jeudi 31 décembre 2009

Un mot sur Avatar ? Vite fait alors...


Qui a envie de lire mon avis sur Avatar, l’évènement cinématographique de cette fin d’année (allez, disons l’évènement de l’année pour certains) dont tout le monde parle depuis des semaines et dont la promo nous a été rabâchée sur tous types de médias en long, en large et en travers ? Bon, à part mon père qui m’a appelé pour savoir ce que j’en avais pensé ? C’est bien ce qu’il me semblait, pas grand monde.

Je suis le premier à ne pas franchement m’intéresser à ce qu’untel ou untel en a pensé, tant tout a déjà plus ou moins été dit sur le film de James Cameron. Et étant donné la jungle que représente la quête du sésame (une place pour voir le film en VO en 3D), l’avis des autres importe clairement peu. Tout le monde veut voir Avatar, quoi qu’on en dise. C’est ce qui se passe avec les films qui deviennent des phénomènes du box-office.

Je pourrais donc vous ratatiner le film en quelques lignes ou l’encenser en le portant au panthéon des œuvres cinématographiques majeures que cela ne changerait absolument rien. Et celui qui remarquera que mon avis ne change en général absolument rien sur la carrière d’un film, Avatar ou pas Avatar, a droit à un bon point (mais ne le dites pas à mon père il serait déçu).

Je ne dirai donc rien sur Avatar. Inutile d’insister. Si le film m’avait absolument retourné, que j’en étais sorti ébloui et plongé des heures durant dans son univers bien après avoir quitté la salle, je vous en aurais certes touché deux mots. Quoique… s’il avait été une bouse révoltante aussi. En même temps… si j’avais un avis tranché sur le film en question, cela m’aurait aidé à vous faire profiter de mon opinion éclairée (qui a ri ?).

Avatar s’apparenterait plus à mes yeux à un beau spectacle, qui utilise la 3D comme jamais auparavant au cinéma, comme une mise en valeur du cadre et de la profondeur de champ qu’offre le cinéma pour immerger le spectateur au plus profond de l’image. C’est aussi un récit carré, efficace, reprenant tous les passages obligés de l’épopée hollywoodienne sans vergogne, annihilant toute possibilité de nous surprendre narrativement. L’histoire est absolument, indubitablement cousue de fil blanc.

L’univers créé par James Cameron est certes impressionnant, mais il lui manque une mythologie approfondie. Tout est traité en surface, manquant d’une exploration plus franche pour nous happer totalement. Le strict minimum, rien que le strict minimum, voilà ce que Cameron offre sur le plan du récit. C’est étonnant pour un film de 2h40. Tout le monde l’a dit, Cameron transpose avec Avatar le mythe de Pocahontas dans l’espace, les hommes civilisés qui débarquent et colonisent sans se soucier de la population locale, et un homme au milieu des autres s’imprégnant de ceux qui sont supposés être ses ennemis.

Cette trame a déjà été reprise et adaptée avec grandeur par d’autres, que ce soit Kevin Costner avec Danse avec les loups ou Terrence Malick avec Le nouveau monde. Cameron est lui un faiseur, un gros bras ultra efficace mais qui se contente de concocter un métissage de mythes, légendes et problèmes sociétales contemporains. Le résultat est souvent magnifique, et est tout à fait louable, mais le cinéaste est plus apte à nous en mettre plein la vue qu’à nous émerveiller par son propos. Si la nature et les Na’vis ont une âme dans Avatar, où est celle du film ? Où se trouve cette flamme résonnant au plus profond de nous ? Certains semblent l’avoir perçue. Pas moi à ce qu’il semble.

Je n’attendais pas de chef-d’œuvre en allant voir Avatar, je ne suis donc pas déçu. J’attendais un spectacle, et c’est ce que j’ai eu. Point.

mardi 29 décembre 2009

Tetro, et la lumière de Coppola fut...


J’ai grandi en vouant un culte au Parrain, en reprenant en chœur le refrain de Peggy Sue s’est mariée, et en frissonnant devant Dracula. Avant de m’intéresser véritablement au cinéma, Coppola faisait déjà partie de mon quotidien (combien de fois ai-je regardé Peggy Sue en VHS alors que j’étais à peine ado ?).

