cinéma qui choisit la facilité à l’aventure mais parvient tout de même à accrocher l’attention du spectateur, moi le premier. Il n’y a rien dans Real Steel qui fera hausser les sourcils de surprise. Tout y est prévisible, toutes les répliques semblent sorties d’un moule déjà passablement usé, tous les rebondissements scénaristiques photocopiés de dizaines d’autres films. Et pourtant cela marche, c’est évident, probablement parce que Shawn Levy et ses scénaristes ont regardés les bons films avant de faire le leur.

Mais le plaisir est-il aussi fort devant ces films, comme La couleur des sentiments et Real Steel, qui n’osent à aucun instant faire du hors piste ? Les cinéastes sont-ils heureux, et les spectateurs comblés, de se contenter d’un plaisir immédiat correct aux dépens d’une potentielle prise de conscience ou d’une potentielle jubilation durable. C’est du gentil cinéma. Du cinéma que l’on serait de mauvaise fois de trouver désagréable à regarder, mais du cinéma trop générique pour emballer les sens. Et quand les sens ont pu être mis en éveil ces derniers temps par La guerre est déclarée, La cave des grottes perdues, Drive ou Les aventures de Tintin… difficile de se contenter de gentillesse.

lundi 7 novembre 2011

Les spectateurs choisissent-ils parfois au hasard les films qu'ils vont voir ?

Parfois je me demande ce qui pousse un spectateur vers un film. Ce qui l’amène à se dire « Tiens si j’allais voir celui-là ? ». Savent-ils vraiment tous dans quoi ils s’embarquent lorsqu’ils franchissent la porte qui les conduit dans la salle ? Attendent-ils ce film depuis des semaines ? Se sont-ils décidés au dernier moment, en caisse ? Se sont-ils contentés de lire le synopsis ? Se sont-ils laissé convaincre par le nom d’un acteur ? Par le visuel de l’affiche ? Par la sonorité du titre qui leur plaisait ?

Il m’arrive de me poser la question lorsque je repère un spectateur auquel je ne m’attends pas devant un certain film… par exemple si je croise une bande d’ados avec leurs casquettes vissées sur la tête dans une salle projetant Il était une fois en Anatolie de Nuri Bilge Ceylan, le drame turc contemplatif de 2h37 (non, ça n’est pas arrivé). Ou si je vois un couple de septuagénaires faisant la queue pour aller voir Sexy Dance avec leurs lunettes 3D déjà positionnées sur leurs nez (j’aimerais bien assister à ça !). Il y a des symbioses spectateurs/film auquel on ne s’attend pas et dont on a peu de chances d’être témoin en ce bas monde, mais s’il est facile de se dire que Il était une fois en Anatolie ou Sexy Dance 3D n’est pas fait pour soi, les pièges sont parfois plus subtiles, si tant est qu’on puisse y voir des pièges.

Samedi soir dernier par exemple. J’étais parti pour une soirée nanar avec un ami, histoire de finir avec panache une journée déjà bien décevante au niveau cinématographique, entre un premier nanar en début d’après-midi (Forces Spéciales, très réussi dans la médiocrité) et un Poulet aux prunes plein de promesses mais qui ne commence réellement qu’à 20 minutes de la fin (quand se révèle enfin une déchirante histoire d’amour manquée, alors que les réalisateurs ont mis 1h15 à trouver le sujet de leur film). Assommé par la petitesse cinématographique du jour, j’acceptais donc de finir avec un nanar attendu, Bienvenue à Bord, sûr qu’il y aurait là matière à rire aux dépens du film d’Eric Lavaine (on a tous vu la bande-annonce…).

Finalement mon ami a dû abandonner la soirée ciné, et le nanar se partageant à plusieurs, je me suis rabattu sur du cinéma plus sérieux. A défaut de persister dans la nullité, le programme a donc finalement été d’essayer de réparer les dégâts artistiques de la journée… Mon choix s’est porté sur Love and Bruises de Lou Ye, à la séance de 22h35 où les spectateurs se font rares, surtout pour les films d’auteur (nul doute que la salle d’Intouchables affichait en revanche complet).

Me voici donc devant Love and Bruises, un titre en anglais pour un film français réalisé par un cinéaste chinois. Si je savais à peu près dans quoi je m’embarquais en ce samedi soir en me posant devant ce film, certains partageant la salle avec moi devaient être moins familiers du cinéma de Lou Ye, s’ils connaissaient même le sujet du film. Combien parmi eux ont acheté un billet parce que le titre était en anglais et ont donc peut-être pensé que le film serait américain ? Combien ont suivi le seul nom de Tahar Rahim ?

