dimanche 28 février 2010

Colin Firth entre dans la cour des grands

Colin Firth est généralement synonyme de comédies romantiques britanniques, parfois aussi de drames (romantiques eux aussi). Cette association a longtemps vécu. Trop longtemps. Bien sûr Colin Firth a eu d’autres carrières que « Orgueil et préjugés », Love Actually et Le Journal de Bridget Jones, mais voilà, c’est à ces films que l’on pense lorsque retentit le nom du comédien anglais. Les choses vont peut-être changer grâce… à un couturier ?

Tom Ford réalisateur, j’étais aussi sceptique que tout un chacun. Un pro de la mode qui se prend pour Wong Kar Wai en signant un drame esthétisant sur un homme pleurant son défunt compagnon, ça sent le plantage à des kilomètres à la ronde. Pourtant hier après-midi j’ai vu A single man, ce fameux premier film de Tom Ford, et j’en suis sorti plutôt ébloui. Retirons le « plutôt ». Ébloui. Des gens beaux et bien habillés, une musique envoutante, des ralentis, les années 60… Il n’y a pas de doute, c’est chez Wong Kar Wai que Ford a puisé son inspiration pour ses débuts de cinéaste. Pourtant la bonne surprise c’est que A single man n’est pas une pâle copie d’In the mood for love.

Car si le film n’était qu’une affaire de style, il ne serait qu’un bel écrin vide. Ce qu’il n’est pas. Du style, il en a, mais ce qu’il a surtout, en son cœur, c’est un magnifique personnage masculin, servi par un grand acteur. Ce personnage, c’est George Falconer. Et ce jour de novembre 1962, George veut mourir. Il l’a décidé, ce jour sera le dernier jour de sa vie. Au cours de la journée, il prendra soin de tout mettre en ordre avant de partir pour de bon, en se remémorant le passé heureux, du temps où Jim, l’homme de sa vie, était encore en vie. Il croisera également Charlotte, sa meilleure amie, et Kenny, un de ses étudiants. L’un ou l’autre pourra-t-il détourner George de son funeste projet ?

Colin Firth prête donc ses traits à George, ce professeur anglais enseignant en Californie. Non seulement Firth lui prête ses traits, mais il le porte de la première à la dernière seconde avec une force incroyable. Il habite le personnage à chaque instant. Le comédien a toujours été quelqu’un d’immédiatement sympathique. Un acteur que l’on apprécie quoiqu’il fasse, même le film le plus futile. Quelque chose d’assez universel qu’il dégage et qui finalement l’a plutôt desservi puisqu’on a pris l’habitude de le voir dans des rôles « faciles ». George Falconer lui offre le plus grand défi de sa carrière, qu’il relève de façon incroyable.

Firth est de presque tous les plans du film, des plans qui ne mentent pas. Des plans longs, des plans qui le mettent au centre du cadre, au centre du film, dans lesquels il ne peut pas se permettre d’être seulement bon acteur. Et Firth ne s’en contente certainement pas. Son visage si familier semble capable de tout sous l’œil de Tom Ford. Regardez-le apprendre par téléphone la mort de son amant dans un accident. Regardez ce plan durer. Ce plan fixe sur Firth, qui arrive à tout transcrire. En une poignée de minutes. La joie d’avoir des nouvelles de son amant. L’incompréhension de ce qu’on lui dit. L’incrédulité. Le choc. Le gouffre qui s’ouvre en lui. La retenue de celui qui ne veut pas craquer en ligne. Et l’émotion qui emporte tout.
C’est une séquence, qui résume à petite échelle ce qu’est capable de faire Colin Firth pendant 1h41.

Sans Firth, le film aurait sans doute été tout autre. Peut-être la stylisation de la mise en scène de Tom Ford serait-elle moins bien passée à l’écran. Peut-être son portrait feutré de l’Amérique années 60 aurait-il agacé. Peut-être son regard sur le deuil, et l’acceptation de la durée éphémère du bonheur (et de la vie), eut-il été plus fade. Impossible de le dire. Car A single man est dominé par la présence de Colin Firth, qui enfin se voit offrir un grand rôle. Qui enfin révèle que ce sympathique britannique à l’allure si romantique cache un acteur fiévreux, remarquable, qui n’a pas volé la Coupe Volpi du Meilleur acteur à la dernière Mostra de Venise.

Maintenant, le défi pour Colin Firth sera de ne pas se laisser aller à retrouver ses confortables rôles futilement romantiques, ou exagérément costumés, pour poursuivre à offrir dans d’autres grands rôles cette mélancolique ardeur qui émane de lui. Pas de Bridget Jones 3 Colin, please. Please.

vendredi 26 février 2010

Dix films pour 2010

Il est plus habituel de saliver sur les films à venir d’une année dans les premiers jours qui suivent le Nouvel An... Tant pis, les conventions sont faites pour être bousculées, et voilà que je me mets à dresser mes films les plus attendus de 2010 fin février (après vérification, j’avais le même retard l’année dernière). A quoi ressemblera 2010 ? Quels seront les films qui m’enivreront ? En verrais-je autant qu’en 2009 ? Tout ce que je sais pour le moment, c’est que les dix films qui suivent me font trépigner d’impatience comme un enfant répétant inlassablement « On est bientôt arrivés ?? ». Tous ne seront peut-être pas prêts à temps pour 2010, et peut-être en oublie-je quelques uns qui m’excitent tout autant... Mais les oubliés me pardonneront j’en suis sûr.

