jeudi 31 juillet 2014

Boyhood réinvente le temps qui passe sur grand écran

« Boyhood » aurait pu s’intituler « Life ». Richard Linklater aurait probablement trouvé cela trop prétentieux, pourtant jamais auparavant un film n’a semblé s’approcher autant de la description la plus juste qui soit du temps qui passe. « Boyhood » aurait pu n’être qu’un film concept, une idée incroyable n’aboutissant pas à un film à la hauteur. Ce n’est pas le cas. Avec une simplicité désarmante et un savoir-faire remarquable, Linklater tisse douze ans d’une vie comme on n’a pas l’habitude d’en voir sur grand écran.

Je me souviens de l’annonce du projet « Boyhood ». Une annonce qui avait plus des allures de rumeur tant il semblait improbable qu’une telle entreprise cinématographique indépendante puisse arriver à son terme. Un film dont le tournage s’étalerait sur plusieurs années, à raison de quelques jours de prises de vue par an, pour filmer au mieux le temps qui passe et les personnages qui vieillissent.

C’était au tout début du siècle que l’on a entendu parler du projet de Linklater, alors que l’Amérique était tout juste en deuil du World Trade Center. Cela semble encore si proche, et pourtant déjà si loin. Ethan Hawke venait d’être nommé aux Oscars pour « Training Day », et Patricia Arquette sortait du premier long-métrage réalisé par Michel Gondry, « Human Nature ». Je me souviens que régulièrement au cours des douze dernières années, je me suis demandé si Linklater n’avait pas abandonné son projet, où il en était du tournage… Des années au cours desquelles j’ai attendu. Espéré, patient.

Jusqu’au jour où enfin, le film s’est matérialisé. A la fin de l’année 2013, « Boyhood » a été annoncé à Sundance et à Berlin, où il a remporté l’Ours d’Argent du Meilleur Réalisateur. Ça y était. Enfin. Douze années à attendre un film qui n’est pas réalisé par Terrence Malick, habituellement champion des films se faisant désirer. Douze années mettant une pression terrible sur le film. Si jamais le film n’avait pas été à la hauteur de ce projet au long cours, quel impact cela aurait-il eu sur Richard Linklater et sa motivation de cinéaste ? Cette question, nous n’avons heureusement pas à la poser. Car le réalisateur, qui avait déjà superbement expérimenté sur l’art de suivre des personnages grandissant et vieillissant au même rythme que ses comédiens avec sa trilogie « Before » (comme Truffaut avec son Antoine Doinel ou la série de documentaires « Up » de Michael Apted), a magnifiquement utilisé ces douze années.

Pas évident sur le papier de réaliser un film sur douze ans, par petits bouts de-ci de-là, tout en lui imprimant une cohérence, une vision et une sincérité aussi forte que celles qui parcourent « Boyhood ». On y suit Mason de ses six ans à ses dix-huit ans. Du petit garçon au jeune homme. Boyhood est l’histoire d’une vie, de vies, celle d’un garçon grandissant, mais aussi celle d’une famille, celle d’une mère célibataire élevant ses deux enfants, celle d’un père absent qui cherche à se rapprocher de ses enfants. Le temps passe, les gens grandissent, vieillissent, les sentiments naissent ou s’étiolent, les rêves germent ou s’évanouissent, les routes se font droites ou sinueuses, mais quoi qu’il arrive, le temps s’écoule et la vie se déroule sous nos yeux.

« Vie » est un terme crucial, car Richard Linklater a su insuffler à son film un caractère vivant, parsemant le récit d’indices sociétaux, culturels, politiques qui à l’époque où il les a filmés n’étaient que l’actualité du moment, mais qui aujourd’hui se regardent et s’écoutent comme les marqueurs de temps d’une époque, des marqueurs qui s’insèrent avec une évidence due à la nature même du film, tourné « en temps réel », à chaque instant de ces moments dépeints.

