jeudi 26 juillet 2012

Pourquoi j’aime le cinéma, 4ème !


Les souvenirs d’enfance, les répliques mémorables, les chocs de spectateur, les actrices (ou acteurs) dont on tombe amoureux, les aventures qui nous font rêver, les émois érotiques, mais quels sont donc les mystères de la passion que l’on porte au 7ème Art ? Pour la quatrième fois, je réponds de façon très personnelle (bien sûr) à la question « Pourquoi j’aime le cinéma ? ». Si vous vous demandez d’où cette question est partie, la réponse se trouve ici. Alors, pourquoi j’aime le cinéma ?

Parce que chaque fois que je vois « Chantons sous la pluie », « Tout le monde dit I love you », « West Side Story » ou « Peines d’amour perdues », j’ai envie de danser. Et pourtant je ne suis pas du genre danseur…


Parce que le cinéma m’a appris à faire la différence entre le mandarin, le coréen et le japonais (entre mandarin et cantonnais, j’ai encore des progrès à faire par contre…)

Parce que j’ai découvert Terrence Malick un jour d’hiver 1999.

Parce que quand j’étais lycéen, la prof d’histoire nous a emmenés voir « Il faut sauver le soldat Ryan » dans la grande salle de l’UGC Normandie, et la prof d’italien « Le Guépard » de Visconti dans une petite salle disparue à côté de la Place de la République. Même si au grand désarroi de la prof d’italien, « Le guépard » était projeté en VF…

Parce que Jean-Pierre Léaud a été Antoine Doinel six fois.

Parce que quand Eduardo Noriega ouvre les yeux pour la dernière fois, le doute persiste.

Parce que j’ai vu « Primer » plusieurs fois et que je ne suis toujours pas sûr d’avoir compris.

Parce que quand j’avais dix ans, Kevin Costner était la plus grande star du cinéma américain, et qu’aujourd’hui encore, j’ai du mal à ne pas voir en lui cette grandeur déchue.


Parce que j’aime faire comme Amélie Poulain, me retourner pendant le film pour voir les visages absorbés (ou non) des autres spectateurs. Bon d’accord, uniquement pendant les films qui ne me passionnent pas.

Parce que Sinok aime Choco.

Parce qu’il n’y avait qu’au cinéma que ma mère nous achetait des chocolettis.

Parce que Steve McQueen rate sa grande évasion et retourne envoyer sa balle contre le mur du camp de prisonniers.

Parce que « ce n’est pas un sac à main, c’est une besace. Indiana Jones en a une ».

Parce que quand l’Oncle Teddy monte l’escalier, il le fait au pas de course en criant « Chaaaaarge !!! »

Parce qu’il existe encore des cinémas où l’on nous propose glaces, boissons et confiseries dans la salle avant que le film commence (au moins une, LesTrois Luxembourg !), et que cela me replonge en enfance.

Parce que Ron Burgundy pense que « San Diego » signifie « Vagin de baleine ». Sacré Ron.


Parce que Marcus Brody refuse de boire de l’eau pour la simple et bonne raison que les poissons font l’amour dedans.

Parce qu’à chaque fois que j’ai mon père au téléphone, il me demande si j’ai vu un beau film.

Parce que pour quelqu’un qui n’avait jamais été fait pour ce monde, je vois avouer que j’ai soudain du mal à le quitter. Bien sûr on dit que chaque atome de notre corps faisait autrefois partie d’une étoile. Peut-être que je ne pars pas. Peut-être que je rentre chez moi.

Retrouvez ici les précédents billets « Pourquoi j’aime le cinéma » :

lundi 23 juillet 2012

"Adieu Berthe" enterre mémé et déclenche les rires (ou comment se rattraper quand on n'a pas encore parlé d'un film important)


Au printemps 1998, je n’avais pas encore 17 ans. Cela faisait quelques années déjà que je m’intéressais au cinéma plus que la moyenne, mais je connaissais finalement depuis peu les joies que pouvaient procurer les voyages cinématographiques hors des sentiers battus. Et si je devais lister les dix films de l’époque qui ont le plus forgé mon caractère cinéphile, ces films qui m’ont pris au dépourvu et ont fait de moi le spectateur que je suis aujourd’hui, « Dieu seul me voit » en ferait certainement partie.

C’était le premier long-métrage de Bruno Podalydès. J’y découvris ce ton qui lui est propre, ce mélange indescriptible d’une tendresse incroyable et d’un amour de l’absurde qui est un régal de tous les instants. J’y découvris son frère Denis, le vecteur parfait des prouesses humoristiques de Bruno. Les frères Podalydès. Quand j’ai découvert « Dieu seul me voit », je crois que j’ai su immédiatement que je ne raterais plus un seul des films que ces deux-là voudraient bien nous offrir, et je m’y suis tenu.

Comme je suis tombé dedans quand j’étais petit, comme dirait l’autre, je n’ai jamais eu à me demander si le cinéma des Poda était fait pour moi, mais j’ai tout au long de ces années fait du prosélytisme, vantant leur humour, vantant leur humilité cinématographique qui ne les empêchait jamais d’accoucher de films qui comptent. Et puis en 2012, comme par magie, le Festival de Cannes s’est enfin penché sur le cinéma des frangins. Enfin un film de Bruno Podalydès était sélectionné sur la Croisette, à la Quinzaine des Réalisateurs. « Adieu Berthe, l’enterrement de mémé ».

Voilà un mois que je l’ai vu. Je sais, je sais, je suis en retard. J’aurais voulu vous en parler immédiatement, à peine sorti de la salle, mais je me suis entretemps laissé emporter par le Festival Paris Cinéma et ai dû laisser de côté mon envie d’écrire à propos du film des Podalydès. Les semaines ont passé, et il est temps que je hurle ce que j’ai sur le cœur : « Adieu Berthe, l’enterrement de mémé » est un grand film ! Je l’ai recommandé je crois à chaque âme humaine que j’ai croisé sur mon chemin depuis un mois. Car il n’y aura jamais assez de monde qui aura vu le film réalisé par Bruno Podalydès (même si avec plus de 500.000 entrées au compteur, c’est déjà un beau succès au box-office français).

J’ai laissé trop de temps passer, je m’en veux. Comment donc aujourd’hui vous décrire avec la plus grande acuité possible cette légèreté apparente, ces touches d’absurdes en embuscade à chaque plan. Les péripéties d’Armand, pharmacien partagé entre femme et maîtresse et devant gérer l’enterrement de sa discrète grand-mère qui vient de décéder, furent pour moi une bouffée d’air frais, malgré ma familiarité avec le cinéma des frères Podalydès. Une comédie qui à mesure que les aventures et dilemmes moraux d’Armand progressent et se densifient, à mesure que les personnages se croisent et se décroisent, à mesure que l’on se rapproche de Berthe, cette invisible mémé si mystérieuse, tisse doucement sa toile vers l’émotion et la réflexion.

Du rapport à la mort aux secrets de chacun, du destin que l’on choisit d’empoigner à la difficulté de la vie de couple, « Adieu Berthe » trace le sillon d’une comédie parvenant à nous faire tanguer entre hilarité et mélancolie. L’œil, les mots et les gestes de Bruno et Denis Podalydès maîtrisent cette douce acrobatie consistant à conjuguer humour et tendresse sans jamais tomber dans les travers de l’attendu. « Adieu Berthe » est d’une cocasserie folle et d’une sagesse étonnante. Il faut voir à quel point chaque personnage fait mouche, chaque réplique est parfaitement pensée et amenée. Le sixième long-métrage de Bruno Podalydès fait partie de ces comédies si drôles que l’on rate d’autres morceaux de bravoure couverts par nos rires. Il y a les potes du Français, Catherine Hiegel et Michel Vuillermoz. Il y a les potes Versaillais, Isabelle Candelier et Jean-Noël Brouté. Il y a cette osmose incroyable, dans le verbe, dans le regard, dans le jeu, qui fait que l’on se sent incroyablement bien dans « Adieu Berthe ». Je me devais de lui consacrer quelques lignes. J’en mourais d’envie.

jeudi 19 juillet 2012

"Far Away", la Corée nous envoie un blockbuster en DVD


Que reste-t-il des chances du cinéma coréen en France ? Les espoirs sont-ils définitivement utopiques ? Les échecs successifs de ces dix dernières années ont-ils brisé tout espoir ? Allez, en deux lignes à peine, vous allez me croire dans un jour défaitiste, même si ma complainte ne retentit pas pour la première fois. Il y a quelques jours déjà, j’en étais à contempler la sortie en DVD de trois « gros » films coréens dans ce triste été français, et à compter les films du Pays du Matin Calme à apparaître sur le calendrier des sorties ciné de 2012. A savoir un Hong Sang Soo passé (« Matins calmes à Séoul »), et un Hong Sang Soo futur (« In another country »). C’est l’amer constat de l’année, qui en dit malheureusement long sur l’état actuel de la distribution des films coréens en France.