J’ai commencé à devenir un peu plus qu’un spectateur lambda en 1996 (c’est fou comme il est facile de dater certaines choses), soit l’année où Coppola réalisait ce qu’on a longtemps craint être son ultime long-métrage, L’idéaliste. Car au moment où le cinéma entrait en tourbillonnant dans ma vie, Francis Ford, ce maître d’œuvre de mes jeunes années de spectateur, glissait vers la préretraite. Certains pensaient même certainement qu’étant donné ce que le cinéaste nous avait offert au cours des années 90, ce n’était peut-être pas plus mal…

Le jour où il fut annoncé que Coppola retournait derrière la caméra pour tourner L’homme sans âge arriva pourtant sans crier gare. Au passage, le grand nom d’Hollywood tournait le dos aux studios et se posait en indépendant en Europe de l’Est pour confectionner son film retour, un petit bijou de cinéma fantastique ancré dans l’histoire, jouant avec le continuum spatio-temporel avec la passion d’un jeune homme.

Le voir revenir si vite pour un second film dans cette nouvelle carrière qui est la sienne ne pouvait que susciter l’attente, surtout après la réussite artistique de L’homme sans âge. L’attente a été comblée par Tetro. L’attente a été comblée par un film qui confirme que Coppola s’est détaché de toute sécurité, s’est éloigné de tout filet pour désormais faire son cinéma.

S’il demeure clairement un film de Coppola, tant on décèle derrière cette fascination pour les figures paternelles écrasantes et fascinantes un trait indubitable des obsessions du cinéaste, Tetro se tisse avec une souplesse et une audace digne d’un film expérimental. Coppola se soucie de réaliser l’œuvre qu’il a en tête et rien d’autre, une œuvre avec un O majuscule, loin de toute aspérité commerciale, de toute concession visuelle ou narrative.

Son film est un éclair, l’histoire d’un jeune homme débarquant à Buenos Aires pour retrouver ce frère aîné qui a lâché la famille des années plus tôt, fuyant l’ombre paternelle imposante pour se renouveler là où personne ne le connaissait. A partir de cette chronique familiale, de ces retrouvailles joyeuses et douloureuses à la fois, Coppola laisse sa fascination pour la lumière prendre le pas sur tout le reste. C’est la lumière qui est le cœur de Tetro. Visuellement tout d’abord, par ce sublime noir et blanc ponctué de flashbacks colorés, un noir et blanc cherchant toujours à mettre les jeux de lumières en valeur. Les reflets se laissent apercevoir, les ombres s’étalent et prennent vie, les éclairs de lumières sont exploités dès que l’occasion se présente.

Mais la lumière c’est aussi le thème central du film. La lumière imposée par un père artiste renommé, la lumière qu’il attire à lui, volant celle de tous ses proches, ne leur laissant que l’ombre pour s’épanouir difficilement. De la part de Coppola, fils de musicien et patriarche renommé lui-même, cette histoire, son premier scénario original depuis des années, a une signification à n’en pas douter toute personnelle. Pourtant dans ce barrio de Buenos Aires, dans ce quartier défraichi, bohème, ce n’est pas un film centré sur lui-même qui se joue, mais une petite musique à la lumière incandescente, un feu cinématographique irradié par la présence féline et bien trop rare d’un Vincent Gallo encore plus subjuguant lorsqu’il est filmé par Coppola en noir et blanc.

Francis Ford Coppola a 70 ans, et tout ce que je souhaite, c’est qu’il continue à retrouver une jeunesse cinématographique de film en film, tel l’homme sans âge qu’il semble lui-même devenu.

dimanche 27 décembre 2009

La course aux films

Chaque année, c’est le même refrain. Décembre tire à sa fin, les premiers bilans se dressent de part et d’autre de la presse et du web, chacun jette un peu en avance son regard sur l’année écoulée… et pendant ce temps, moi je cours. Je cours après les films. Cette gymnastique rituelle, incontournable, irrésistible et pourtant exténuante, qui vous pousse à faire le tour des films à l’affiche en fin d’année pour clore définitivement le chapitre ouvert, et commencer sereinement le suivant.

Et comme les vacances attirent du public, c’est toujours la foire au cinéma. Longues files d’attente et salles pleines à craquer de travailleurs en vacances, d’étudiants frigorifiés et de gamins émerveillés. Ajoutez à cela Avatar et le carton plein qu’il fait dans les salles qui le diffusent en 3D, et la course s’avère parfois compliquée.