Pendant 2h45, on se sent revivre ces douze années écoulées, on se sent impliqué dans le film, dans ces personnages, dans ce qu’ils traversent. C’est leur vie qui se déroule sous nos yeux, et c’est notre vie que l’on ressent en écho. J’ai attendu douze ans que Richard Linklater mène à bien son projet. J’ai grandi, vieilli, vécu plus d’une décennie en guettant son film. Et l’espace de deux heures et quarante-cinq minutes, j’ai oublié que j’ai attendu ce film pendant presque un tiers de ma vie. J’ai vécu une vie de plus. Et j’en suis sorti différent.

mercredi 23 juillet 2014

La 4D existe déjà dans les salles de cinéma parisiennes (il suffit de s’asseoir devant le bon spectateur)

Le même weekend au cours duquel « Under the Skin » s’est dérobé à moi une première fois, mes nerfs ont été mis à rude épreuve devant un autre film. L’adage « L’enfer, c’est les autres » est rarement aussi vrai que dans une salle de cinéma où la qualité de l’expérience est également dépendante de la qualité humaine des spectateurs qui nous entourent.

Le problème du comportement des êtres humains devant une projection cinématographique peut souvent s’avérer fatal car nombre d’entre eux se croient dans leur salon lorsqu’ils s’assoient dans une salle de cinéma. Le film leur appartiendrait à eux seuls, et ils pourraient s’y comporter comme bon leur semble puisqu’après tout lorsqu’ils regardent un film chez eux, ils bougent, ils parlent, et personne ne s’en plaint. Alors pourquoi quelqu’un s’en plaindrait-il lorsqu’ils se trouvent au cinéma, qui n’est manifestement à leurs yeux qu’une version géante de leur salon.

Combien de fois ai-je dû demander à un voisin de salle de ne pas commenter le film ? Combien de fois ai-je dû me retourner pour demander au spectateur assis derrière moi de ne pas s’appuyer sur mon siège comme s’il était un repose-pied ? Si j’avais dû compter j’aurais probablement déjà pu publier un roman sur ces spectateurs égocentriques. Je me suis même déjà vu accusé d’égocentrisme moi-même car je ne respectais pas la façon de ces spectateurs de vivre un film au cinéma. Cela m’a fait gentiment sourire.

Je ne reprocherai jamais à un spectateur de pleurer bruyamment ou de rire trop fort devant un film, mais il y a certaines choses que personne ne devrait laisser passer. Ce weekend devant « Jersey Boys » de Clint Eastwood, j’ai rencontré un de ces individus pour qui les spectateurs qui l’entourent dans une salle de cinéma sont des figurants comblant les fauteuils mais n’ayant pas grand-chose à redire à la façon dont il se comporte. Le film étant sorti depuis quasi un mois sans grand succès, la salle était petite, une soixantaine de places tout au plus, et elle s’est donc retrouvée pleine.

Le spectateur en question n’était même pas assis directement derrière moi, mais derrière mon amie qui avait choisi ce fauteuil pour être plus tranquille sur la travée. Raté. Dès les publicités, les jambes du spectateur assis derrière elle remuaient son fauteuil dans tous les sens. Le film était commencé depuis quelques minutes à peine que déjà je me retournais pour lui lancer le regard noir que je réserve à ces situations (si si). Sans effet.

Le film de Clint Eastwood dure 2h15, et cela peut sembler bien long lorsque le mec de derrière colle ses jambes à votre fauteuil et les bouge constamment pendant tout le film. Je pense que cette séance rentre dans le Top 3 du nombre de fois où je me suis retourné pour, hum, manifester mon mécontentement envers un autre spectateur. Je ne me retourne pas dès qu’un spectateur donne un coup dans mon fauteuil, avec le temps j’ai appris à reconnaître un coup involontaire dans le fauteuil, ce qui peut arriver à tout le monde, surtout aux grands, d’un coup ressenti parce que la personne installée dans mon dos choisit d’utiliser mon fauteuil (ou celui de la personne assise à côté de moi) comme un repose-pied ou un repose-jambe.

Et pour le fameux spectateur de « Jersey Boys », le fauteuil de mon amie était le prolongement évident de son propre fauteuil, et il lui appartenait naturellement. J’ai eu beau me retourner et lui demander d’abord diplomatiquement s’il pouvait arrêter de s’appuyer sur le fauteuil et d’y donner des coups, aucune réaction, aucun mot. Plus tard j’ai dû recommencer en me redressant et en agitant mon bras dans son champ de vision, le hélant d’un « Hé ho ! Hé ho je vous parle !! » pour l’obliger à regarder vers moi et à me confronter, mais il continuait à faire comme si je n’étais pas là, alors que le spectateur assis à côté de lui, qui ne l’accompagnait pas, voyait bien lui le problème.