Après une décennie au cours de laquelle les distributeurs ont tenté d’implanter ce vif et excitant cinéma coréen dans les mœurs cinématographiques des français, l’heure ne semble plus être à l’utopie. Les tentatives successives ont échoué et l’époque ne fait que le confirmer. Le cinéma coréen ne parvient toujours pas à s’imposer au-delà du public art & essai, et c’est le format DVD qui a aujourd'hui la primeur des films coréens. Le 1er août prochain, c’est le budget le plus imposant de l’histoire du cinéma coréen qui sortira directement en DVD, « Far Away, les soldats de l’espoir ». Tout un symbole, puisque son réalisateur est Kang Je-Kyu, dont le « Shiri » avait été le premier blockbuster coréen à sortir en salles France, en 2001, auréolé de son succès monstre en Corée où il avait battu les records du box-office local. Le film suivant du réalisateur, « Frères de sang » eut encore plus de succès en Corée (10 millions de spectateurs en salles), avec un plus grand budget encore, et une sortie plus visible en France au printemps 2005.

Il est facile dès lors d’affirmer que Kang-Je-Kyu est l’un des cinéastes les plus ambitieux de Corée, ce que « Far Away » (en VO, « My Way », on devine pourquoi le titre français est différent) vient confirmer, puisque le cinéaste a vu encore plus grand. Une fresque épique, guerrière, historique et mélodramatique traversant la Seconde Guerre Mondiale de la Corée aux plages du débarquement en Normandie.  Un budget gigantesque pour le cinéma coréen, un casting international avec le coréen Jang Dong-Gun, le japonais Joe Odagiri et la chinoise Fan Bingbing, tout cela au service d’une histoire si incroyable qu’elle ne peut être que véridique (d’accord, un peu customisée pour les besoins dramatiques). Imaginez plutôt : en 1939, dans la Corée occupée par l’Empire Japonais, un jeune athlète est enrôlé de force dans l’Armée Impériale pour aller combattre sur le front mongol, sous les ordres de celui qui depuis des années est son rival sportif. Alors que la guerre se fait mondiale, notre héros est fait prisonnier par les russes et va être balloté pour le reste de la guerre entre différentes armées, différentes batailles, qui vont le conduire jusqu’aux plages de Normandie en 1944.

La démesure du film est à l’image de l’histoire vraie qu’elle dépeint. D’emblée, on sent bien que « Far Away » ne fera pas dans la subtilité et l’économie. C’est une fresque, grande, ample, qui cherche à vous prendre aux tripes et à ne vous relâcher que 2h20 plus tard. L’excès de mélo peut faire tiquer, tout comme ce patriotisme exacerbé qui se fait jour dans la première partie du film. Cette vieille rancœur entre Corée et Japon est vivace, et il ne faut pas attendre de Kang Je-Kyu qu’il atténue cela. Ses japonais sont vils, détestables, quand ses coréens sont la bonté incarnée. Inutile de dire qu’un soupçon de finesse dans ce portrait des relations entre japonais et coréens aurait été apprécié, mais heureusement à mesure que le film avance, le réalisateur parvient à affiner son propos. Le discours sur la cruauté de l’occupation japonaise devient de fil en aiguille un regard sur la corruption du pouvoir et l’avilissement du conflit. Comment avoir l’ascendant sur autrui peut corrompre l’âme et pousser à commettre l’impardonnable.  En faisant traverser le monde à ses protagonistes, le réalisateur  parvint à s’éloigner de l’indécrottable différend entre coréens et japonais pour regarder plus loin et parvenir à poser une observation plus générale sur les méfaits de la guerre. C’est peut-être basique, mais après une mise en route si clichée, cela redonne au discours un certain équilibre.

Visuellement, on ne peut être qu’impressionné. Le film a beau être le plus gros budget de l’histoire du cinéma coréen, 25 millions d’euros ne pèsent pas lourds au regard des budgets hollywoodiens, et quand on voit ce que Kang Je-Kyu est parvenu à faire avec cette somme (un feu de paille à l’échelle d’un blockbuster hollywoodien), on ne peut que penser que les américains sont décidément moins efficaces dans leurs dépenses. Ici, l’argent dépensé est clairement visible à l’écran. Finalement c’est un peu ça, « Far Away », un blockbuster coréen où tout est étalé et décuplé. Les émotions, les aventures, les horreurs, les sentiments. C’est un vrai mélo où le réalisateur appuie fort sur chaque note, quitte à en faire trop. C’est peut-être trop grand, trop exacerbé, trop ambitieux, et pourtant c’est aussi ce qui fait sa force. Oser pousser jusqu’au bout pour le bien du spectacle. Forcer les traits pour que le film en sorte plus grand. Ce n’était pas tout le temps nécessaire, mais c’est ce qui fait que le film nous emporte. Malgré la maladresse, le souffle est là, celui d’une saga épique over the top comme on aime parfois se prendre en pleine face.

J’aimerais que tout le monde puisse découvrir « Far Away » sur grand écran comme j’ai eu la chance de le faire. Il y a des films qui demandent clairement à être vus dans une salle obscure, et « Far Away » ne se contente pas de le demander, il le crie. Il faudra se contenter du DVD. Si le film avait autant cartonné en Corée que les précédents Kang-Je-Kyu (il a déçu quand il est sorti à Noël dernier, ramant pour atteindre les 2 millions d’entrées, une déception en regard de son budget), aurait-il eu droit à une sortie en salles ? Peu probable. Haeundae, qui avait cartonné au box-office coréen en 2009, était sorti directement en DVD en France sous le titre « The Last Day », déjà chez Wild Side, et le direct-to-dvd avait marché. La conjecture du cinéma coréen en France semble dépasser les films au cas par cas. Faut-il pour autant renoncer aux rêves d’un cinéma coréen populaire dans les salles françaises ? Cela reste utopique, mais je ne renonce pas.

mercredi 18 juillet 2012

Inside : le synopsis qui en dit trop

La motivation qui pousse à voir un film peut être traître. Avec souvent une quinzaine de longs-métrages (voire plus)qui sortent dans les salles parisiennes chaque mercredi, les tentations sont bien trop nombreuses pour le temps que l’on peut impartir aux escapades cinéphiles dans les salles obscures. J’aimerais avoir le temps de ne pas avoir à faire de choix entre tel film et tel autre, mais ce luxe-là, je ne l’ai pas. Chaque semaine, les désirs sont nombreux et avec eux, les mises de côté. C’est pourquoi parfois, je préfère ne pas trop me pencher sur certains films qui n’éveillent pas naturellement ma curiosité, histoire de ne pas faire naître le désir de les voir et ainsi ajouter un film à la longue liste d’œuvres que je ne veux absolument pas rater.

Il en faut parfois peu, une critique lue machinalement, une bande-annonce aperçue en salle, ou un simple synopsis zieuté dans Pariscope pour faire naître le désir. Pour Inside, un film colombien sorti début juillet, il m’aura suffi du pitch. Pas d’image, ni de critique. Seulement trois petites lignes m’indiquant l’intrigue. Trois petites lignes paraissant innocentes mais dont j’aurais finalement préféré me passer. C’est tout le paradoxe de la situation. Si je n’avais pas lu ces lignes, peut-être ne serais-je pas allé voir le film, mais ces quelques lignes m’ont empêché de pleinement l’apprécier.

