vendredi 23 août 2013

Le charme nostalgique des cinémas de bord de mer en été

Lorsque l’on passe l’année dans les salles obscures parisiennes par passion, partir en vacances signifie aussi couper les ponts avec le cinéma. Ne plus guetter chaque news annonçant des projets de longs-métrages, ne plus guetter les sorties de films chaque mercredi matin, et plus que tout, passer quelques jours, quelques semaines, loin des grands écrans blancs. Pourtant il n’y a rien à faire, il m’est difficile de tenir mes distances avec les salles obscures.

Lorsque je suis en vacances à l’étranger je me délecte d’aller voir à quoi ressemblent les cinémas hors de nos frontières à Séoul, Dublin ou Bruxelles. A San Francisco en 2005, j’étais allé six fois au cinéma en l’espace de douze jours, ne perdant finalement rien de mon rythme cinéphile parisien, pour des films pour la plupart restés inédits en France (je me souviens d’un film avec Nick Nolte et Tim Roth produit par Terrence Malick). Mais il ne faudrait pas croire que seules les salles étrangères éveillent ma curiosité à l’heure de l’oisiveté vacancière, qui plus est estivale.

Car il est un charme particulier que j’attache aux cinémas de province. Peut-être est-ce parce que j’ai passé les premières années de ma vie dans une ville de Seine-et-Marne où le cinéma local, le défunt Colysée de Villeparisis, s’apparentait à un cinéma de province. Je revois encore les fauteuils en skaï et les publicités locales affichées sur le rideau cachant l’écran. Je revois encore les vieilles publicités pour le pop-corn Baff et les photos mises en vitrines à l’entrée du cinéma. Pendant des années, les photos d’une comédie nanaresque ont orné les vitrines du Colysée alors que le cinéma était devenu un vestige local, laissé là, à l’abandon, et qu’il a fallu se rabattre sur le Concorde de Mitry-le-Neuf ou le Jacques Tati de Tremblay-en-France pour continuer à aller au cinéma.

Le charme du cinéma en station balnéaire, c’est finalement un peu cela. Un retour vers l’enfance, et ces sorties le soir après avoir passé une partie de la journée à la plage, quand les parents nous emmenaient manger une crêpe et aller voir un film. Une bouffée de nostalgie qui remonte à la surface et où sont convoqués les lieux de vacances de l’enfance et ces cinémas de province qui furent le temple de souvenirs cinématographiques forcément mémorables par leur simple contexte de divertissements de temps festifs.

Ils se bousculent en masse, ces souvenirs. Je me souviens de l’entracte mal placé de « Robin des Bois, Prince des voleurs » au cinéma de Canet-Plage en 1991. Je me souviens de la file d’attente sous la pluie pour « Quatre mariages et un enterrement » à Barneville-Carteret en 1994. Je me souviens de l’excitation de découvrir « The Rock » en avant-première en juillet 1996, dans la grande salle du Sélect de Granville. Je me souviens de la patte de « Godzilla » écrasant le fossile de T-Rex dans le teaser projeté avant "Men in Black" en août 1997 au Castillet de Perpignan. Je me souviens des frissons qui m’ont parcouru à la découverte de la bande-annonce d’ « Il faut sauver le soldat Ryan », et de l’excitation de découvrir des bandes annonces de films de l’automne dès juillet, lorsque nous allions au cinéma à Granville. Je me souviens d’avoir vu « Matrix » pour la troisième fois dans un cinéma de Saint-Denis de La Réunion avec mon oncle, ma tante, et le fils d’un de leurs couples d’amis, et d’avoir passé deux heures à refaire le film avec eux après. 

J’avais tout cela en tête lorsqu’enfin, après des années sans avoir mis les pieds dans un cinéma de bord de mer en été, j’ai décidé d’aller mettre les pieds au cinéma de Fréjus, le Vox. J’étais même prêt à aller voir une ineptie hollywoodienne en VF pour le simple plaisir d’explorer le cinéma, pour cet amusement enfantin de découvrir les publicités locales et pour voir les bandes annonces qu’ils avaient à proposer, et vérifier si les cinémas de province proposent toujours les bandes annonces plus en amont qu’à Paris, où celles-ci se font malheureusement trop rares (surtout aux Halles).