Bien sûr la plupart des spectateurs venaient voir le nouveau film de Lou Ye, comme moi, car ils étaient amateurs d’Une jeunesse chinoise ou de Nuit d’ivresse printanière, entre autres. Des spectateurs avertis quant à la violence des sentiments déployés dans les films du réalisateur chinois, confinant presque à l’étouffement. Des spectateurs se doutant que Lou Ye n’esquiverait pas le sexe à l’écran (même si il faut bien avouer qu’il n’y est pas allé de main morte sur Love and Bruises, en montrant Tahar Rahim et Corinne Yam faisant l’amour toutes les cinq minutes à l’écran – j’exagère à peine). Mais d’autres spectateurs dans la salle ne s’attendaient à l’évidence à rien de tout cela. Certains pouffant à chaque fois que les personnages se retrouvaient au lit (souvent donc, oui), d’autres abandonnant et lâchant le film en cours de route (une demi-douzaine).

L’histoire d’amour d’un ouvrier français et d’une étudiante chinoise à Paris s’est attiré des spectateurs qui n’auraient peut-être pas choisi ce film s’ils s’étaient penchés plus curieusement sur ce que celui-ci promettait de leur montrer. Love and Bruises n’est pas le seul film à désarçonner son public (souvenons-nous de cette spectatrice américaine attaquant le distributeur de Drive parce que celui-ci n’était pas un film d’action à la Fast & Furious comme elle l’attendait…), d’autant qu’il a également de quoi perturber ceux qui sont venus le chercher, comme moi. Qui se sont sentis pris à la gorge par la violence morale des rapports humains. Qui se sont laissé emporter par cette mélancolie glissante qui finissait par toucher le film. Ceux qui comme moi regardaient, émerveillés, le Paris filmé par Lou Ye (rarement un cinéaste étranger aura posé un œil si fort, si gris et si inattendu sur les rues de la capitale française), et se sont presque amusés de voir ces spectateurs ne pas savoir comment réagir face à Love and Bruises. Peut-être parce que je ne savais pas moi-même comment réagir… Et peut-être aussi parce qu’au milieu de ces spectateurs qui se sont trompés de films, certains en auront ressenti une émotion qui les poussera encore à s’égarer à l’avenir. Mais cette fois intentionnellement, qui sait…

jeudi 3 novembre 2011

Faut-il aimer Maïwenn pour s'enthousiasmer de Polisse ?

Je n’ai jamais fait grand cas de Maïwenn (un temps appelée Le Besco) dans les pages de L’impossible blog ciné. Ou plutôt si, mais à chaque fois pour taper sur l’actrice / réalisatrice, la faute à une rencontre dans une salle de cinéma il y a quelques années qui a été révélatrice sur la femme qu’était Maïwenn (je lui accorde le bénéfice du doute sur la femme qu’elle est aujourd’hui en parlant au passé). Mon entourage connaît mon manque de considération pour la jeune femme, et ceux d’entre vous qui ont lu le billet consacré à cette fameuse rencontre s’en doutent eux aussi.

J’avais expressément évité d’aller voir Le bal des actrices spécifiquement en représailles personnelles, appelez cela un boycott si vous voulez. Une personne si peu respectueuse des spectateurs ne méritait aucunement que je lui montre en retour du respect ou de l’intérêt. Mon absence d’affinité avec Maïwenn n’a pas dû remonter jusqu’aux oreilles de Thierry Frémaux, qui avait choisi de sélectionner en compétition officielle Polisse, le troisième long-métrage réalisé par miss Le Besco, alors que le Délégué Général du Festival de Cannes sait parfaitement que j’aime aller voir chacun des films en compétition pour la Palme d’Or (on me signale dans mon oreillette que monsieur Frémaux n’avait pas connaissance de mon boycott de Maïwenn, et qu’il se pourrait même qu’il n’ait pas connaissance de l’existence de ce blog… mouais, peut-être).

Par principe j’aurais pu continuer à boycotter Maïwenn en évitant Polisse, mais je m’en serais voulu d’écarter le film ayant obtenu le Prix du Jury à Cannes pour une querelle datant de trois ans, d’autant que la réputation du film n’était pas à faire. Il était temps d’enterrer la hache de guerre quelques instants, au moins 2h15 histoire d’aller découvrir Polisse sur grand écran et voir si Maïwenn était meilleure cinéaste que spectatrice. Quand on voit la popularité de son film au box-office français, il est clair que je ne suis pas le seul curieux à me laisser convaincre par le buzz (1,3 million d’entrées en 14 jours, c’est un score de film populaire, ce qui était loin d’être gagné pour un film de 2h15 à priori âpre sur la brigade de protection des mineurs de Paris).