C’est à cet instant que je dois vous prévenir que si vous ne savez rien, absolument rien de « Inside » et que vous comptez le voir, vous pouvez arrêter la lecture de ce billet maintenant (si c’est le cas et que vous habitez Paris, dépêchez-vous le film ne passe déjà plus qu’à l’Orient Express et au Studio Galande). Si vous avez déjà lu des critiques, vu la bande-annonce ou simplement lu comme moi un synopsis du film, sans le savoir vous vous êtes déjà fait spoilé une part importante du film. Le pitch qui m’a attiré et qui est repris dans la presse sous une forme ou une autre, celui-là même qui est mis en avant par le distributeur est le suivant : une jeune femme qui n’a pas confiance en son compagnon décide de lui faire croire qu’elle le quitte alors qu’en réalité, elle se cache dans une pièce secrète de leur maison d’où elle pourra observer sa réaction… Mais dans la précipitation, elle se trouve coincée dans la pièce sans moyen d’en sortir. Un pitch vendeur, non ? Il éveille la curiosité, d’autant que la nationalité et le cadre colombien laissent espérer une atmosphère et un point de vue différent d’un thriller américain ou français.

Le souci, c’est que ce synopsis, sur lequel est également bâtie la bande-annonce, n’est pas, comme tout bon synopsis devrait l’être, le point de départ du film. Le film commence différemment, et toute cette intrigue n’intervient que dans la seconde moitié du film. Oui, on peut dire que le synopsis officiel du film est en réalité le résumé d’un twist essentiel du film, un bon gros spoiler, ni plus ni moins. S’il fallait faire un synopsis laissant planer le mystère et ne dévoilant rien d’important, cela ressemblerait plutôt à cela : Un chef d’orchestre fortuné vient d’être quitté par sa fiancée. Noyant son chagrin dans l’alcool, il fait la rencontre d’une jeune femme et en fait sa maîtresse. Mais deux inspecteurs de police s’intéressent au chef d’orchestre et le soupçonnent d’avoir fait disparaître sa fiancée, portée disparue depuis la séparation.

Bien sûr, présenté ainsi, « Inside » a un son plus commun et s’apparente à un thriller hitchcockien plus classique. Mais il faut se poser la question de ce que l’on recherche lorsque l’on « vend » un film aux spectateurs, que l’on soit distributeur ou journaliste. Veut-on tout lui donner, tout lui vanter, tout lui dévoiler ou presque avant même qu’il ait vu le film sans le prévenir que ce qu’on lui présente comme le point de départ du film est en réalité la résolution d’une énigme essentielle à l’intrigue, l’explication de l’atmosphère et de la tension qui définissent plus de la moitié du film ?Au risque, en ce cas, de lui gâcher en partie le film, en le privant des doutes, de l’insaisissable, de l’invisible ? Ou bien veut-on seulement allumer la flamme de la curiosité tout en laissant les clés du film hors de sa portée ? L’une des options revient à ne pas considérer le plaisir du spectateur. Et si cela ne vous (les personnes concernées) semble pas si grave, alors le problème est sérieux. Mieux vaut bien réfléchir à ce que l’on veut donner au spectateur avant même qu’il pose les pieds dans la salle. 

dimanche 15 juillet 2012

Quick, un film coréen en France... mais pas sur grand écran


Voir un film coréen sortir directement en DVD sans passer par la case ciné me file toujours un coup au cœur. Je sais, je sais, les salles de cinéma françaises sont déjà encombrées de film, mais quand je vois le nombre de multiplexes qui passent « L’Âge de Glace 4 » et « The Amazing Spiderman » sur plusieurs écrans, je ne peux m’empêcher de penser que tout le monde serait gagnant à voir ces blockbusters laisser un peu de place aux autres films, les spectateurs les premiers bien sûr. Mais l’heure n’est pas à la coréanophilie dans les cinémas hexagonaux. En sept mois, l’année 2012 n’a toujours vu qu’un seul représentant du Pays du Matin Calme sortir sur nos écrans, et sans surprise, c’était un Hong Sang Soo, « Matins calmes à Séoul ». C’est la frilosité des distributeurs qui est cruellement mise en exergue par ce triste constat. A l’heure actuelle, si un film coréen n’est pas passé par Cannes, ou au moins réalisé par un habitué du festival, ses chances de sortie en France sont plus que minces. C’est dire toute l’importance du Festival dans la chronologie cinéphile en France, et la nécessité qu’il défriche et déniche des talents quand on peut parfois lui reprocher de se reposer sur les acquis de la cinéphilie mondiale.  Même si parfois un passage par Cannes ne suffit pas à voir un film débarquer dans les salles (On t’attend toujours « Arirang » de Kim Ki-Duk !).

Alors il reste l’édition de DVD, où les films coréens sont bien plus présents, et où l’offre est même très différente, car lorsqu’un film coréen sort en salles en France, neuf fois sur dix, c’est un film d’auteur. En DVD, ce qui marche, c’est le spectaculaire, et c’est donc là notre chance de découvrir les blockbusters coréens qui ont très rarement droit de cité dans les salles obscures françaises. Parfois, les éditeurs tentent même d’atténuer la nationalité coréenne des films en les vendant comme des machines hollywoodiennes, à l’image du film catastrophe Haeundae, carton coréen qui s’était vendu en France en DVD sous le titre « The Last Day » en ayant pris soin de gommer les traits asiatiques du film lors de la campagne marketing.

L’été 2012 voit arriver dans les bacs trois blockbusters coréens. Un remake du « Syndicat du Crime », un film de guerre prévu pour août et dont je reparlerai très vite, et Quick. Non, n’imaginez pas faire une blague en relation avec la chaîne de fast-food, en Corée ils ne connaissent pas. Le film est sorti à l’été 2011 dans les salles coréennes, l’un des évènements cinématographiques de l’été en terme de divertissement, et le film a rempli sa fonction en attirant 3 millions de spectateurs en salles. Pour vous situer un peu le film, disons que c’est un croisement entre Speed de Jan De Bont et Taxi de Gérard Pirès, à la sauce coréenne. Un coursier à moto, une légende parmi les gangs de motard de Séoul, qui fait son job à toute berzingue, est piégé par un homme qui lui apprend que le casque que porte sa cliente est équipé d’une bombe qui explosera s’il ne livre pas des paquets aux quatre coins de la ville pour lui. Des paquets eux-mêmes piégés qui vont faire des dégâts. Ajoutez dans le mix le fait que la cliente que trimballe le coursier est son ex et les flics qui lui courent après pensant qu’il est un terroriste, et vous voilà avec la combinaison de Quick.

Si le film de Jo Beom Gu lorgne clairement vers le film d’action Hollywoodien dans sa structure et son avalanche d’effets spéciaux, il lui reste tout de même un peu d’ADN coréen, et tant mieux. Sans celui-ci, on se trouverait devant un film d’action bateau et trop long, ce qu’il est assurément. Mais heureusement, on retrouve dans le film un joyeux bordel lorsqu’il est question de dépeindre la police coréenne et son action, amenant par là les meilleurs moments du film. On pourra aussi toujours souligner que pour un divertissement largement comique et très grand public, le scénario est émaillé d’un nombre incalculable de morts, ce qui peut toujours surprendre quand on est peu habitué aux caractéristiques cinématographiques coréennes.

Difficile de trouver beaucoup plus de qualités au film, qui s’embourbe trop dans un enchevêtrement complexe superflu dans l’intrigue, et échoue à rendre son héros franchement convaincant en super motard charismatique. Peut-être s’agit-il là d’une erreur de casting, tant l’acteur Lee Min-Ki est fluet et peu magnétique. Il était nettement plus à sa place dans l’excellent « Oishi Man », ou en second rôle hésitant et amusant dans le fameux Haeundae.