A marche forcée (The Way back)
De Peter Weir, avec Ed Harris, Colin Farrell, Jim Sturgess, Saoirse Ronan, Mark Strong.
Si certains cinéastes tournent plus vite que leur ombre, Peter Weir n’est pas de ceux-là. Avec le temps, l’australien se fait plus rare, ce qui rend ses films d’autant plus attendus… sans compter qu’avec l’âge, la qualité de son cinéma ne faiblit pas, et l’ambition encore moins. Weir nous revient après sept ans d’absence avec l’histoire vraie d’un groupe de prisonniers s’évadant d’un goulag sibérien durant la Seconde Guerre Mondiale, pour un immense périple à pied à travers l’Asie. Gallipoli, L’année de tous les dangers, Mosquito Coast ou Master and Commander (son plus récent) attestent de la capacité du réalisateur à nous transporter dans l’aventure. Loin du fatras de robots numériques, de transpositions de jeux vidéos et d’attractions de parcs, une vraie épopée haletante comme sait les manœuvrer Weir est plus que bienvenue. Sortie prévue en octobre.

Le frelon vert (The Green Hornet)
De Michel Gondry, avec Seth Rogen, Christoph Waltz, Cameron Diaz, Jay Chou, Tom Wilkinson.
Vous remarquerez que mon attente est souvent liée au cinéaste derrière la caméra. Après Peter Weir, Michel Gondry n’est pas étranger à mon intérêt pour Le frelon vert. Le frenchy s’est fait une place en or à Hollywood, où même si ses films ne sont pas des cartons au box-office, il peut presque tout se permettre. Et on ne l’attendait certainement pas portant à l’écran un scénario écrit par les compères Seth Rogen et Evan Goldberg, le duo gagnant de Supergrave et Délire Express, adapté de la série télé des années 60 ayant contribué à la gloire (à l’époque naissante) de Bruce Lee. Gondry et son jouissif cinéma de bricole novateur se pliera-t-il au film de justicier ? Il y a fort à parier que le cinéaste parviendra plutôt à s’approprier le genre pour le porter là où nul autre n’aura jusqu’ici osé. La possible jubilation est prévue pour Noël.

The Grand Master
De Wong Kar Wai, avec Tony Leung Chiu Wai, Zhang Ziyi, Song Hye Kyo.
En parlant de Bruce Lee… S’il y a bien un film qui risque de ne pas être prêt pour 2010, c’est bien celui que consacre Wong Kar Wai à Ip Man, le légendaire maître ès arts martiaux qui fut le mentor du fameux Petit Dragon. Si un film lui a déjà été consacré récemment (avec Donnie Yen dans le rôle-titre), le simple fait que le réalisateur de In the mood for love se penche sur un genre du cinéma asiatique facilement codifié auquel on n’aurait jamais pensé l’associer, le film d’arts martiaux, éclipse tout autre projet consacré à Ip Man. Le tournage est en cours actuellement après de longs mois de préparation physique pour Tony Leung (Chiu Wai) qui se glisse dans la peau du Grand Master. Si casting et scénario demeurent assez flous (Zhang Ziyi et la coréenne Song Hye Kyo semblent être les seules autres certitudes de la distribution), ce qui est sûr c’est que le tournage devant durer jusqu’avril, il semble peu probable que WKW et ses fameuses lunettes noires fasse son habituel tour sur la Croisette en mai prochain…

I come with the Rain et Norwegian Wood
De Tran Anh Hung
Peut-être verra-t-on deux films réalisés par Tran Anh Hung en 2010… Non, le réalisateur de L’odeur de la papaye verte ne tourne pas à un rythme frénétique, mais voilà bientôt trois ans que son film noir Je viens avec la pluie a été tourné, et trône depuis sur une étagère (alors qu’il s’agit d’une production française). Du coup, ce mystérieux film sorti au Japon, en Corée ou au Brésil, dans lequel le privé Josh Hartnett fait face à l’inquiétant Lee Byung Hun, risque de se faire voler la vedette par Norwegian Wood, actuellement en post-production. Il s’agit de la transposition sur grand écran du beau roman « La ballade de l’impossible » de l’auteur Haruki Murakami, tournée au Japon avec des comédiens japonais, dont la talentueuse Rinko Kikuchi. Absent des salles françaises depuis 2000 et le délicat A la verticale de l’été (n’êtes-vous pas encore hanté par le « Coney Island Baby » de Lou Reed ?), le vietnamien Tran Anh Hung mériterait bien de refaire parler de lui…

Inception
De Christopher Nolan, avec Leonardo DiCaprio, Marion Cotillard, Ellen Page, Ken Watanabe, Joseph Gordon-Levitt, Michael Caine.
Si voir de bons cinéastes s’occuper des films de super-héros est excitant, les voir ne pas se laisser enfermer dans le genre une fois qu’ils y ont mis le pied est encore plus grisant. Christopher Nolan ne semble ainsi pas résolu à se laisser déboussoler par l’extraordinaire succès de « sa » franchise Batman. Le voilà aux commandes d’un thriller SF dont la première bande-annonce aperçue sur la toile a pour le moins scotché. Bienheureux au passage celui qui saura exactement à quoi s’attendre dans ce film pour partie tourné à Paris réunissant un casting hallucinant et promettant une plongée dans les méandres de l’esprit. Nolan ne m’a jamais déçu, même lorsqu’il a adapté le bijou littéraire de Christopher Priest « Le Prestige ». Son nouveau film, entièrement conçu par ses soins, va, j’en suis certain, frapper un grand coup cet été.