Voir le film le 1er novembre, à 17h, dans la plus grande salle des Halles, a confirmé que l’intérêt autour de Polisse était grand de la part du public. Je me suis demandé en entrant dans la salle si je parviendrais à rester objectif devant le film, connaissant mon grief personnel à l’encontre de Maïwenn. Et depuis que j’en suis sorti, assez nettement mitigé, je continue à me poser la question. Faut-il n’avoir aucun à priori pour apprécier Polisse ? Faut-il être un admirateur de Maïwenn pour ne pas trouver son film bancal ? A chaque fois que l’on me pose la question « Alors, t’as aimé Polisse ? » et que je dessine une mou peu convaincante avec mon visage, on m’envoie rapidement « Ouais mais toi t’aimes pas Maïwenn », comme si finalement cela justifiait entièrement que je ne chante pas de louanges sans faille au film.

La vérité me semble plus subtile, en tout cas je l’espère sincèrement. Car je ne rejette pas en bloc Polisse, loin de là. J’y vois même de très belles choses. J’y vois une galerie de personnages attachants, bien écrits, servis par de beau dialogues, tantôt forts et sur le fil, tantôt drôles et apaisants. J’y vois le portrait d’une escouade de flics de la brigade de protection des mineurs juste et trouvant un équilibre incroyable entre tension, drame et humour. Il y a vraiment un excellent film dans Polisse… le problème c’est que le film de Maïwenn, contrairement à ce que l’on pourrait croire, n’est pas seulement un film suivant le quotidien de la brigade des mineurs dans un style quasi documentaire. La réalisatrice n’a pas su se contenter de ce sujet passionnant et bien traité. Elle a voulu aller plus loin, et c’est là que résident les problèmes de Polisse. En premier lieu desquels se trouve la présence devant la caméra de Maïwenn elle-même.

C’est lorsque je dis cela que l’on ne prend pas mes reproches sérieusement, car ils se rapportent directement à Maïwenn elle-même. Pourtant c’est bien par là qu’elle est constamment à deux doigts de gâcher son film. Maïwenn pose et aime se filmer. Elle s’est écrit le personnage d’une photographe suivant le quotidien des flics. Un personnage transparent et inutile qui pourtant, à mesure que le film avance, prend une importance grandissante dans le script. Elle abuse des plans sur elle-même, nous éloignant des personnages plus fascinants des flics, elle abuse des scènes où elle se trouve au centre de la scène, sa vie de famille, ses sentiments, son histoire d’amour, nous éloignant du même coup du cœur du film. Elle finit à chaque fois par nous y ramener, retournant dans le commissariat, recollant au plus près à ces hommes et femmes superbement campés par Karin Viard, Marina Foïs, Frédéric Pierrot et les autres. Mais elle revient aussi inlassablement à elle, dans un acte qui ressemble à du narcissisme pur qui n’est pas surprenant étant donné les thèmes de ses deux premiers longs-métrages, Pardonnez-moi et Le Bal des actrices.

J’aimerais que ce ne soit que mauvaise foi et vengeance personnelle de ma part, mais malheureusement je ne fait que regretter de voir un potentiel si fort dans le film régulièrement gâché par les caprices personnels d’une actrice / réalisatrice qui ne parvient pas à laisser ses acteurs et ses personnages prendre le dessus sur sa personne. Ce qui la pousse notamment à gâcher une belle séquence en boîte de nuit en la transformant en une scène ridicule rappelant plus La boum que L.627, ou à en introduire une autre vers la fin du film, totalement ahurissante de suffisance et de nombrilisme, dans laquelle son personnage présente son nouveau mec à sa famille. Assez globalement, dès que Maïwenn se met en scène devant la caméra avec Joey Starr dans Polisse, les séquences virent à la catastrophe, détournant totalement la puissance des séquences pour en faire une bouillie naïve désamorçant l’impact du film.