On se consolera avec le générique de fin, qui comme pour les films de Jackie Chan, nous présente l’envers des cascades qui font mal. Bon, d’accord, Quick n’est pas le genre de film à faire regretter qu’il ne soit pas sorti en salles en France. Le prochain inédit amènera-t-il ces regrets ?

vendredi 13 juillet 2012

Au secours, j'ai un psychopathe à côté de moi dans la salle !


En Corée, lorsque vous achetez votre place de cinéma à la caisse, vous avez la possibilité de choisir votre emplacement exact dans la salle. Quel rang, quel fauteuil, tout devant, dans le fond, sur le côté, vous précisez, et le ticket qu’on vous édite vous placera précisément. A première vue, cela pourrait sembler une solution magnifique à un problème auquel un maniaque comme moi pense dès qu’il met les pieds dans un cinéma : être idéalement placé. Avec ce système, nul besoin de venir faire la queue une heure en avance devant la salle pour être sûr d’entrer parmi les premiers et avoir LE fauteuil convoité. Mais ça, c’est à première vue seulement.

Parce que quand on y réfléchit bien, choisir sa place à l’avance entraîne un inconvénient majeur : si l’on est situé juste à côté d’un emmerdeur, d’un bavard, d’un excité du smart phone ou d’une bande d’ados qui s’intéressent à tout sauf au film, on est coincé. J’y ai pensé il y a quelques jours à peine lorsque je suis allé voir « L’enfer des armes » de Tsui Hark au Festival Paris Cinéma. Ce jour-là j’avais commencé par aller voir le jubilatoire « Vulgaria » de Pang Ho-Cheung, chronique délirante d’un producteur de séries B à Hong Kong, rendez-vous immanquable pour qui a vu l’excellent « Dream Home » du même réalisateur. Après cet étalage d’humour gras, corrosif et sacrément malin, j’ai enchaîné avec l’éminemment sympathique bien que terriblement mineur « Starbuck », qui m’a permis de ne pas poireauter deux heures en attendant la séance du Tsui Hark. Mais les deux films s’enchaînaient de manière trop juste, et lorsque j’entrai en salle pour « L’enfer des Armes », le film commençait tout juste. Je me suis donc faufilé dans le premier rang qui venait et me suis installé.

Étant moi-même un peu en retard, je pensais être tranquille sur mon bout de rang. Mais c’est là qu’il est arrivé. Lui. Le psychopathe (bon d’accord le terme est exagéré, mais quand on tue une projection, on est un peu psychopathe quand même non ?). Casquette vissée sur le crâne, imper qu’il ne quittera pas du film, il est arrivé cinq bonnes minutes en retard et s’est posé à l’entrée de mon rang, à deux fauteuils de moi. Entre lui et moi, un seul siège vide. A le voir comme ça, il ressemblait à un spectateur anonyme, la cinquantaine, très vite plongé comme moi dans le film, la Director’s Cut du fameux film de Tsui Hark, une version pas loin d’être épouvantable, un DVD alternant séquences de qualité DVD et séquences de qualité VHS. Très moche à voir, mais le film de Tsui Hark est suffisamment puissant pour dépasser le désagrément. D’autant qu’en fait de désagrément, la qualité de l’image s’est vite avérée superficielle, quand je me suis rendu compte que le bonhomme qui s’était installé à côté de moi était un spectateur très… comment dire… démonstratif. « Trop » serait le superlatif le plus approprié.

Les murmures qu’il a vite commencé à exprimer ne m’ont pas préparé à la déferlante qui suivit pendant le film, une déferlante redéfinissant complètement l’idée que l’on peut se faire d’un spectateur qui se croit seul, ou chez lui, bien que je le soupçonne de n’avoir à aucun moment proférer ses commentaires à mauvais escient. Je pourrais tricoter des paragraphes durant sur ce que nous a réservé ce spectateur hors du commun pendant la projection. Mais rien ne sera plus parlant qu’une retranscription – aussi fidèle que possible – de ses saillies verbales les plus mémorables. Il ne s’est pas passé une minute, au cours du film, sans que l’on ait eu droit à l’expression orale de ce qui lui passait par la tête. Je dis « on » parce qu’il ne murmurait pas ses interjections, il les parlait le plus naturellement du monde, quand il n’était pas à quelques décibels de les crier. Je suis loin d’être le seul à en avoir profité, et il est temps que vous aussi vous en profitiez. Décidément, après "The Killer" et "Guilty of Romance", les séances sont mouvementées à Paris Cinéma... Voici donc un florilège loin d’être exhaustif (il en a tant dit, j’ai oublié la plupart) des commentaires entendus à tout bout de champ pendant « L’enfer des armes », la plupart du temps adressés aux personnages du film, parfois à lui-même :

« Vas-y, cours ! »
« Allez, sauve-toi ! »
«  Oh l’enculé !! »
« Bill Gates ! Bill Gates !! Bill Gates !! Bill Gates !!!” (de plus en plus fort, en voyant apparaître un acteur américain à l’écran, je n’ai toujours pas compris cette saillie… est-ce le nom de l’acteur ou celui-ci lui rappelait-il le fameux entrepreneur ?)
« C’est quoi, c’est du formol ?....... Ah non, c’est de l’acide !!! »
« Elle ressemble à Virginie Ledoyen c’est marrant ! » (parlant de l’actrice principale du film)
Et ma saillie préférée, sortie de nulle part, hurlée lors d’une scène où deux personnages se bastonnaient à l’écran : « Vas-y frappe dur Ben Hur !!! ».

Alors qu’à un moment, il a perdu le fil de ce qui se passait à l’écran, il s’est même tourné vers moi pour me parler : « Excusez-moi, ils ont tué l’Amerloque là ?? ». Je ne pus que hocher la tête, bouche bée. Tout ceci n’est qu’un petit fragment, le plus mémorable, de ce que mon voisin a balancé tout au long du film. Il a également régulièrement essayé de répéter certaines répliques en cantonais, phonétiquement, ce qui avait l’air de l’amuser. J’aurais aimé me souvenir de plus, mais il y en avait tant, dont un grand nombre étaient inintelligibles. Et le pire, c’est que je ne lui en voulais même pas franchement. Pas autant que si cela avait été un couple inattentif discutant d’autre chose que du film, ou un ado envoyant des SMS à tout bout de champ, ou un mec prenant mon fauteuil pour son paillasson. Lui, c’était à l’évidence un cinémaniaque, un vrai, et c’est sa passion qui s’exprimait si bruyamment, aussi inconvenant cela puisse-t-il paraître. C’est incontrôlable. Qui suis-je pour lui dire que son amour incontrôlable des films n’est pas convenable. Il ne comprendrait pas. Il ne changerait pas. Il prendrait peut-être même mon intervention pour une incitation au dialogue…
Je me contenterai donc d’espérer tomber le moins souvent possible sur lui… En France, on a le luxe de pouvoir choisir sa place directement dans la salle, contrairement à la Corée, qui a le luxe de ne pas faire la queue. A chaque luxe ses avantages et ses inconvénients.

jeudi 12 juillet 2012

"The Killer" de John Woo sur grand écran, enfin ! Enfin... presque...


Cette projection du film culte de John Woo, « The Killer », au cinéma Les Trois Luxembourg dans le cadre du Festival Paris Cinéma fut des plus étranges. Assurément, elle restera comme l’une des plus frustrantes de ma vie. Si le retard du projectionniste m’a permis de profiter d’une conversation amusante entre deux spectateurs qui ne se connaissaient pas, il a surtout été le signe avant-coureur d’une séance… pas catastrophique mais presque. En préambule aux déboires de la projection proprement dite, je ne peux m’empêcher de retranscrire la conversation entendue alors qu’installés dans la salle, nous attentions le lancement du film. Un spectateur assis presque juste derrière moi en interpela un autre assis derrière lui (belle symétrie n’est-ce pas ?). Les amateurs de John Woo (et par extension, de Johnnie To) apprécieront.

