jeudi 17 mars 2011

Souvenir… Quand "Charlie’s Angels" s’est transformé en "In the mood for love"

Automne 2000. Voilà quelques mois que la vie des amateurs de cinéma parisiens a été bouleversée par l’arrivée sur la capitale de la carte illimitée d’UGC. Cet étrange petit objet qui ressemble à une carte magnétique comme une autre est le sésame qui est en train de chambouler nos habitudes de cinéphiles. Plus besoin de se lever trop tôt le dimanche pour attraper la séance du matin moins chère. Entre payer une place plein tarif à 45 francs (oui à l’époque, on compte encore en francs), avoir le tarif réduit des matinées à moitié prix, et payer 98 francs par mois pour voir les films que l’on veut quand on veut, le choix est vite fait quand on a l’habitude de voir trois films par week-end (même le nul en math que j’étais n’a pas mis longtemps pour s’en rendre compte).

A l’automne 2000 donc, j’étais encore en phase d’apprivoisement de ma carte illimitée. Je ne voyais pas encore beaucoup plus de films qu’avant, et je commençais seulement à frayer hors des sentiers battus du cinéma français et anglo-saxon. En 1999, les films que j’avais vus qui n’étaient ni en langue française, ni en langue en anglaise se comptaient sur les doigts d’une main, c’est dire à quel point j’étais peu aventurier. En 2000, j’en ai vu huit, un léger mieux était en route.

Quand on devient toqué de quelque chose au fil du temps, on fini toujours par se demander quand, comment, par quoi cela a commencé, et si je me suis déjà posé la question il y a quelques mois « Le premier film c’était quoi ? », il m’est aussi arrivé de me demander « Les films qui ont le plus compté, c’étaient lesquels ? ». Ceux qui ont fait que les blockbusters et les films populaires n’ont plus suffi. Ceux qui ont déclenché quelque chose en moi. Lé réponse ne peut pas se résumer à un film. Du moins si c’est le cas je ne m’en souviens pas. Le processus a probablement été inconscient et dans une certaine mesure, lent. Il y aura eu les films français et américains qui ne ressemblaient pas aux films français et américains avec lesquels on grandit le plus facilement. Mais l’ouverture à une autre langue que la nôtre et que celle d’Hollywood est un pas fait vers un autre monde cinématographique (du calme sur les grandes phrases emphatiques, du calme).

Mon côté passionné et maniaque me force à me demander à quelle époque j’en ai eu marre d’entendre parler français et anglais. Et voilà pourquoi j’en reviens aujourd’hui à ce fameux jour d’automne 2000. 18 ans au compteur, une envie de films qui va grandissante. Avec ce sésame illimité en main, je me sens plus libre, plus aventurier, et plus curieux. Je me mets à aller voir au cinéma la violence de Medellin en espagnol dans La vierge des tueurs. Des danois amorphes et étranges dans Chansons du deuxième étage (bon, celui-là, j’ai regretté l’aventure). Des taïwanais dont la vie s’étend sur trois heures à l’écran dans Yi Yi.

Mais à l’automne 2000, si je m’ouvre un peu plus au monde qu’à l’accoutumée, je n’en demeure pas moins attiré par le cinéma Hollywoodien, et en un certain jour de décembre, je me suis rendu lors d’un après-midi oisif à l’UGC Ciné Cité Bercy pour aller voir à quoi ressemblait la transposition sur grand écran de la série culte 70’s « Drôles de Dames », rebaptisée Charlie’s Angels, le titre original de la série. Le film était déjà sorti depuis quelques semaines, et lorsque j’arrivai au cinéma, je découvris en demandant une place pour le film de McG que j’avais mal lu les horaires pour celui-ci, et que le film passait en alternance avec un autre, et qu’à l’heure choisie, c’était l’autre film qui passait.

L’autre film, c’était In the mood for love. J’ai sûrement poussé un soupir. Sûrement oui. J’ai hésité, oh oui j’ai sûrement hésité. Je me souviens très bien ce que je craignais du film. Ce n’était pas tant le fait que le film soit hongkongais qui me gênait, après tout j’avais vu un film taïwanais quelques semaines plus tôt. C’était plutôt que je me souvenais bien de cette bande-annonce langoureuse, de l’ambiance années 60 qu’elle annonçait, et je me souvenais surtout très bien que ma mère avait fortement attendu le film, et qu’elle en était revenue enchantée et intarissable sur les robes de Maggie Cheung. Et quand on est un mec de 18 ans, on n’a pas forcément envie d’aller voir le film à propos duquel sa mère s’extasie sur les costumes féminins. Non, vraiment pas. Ce n’était pas l’idée que je me faisais d’une petite sortie ciné détente avec moi-même. Moi je voulais voir Drew Barrymore, Lucy Liu et Cameron Diaz botter des fesses en combinaisons sexy. Merde.