The Killer Inside Me
De Michael Winterbottom, avec Casey Affleck, Jessica Alba, Kate Hudson, Bill Pullman, Simon Baker, Elias Koteas.
Je ne suis pas un inconditionnel de Michael Winterbottom. Certains de ses films m’ont laissé froid, quand d’autres m’ont enthousiasmés (24 hour party people et Tournage dans un jardin anglais, c’est vous que je regarde !), mais une chose est sûre, le cinéaste britannique à une capacité déconcertante à se fondre dans différents genres et styles cinématographiques. Adapter un roman noir de Jim Thompson pourrait bien en être une preuve de plus, malgré les échos plus que mitigés revenus de Sundance et Berlin où le film était présent. Cette histoire de sheriff psychopathe a une réputation déjà sulfureuse de film violent et dérangeant qui ne fait qu’entretenir ma curiosité. D’autant que Winterbottom a confié le rôle central à Casey Affleck, invisible sur grand écran depuis qu’il avait illuminé l’année 2007 de son talent dans L’assassinat de Jesse James et Gone Baby Gone.

Poetry
De Lee Chang Dong, avec Yoon Jeong Hee.
Bien sûr, comme chaque année, le cinéma sud-coréen est attendu. Si la réussite de The Chaser me fait attendre avec impatience le second long de Na Hong-Jin, si Im Sang-Soo et son remake The Housemaid auront toute mon attention, l’auteur que j’attends le plus cette année est certainement Lee Chang Dong. En une poignée de films (Green Fish, Peppermint Candy, Oasis et Secret Sunshine), le cinéaste s’est imposé comme un auteur majeur de la péninsule. Pour son cinquième long-métrage, Lee prend pour héroïne une grand-mère condamnée par la maladie, décidée à donner un sens à ce qui lui reste de vie. Pour cela il a convaincu l’ex-gloire Yoon Jeong-Hee de retourner devant la caméra après des années d’absence… Connaissant la capacité de Lee Chang Dong à toucher au mélodrame avec force et subtilité, et en se souvenant qu’il avait valu voilà trois ans le Prix d’interprétation féminine à Jeon Do-Yeon à Cannes pour Secret Sunshine, je ne serais pas surpris de trouver dans Poetry un des grands rôles féminins de l’année… que l’on peut s’attendre à voir débarquer sur la Croisette en mai prochain.

The Town
De Ben Affleck, avec Ben Affleck, Jon Hamm, Jeremy Renner, Chris Cooper, Rebecca Hall.
Je parlais plus haut de l’impression laissée par Casey Affleck dans Gone Baby Gone… Évidemment derrière la performance du petit frère dans ce polar, il y a avait le travail de son grand frère Ben, longtemps raillé comme acteur à Hollywood, qui il y a un peu plus de deux ans nous avait concocté ce polar sombre et dur. 2010 devrait nous livrer sa seconde réalisation, elle aussi adaptée d’un roman, cette fois « Le prince des braqueurs » de Chuck Hogan. Le bouquin prend pour héros un braqueur (bah oui) qui, lors d’un hold-up, tombe amoureux de la directrice de la banque visée. Tiraillé entre sa vie de truand et ses sentiments, il est traqué par le FBI tout en préparant le casse du siècle. Bien sûr, c’est à Boston que cela se passe. La réussite éclatante de Gone Baby Gone tenait pour beaucoup dans la capacité d’Affleck à capter l’âme de sa ville, en plus de montrer des talents de scénariste et metteur en scène indéniables. The Town sera déterminant pour savoir si Affleck n’est pas le réalisateur d’un seul film… et s’il sait se montrer bon acteur lorsqu’il se dirige lui-même ! (à ceux qui doutent des talents d’acteur du bonhomme, regardez Hollywoodland d’Allen Coulter).

The Tree of Life
De Terrence Malick, avec Brad Pitt, Sean Penn, Jessica Chastain.
Terrence Malick. Je pourrais écrire des lignes et des lignes pour justifier mon attente de Tree of life, mais au final, cela se résume dans le nom de son réalisateur. Le plus grand mystère vivant du cinéma américain, le plus fascinant et puissant à mes yeux. Chacun de ses films, de La Ballade sauvage au Nouveau Monde, sont des œuvres électrisantes, poétiques, déchirantes. Je me souviens la déception qui m’avait assailli le jour où j’avais appris que Malick s’apprêtait à réaliser un film sur Pocahontas, et la claque que je m’étais prise le jour où je vis enfin le film en question. Comment avais-je pu douter ? Le temps s’arrête devant un film du cinéaste texan. Plus rien d’autre n’existe que cette histoire qu’il nous conte, ces images qu’il filme. Malick travaille sur The Tree of Life depuis longtemps, dans le plus grand secret. Tout juste sait-on que Brad Pitt incarne un père de famille dans l’Amérique des années 50, et que Sean Penn joue son fils à l’âge adulte. Le reste est enveloppé d’un mystère haletant, dont le voile, il se murmure, pourrait être dévoilé à Cannes en mai prochain… plus de 30 ans après son Prix de la Mise en Scène pour Les Moissons du Ciel. C’est mon film le plus attendu de l’année.

Your highness
De David Gordon Green, avec James Franco, Danny McBride, Zooey Deschanel, Natalie Portman.
Si Le Frelon Vert hérite des scénaristes de Délire Express, il est une comédie programmée pour 2010 qui peut se targuer de compter le réalisateur de ma comédie préférée de 2008, David Gordon Green. Cette comédie, Your Highness, récupère en plus James Franco et l’inénarrable Danny McBride, déjà présents dans Délire Express auxquels se joignent les douces Zooey Deschanel et Natalie Portman. Le revirement dans la carrière de Green est très étonnant, lui qui avait commencé en signant des films naturalistes sérieux sur l’Amérique profonde et ses habitants (les magnifiques All the Real Girls et L’autre rive notamment), et se trouve désormais parmi les chefs de file du meilleur de la comédie US. Écrit par le duo Danny McBride (oui oui, l’acteur) et Ben Best, à qui l’on doit déjà le désespérément inédit Foot Fist Way et l’hilarante série HBO « Eastbound & Down », Your Highness est une comédie fantastico-médiévale dans laquelle deux princes, l’un héroïque et l’autre désinvolte, doivent sauver une damoiselle en péril et si possible au passage le royaume de leur père. Ca pourrait bien être la comédie de l’année…

Et vous, vous attendez quoi cette année ?

mercredi 24 février 2010

Summer Wars : l'animation japonaise en avant-première à Paris !