« Vous l’avez déjà vu ? (parlant de The Killer)
- Oui il y a longtemps mais jamais au ciné.
- Vous savez, il est sorti en France qu’en 95 mais il date de 89.
- Oui oui, je sais…
- Il a mis du temps à cause de la censure, en France ils trouvaient ça trop violent. Là c’est la version courte qui passe. Parce que vous savez il y a une version  longue qui existe, avec plus de fusillades et de sentiments.
- D’accord…
- Et vous aimez John Woo alors ?
- Pas les derniers, mais les autres oui.
- Oh vous avez pas aimé « Trois Royaumes » ?
- Ah si c’est l’exception celui-là. La version longue est vraiment bien.
- Wouah vous avez vu la version longue ? C’est comment ?
- Les personnages sont beaucoup plus développés. Dans la version cinéma on sentait bien que c’était tronqué, là c’est nettement meilleur.
- Et votre John Woo préféré, c’est quoi alors ?
- Bah, The Killer je pense…
- Ah oui, mais y a « A toute épreuve » aussi. Mais c’est vrai que « The Killer » c’est celui qui l’a fait connaître à l’étranger.
- Malheureusement oui… après il est allé faire ses films aux États-Unis…
- Ah bon vous n’aimez pas ses films américains ? Volte/Face ?
- Bon y a Volte/Face… mais le reste…
- Windtalkers vous l’avez vu ?
- Non celui-là je l’ai pas vu… juste des bouts à la télé…
- Oh il est génial celui-là Windtalkers faut que vous le voyiez ! Et vous avez vu Mission Impossible 2 ?
- Ah oui je l’ai vu, c’est vraiment pas terrible…
- Ah non moi j’adore !!! Et « Chasse à l’homme ?
- Oui il y a quelques années… c’est efficace disons.
- Moi j’ai vu la Director’s Cut sur Internet elle est super !
- Ah bon je savais pas qu’il y en avait une.
- Bah si vous voulez, vous allez sur Internet, vous tapez « Hard Target » c’est le titre américain, « Director’s Cut » et « Deleted Scenes ».
- Ah mais il n’existe pas un montage de la director’s cut ?
- Si mais je sais plus comment je l’ai vu… Ah et sinon vous l’avez vu « Une balle dans la tête » ? Celui-là aussi j’aimerais voir la Director’s Cut. Au départ le montage de John Woo durait 4 heures, mais la censure trouvait ça trop long, mais c’est son film le plus personnel. Avec « Le syndicat du crime ». Et « The Killer ».
- Tiens sinon y a pas une nuit Johnnie To à Paris Cinéma en ce moment ?
- Peut-être… en fait j’aime pas trop Johnnie To. J’ai vu « The Incident », son dernier, c’était pas mal mais sinon…

C’est à peu près à ce moment-là, alors que notre fan de John Woo nous inventait le titre d’un Johnnie To, que les choses ont commencé à bouger dans la salle. J’aurais dû me douter qu’un dialogue aussi spontané, passionné et néanmoins drôle annonçait une séance pas comme les autres. J’aurais aimé que le souvenir mémorable qui restera associé à cette projection le soit pour des raisons artistiques. Cela aurait dû être le cas. Imaginez donc, ma découverte de « The Killer » de John Woo avec tant d’années de retard, sur grand écran et en 35mm ! L’hommage de John Woo à Jean-Pierre Melville et son Samouraï, ça allait être grandiose, forcément. Ce fut ubuesque et frustrant. Surtout frustrant.

Le retard pris par la projection aurait été oublié, finalement, si rien n’avait contrarié les deux heures suivantes. Le film démarra avec une vingtaine de minutes de retard, c’est fatigant mais lorsque c’est pour un film comme The Killer, on oublie l’attente dès lors que le film commence et l’on se plonge dans les exploits sanglants et néanmoins héroïques de Chow Yun Fat en tueur à gages qui a le sens de l’honneur et de la justice. Mais après des années d’attente, c’est donc la frustration qui a triomphé. Malgré une copie un peu fatiguée mais tout à fait acceptable, le film nous a transporté moi et mes congénères spectateurs 1h30 durant, au-delà de certains tics du cinéma d’action des années 80 qui peuvent aujourd’hui prêter à sourire (les mecs qui font des roulés boulés à tout bout de champ que ce soit pour tirer ou se déplacer, c’est bon). Et puis tout à coup, la tuile. La grosse tuile.

Le final du film commence, le dernier quart d’heure, la dernière bobine. Un son étrange retentit, l’image tressaute. Un bourdonnement incessant se faire entendre et remplace les dialogues. Les sous-titres s’affichent dans le mauvais sens et sont illisibles. Le film continue, mais il est impossible pour nous de le suivre. Cela dure ainsi trois ou quatre minutes, jusqu’à ce que le projectionniste, prévenu par un spectateur, interrompe la projection et rallume la lumière. J’en entends déjà certains dire « Il faut qu’il repasse toutes les scènes qu’on a raté quand ce sera réparé ». Mais c’était une remarque bien trop optimiste.

La réalité s’est faite jour quelques instants plus tard, lorsque le projectionniste est entré dans la salle : « Bonjour, comme vous avez pu le constater, il y a un problème avec la copie du film. Ce n’est pas de notre fait, elle nous a été fournie comme ça, la dernière bobine est montée à l’envers. Je vais faire mon possible pour essayer de réparer ça pour les prochaines séances (le film était programmé toute la journée aux Trois Luxembourg et notre séance était la première de la journée)… mais je suis vraiment désolé, on ne peut pas vous projeter la fin du film maintenant ».

De grands soupirs se sont alors fait entendre, des « Mais on fait comment alors ? », des demandes de remboursements et des « Mais comment ça se termine ?! » à quoi le projectionniste a délicatement répondu « Ça finit mal je crois, ils meurent tous ». Des spectateurs donnèrent plus de détails, mais je ne les entendais déjà plus. Je suis remonté vers le monde extérieur frustré, agacé, triste, j’ai croisé les autres spectateurs faisant la queue pour se faire rembourser. Je les ai dépassés sans un regard. Mon rêve de découvrir « The Killer » sur grand écran venait de s’écraser dans la dernière ligne droite et mourir. 

lundi 9 juillet 2012

Les esprits s’échauffent devant « Guilty of Romance »


Certains films sont propices à la tension entre spectateurs. Leur karma est plein d’électricité, les vibrations qu’ils émettent rendent ceux qui les voient à fleur de peau. On voudrait croire que quoiqu’il arrive, un spectateur devrait savoir se tenir, rester calme, attentif et plongé dans le récit qui lui est conté. C’est ainsi que l’on imagine le spectateur idéal, un spectateur dans sa bulle, qui se coupe du monde qui l’entoure pour se consacrer pleinement et exclusivement au film qui se déroule sous ses yeux. Il n’y a plus rien qui compte que l’écran, on ne fait plus qu’un avec lui. Mais le spectateur idéal est rare, et l’être humain ne contrôle pas si facilement ses instincts, gestes et réflexes. Et certains films, donc, semblent rendre les spectateurs plus sensibles à leur environnement.

Dans l’une des grandes salles du MK2 Bibliothèque, le Festival Paris Cinéma proposait jeudi dernier une projection en avant-première de « Guilty of Romance » de Sono Sion. En fait d’avant-première, il s’agissait plutôt d’un évènement particulier puisque ce soir-là, le « Guilty of romance » auquel nous avions droit n’était pas la version destinée à sortir en salles en France à la fin du mois. Le distributeur du film, présent, nous expliqua en effet que pour des raisons de droit, le montage japonais était plus long pour donner un temps de présence à l’écran égal pour les trois actrices principales du film, et que c’était donc ce montage, présenté à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes en 2011, que nous allions découvrir ce soir. La version destinée aux salles françaises sera plus courte de près d’une demi-heure.