Mais là c’était impossible. Et comme je venais de faire 45 minutes de métro pour venir au cinéma, et que j’avais déjà vu à peu près tout ce qui m’y intéressait, si je voulais voir un film, celui qui commençait et que je n’avais pas vu, c’était celui de Wong Kar Wai. Alors tant pis. J’ai pris ma place pour In the mood for love. Si je pouvais revoir le moi d’il y a 11 ans, je lui ferais un grand high five. Je l’embrasserais pour le remercier d’avoir laissé ses préjugés de côté pendant deux heures pour entrer dans cette salle. Quand je regarde en arrière, je vois ce plan B de spectateur comme une des projections marquantes du cinéphile en devenir que j’étais. En terme de choc cinématographique, que j’avais déjà connu en nombre jusque là, In the mood for love se pose parmi les plus mémorables, les plus importants de ma modeste vie de spectateur.


Je me souviens de la langueur des plans. De la moiteur de l’atmosphère. Je me souviens de cette musique, lancinante à souhait. Qu’il était classe, Tony Leung, dans ses costumes, clope au bec. Qu’elle était discrètement sublime, Maggie Cheung, oui, dans les robes que ma mère affectionnait tant. Qu’il était beau, cet amour muet et indicible, murmuré entre les pierres d’Angkor. J’en avais sûrement déjà vu, de grands films romantiques, mais à cette époque-là, je ne les cherchais pas. Celui-ci je ne l’ai pas plus cherché, mais peut-être m’a-t-il trouvé avec plus de force qu’aucun autre jusqu’ici, même si Sur la route de Madison avait balisé le terrain (il faudra que je vous raconte celui-là aussi).

Il y a dix ans, je ne voyais pas 10 films par an tournés dans une autre langue que le français ou l’anglais. L’année dernière, j’en ai vu 85. Certes je ne voyais pas autant de films il y a une décennie, mais je n’en voyais pas huit fois moins, loin de là. In the mood for love n’est peut-être pas LE film qui en est la cause. Mais il a joué un rôle prépondérant dans le cinéphile que je suis devenu, sans l’ombre d’un doute. Et aujourd’hui encore, je râle régulièrement pour dire que Luc Besson et son jury cannois de l’époque auraient mieux fait de remettre la Palme d’Or à Wong Kar Wai plutôt qu’à Lars Von Trier et son Dancer in the Dark…

8 commentaires:

I.D. a dit…

Ca se saurait si Besson avait du goût. Ca me tue encore cette histoire LVT à WKW... :(

Wong Kar Wai c'est l'un des best et j'attends avec impatience son The Grandmaster avec Tony Leung CW.

David Tredler a dit…

C'est une des plus grandes injustices de l'histoire de Cannes oui...
Moi aussi son Grandmaster, c'est un de mes films les plus attendus^^ Ca fait longtemps qu'on n'a pas vu le Chiu Wai sur grand écran !

lady lae a dit…

Oh oui ce fut a été une révélation pour moi aussi....

Tout ce charme, cette musique lancinante, ces silences...j'ai adhéré et grâce à Wong je me suis tournée vers le cinéma asiatique et je n'en suis toujours pas revenue ^^

David Tredler a dit…

On partage quelque chose Lady Lae ^_^

Lalalère a dit…

Un moment de grâce comme il en existe rarement ... Wong Kar Way a touché à la perfection sur c'coup là!
((as-tu vu Tropical Malady ? le cinéma d'Apichatpong est un voyage, une initiation, mais je peux comprendre qu'on y soit hérmétique ))

David Tredler a dit…

Lalalère, j'ai vu "Tropical Malady", j'ai vu "Oncle Boonmee", mais rien n'y fait, le cinéma d'Apichatpong m'est soporifique à souhait...

Liostra a dit…

Oui.. la lenteur n'est pas du tout un hanidcap pour In the mood !!!!
Par contre Apitchatpong..lui il endort.. j'ai eu droit à "c'est pire qu'un décalage horaire en avion" de la fille qui m'intéressait à l'époque.. merci Mr Apitchapong..il aurait fallu qu'In the mood soit sorti à ce moment là.. hehe

David Tredler a dit…

Apichatpong t'a donc planté ton rencard ? Ca m'étonne pas de lui. Wong Kar Wai ne t'aurais jamais fait ça lui ;)

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