La France étant friande d’animation et de contre-culture nipponne, il n’est pas étonnant que l’annonce de la venue d’un réalisateur japonais pour présenter en avant-première sa nouvelle œuvre d’animation - quelques jours après sa projection au Festival de Berlin - attire du monde. Cet homme c’est Mamoru Hosada, pas le nom le plus connu ou révéré du genre, mais un nom certainement respecté par les amateurs ayant vu son précédent long-métrage, La traversée du temps.

Trois ans après les aventures de la lycéenne se découvrant le don de pouvoir remonter le temps, Hosada prend une nouvelle direction avec Summer Wars, en basculant dans le monde virtuel. Dans le Japon qu’il prend pour cadre, la société est accro à un réseau social global appelé Oz. Accessible de tous et de partout, Oz fait partie intégrante de la vie de chacun. Kenji est un lycéen génie des maths qui comme tout le monde a son avatar dans Oz. Mais cet été là, le jeune homme est prêt à délaisser un peu le monde virtuel pour rendre service à la jolie Natsuki, qui le recrute pour passer quelques jours à la campagne dans sa famille afin de se faire passer pour son petit ami. Alors que Kenji découvre cette drôle de famille, un étrange virus s’empare d’Oz. Un virus si puissant qu’il risque de causer des dommages dans le monde réel autant que virtuel.

Ce qui faisait la grande qualité de La traversée du temps, c’était la remarquable capacité d’Hosada à entremêler réalisme et fantastique. Son film intégrait parfaitement l’épopée fantaisiste à l’intérieur d’un portrait mélancolique de la jeunesse japonaise. Le film coulait de source, glissait ambitieusement. Summer Wars pêche au contraire au niveau de la fluidité. Son film contient deux univers censés parfaitement intégrés l’un à l’autre, mais qu’il a du mal à faire coexister avec harmonie. Il y a quelque chose de maladroit dans l’univers créé. Une volonté de nous faire basculer dans un virtuel peu engageant alors que l’on est charmé par le cadre réaliste de la famille japonaise qu’il a développé.

L’univers d’Oz, qui prend une place prépondérante dans le scénario du film, est à l’évidence là pour commenter la tendance incontournable de l’être humain moderne à projeter sa vie dans le virtuel, dans les sites communautaires, les jeux vidéos, les avatars, et de mettre en parallèle plus qu’en opposition ce trait de société à la vie de famille. L’idée est plus que louable, mais elle s’inscrit de travers dans Summer Wars. L’intrusion virtuelle détourne le film de son cœur et de sa grande réussite, cette exploration drôle et tendre de la famille, tiraillée entre les générations, tiraillée entre les héritages ancestraux et les préoccupations modernes. Cet aspect du film est une belle réussite, et rappelle en bien des points le beau film de Kore-eda Hirokazu Still Walking.

Au lieu d’oser tisser tout son film autour de cette exploration de la famille japonaise, Hosada consacre bien trop de temps dans Oz lui-même, à faire s’affronter des avatars à coups de poings ou à coups de cartes, à nous faire déambuler dans cet univers blanc et graphiquement peu entraînant, alors que nos sens sont mis en éveil dès que les personnages réels reprennent le pas dans le fil narratif. Dès que les petits cousins jouent les pestes, que la grand-mère joue la bienveillante, dès que le cousin jalouse et que le lycéen rougit. C’est ce cinéma-là que j’aime chez Hosada, et non son passé de réalisateur de Digimon.

Tout bancal que Summer Wars soit, le public parisien venu assister religieusement à l’avant-première a réservé une véritable ovation à Mamoru Hosada, présent en fin de projection pour une rencontre avec le public. L’accueil plus que chaleureux a laissé le cinéaste rieur, pantois et ému. De son discours est ressortie une information particulièrement plaisante, celle révélant que son prochain film délaissera totalement le virtuel pour se focaliser sur une petite poignée de personnages aux préoccupations bien réelles. C’est ce qui constitue la qualité de Summer Wars, qui devrait sortir dans les salles françaises en juin prochain, et ne peut donc que présager du meilleur pour ce que le cinéaste aura à nous offrir à l’avenir.

samedi 20 février 2010

Qui veut voir un mauvais film ?

Vendredi soir, je suis allé voir un mauvais film que je n’avais pas l’intention de voir. Vous savez ce que c’est, les vendredis ne se déroulent pas toujours comme prévu. A l’origine, je devais voir Fantastic Mr Fox avec un ami arrivé en retard au cinéma. Du coup, rééquilibrage du programme, dîner avant ciné, dernière séance en perspective. Et alors que l’heure approchait, mon ami commença à laisser entendre qu’il préférait ne pas aller voir le nouveau Wes Anderson dans un état de fatigue qui le guettait…

Presque à la minute où ce fort sous-entendu sortait de sa bouche, mon téléphone sonne. Trois copines se trouvent dans les mêmes environs, et s’apprêtent à aller voir Valentine’s Day et nous proposent de nous joindre à elles. LE film dont je claironne à qui veut bien l’entendre depuis le début de la semaine que je n’irai pas voir, non non n’insistez pas je n’irai pas voir cette merde assurée. Et pourtant si, me voilà embarqué vers Valentine’s Day. Parce que tout seul non hors de question, mais bon, en groupe et bien accompagné, un vendredi à 22h30, à la limite…

C’est ainsi que je me suis retrouvé assis dans cette grande salle des Halles, trop près et trop excentré (je sais je suis maniaque), devant la comédie romantique hollywoodienne qui ne semblait pas pouvoir être réussie. Et qui ne l’est effectivement pas. Du tout. Attendez que je réfléchisse, il y a bien quelque chose à sauver… oui il y a ce… non vraiment rien, même en me forçant, trois bonnes blagues en deux heures de film ne cachent pas des personnages fades à souhait, des intrigues inexistantes, et des dialogues risibles.