« Guilty of Romance » a prouvé jeudi soir qu’il était de ces films qui exacerbent les émotions. Combien de temps s’était écoulé lorsque l’incident se produisit ? Vingt minutes ? Trente peut-être. Alors que j’étais déjà happé par le film de Sono Sion, un ramdam se fit entendre au 2ème rang de la salle. Un homme corpulent d’une quarantaine ou cinquantaine d’années (difficile à déterminer d’où j’étais) et une jeune femme, séparés par deux ou trois fauteuils vides, haussèrent le ton. L’homme semblait dérangé par le comportement de la fille. Était-ce qu’elle jouait avec son téléphone, se remuait sur ces fauteuils particulièrement sensibles du MK2 Bibliothèque, ou tout simplement qu’elle parlait, je ne saurais dire. Après un échange inaudible mais visiblement peu amical, les noms d’oiseaux commencèrent à fuser et l’homme se leva en direction de la jeune femme, qui se mit à crier « MAIS IL M’AGRESSE !! IL ME FRAPPE !!! » avant que l’homme aille se rasseoir. Que s’est-il précisément passé, je n’ai pas vraiment compris. La fille se leva alors, choquée et quitta la salle en répétant à haute voix « Mais c’est pas croyable ! ». Étonnamment, le garçon qui était assis avec elle ne bougea pas. Une dizaine de minutes plus tard, elle revint et s’installa sur un côté de la salle, où son ami finit par la rejoindre. Et la salle retrouva son calme, alors que lorsque la confrontation eut lieu, certains appelaient au silence…

Aurait-on eu droit à la même scène devant un autre film que « Guilty of Romance » ? Peut-être. Après tout, la dernière fois que j’avais assisté à une « baston » dans une salle de cinéma, c’était devant Arrietty, pas tout à fait le genre de film à pousser les sens vers leurs extrêmes (mais par contre, déjà un film japonais...). Mais il y a quelque chose dans le film de Sono Sion qui interpelle ces sens. Une plongée dans la vie d’une femme au foyer qui va décider de sortir de sa cage dorée et se trouver du même coup entraînée dans une spirale de débauche dans laquelle elle ne se serait jamais imaginée jusqu’ici. Sa rencontre avec une professeure d’université qui se prostitue et sa découverte du quartier des love hotels qui vont lui devenir familiers… Et encadrant cette lente descente humaine, l’enquête d’une femme flic chargée d’identifier un cadavre en sale état et de trouver son assassin.

A mesure que la ménagère se construit malgré elle une nouvelle vie et un nouveau visage, Sono Sion nous fait progresser dans un ébouriffant tourbillon de sexe, de doutes, d’inquiétudes et de violence. Nos sens sont mis en émoi, de l’angoisse qui se fait régulièrement ressentir et fait parfois cogner nos cœurs à cent à l’heure au sang qui bout dans nos veines devant l’érotisme dégagé par Megumi Kagurazaka faite désir et luxure incarnés. Rares sont les films aussi excitants et déroutants que ce « Guilty of Romance ». Cela m’a pris de court car lorsque je l’avais découvert l’an passé à L’Étrange Festival, j’avais détesté le précédent film du cinéaste japonais, « Cold Fish ». Dans quelques jours, « Guilty of Romance » sera le tout premier Sono Sion à sortir en salles en France, ce qui représente en soi un évènement majeur. Et si je tenais absolument à voir la version longue destinée au Japon, j’en suis sorti intimement convaincu que la version courte est probablement encore meilleure. Si elle réduit effectivement l’aspect enquête policière de l’intrigue pour mieux se focaliser sur la dérive psychologique et sexuelle de la femme au foyer, le film risque d’en sortir grandi. La version longue s’achève sur la femme flic, alors que le film doit se conclure avec le cœur névralgique qu’est le personnage incarné par Megumi Kagurazaka.

Non, je n’avais pas aimé « Cold Fish ». Mais « Guilty of Romance » est autre. Il a mis mes sens en alerte. Les femmes ont beau être folles, hystériques ou psychotiques, les hommes ont beau être manipulateurs, menteurs ou dangereux, l’humanité faible et paumée, Sono Sion aime ses personnages et les rend palpables. Il parvient à nous hypnotiser quand d’autres pourraient avec un sujet similaire nous agacer. Il a construit une œuvre forte, sombre, aguichante et incroyablement poétique. Qui me fait d’autant plus regretter d’avoir rater Megumi Kagurazaka à Paris il y a quelques mois. 

dimanche 8 juillet 2012

"High Noon" ou la solitude solidaire de spectateurs esseulés


C’est un moment redouté dans la vie d’un spectateur. Non, pas se retrouver assis à côté d’un adolescent tenant un énorme seau de pop-corn. Quoique. Non, pas non plus oublier sa carte illimitée chez soi… quoique… également. Bon d’accord, les moments redoutés dans la vie d’un spectateur assidu sont nombreux dans une salle de cinéma, mais celui auquel j’ai été confronté au Festival Paris Cinéma est autre : assister à une projection en présence d’un cinéaste venu spécialement de l’autre bout du monde et constater que nous ne sommes qu’une petite poignée dans une grande salle pour l’accueillir. C’est un moment quelque peu honteux de s’avérer si peu dans une salle qui pourrait contenir tant de spectateurs et entendre cet écho caractéristique au moment des applaudissements lorsque la personne venue présenter son film entre en salle.

Cette mésaventure m’était déjà arrivée il y a quelques mois pour la venue d’Alexander Payne à Paris pour l’avant-première de « The Descendants ».  C’était déjà au MK2 Bibliothèque, exactement dans la même salle. Pourtant le Festival Paris Cinéma s’était jusqu’ici paré d’une jolie fréquentation au MK2 Bibliothèque à chaque séance, alors je m’imaginais qu’il en serait de même pour « High Noon », l’un des films projetés dans le cadre de la mise à l’honneur de Hong Kong. Un premier film réalisé en 2008 par une jeune femme (même pas 25 ans à l’époque), Heiward Mak, et projeté en soirée.

Pourtant à 21h passées, quand les portes de la salle s’ouvrirent et que nous nous installâmes (c’est classe le passé simple), nous n’étions qu’une petite trentaine  de curieux – dont l’ami blogueur Phil Siné qui accepta de se poser en ma compagnie au 5ème rang. Quelques heures plus tôt à peine, nous étions encore moins nombreux au cinéma Les Trois Luxembourg pour « Made in Hong Kong », mais la salle était plus petite et le réalisateur n’était pas présent. Je vis deux cinéastes d’ailleurs ce soir-là car en sortant de « Made in Hong Kong » rue Monsieur Le Prince, je tombais presque nez-à-nez avec Yuen Woo Ping qui s’apprêtait à donner une masterclass dans la salle que je venais de quitter.

Mais je m’éparpille. Où en étais-je ? Oui, les rangs trop vides de la salle 12 du MK2 Bibliothèque. Losque Bastien Meiresonne arriva tout joyeux pour nous présenter Heiward Mak et l’un des comédiens de « High Noon », nous fîmes tous bonne figure, le présentateur de la soirée le premier qui nous recommanda de rester en fin de projection pour discuter avec la réalisatrice et son acteur, en précisant « Déjà qu’on n’est pas nombreux… », mais avec une bonne humeur qu’il espéra communicative (ce fut le cas).

« High Noon » nous emporta ensuite 1h50 durant dans une exploration fougueuse de l’adolescence hongkongaise. Une bande d’amis lycéens faisant les 400 coups dans et hors les murs de l’école, au grand désespoir des profs et des parents. Cet esprit fougueux bat le chaud et le froid sur le film, si enthousiaste et jeune qu’il parvient régulièrement à emporter l’adhésion, osant passer de la comédie au drame avec défi, au risque de beaucoup trop s’éparpiller sur la longueur. Heiward Mak part dans tous les sens, appuie excessivement sur la pédale de la stylisation et nous laisse quelque peu fatigués. « High Noon » est un film plein d’excès entre rires et larmes qui dénote finalement beaucoup avec « Made in Hong Kong » vu plus tôt, un film plus sobre et maîtrisé, plus sage aussi mais non moins pourvu de sensibilité. Deux regards sur la jeunesse HK montrant l’un (Made in Hong Kong), à l’heure de la rétrocession, la fin des rêves et des illusions quand l’autre (High Noon) s’attache au difficile passage vers la maturité alors que la rétrocession est consommé mais a laissé des traces dans les rapports humains.