Finalement je n’ai même pas eu à aller voir « Les Schtroumpfs 2 » pour satisfaire mon envie de cinéma local, car comme beaucoup de ces petits cinémas de province, entre quelques blockbusters il fut possible de trouver un film art & essai que je n’avais pas vu sur Paris, « Le Quatuor », comme j’avais pu découvrir à La Réunion en août 1999 « Les amants du cercle polaire » de Julio Medem. Arrivé une bonne demi-heure en avance au cinéma, je dus prendre mon mal en patience et attendre dans le hall que les portes de la salle 2 veuillent bien s'ouvrir. Lorsqu’enfin le caissier nous fit signe que nous pouvions monter, je profitais que le générique de fin du film précédent n’était pas terminé pour aller zyeuter la grande salle 1 où était projeté « Lone Ranger », histoire de voir à quoi celle-ci ressemblait.

Je retournai ensuite salle 2, où les spectateurs des « Schtroumpfs 2 » avaient déjà déserté la salle, mais le générique de fin n’était lui toujours pas terminé. Je pris place au sixième rang après avoir nettement hésité avec le cinquième (évidemment), et je pus même profiter d’une scène post-générique avec Gargamel et son chat Azrael qui me fit presque regretter de ne pas avoir opté plutôt pour les Schtroumpfs (je plaisante, même si...). Au moment où les bandes annonces commencèrent, nous n’étions que deux dans la salle de 111 places (oui j’ai compté), mais le nombre tripla lorsque le film commença.

En guise de mise en bouche, nous eûmes droit à une bande-annonce VF de « Jobs » (moi qui n’avais pas entendu Ashton Kutcher en VF depuis « That 70’s Show », mon sang n’a fait qu’un tour de n’avoir pas entendu la voix de Kelso), une autre de RED 2, et plus intéressant, une de « La Princesse des Neiges » (le Disney de Noël) qui n’était pas encore visible sur Internet lorsque mes vacances avaient commencé. Pendant 1h45, je me plongeai ensuite dans l’inégal « Quatuor », dans lequel les irréprochables Philip Seymour Hoffman, Christopher Walken et Catherine Keener ne sauvent pas toujours l’excès de pathos et de surdose dramaturgique. Pendant 1h45, j’oubliais presque que j’étais en vacances.

En sortant, les spectateurs pour « Les Schtroumpfs 2 » commençaient à arriver. En voyant toutes ces affiches de films à venir, « Fonzy », « Gravity », « Copains pour toujours 2 », les vacances me rattrapèrent. J’ai probablement triché en n’allant pas voir un vrai film d’été en vacances. Mais l’espace de quelques heures, je me suis revu dans ces souvenirs des années 90, je me suis souvenu du jeune spectateur que j’étais et de ses émois cinématographiques estivaux. J’ai bien fait de vadrouiller au Vox de Fréjus.

vendredi 2 août 2013

"Room 237" : je suis obsédé, tu es obsédé, il est obsédé...

Voilà plus d’un an que je cours après « Room 237 », le documentaire consacré aux interprétations de « Shining » de Stanley Kubrick par une poignée d’amoureux du classique. Le film de Rodney Ascher était présenté à Cannes à la Quinzaine des Réalisateurs en mai 2012. J’ai failli le voir à la reprise du Forum des images quelques jours après la présentation cannoise… avant de le rater… puis j’ai de nouveau eu l’occasion de le voir en septembre suivant à l’Étrange Festival… pour le rater une fois de plus. Les mois ont passé, et enfin un jour de juin 2013, le distributeur Wild Bunch a sorti le film dans les salles françaises.

Enfin… « les salles », c’est beaucoup dire, tant « Room 237 » a bénéficié d’une sortie riquiqui. Une seule salle sur Paris, le MK2 Bastille, pendant deux semaines, avant que le film ne soit basculé au MK2 Hautefeuille. Je pensais le voir vite à cause de cette exploitation restreinte… et puis je l’ai oublié. C’est le problème à Paris, avec cette offre pléthorique de sorties en salles, de rétrospectives, de ressorties en versions restaurées et de festivals, il faut un minimum de discipline cinéphile si l’on veut voir tout ce qu’il y a d’alléchant à voir, et il arrive que je me laisse dépasser. Fin juin – début juillet, Paris Cinéma battait son plein (j’y ai vu un « Prince Avalanche » enthousiasmant de David Gordon Green), la Fête du Cinéma poussait les distributeurs à sortir de nombreux films, et en tant que programmateur du Festival du Film Coréen de Paris, j’avais beaucoup de films coréens à regarder pour finir de boucler la sélection. Donc mon attention n’était pas optimale, et « Room 237 » m’est sorti de l’esprit.