Mais à quoi pensaient toutes ces stars quand elles ont signé le contrat ? Au chèque ? Vraisemblablement… J’aimerais vous réciter toutes les répliques et situations affligeantes qui jalonnent cette merveille d’inutilité hollywoodienne, mais il y en a tellement qu’il me faudrait une petite encyclopédie. D’autant que sorties du contexte du film, elles perdent de leur saveur inutile. Voici longtemps que je ne m’étais pas trouvé me prenant le visage dans les mains devant un film.

Il y a peu je me faisais la réflexion que je n’avais pas vu de mauvais film depuis le début de l’année. En voilà un ! Qui aura au moins eu le mérite de bien nous faire rire avec mes amis à la sortie, à se remémorer quelle scène était la plus ratée, quelle réplique la plus plate, quel comédien le plus fade (bon en fait les filles ont pas trouvé ça si mauvais… allez comprendre…).

dimanche 14 février 2010

De l'eau, du rugby, et Jim Carrey

Le temps s’est arrêté. Non, il s’est étiré. Les minutes ont semblé heures. Les jours, semaines. Peu de cinéma. Pas d’écriture. Une forte envie de ne pas se retrouver chez soi. C’est ce que peut causer un dégât des eaux, en tout cas c’est l’effet que celui que j’ai vécu a eu sur moi. Outre le bruit de pluie qui résonne dans l’appartement, pas franchement agréable, il y a cette odeur très incommodante qui règne en permanence, forçant à ouvrir les fenêtres, et en ce mois de février frisquet, c’est vite désagréable.

En un rien de temps, voilà que retranscrire les émotions cinéma du moment, bonnes ou mauvaises, devient un exercice ardu. L’humour cérébral des frères Coen s’est vu passé sous silence. Les états d’âme aériens de George Clooney se sont évanouis. Le Gainsbourg rêvé de Joann Sfar, perdu dans les méandres de ma lutte aquatique en intérieur.
Bien sûr il y a les films dont je n’aurais de toute façon pas forcément parlé, ou si peu. Aurais-je eu beaucoup à dire d’Une exécution ordinaire autrement qu’en quelques platitudes de l’ordre du « intéressant mais longuet », ou « La vache, il est pas mal Dussollier en Staline ! » ? Aurais-je longuement épilogué sur le Brothers de Jim Sheridan, au trio d’acteurs sexy et capable, mais à la qualité finalement si passable et attendue, me laissant croire que le cinéaste irlandais est décidément dans un creux (Get rich or die trying ?!) ?

Aurais-je enfin voulu consacrer un billet tout entier au Lion d’Or vénitien Lebanon, drame israélien déjà largement soutenu par la presse, mais qui personnellement m’a laissé dubitatif sur l’intérêt d’un film se déroulant entièrement dans un tank ? Le temps y semble bien long…

Heureusement il y eût tout de même quelques films dont, faute d’eau visiteuse, j’aurais probablement aimé parler. Comme ce Sherlock Holmes version Guy Ritchie, aussi agréable et haletant qu’inoffensif. Encore plus certainement, j’aurais aimé parlé d’Anvil ! The story of Anvil, documentaire doux et enthousiasmant sur les affres du business musical, la passion dévorante, et l’inusable beauté de l’amitié. Si je n’en ai pas parlé, je souffle de soulagement que d’autres en ont bien parlé par ailleurs.

Alors que me reste-t-il de ces derniers jours ? Il me reste I love you Phillip Morris, la comédie du moment interprétée par Jim Carrey, produite par Luc Besson et présentée à Cannes, qui a semble-t-il fait grincer des dents dans les couloirs d’Hollywood. Pourtant pas de doute, le comédien élastique, génie comique des temps modernes, n’avait pas été aussi enthousiasmant dans son art comique depuis belle lurette (et c’est un fan de Yes man qui parle). Le film est drôle et culotté, on le craint trop doux mais il sait retomber sur ses pattes, mais c’est bien l’ami Jim, ce canadien aux grimaces extraterrestres, qui porte le film à bout de bras et le tire puissamment vers le haut.

Évidemment on est fan de Carrey ou on ne l’est pas. C’est comme Clint Eastwood. En fait non, cela n’a rien à voir. Tout le monde peut aimer Clint. Tout le monde devrait. C’est ce que je me dis à chacun de ses films, et Invictus a beau ne pas être Gran Torino (comprendre, le film de l’année), c’est une fois de plus un rendez-vous avec du beau cinéma. Un rendez-vous qui a tardé pour moi, puisque voilà plus de cinq semaines que le film était sorti lorsqu’enfin j’ai pu le voir, ce beau film. Bien sûr, je serai le premier à me montrer sceptique sur le dernier acte du film, ou plutôt sur son climax, à savoir la fameuse finale de la Coupe du Monde de Rugby 1995, censée être le point d’orgue du film, mais s’étirant bien trop à mon goût, et où le grand Clint se montre particulièrement mal avisé dans la mise en scène, abusant à foison des ralentis, qui comme chacun le sait sont une aberration cinématographique (dans 99% des cas).