Alors je zigzague. Je me faufile entre les cinémas, je m’insinue dans les queues, j’esquive les gros et me concentre sur les petits, je rattrape les retards de quelques semaines tout en attrapant au vol les alléchantes nouveautés. A l’époque où j’allais voir près d’un film sur deux, il m’arrivait de ne finir de voir les films de l’année écoulée que fin janvier du début de l’année suivante. Ca commençait à faire un peu tard pour dresser la liste de mes films préférés.

Depuis deux ou trois ans, je vois un peu moins de films, et du coup il m’est plus facile de faire le tour de l’année dans les premiers jours de janvier. Au moment où j’écris ces lignes, un petit coup d’œil dans le calendrier des sorties de fin décembre me fait constater qu’il ne me reste plus qu’une poignée de films à voir pour compléter définitivement mon année cinéma 2009. Sept ou huit tout au plus. Et avec trois ou quatre films de prévus d’ici mardi soir, le compte semble en bonne voie.

J’en vois déjà lister leurs films préférés de l’année, mais j’ai un caractère cinéphile bien trop discipliné et exhaustif pour prétendre en faire autant avec cette poignée de films à voir. Je ne me souviens que trop bien que j’avais vu Le bon, la brute et le cinglé, Gone Baby Gone et Tout est illuminé dans les tous derniers jours de leurs années de sorties respectives (2008, 2007 et 2005)… sans même mentionner l’année 2003 où pas moins de quatre de mes films préférés de l’année étaient sortis dans la seconde moitié du mois de décembre (Le retour du roi, Ma vie sans moi, The station agent, Master and Commander).

Avatar, Tetro ou Accident pourraient-ils receler un trésor qui figurera en bonne place dans mes films préférés de l’année ? Patience, patience, la réponse viendra d’ici peu. Les jours qui viennent de s’écouler m’ont appris que Pas si simple… ne restera pas parmi les comédies de l’année malgré Alec Baldwin, que Le père de mes enfants mérite son excellente réputation, et que La famille Wolberg offre de très belles séquences mais ne s’imprimera probablement dans mon cœur (malgré une scène très forte entre le remarquable François Damiens et le regretté Jocelyn Quivrin)…

Tic tac… tic tac… l’année 2009 n’est plus qu’une question de jours. Plus que quelques heures à courir. Courir après les films. Courir après les derniers films. Avant de souffler de satisfaction… et de repartir pour un tour.

jeudi 24 décembre 2009

Le meilleur de ma décennie coréenne

Après des années de visibilité très limitée dans nos contrées européennes, le cinéma coréen a explosé dans les années 2000, affichant désormais un rayonnement international remarquable compte tenu de la taille du pays. Comme promis dans mon billet d’introduction, en ces derniers jours de 2009, le désir de mettre en avant mes films préférés de cette décennie magique s’est fait sentir. Il ne s’agit en aucun cas, bien sûr, d’une liste ultime, objective ou incontestable. Seulement une affaire de goût(s), en attendant de voir ces nombreuses œuvres coréennes qui me sont encore inconnues.

1. The Host (2006)
Bien avant que le film ne batte tous les records d’entrées en salles en Corée du Sud, je me suis pris une des claques les plus mémorables de ma vie, dans la grande salle du Cinéma des Cinéastes, une poignée de jours après la projection du film à Cannes. Le bruit courait que le meilleur film du festival était ce film de genre coréen, et la rumeur disait vrai. Trop de monde assimile aujourd’hui The Host à son succès public et en profite pour rabaisser ses qualités. The Host est un grand film, un coup de maître total, un mélange des genres quasi parfait, d’une richesse incroyable. On aurait pu s’attendre à une série B de film de monstre, alors que Bong Joon-Ho, pour son troisième long-métrage, nous servait une pépite de récit, voyageant du drame humain à la fable sociale, du tragicomique à la parabole politique, fondant le tout dans une aventure monstrueuse avec une aisance irréprochable. Le grand film coréen de la décennie.

2. Oldboy (2003)
En parlant de claque mémorable, que dire du film de Park Chan-Wook n’ayant pas déjà été dit ? Qu’il aurait dû être le premier long-métrage coréen à obtenir une Palme d’Or à Cannes si Quentin Tarantino avait eu un peu plus de cojones. Que la virtuosité étalée par le réalisateur frise le vertige, tant dans son sens de la mise en scène que dans celui du récit. Oldboy est à n’en pas douter le film qui a permis aux cinéphiles du monde entier de placer la Corée du Sud sur la carte mondiale du cinéma. Toute cette rage contenue, cette noirceur de l’âme qui y sont déployés, cette quête épique de la vérité dont le dénouement a dû provoquer de nombreuses crises cardiaques chez les puritains. Oldboy est une spirale déchaînant les émotions et laissant sur le carreau.