C’est après ces nombreuses tentatives ne produisant aucun effet que j’ai commencé à jouer des coudes. Puisqu’il ignorait mes gestes et mes mots, j’ai décidé de tester s’il ignorerait mes coups de coudes. L’espace entre mon fauteuil et celui de mon amie laissait largement passer mon coude, et j’ai donc commencé, à chaque fois qu’il labourait nos fauteuils avec ses jambes, de lui envoyer des coups de coudes dans les tibias (en prenant bien soin de ne pas me tromper de voisin). J’ai dû lui décocher six ou sept coups de coudes, mais évidemment, aucune réaction.

Les spectateurs robots existeraient donc ? Non je pense qu’un robot aurait plus de réaction. Mais c’est alors que je n’en attendais plus de lui qu’il a enfin daigné ouvrir la bouche et confirmer qu’il n’était donc ni sourd, ni aveugle. Alors que je me penchais vers lui pour lui demander « Mais rassurez-moi, on ne vous dérange pas, au moins ? », il a finalement daigné répondre en posant ses yeux vers moi (pour la première fois en deux heures) : « Ah non non, ça va ». « Ah bon ? J’avais un doute pourtant depuis le début » lui ai-je répondu à mon tour. A quoi il a conclu par un second « Non non » avant de reporter son regard sur l’écran.

Connard. Ah non pardon. MONSIEUR Connard. Des connards j’en ai croisé dans les salles de cinéma, mais lui cherchait à concourir dans la catégorie supérieure, alors il mérite bien un Monsieur devant son « connard ».  Le film à peine terminé je me suis tourné vers lui, prêt à faire exploser ma rage, mais Monsieur Connard avait déjà décampé. J’ai à peine eu le temps de l’indiquer du doigt à mon amie qui voulait savoir qui était l’empaffé qui avait remué son fauteuil pendant 2h15 comme si elle était en train de regarder Transformers en 4D dans une salle high-tech asiatique. Mais ce n’étaient pas des robots géants chevauchant des dinosaures. Ce n’était que les Four Seasons et leurs tubes à la pelle. Et si Clint avait choisi d’utiliser leur « Beggin’ » dans le film, Monsieur Connard aurait-il été plus enclin à répondre à mes suppliques ?

mercredi 16 juillet 2014

« Under the Skin », voyage en deux fois avec Scarlett Johansson

Gaumont Parnasse, salle 9, 16h30. On est vendredi et je presse le pas pour ne pas rater le début de la séance de « Under the Skin » de Jonathan Glazer. Depuis un certain jour d’avril 2000 et l’apparition de la carte UGC Illimitée, il y a quatorze ans déjà, je ne fréquente plus beaucoup les salles Gaumont. Mais j’aime trop naviguer d’une salle de cinéma à une autre pour ne pas de temps à autre m’aventurer hors des salles « illimitées ». Il m’arrive de m’engouffrer dans une salle Gaumont ou Pathé, comme l’année dernière lorsque j’ai testé le Pathé Beaugrenelle pour voir la deuxième partie du Hobbit en Dolby Atmos (une petite déception d’autant qu’il faut y choisir sa place à la caisse, une problématique qui m’a rappelé les salles de ciné coréennes).

Quand je discute qualité de salles avec un adepte de la carte Gaumont/Pathé, celui-ci (ou celle-ci) me vante en général la qualité technique accrue dans ces salles en comparaison des salles UGC. C’était donc une occasion de vérifier s’ils avaient raison. D’autant que je suis un spectateur, hum, un peu maniaque, qui voudrais que chaque projection se déroule parfaitement, sans accroc, sans mauvaise surprise. Que rien ne me sorte du film que je suis venu voir. Ni bavardage, ni bagarre, et si les spectateurs sont la plupart du temps ceux qui risquent le plus de gâcher un film, ni problème technique non plus.