Mais qu’importe finalement ce manque d’inspiration d’Eastwood, tant le reste tient de l’admirable. En maître d’œuvre parfaitement rodé à l’art cinématographique, Eastwood excelle dans un autre art, celui de faire s’entremêler petite et grande histoire, et par là même de faire naître l’émotion, de la petite étincelle au pinacle étincelant. Son film est un hymne humaniste qu’il est difficile de ne pas embrasser, tant il exprime énormément sur la société actuelle en mettant en lumière la personnalité de Mandela, et l’admiration qu’il lui voue sans doute.

Invictus est un film qui crie la joie que l’humanité peut trouver lorsqu’elle se donne la peine de s’unir et de défier les viles attentes. C’est un film qui affirme le besoin de l’être humain de ne pas se laisser guider par la haine ou la violence. C’est un film qui dit que les plus grandes forces de l’esprit naissent à l’échelle humaine, dans chacun de nous, aussi ordinaire que nous soyons. C’est surtout un film qui dit tout cela avec l’œil et la main sûre d’un maître comme Eastwood, qui s’il se montre peu judicieux dans sa façon de filmer un match de rugby, sait nouer un récit, et nous précipiter en son sein. A mes oreilles résonnent encore les chants africains, et la voix de Morgan Freeman : « I am the master of my fate. I am the captain of my soul ».

Ce qui est assez paradoxal, c’est que si Eastwood n’a probablement pas voté pour Barack Obama, son film est le premier indubitablement estampillé « Made in Obama’s America ». Et s’il ne sait probablement rien du débat sur l’identité national qui est d’actualité en France, Invictus pourrait sans difficulté s’insinuer dans les consciences d’un tel débat.

dimanche 7 février 2010

"Un état du monde et du cinéma" scrute l'intégration en Corée du Sud

Quoi, encore des films coréens ? Euh…. Oui. C’est comme ça, les festivals parisiens aiment le cinéma coréen, et j’avoue en être ravi. Après le Festival Franco-Coréen du Film en novembre dernier, le Forum des Images et sa manifestation « Un état du monde… et du cinéma » donne un coup de projecteur sur le pays d’Im Kwon Taek à travers une petite programmation intitulée « Corée : bouleversement d’une identité ».

Vendredi, deux films inédits dans les salles françaises étaient programmés : Hello, Stranger et Bandhobi. Chaque film avait comme thématique commune l’intégration dans la société coréenne pour un étranger, ou tout du moins le regard posé par les coréens sur celles et ceux qui ne sont pas leurs concitoyens. Un sujet universellement dans l’air du temps, à l’évidence.

Hello Stranger suit principalement trois personnages. L’un est un réfugié nord-coréen qui vient de sortir du centre d’intégration à la Corée du Sud par lequel passent les nord-coréens s’installant dans le sud ; un second est une conductrice de taxi elle aussi nord coréenne, mais intégrée au Sud depuis une décennie. Le dernier enfin est un vietnamien ne parlant pas un mot de coréen (enfin, presque), de passage dans le pays pour venir chercher sa petite amie qui, on le devine vite, a quitté le pays pour épouser un coréen.

Chacun de ces personnages devient à un moment ou un autre du récit le centre du film. En se penchant sur l’intégration des réfugiés du Nord dans la société coréenne, le réalisateur Kim Dong-Hyun touche à un sujet d’autant plus passionnant qu’il prend le parti d’en offrir deux visions, celle d’un petit nouveau, et celle d’une réfugiée installée de longue date. Au-delà de ce sujet passionnant, le réalisateur pêche par une trop grande errance narrative.

Il ne parvient pas à maîtriser le centre de son récit, se focalisant sur un personnage ou deux, laissant le troisième sur le bas-côté pendant plusieurs dizaines de minutes parfois, avant de renverser la vapeur et de changer point de focalisation, et ceci incessamment. Le film tire ainsi malheureusement en longueur, niant au récit toute possibilité d’emballer. Si les sujets abordés sont intéressants - le regard des sud-coréens sur les nord-coréens s’intégrant chez eux, et vice versa, l’exploitation d’étrangers venus de pays asiatiques en développement - ils perdent de leur force par l’incapacité du cinéaste à resserrer son intrigue et ses personnages. Dommage, car il recèle de belles choses, avant de s’enliser et de tourner un peu à vide.

Bandhobi est clairement un film plus réussi. Ce qui m’a surpris compte tenu que le précédent film du réalisateur Shin Dong-il était le fort déplaisant My friend and his wife, vu au Festival Franco-Coréen du Film cet automne. Bandhobi suit l’évolution de la relation, du mépris à l’affection, entre un immigré venu du Bangladesh, Karim, et une lycéenne coréenne solitaire, Min-Suh.

A travers ce couple assez improbable dans la société coréenne, Shin Dong-il s’intéresse au regard des coréens sur les étrangers, en particulier ceux venus d’un pays non occidental. La méfiance et l’incompréhension laissent rapidement la place à un racisme, parfois latent, souvent sans ménagement, de la part des coréens. Dans ce pays où la mixité est encore assez rare, où les étrangers sont presque invisibles en dehors de quelque touristes, la question de l’intégration est un sujet qui ira en grandissant.

Shin Dong-il le traite sous forme d’une comédie romantique sociale juste et sensible. Le cinéaste ne se contente pas de scruter en surface lorsqu’il se penche sur l’amitié qui se noue entre Karim et Min-Suh. Leur relation est aussi complexe que le cadre peu accueillant dans lequel ils évoluent, celui d’une société où l’on accepte mal qu’une jeune fille fréquente un étranger risquant d’être renvoyé chez lui un jour ou l’autre. Le film tire un peu en longueur sur la fin, mais on lui pardonne facilement, notamment grâce à un beau duo de comédien.