Jusqu’à ce que le documentaire me rattrape sans prévenir, au détour d’une consultation de Pariscope alors que je cherchais un film à caser du côté du Quartier Latin avant d’aller voir « Les Sept Samouraïs » à la Filmothèque un peu plus tard dans la soirée. C’est là que je suis tombé sur le programme du MK2 Hautefeuille et que j’y vis apparaître le titre « Room 237 ». « Bon sang, Room 237, je l’avais zappé, je l’ai toujours pas vu !! ». Nous étions mardi soir, et dès le lendemain, le risque était grand que le film disparaisse de la salle, et peut-être des écrans parisiens.  J’étais dans le métro, impossible d’aller consulter Internet pour vérifier si le film serait toujours à l’affiche le lendemain, et la séance était dans moins de 30 minutes. Bien, ce serait donc « Room 237 » avant « Les Sept Samouraïs », sans l’ombre d’une hésitation, pas besoin de chercher un autre film.

Le film évoque donc « Shining » de Stanley Kubrick et la fascination que le film exerce sur les cinéphiles. « Room 237 » s’attache à interroger une poignée de fans absolus du classique de Kubrick pour qu’ils nous livrent leurs interprétations (souvent très personnelles) de l’adaptation du livre de Stephen King. Ces passionnés n’apparaissent jamais à l’écran, on ne fait qu’entendre leurs voix commentant les images du film de Kubrick. Les interprétations défilent, parfois élucubrations, parfois d’une acuité confondante (du moins le pense-t-on). Le film n’offre jamais rien d’officiel quant à ce que Kubrick a voulu faire avec Shining, il s’agit d’offrir la parole à quelques amateurs obsédés par l’œuvre et ayant un degré d’observation et d’interprétation particulièrement poussés.

Mais il ne faut surtout pas réduire « Room 237 » à une libre antenne pour passionnés de Shining. Le film va bien plus loin que cela. Bien sûr c’est ce qui passe en premier à l’écran, c’est ce qui accroche et enthousiasme en même temps, écouter ces passionnés parler de leur film préféré. Se délecter de tout ce qu’ils y ont décelé, une parabole sur le génocide des indiens, un clin au soi-disant rôle de Kubrick dans le tournage des images des premiers pas de l’homme sur la Lune, le sous-texte renvoyant au Nazisme et à la Shoah, ou les images subliminales à caractère sexuel… Les observations sont nombreuses, les images passent en boucle avec des arrêts sur image, des ralentis, des zooms pour coller au plus près des explications fiévreuses des obsédés du film. Certains détails sont plus que troublants, d’autres observations tout à fait abracabrantesques, mais quoi que l’on en pense, c’est toujours fascinant. A force de plonger tout entier dans Shining, il finit même par se dégager une atmosphère délicieusement angoissante du documentaire.

Mais Rodney Ascher va plus loin. Au-delà des témoignages autour de Shining, c’est bien un portrait de Kubrick qui se dégage, une mise en lumière du maniaque du détail qu’était Kubrick, de cet as de la mise en scène qui pensait chaque plan dans les moindres détails. Quel que soit le degré de vérité des interprétations, il est impossible de regarder « Room 237 » et de penser que tout n’est qu’un hasard et que « Shining » n’est qu’un film d’épouvante adapté d’un best-seller, à regarder au premier degré. Sous son apparente simplicité narrative se trouve une telle densité de détails et d’informations que le film étale une puissance incroyable. Il est d’autant plus fascinant à décortiquer, analyser et interpréter qu’il est un film parfaitement regardable et appréciable au premier degré.

« Room 237 » parle d’ailleurs essentiellement d’art, et non seulement de Shining et de ses interprétations. Le film s’exprime sur le pouvoir de fascination des œuvres d’art, cette capacité des artistes à glisser dans leur travail d’apparence anodine quantité d’information et de détails qui leur apporte une profondeur troublant le public. A travers ces obsédés de Shining, Ascher parle de tous les amateurs d’art, peinture, poésie, littérature, musique… et de notre envie, de notre besoin de nous y plonger corps et âme, de chercher à maîtriser l’œuvre qui nous fascine, notre besoin de l’explorer dans ses moindres recoins et de la faire nôtre. C’est un film sur la cinéphilie aussi, bien sûr, sur la cinéphilie totale, maladive, celle qui pousse un spectateur à revoir un film dix fois, cinquante fois, deux-cents fois. C’est un film, également, sur la subjectivité face à une œuvre. Sur cette capacité qu’a un film d’être différent selon la personne qui le regarde.

Le cinéma naît d’un scénariste, ou d’un cinéaste, ou d’un producteur, mais quel que soit celui qui a la paternité d’un film, une fois qu’il se trouve sous les yeux d’un spectateur, celui-ci le fait sien et le modèle selon celui qu’il est. Il se persuadera que sa vision est la bonne, celle du cinéaste. Mais au fond, il existe autant d’interprétations qu’il existe de spectateurs.
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