A l’heure de voir « High Noon », nous étions donc une trentaine assis ce qui en soi, déjà, semblait bien trop peu pour l’occasion. Mais lorsque le film s’acheva, seule la moitié des spectateurs resta pour la rencontre avec la réalisatrice et l’acteur du film. En me retournant sur mon siège, je constatai avec déception qu’au-delà du 6ème rang, la salle était complètement vide. Seuls restaient une quinzaine de spectateurs répartis donc sur les premiers rangs.

Heureusement, malgré la gêne évidente, qui en tout cas était ressentie du côté spectateurs, le silence ne demeura pas longtemps et la conversation eut bien lieu, s’attachant à la jeunesse hongkongaise, à la violence, aux acteurs amateurs ou à la voix de fausset du producteur Eric Tsang. Malencontreusement, la traduction de la conversation avec l’interprète se faisait à partir de l’anglais (les interprètes français/chinois devaient être mobilisés dans d’autres salles ?), ce qui entraîna quelques quiproquos et difficultés dans l’échange, ajoutant parfois un peu à la gêne.

Difficile d’imaginer que la réalisatrice et l’acteur de « High Noon » ne furent pas déçus par le manque de curiosité des spectateurs français pour leur film, à découvrir la poignée que nous étions. Qu’ils se rassurent, nous nous sommes sentis aussi déçus et gênés qu’eux. Quelque part dans leur moment de solitude, ainsi face à nous, ils ont pu compter sur notre solidarité. Nous aussi, nous nous sentions seuls dans cette salle.

vendredi 6 juillet 2012

Paris Cinéma nous fait voyager vers Agartha sur grand écran


Si l’on a droit à une petite poignée de films d’animation japonais par an dans les salles hexagonales, le contingent le plus important a tendance à finir directement dans les rayonnages DVD. Non, les cinémas français ne croulent pas sous les animes dès lors que l’on ne compte pas les films du Studio Ghibli mais par bonheur, l’une de ces exceptions va sortir à la fin de l’été sur grand écran en France, « Les Enfants Loups – Ame & Yuki » de Mamoru Hosoda. Avoir découvert en avant-première ce si beau film m’a fait regretter que l’on ne voit pas plus de film du genre dans les cinémas français, alors forcément lorsque j’ai vu que le Festival Paris Cinéma prenait le parti de programmer « Voyage vers Agartha » lors d’une projection unique à l’UGC Ciné Cité Bercy, la veille de sa sortie en DVD, mes papilles s’en sont trouvées toutes excitées.

C’est donc dans une salle comble, une fois de plus et sans surprise, que la projection a eu lieu en présence de son réalisateur Makoto Shinkai (qui avait précédemment réalisé « Cinq centimètres par secondes » et « La tour au-delà des nuages », tous deux déjà directement édités en vidéo). Une salle emplie de spectateurs répondant pour l’immense majorité au même profil (20-35 ans) et ayant l’air pour une bonne moitié de tous se connaître (et pour certains je les avais déjà vus la semaine précédente à la projection des « Enfants Loups »).

A chaque fois que je mets les pieds dans une salle projetant un film d’animation japonaise, j’espère me voir transporter vers un monde dont je ne voudrais plus sortir. Mes préférés sont souvent ainsi, des voyages humains dans lesquels j’aimerais vivre. Pourtant à mon grand déplaisir, dès les premières minutes de « Voyage vers Agartha » l’osmose avec l’univers créé par le réalisateur ne s’est pas fait sentir. Une sensation amère qui reviendrait régulièrement tout au long de la projection. Peut-être que voir le film de Mamoru Hosoda quelques jours plus tôt a défavorisé Agartha. A un film plein, magnifiquement pensé et exécuté a succédé un film au potentiel certes évident mais à la conception maladroite et inaboutie.

A quoi donc tient cette déception qui m’a étreint (je m’emporte dans le vocabulaire désolé) ? A une mise en route trop rapide nous plongeant dans l’action avant même qu’un semblant de base ait été posé pour définir les personnages et la mythologie du film. Il devient dès lors difficile de s’attacher pleinement aux péripéties et à la destinée de personnages qui manquent de caractère. Cela induit un autre problème inhérent au film, car lorsqu’enfin le réalisateur s’attache à proprement définir son univers, c’est comme si un second film commençait, et cela semble un peu tard. Le film gagne en panache autant qu’en beauté, avec un monde fantasmagorique intéressant, mais le rythme n’y est jamais vraiment, et si majesté et danger sont recherchés, on ne vibre ni ne tremble jamais franchement. L’intrigue semble alors prolongée artificiellement, les deux heures sont péniblement atteinte, et un sentiment de gâchis se dégage de l’œuvre.

L’enthousiasme n’était pas de mise lorsque le réalisateur s’est présenté à nous en fin de projection (je parle en mon seul nom bien sûr…), et après avoir écouté l’introduction de celui-ci à la séance de questions et réponses avec le public – au cours de laquelle il a comparé son film au « Voyage de Chihiro », pas gonflé mais presque – j’ai préféré prendre la poudre d’escampette, histoire de profiter d’une bonne nuit de sommeil avant le retour cinématographique à Hong Kong le lendemain. L’instinct semble m’avoir guidé avant même que le film commence puisque pour une fois je m’étais installé près d’une travée. Le départ n’en a été que plus facile dans la discrétion. Contrairement à une projection à laquelle j’allais assister le lendemain, un spectateur qui file est un détail dans une salle aussi pleine... 

mercredi 4 juillet 2012

"Our Homeland", une émotion entre Corée et Japon


Le problème avec le Festival Paris Cinéma – vous me direz que c’est un problème de riche et vous aurez raison – c’est qu’il est si passionnant de se plonger dans les films du pays mis à l’honneur que l’on en oublierait presque d’aller voir les films projetés en compétition. Oui, il y a une compétition au festival, des films indépendants de tous pays jugés à la fois par un jury de professionnels, un jury de blogueurs (je peux postuler pour l’année prochaine ?) et le public. L’année dernière déjà, je n’avais pu voir qu’un film de la compétition, « Hospitalité », quand « La guerre est déclarée » raflait sans surprise presque tout.

Cette année, si je ne l’avais pas déjà vu quelques semaines plus tôt au Forum des Images, je serais certainement allé voir le film d’animation coréen « The King of Pigs ». Mais un film de la compétition a tout de même rapidement attiré mon attention, « Our Homeland ». Même si le fait qu’il soit japonais a joué en sa faveur, c’est son sujet qui m’a accroché l’œil. Le retour au Japon dans sa famille d’un nord-coréen. Un fils envoyé à Pyongyang 25 ans plus tôt par un père convaincu à l’époque par l’idéologie de Kim Il-Sung, et à qui le régime a donné une permission spéciale de trois mois pour se faire soigner à Tokyo d’un mal face auquel la médecine nord-coréenne est mal équipée. Il est accompagné d’un surveillant nord-coréen chargé de superviser son séjour japonais. Voir dans la peau de ce dernier Yang Ik-June, l’acteur/réalisateur de Breathless que j’avais justement découvert à Paris Cinéma en 2009, une projection qui m’avait laissé dans une émotion dont je me souviens encore, n’a fait qu’attiser un peu plus ma curiosité.

Est-ce une coïncidence de retrouver le cinéaste coréen au casting de « Our Homeland » ? Filmé simplement, caméra à l’épaule, avec une sincérité confondante, les yeux dans ceux de personnages fracassés, « Our Homeland » m’a indubitablement rappelé dans son style l’écorchure bouleversante de « Breathless ». Ceux qui ont fréquenté le Festival Franco-Coréen du Film ces dernières années se souviennent peut-être du nom Yang Yong-Hi, la réalisatrice de « Our Homeland ». Elle y avait notamment présenté son documentaire « Dear Pyongyang » qui déjà la faisait se pencher sur l’histoire de sa famille. Car si ce nouveau film est son premier long-métrage de fiction, de fiction il est finalement à peine question comme nous l’a confirmé Yang Yong-Hi, présente en fin de projection. L’histoire décrite dans « Our Homeland » est la sienne. Ce frère envoyé en Corée du Nord par leur père, c’est le sien. Cette communauté nord-coréenne relocalisée au Japon suite à la guerre et à la partition, c’est la sienne.