Et si Maïwenn s’était coupée au montage, finalement ? N’aurait-on pas eu en conséquence ce film âpre et doux à la fois qui effleure constamment l’écran ? Ma voix est celle d’un mécréant car elle est biaisée par une malheureuse rancune personnelle que je ne renie pas. Oui, je manque de respect pour la femme qu’est Maïwenn (tant pis pour la forme passée), mais si elle avait su faire de Polisse cette claque cinématographique qui était à sa portée, cela n’aurait pas eu d’importance. J’aurais tout de même été heureux d’avoir vu le film remarquable qu’il n’est finalement pas loin d’être. Non, je n’aime pas Maïwenn. Non, Polisse ne m’a pas totalement emballé. Mais l’un n’est pas la cause de l’autre, n’en déplaise aux fans.

mercredi 2 novembre 2011

J'ai testé le ciné à Bruxelles

Si le cinéma n’est pas une motivation première pour aller crapahuter à l’étranger (il faudrait pour cela que j’habite près d’une frontière… ou que je sois riche et capricieux !), c’est tout de même une tradition qui s’est installé au fil des voyages. Lorsque je suis à l’étranger, j’aime aller fureter dans une salle de cinéma. Je l’ai fait à San Francisco, je l’ai fait à Seoul, et l’été dernier je l’ai encore fait à Dublin (il y a quinze ans, je passais à côté de l’occasion de le faire en Espagne). Ce week-end, j’ai ajouté Bruxelles à mon tableau de chasse.

Cela aurait pu être pour Les aventures de Tintin : le secret de la Licorne. Après tout je me retrouvais dans la capitale belge précisément le week-end suivant la sortie du film évènement de Steven Spielberg. Le plus célèbre héros belge était immanquable dans les rues bruxelloises, entre les affiches vantant la sortie du film aux quatre coins de la ville, les personnages s’insérant dans de nombreuses publicités, les bandes-dessinées d’Hergé présentes dans chaque magasin associé de près ou de loin à la culture. Les belges sont fiers de voir Hollywood s’emparer de Tintin et le font savoir. Au centre-ville, près de la station de métro De Brouckère, une toile géante rappelait à ceux qui ne le savaient pas encore l’importance de la sortie du film de Spielberg cette semaine. Il restait même encore un peu partout en ville des traces de l’annonce de la Première Mondiale du film, en présence de l’équipe bien sûr.

Seulement voilà, Les aventures de Tintin était déjà passé sous mes yeux à Paris, et je préférais profiter de Bruxelles pour voir autre chose. En cheminant à travers la ville, le cinéma qui m’a le plus attiré l’œil était une salle art & essai situé dans une belle galerie commerçante rappelant les passages parisiens, en plus grand et plus beau. D’autant que cette salle affichait notamment Howl, un film indépendant américain jamais sorti en salle chez nous, prenant pour héros le poète américain Allen Ginsberg, interprété pour l’occasion par James Franco. Mais s’il m’aurait plu de voir le film, les séances ne s’accordaient pas à mon emploi du temps.

Mon créneau pour voir un film, c’était le dimanche matin à 11h. Tout de suite, les possibilités s’amenuisent, et se limitent même rapidement au cinéma situé juste à côté de l’appartement où je loge, l’UGC De Brouckère ; Et le film le plus tentant à l’affiche dans ce multiplexe bruxellois, certainement du fait que le film n’était pas encore sorti en salles à Paris, était Contagion de Steven Soderbergh. Les autres films étaient soit déjà vus, soit des films que je pouvais voir dès que je serai rentré en France. Ce sera donc Contagion !

A Paris, il est rare que j’aille au cinéma à la première séance du matin, tout du moins voilà longtemps que je ne l’ai pas fréquentée. Mais je souhaite à tous les spectateurs français que les séances matinales soient mieux gérées que celles du cinéma bruxellois dans lequel je me suis rendu. Imaginez un peu la scène : nous sommes le premier dimanche suivant la sortie du plus gros film de l’année, Tintin, dans un multiplexe du centre-ville de la capitale belge, à une heure où la place est seulement à 5€. Douze salles, dont quatre (!) pour Les aventures de Tintin : le secret de la licorne (une en VF 3D, une en VO 3D, une en VF 2D, une en VO 2D). Douze séances qui toutes sans exception commencent à la même heure, 11h. Et pour gérer ce flux de spectateurs attendus… une seule caisse d’ouverte.

Bien sûr, il y a les bornes automatiques, mais le public de ce dimanche matin est un public familial, des parents avec leurs enfants, des grands-parents, et ceux-ci n’ont pas l’air détenteurs de cartes illimitées (oui, en Belgique aussi il y a des cartes illimitées, et j’avais la mienne sur moi, mais elle ne fonctionnait pas aux bornes belges et je devais donc faire la queue à la caisse). Les spectateurs sont venus à la séance du matin avec leurs billets de 5€ et doivent donc passer par la caisse. La seule caisse. En entrant dans le hall du cinéma et en découvrant cette loooooongue file d’attente pour acheter sa place, je tire rapidement un trait sur la possibilité de voir les bandes annonces. Au fur et à mesure que la queue avance, mes amis et moi nous demandons même si nous allons pouvoir entrer dans la salle avant que le film commence. Cinq minutes, dix minutes, quinze minutes, vingt minutes. Au bout d’un moment, vers 11h10, alors que toutes les séances sont entamées et que les films vont commencer dans six ou sept minutes tout au plus, la queue est encore longue, et il paraît évident que si nous allons réussir à avoir notre place de justesse sans rater le début du film, ils sont nombreux derrière nous à être assurés de le rater, eux.