Lorsque je suis entré dans la salle 9 du Gaumont Parnasse pour « Under the Skin », j’ai senti une salle agitée devant les publicités qui avaient déjà commencé. Pas une agitation de spectateurs turbulents, mais plutôt de spectateurs déconcertés par ce qu’ils voyaient à l’écran. En entrant dans la salle, j’étais passé devant deux employés du Gaumont, dont l’une disait à l’autre : « Qu’est-ce que je fais alors pour la 9 ? », et en jetant un œil à l’écran après m’être posé au 3ème rang, je compris d’où venaient l’agitation et le questionnement de l’employé. Tout un coin de l’écran était dans l’ombre, comme si le projectionniste avait accroché sa veste à un bord du projecteur. Mais à l’évidence, le problème n’était pas aussi simple.

Un spectateur assis sur le même rang que moi faisait des allers retours hors de la salle, probablement pour signaler ce problème manifestement déjà connu de l’équipe du cinéma étant donné la phrase que j’avais attrapée avant d’entrer dans la salle. Au début je ne m’inquiétais pas trop. Après tout, on me vante régulièrement les qualités des salles Gaumont, et à vue de nez le problème ne semblait pas insurmontable. J’ai cependant commencé à douter lorsque la même jeune femme que j’avais entendu questionner son collègue est entrée dans la salle alors que les pubs n’étaient pas encore terminées, pour annoncer peu ou prou qu’ils étaient au courant du problème technique rencontré et qu’ils mettaient tout en œuvre pour qu’il soit réglé avant que le film commence.

Le film commença moins de cinq minutes plus tard… et évidemment, la même ombre accrochait l’écran, dans sa partie gauche (comme symbolisé ci-contre). Aïe. Des mois que j’attends le film de Jonathan Glazer, j’en retenais mon souffle lorsque la salle s’est éteinte, et voir ce problème technique se dresser sur le chemin a très vite mis à mal mon humeur. Il m’en faut peu pour que je m’énerve au cinéma, et là on était loin du « peu ». A mesure que le film commençait et que les séquences s’enchaînaient, l’ombre persistait. Deux personnes du staff du cinéma se sont succédé dans la salle pour constater le problème à l’écran. Deux minutes, cinq minutes, neuf minutes, treize minutes, mais aucun arrangement en vue, et aucune intervention de quelqu’un du cinéma pour nous informer d’un éventuel règlement du problème.

Inutile de préciser que pendant ce premier quart d’heure pendant lequel je laissais une chance au cinéma, il m’était quasi impossible de me concentrer sur le film. La seule chose que je voyais, c’était cette ombre qui agissait comme un aimant pour mes yeux, qui ne voyaient rien d’autre que ces 2m² qui m’obsédaient et me gâchaient « mon » film.

Et puis j’ai craqué, j’ai attrapé mes affaires et je suis sorti de la salle. Je suis tombé sur l’une des personnes qui étaient passées dans la salle pendant les dix premières minutes, je lui ai demandé avec la mâchoire crispée s’il était possible de se faire rembourser sa place pour « Under the Skin », à quoi elle a promptement répondu par l’affirmative en se confondant en excuses, affirmant sans grande assurance que le problème serait réglé pour la prochaine séance. Mais c’était mon seul créneau du jour pour voir un film, et leur problème technique insoluble venait de le gâcher. En plus du remboursement de ma place, j’ai eu droit à une place gratuite supplémentaire à utiliser au même Gaumont Parnasse d’ici la fin de l’année.

Je me demande combien de spectateurs sont partis après moi. Le personnel du cinéma semblait mal à l’aise face au problème technique, mais il me paraît tout à fait incongru que la projection ait eu lieu malgré ce problème technique, en toute connaissance de cause de la part des responsables du cinéma. J’espère que chaque spectateur se sera vu offrir une place gratuite à la sortie.

Finalement j’ai pu voir « Under the Skin » deux jours plus tard dans des conditions optimales, sans aucune zone sombre barrant une partie de l’écran et m’empêchant de plonger dans cet étrange voyage cinématographique, unique et fascinante plongée dans la découverte d’une humanité, plus symbolique que démonstrative.
Non, je me satisfais décidément parfaitement d’avoir une carte UGC plutôt que Gaumont.
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