Il serait mensonger de dire que le fait qu’il s’agit d’une histoire vraie n’influe pas sur l’émotion qui se dégage du film. Mais c’est aussi justement grâce à cette intimité entre l’histoire et la réalisatrice que celle-ci parvient à trouver une justesse et une sobriété admirables qui habitent le film. Parce que c’est son histoire, Yang Yonghi sait trouver les mots et les images pour crier sa douleur dans un silence déchirant. La rage et l’émotion qui se dégagent affleurent autant par ce qui se dit et se voit que par l’invisible et l’indicible, comme pour montrer que même en dehors de ses frontières infranchissables, la Corée du Nord et son régime imposent un cruel silence, une douleur inexprimable.

En fin de projection, la réalisatrice s’est présentée à nous, joyeuse, heureuse de partager son film et son histoire. L’histoire d’une femme au nom coréen et à l’identité japonaise qui a pourtant du mal à définir son pays natal. Une femme dont les frères lui ont été arrachés par une idéologie meurtrière. Une femme qui a longtemps hésité à s’exprimer pleinement et clairement eu égard à sa communauté. Une femme qui a envie que le monde connaisse son histoire, l’histoire de ses parents, de ses frères, de tous ceux qui se trouvent derrière ces frontières si opaques que celles de la Corée du Nord.

Je ne sais pas si c’est un hasard que trois ans plus tard, c’est dans ce même festival, dans ce même cinéma, dans cette même salle que j’ai découvert « Our Homeland » après y avoir découvert pour la première fois « Breathless ». Mais je sais que l’émotion est aussi encore au rendez-vous, frappante, amère et belle. Je sais que cette image du frère fredonnant la chanson de la balançoire, assis dans cette voiture le ramenant vers son inextricable destin, restera longtemps en moi. Je ne sais pas si je reverrai un film de la compétition à Paris Cinéma avant la fin du festival,  mais celui-là, je veux le voir figurer au palmarès, et je veux surtout le voir trouver un distributeur en France. A bon entendeur…

lundi 2 juillet 2012

Hong Kong prend Paris d'assaut !


Cette semaine, le nouveau Jason Statham est sorti, ça s’appelle « Safe », et je ne serais pas étonné que le film ressemble à peu de choses près à tout ce qu’a fait Jason Statham ces dernières années. Est-ce vraiment un mal, difficile à dire, chaque génération a ses stars du cinéma d’action, et cette génération-ci semble devoir s’accommoder de compter le britannique parmi les têtes d’affiche du genre. Statham pètent les gueules des salauds par dizaines, et il est indéniable qu’il doit beaucoup à l’influence du cinéma d’action asiatique à Hollywood aujourd’hui. Si le cinéma HK n’avait pas pris d’assaut la scène internationale il y a quelques années, si le savoir-faire HK ne s’était pas exporté, si Tsui Hark, Ringo Lam et d’autres n’avaient pas tenté une aventure américaine, le cinéma d’action occidental aurait certainement un tout autre visage aujourd’hui, et Statham n’aurait peut-être pas la carrière qu’il a aujourd’hui (même si avouons-le, sa carrière n’est pas franchement glorieuse).

Si je parle cinéma d’action, c’est parce que depuis quelques jours, le Festival Paris Cinéma, édition 2012, a pris ses quartiers dans la capitale, et fête pour l’occasion son dixième anniversaire. Ce qui fait la particularité et l’attrait numéro 1 de Paris Cinéma, c’est que chaque année un pays différent est mis à l’honneur avec des dizaines de films de toutes époques, pour que les novices fassent une grande découverte nationale et que les amateurs comblent leurs lacunes. L’Asie a souvent eu l’honneur de ces mises en lumières, et si je me souviendrai longtemps de la spéciale Corée en 2006, parce qu’elle m’a indirectement ouvert les portes de ce pays et de sa culture, le Japon avait lui aussi eu droit à cet honneur, il y a deux ans.

Cette année, pour les dix ans du Festival, les organisateurs ont choisi Hong Kong. L’histoire cinématographique locale est suffisamment riche pour nourrir un tel coup de projecteur qui va encore durer quelques jours pour mon plus grand bonheur. Je ne fais pas partie de ces grands spécialistes du cinéma HK, mais je suis tout de même un amateur passionné par le genre, et à ce titre il est hors de question que je ne profite pas à fonds de la programmation de Paris Cinéma. Et si j’ai ouvert ce billet sur le cinéma d’action, c’est parce que le premier film pour lequel je me suis déplacé au Festival est un vieux Jackie Chan. Non, pas « un » vieux Jackie Chan, mais bien son premier rôle emblématique alors qu’il n’avait pas encore 25 ans.

Jackie Chan n’est pas un inconnu à Paris Cinéma puisqu’il y a quelques années déjà, le Festival avait invité l’acteur chinois pour lui consacrer une rétrospective dont j’avais bien profité et où j’avais pu découvrir sur grand écran « Le Marin des Mers de Chine », « Police Story » ou le moindre « Opération Condor » (j’en avais même profité pour me faire dédicacer par Jackie himself un bouquin que j’ai qui lui est consacré, mais non je ne fais pas le fanboy…).
Jackie Chan fait partie de ces figures du cinéma d’action avec lesquelles j’ai grandi. Quand j’étais ado, on se regardait entre potes les exploits cinématographiques de l’acteur en VHS, avant qu'il ne vienne s'aventurer à Hollywood (certains diraient "s'égarer", mais il y a tout de même tourné une poignée de films réjouissants). Ce qui m’émerveillait à l’époque, et qui m’émerveille toujours quand je revois ses films, c’est cette grâce comique que l’acteur insufflait dans ses combats et cascades. Jackie Chan ne se contentait pas de faire du kung-fu, ses combats étaient une vraie chorégraphie, il embrassait complètement l’environnement de ses scènes, ne faisait qu’un avec tout ce qui lui tombait sous la main. Voir un Jackie Chan, c’était autant voir de la castagne qu’assister à une démonstration visuelle et comique.

Alors forcément, armé de ces souvenirs, je n’ai pas pu m’empêcher de résister au plaisir de voir « Drunken Master » sur grand écran à Paris Cinéma, un des tous premiers Jackie Chan réalisé par le maître Yuen Woo-Ping (par ailleurs invité du Festival), même si c’était une projection vidéo qui ne bénéficiait donc pas d’une grande qualité d’image. Pendant un moment, je me suis même demandé si c’était bien « Drunken Master » que j’allais voir, car si le programme officiel du festival annonçait bien ce titre, lorsque je prenais ma place au MK2 Bibliothèque où se déroule une partie des projections, le ticket était imprimé « Déchaînés du Karaté » (alors que le titre français officiel est « Le Maître Chinois »), un titre pour le moins… comment dire… incongru ?

Mais ce fut bien « Drunken Master », ce fut bien Jackie Chan et son air juvénile, ce furent bien les chorégraphies incroyables de Yuen Woo-Ping, et ce fut bien un spectacle à la hauteur de mon amour du cinéma de Jackie Chan. Pour la génération qui a droit à Jason Statham en star du cinéma d’action, Jackie Chan ne représente peut-être que ce chinois ringard ayant joué dans le dernier « Karaté Kid », dans « Rush Hour 3 » et « Kung Fu Nanny ». C’est bien dommage, et il faut espérer qu’un jour, elle tombe sur un vieux Jackie Chan, même par hasard. Paris Cinéma ne fait que commencer, mais avec Hong Kong à l’honneur, les promesses sont grandes.
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