Bandhobi a récemment remporté le Grand Prix du Festival des Trois Continents à Nantes, peut-être sera-t-il distribué dans les salles françaises dans les mois à venir.

samedi 6 février 2010

Le guerrier silencieux, un trip nordique. Et mystique. Et épique.


« Prends ça dans les dents James Cameron ». De drôles de pensées traversent l’esprit à la vision d’un film, et allez savoir pourquoi, cette pensée-là a pris le pas sur les miennes pendant la projection de cet étrange film qu’est Le guerrier silencieux - Valhalla Rising. C’était jeudi soir aux Halles, le réalisateur Nicolas Winding Refn et le comédien Madds Mikkelsen étaient présents, et avaient prévenu que leur film surprendrait et équivaudrait à peu de choses près à un trip sous influence… Ils n’avaient pas tort.

Pourquoi donc ai-je pensé à Avatar en regardant Le Guerrier Silencieux ? Parce que tout ce qu’on nous tartine depuis deux mois sur le film de Cameron, l’intensité visuelle, le transport presque physique, en tout cas émotionnel, dans un univers fascinant et surprenant, je l’ai trouvé plus intensément dans le film de Nicolas Winding Refn que dans le blockbuster américain.

Avec ce film danois, je me suis senti propulsé à des années lumière, dans un monde sidérant et effrayant, planté en décors naturels, dans d’imposantes plaines et vallées nordiques. Comme l’avait prédit le réalisateur avant la projection, Le guerrier silencieux m’a emmené là où je ne l’attendais pas. Qu’attendais-je au juste, je ne saurais le dire. Un film de vikings, à l’évidence. De guerriers, se battant à coups de haches entre barbares. Ce n’est pas ce film. Étonnamment, Agora m’est vite venu à l’esprit, dès les premières minutes du film. L’époque et le lieu sont différents, mais il y a en toile de fond un point commun entre les deux films : l’avènement du christianisme comme foi désirant dominer les autres.

Dans cette contrée nordique, les païens sont menacés par les chrétiens et leur Dieu unique. Les chefs de clans sentent qu’une guerre est inévitable. Pour cet esclave muet qui leur sert de divertissement grâce à sa force hors du commun, cette opposition de fois va offrir une porte de sortie. Libéré seul de ses chaînes, il tombe sur des croisés (pas vraiment, mais ils s’en approchent) en route pour Jérusalem. Accompagné d’un enfant qui le suit partout, ce guerrier muet et borgne se laisse entraîner par les chrétiens sur leur embarcation, direction la Terre Sainte.

Si vous croyez deviner le film à partir des quelques lignes que je viens d’écrire, vous vous trompez. Si j’ai mentionné Avatar et Agora, Le Guerrier Silencieux a une identité propre déconcertante. Très économe en dialogues, le film rappelle plus l’émotion ressentie devant l’art d’une peinture, et le courage de l’expérimentation, plutôt que l’excitation d’un film remuant. Le guerrier silencieux remue peu, sinon les tripes et les méninges. Il dépeint, explore, interroge. Provoque. Et jamais ne cède à la facilité.

Les silences sont longs. L’action quasi absente. L’intensité du film se situe ailleurs. Dans cette grandeur écrasante du cadre. Ces plaines et vallées dégageant un mystère infini. Ce qu’on ne voit pas, ou devine à peine. Le danger, sourd, lourd, omniprésent et pourtant invisible. Les éclairs de violence, ultra réaliste, qui parcourent le film.

Nicolas Winding Refn est bien loin du Bronson qu’il nous avait offert l’an passé, et c’est tant mieux. L’outrance et le tape-à-l’œil laissent la place à un expressionisme modéré, épuré malgré sa puissance, qui rappelle plus sa trilogie Pusher. Si vous vous souvenez des premiers actes de Open Range de Kevin Costner et There will be blood de Paul Thomas Anderson, on se situe plus avec Le guerrier silencieux dans cette idée du cinéma, où la langueur est épousée pour être magnifiée.

Je m’attendais à un film de vikings, mais me suis trouvé embarqué dans un trip médiéval où la barbarie se dispute à la foi, où les plans sont composés tels des tableaux d’une beauté toute naturelle et inquiétante, où l’on avance sans jamais vraiment savoir de quoi seront faites les minutes suivantes. Certains ont quitté la salle devant une telle expérimentation cinématographique, mais plus nombreux j’en suis sûr auront été ceux qui seront sortis subjugués et abasourdis par une telle expérience.

Le guerrier silencieux n’est encore sorti dans aucun pays, sinon en festivals. Il va débarquer sur l’Europe du Nord et la France en mars. Seront-ils nombreux à se laisser entraîner dans cette épopée si déroutante ?

jeudi 4 février 2010

Lola, en philippin ça veut dire "grand-mère". Et bon film aussi.

L’homme qui tourne plus vite que son ombre était présent dans une salle parisienne mercredi soir. Plus exactement son œuvre la plus récente… quoi que quand on réalise plusieurs films par an comme Brillante Mendoza, cette désignation est vite dépassée. Le cinéaste philippin n’était pas là physiquement (probablement occupé à filmer les rues de Manille), mais Lola, son film présenté en compétition à la dernière Mostra de Venise était bien projeté au Forum des Images, dans le cadre du Festival « Un état du monde et du cinéma ».

En l’espace de trois films sortis dans les salles françaises ces deux dernières années, Mendoza s’est bâti une solide réputation auprès des cinéphiles français, qui ne pourra qu’être renforcée lorsque Lola sortira dans quelques mois. Un film du metteur en scène se reconnaît en quelques plans. Les rues de Manille, une caméra à l’épaule épousant le parcours d’un personnage à travers le bouillonnement de la ville. Ca y est, c’est sûr, on est chez Mendoza.