La manager du cinéma, sentant qu’il serait temps de faire quelque chose pour sauver la situation, annonce en début de file d’attente que les personnes munies de carte bancaire peuvent acheter leur place aux bornes plutôt qu’en caisse. Il s’adresse à un couple de retraités en voyant qu’elle a sa carte bancaire en main. Celle-ci, outrée, est en fait à une place d’arriver en caisse et balance au manager « Maintenant que je suis arrivée là je ne vais pas sortir de la queue ». Quelques spectateurs suivent le manager jusqu’aux bornes, celui-ci offrant aux spectateurs de leur expliquer comment cela fonctionne, mais la queue reste trop longue.

Lorsque notre tour arrive de pouvoir acheter notre place, la seule employée de tout le multiplexe à agir en caisse (et avec une sacrée efficacité vu l’ampleur de la tâche) note nos numéros de cartes illimitées française, nous délivre nos places, et nous pouvons foncer en salle 3. Au moment je m’assieds dans la salle, à peine le temps de jeter un œil alentour pour voir à quoi ressemble celle-ci que les lumières s’éteignent et Contagion commence. J’ai une pensée pour les dizaines de spectateurs encore en train de faire la queue en caisse alors que toutes les salles lancent leurs films dans le multiplexe.

Je suis bien content d’avoir découvert le film de Steven Soderbergh à Bruxelles plutôt qu’à Paris où je serais peut-être rentré chez moi en métro après. Le film m’aurait certainement rendu un peu parano au milieu d’une foule de gens toussant, éternuant, touchant, avec ces barres grasses et ces poignées à attraper. Le film, récit de l’implacabilité, est une observation quasi clinique de l’expansion d’une contagion à l’échelle globale, la maladie et la mort qui s’étendent vitesse grand V à travers la planète. Cette chronologie inéluctable d’évènements est décrite avec force par Soderbergh dans un style quasi documentaire au risque d’amoindrir l’empathie que l’on aurait pu ressentir pour les nombreux personnages du film. Ceux-ci deviennent les rouages d’un évènement qui les dépasse. C’est tout la force et la limite du film, de laisser ce récit dans un ton clinique. Quand on a Jude Law, Kate Winslet, Marion Cotillard, Laurence Fishburne, Matt Damon et Gwyneth Paltrow devant sa caméra, c’est audacieux.

Je suis sorti du film méfiant de mon camarade éternuant. La salle était tout de même presque vide, tous les spectateurs ayant dû se diriger vers Tintin. En la quittant alors que mes compagnons de route sont allés dire bonjour à la dame pipi (eh oui, une dame pipi aux toilettes du cinéma !), je jette un œil sur ce cinéma. La sortie s’étant effectué par l’entrée de la salle, je peux m’y balader à ma guise. Je vois même que la sortie du cinéma peut également servir d’entrée pour ceux qui auraient envie de pénétrer dans le multiplexe sans payer. Aucune surveillance, et une assurance d’arriver directement au-delà du contrôle des billets. Seule une caméra trône dans cette zone, et s’il y a autant d’employés affectés à la surveillance vidéo qu’il y en a en caisse, on doit pouvoir entrer dans le cinéma en resquillant les doigts dans le nez.

Lorsque mes amis me rejoignent, nous décidons d’aller jeter un œil à la grande salle du ciné. L’un d’eux a entendu dire qu’elle était magnifique, et autant profiter de cette liberté de mouvement pour aller vérifier cela. Après avoir monté deux escalators, nous y pénétrons. La séance de Tintin qui y est programmée n’est pas encore commencée, les spectateurs attendant confortablement installés. La salle est effectivement à couper le souffle. Large, profonde, elle rappelle dans sa forme la grande et belle salle de l’UGC Normandie sur les Champs-Élysées, sans le rideau, mais avec un écran courbe immense sur lequel voir Tintin en 3D doit être absolument stupéfiant. Surtout, les ornements de la salle sautent aux yeux, des murs sculptés offrant à la salle un étonnant cachet vintage et majestueux. Si un jour je repasse par Bruxelles, voir un film dans cette salle me paraît indispensable…
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