Le personnage que l’on attrape en cours de déambulation dans les rues de Manille est cette fois une grand-mère, accompagnée de son petit-fils. Ils se faufilent entre les passants sous un vent battant. Arrivés dans un coin bétonné où joue une bande d’enfants, ils s’arrêtent, et essaient d’allumer une bougie, qu’ils déposeront sur le sol. C’est à cet endroit, la veille, qu’un autre des petits-fils de la vieille dame a été mortellement poignardé.

Pendant que la famille cherche à réunir de l’argent afin de se payer un cercueil pour l’enterrement, une autre grand-mère entre en scène, celle de l’assassin. Celle-ci ne peut pas voir son petit-fils comme un meurtrier, et va s’évertuer à le faire sortir de prison, malgré son acte.

Chez Mendoza, les personnages changent, mais la ville reste la même, et le style demeure inimitable. Il y a quelque chose de proprement fascinant dans l’aisance cinématographique du réalisateur philippin, film après film. Cette fluidité imparable dans le récit et la mise en scène. Comme un fleuve qui coule sans obstacle, aimant les plans-séquences et connaissant peu le sens du mot ellipse. Le cinéma de Mendoza est une invitation à plonger dans le quotidien de Manille, sans filet, avec cette impression inaltérable que nous faisons partie du décor tout autant que ce qui apparait à l’écran.

La caméra glisse sur ces maisons, ces rues encombrées, ces visages criant de réalisme, nous poussant à nous interroger sur la place du vrai et du faux. Où commence la fiction, et où rejoint-elle la réalité. Si j’ai ressenti nettement moins fortement Lola que Kinatay ou Serbis, force est de constater que Mendoza perpétue sa capacité à sonder sa ville, ses habitants, et sa société. Violence tellement ancrée dans le quotidien qu’elle ne surprend plus, système D à tous les étages, de la rue aux institutions, possibilité de tout acheter avec un peu d’argent, même la liberté d’un homme qui a commis un homicide… Le regard de Mendoza est aigu, avec un mélange de chaleur et de désabusement totalement iconoclaste. Un sentiment de joie de vivre se disputant constamment avec un malaise profond, peignant probablement par là les paradoxes de la société philippine.

Si pour la première fois j’ai ressenti un peu d’ennui devant un film de Mendoza, j’en suis tout de même sorti admiratif de la richesse du regard posé... et toujours aussi curieux devant cette langue qui mélange allègrement le vocabulaire local avec des bribes d’espagnol et d’anglais incongrus.

lundi 1 février 2010

Du Kung Fu ! Du sexe ! De la bière ! De la Dynamite, cuvée 70's !

« Dynamite ! Dynamite ! ». Ces mots déclamés en voix off avec le funk dans la peau, ils résonnent souvent à l’écran. Presque à chaque fois que notre héros apparaît de façon abrupte dans une séquence. Notre héros, c’est un as du kung-fu qui se balade en cols pelle à tarte, icône noire de la ville qui chasse les dealers des rues et met toutes les femmes dans son lit.

Ca pourrait être un film Blaxploitation datant des années 70. C’est pourtant un film bien contemporain, estampillé 2009, qui rend l’hommage le plus pur et drôle qui soit à tout un pan du cinéma d’exploitation des années 70. Ca s’appelle Black Dynamite, et malheureusement il y aura peu de spectateurs pour voir cette tranche de délire irrésistible, à l’affiche d’une unique salle à Paris et d’une poignée en province.

En même temps, impossible de jouer les surpris tant ce genre de films est du pur cinéma geek dont l’utilité, ou même seulement la qualité, passera peut-être au-dessus de la tête d’une bonne partie des spectateurs. L’intrigue ? Risible : un justicier des rues, afro et bien moustachu, veut venger le meurtre de son frère en démantelant un réseau de trafic de bière empoisonnée réduisant la taille des sexes des mâles noirs (si si !). Et si au passage il peut sauver ces orphelins (même pas assez vieux pour entrer au collège) de leur méchante addiction à l’héroïne, Black Dynamite n’en sera que plus heureux ! Sur son chemin, des méchants très méchants qui ne font pas le poids, et des demoiselles en détresse qui ne tardent pas à s’allonger dans son lit.

Personne ne peut résister à « Dynamite ! Dynamite ! » (imaginez la mélodie qui va avec), moi pas plus que le reste des mortels. Il suffit d’un peu d’amour cinéphile pour ces vieilles séries B, qu’elles soient des films de bastons asiatiques, des aventures de héros black totalement badass ou même simplement des films d’action démodés, pour se laisser emporter et amuser avec délice par le charme totalement désuet de Black Dynamite.

Non seulement le film de Scott Sanders rend hommage à ces genres disparus des salles obscures dans son intrigue écrite sur un coin de table, mais aussi (surtout) dans sa forme expressément brinquebalante, avec des apparitions des perches preneuses de son dans le cadre, des raccords parfaitement douteux d’un plan à l’autre, voire des acteurs récitant le scénario sans aucun recul. C’est con, mais qu’est-ce que c’est drôle !

Cool, sexy, bourré d’autodérision et d’amour cinéphile, Black Dynamite (écrit et interprété par Michael Jai White, aperçu dans The Dark Knight) c’est une petite pépite rare et unique en son genre dont il est vraiment dommage de se priver quand on porte de l’affection aux séries B seventies passées de mode. C’est déjà presque trop tard pour le voir à l’heure où j’écris ces lignes (l’Orient Express est le dernier bastion parisien du film), mais s’il vous reste une chance, ne la laissez pas passer…
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