3. Memories of Murder (2003)
Dans la Corée des années 80, une série de meurtres met la police dans l’embarras d’un tâtonnement sans fin. Trois ans avant The Host, Bong Joon-Ho s’épaulait déjà du comédien Song Kang-Ho pour signer un polar dense, errant dans l’inconnu, avec un savoir-faire qui ne nous étonnera plus. Sans craindre ni longueur ni langueur, Memories of Murder fait dans l’audace sans esbroufe, dans l’atmosphère de ce paysage coréen à l’écart du monde, dans les personnages dépassés par un enjeu trop grand pour eux. La dernière séquence du film restera gravée à jamais dans mon esprit, cette route déserte au milieu de la campagne, et ce visage ahuri, se bouleversant sourdement, de Song Kang Ho.

4. JSA - Joint Security Area (2000)
Deux Bong Joon-Ho et deux Park Chan Wook occupent les quatre premières places. Je sais que la diversité en prend un coup, mais ce n’est pas un classement de raison, seulement de cœur. L’un des films pionniers de la « nouvelle vague » coréenne, JSA - Joint Security Area est surtout un drame humain et politique renversant. De l’amitié taboue, dans la zone démilitarisée séparant Nord et Sud, entre un garde frontière du sud avec un garde-frontière du nord, le cinéaste tire à la fois un thriller superbement narré et un portrait du malaise d’une nation coupée en deux. Derrière l’efficacité du thriller se cache une mélancolie à l’amertume prononcée.

5. Frères de sang - Taegukgi (2004)
Si les champions du box-office en France peuvent rarement être suspectés d’être les meilleurs films du moment, encore moins de la décennie (franchement, Bienvenue chez les Ch’tis ?), il faut avouer que le public coréen a le don pour porter aux nues des longs-métrages autrement plus fascinants. Comme The Host plus tard, Frères de sang en a été un bel exemple. Trop facilement assimilé à un Il faut sauver le soldat Ryan au Pays du matin calme, le film de Kang Je-Gyu a suffisamment à offrir pour ne pas être réduit à ce parallèle simpliste. Désinhibé du manichéisme que l’on aurait pu attendre d’un film sur deux frères pris dans le feu de la guerre de Corée, Taegukgi explore les heures sombres d’une nation en conflit, déchirée, n’épargnant aucun des deux camps pour ce qui est de leurs zones d’ombres, et surtout pas l’armée du Sud. Un regard couillu mis en valeur par un récit dense et passionnant qui déglingue la gloire guerrière.

6. The Chaser (2008)
Voilà un an que j’ai vu pour la première fois The Chaser, encore un film de genre, et encore un film passé par le Festival de Cannes, qui apprécie à l’évidence le cinéma coréen. On a beaucoup reproché au premier film de Na Hong-Jin son dénouement trop appuyé, certes. Mais quel coup de maître pour un premier long-métrage que l’on n’avait pas vraiment vu venir. D’un point de départ simple, un ex-flic reconverti dans le proxénétisme cherche une de ses « filles » qui a disparu, Na tisse un polar à l’intensité surprenante. Choisissant un récit compact, concentré sur une nuit, et un déroulement du récit inhabituel, le responsable de la disparition étant vite attrapé, le réalisateur a tout le loisir de peindre des personnages foisonnant, et de poser un regard cru sur le système policier et judiciaire coréen, mis à mal.

7. Breathless (2009)
Sur le papier, un film de plus de deux heures s’intéressant à l’amitié improbable entre un recouvreur de dettes violent et une lycéenne grande gueule peut laisser sceptique. Pourtant Breathless est une œuvre coup de poing, une bourrasque de sincérité, de sensibilité et d’âpreté qui m’a atteint comme peu de films cette année. Si sa sortie dans les salles françaises a été repoussée à 2010, j’ai eu la chance de le voir deux fois en 2009 en festivals (ici puis ici). Rares sont les films que l’on peu voir à cinq mois de distance et se sentir autant remué à la seconde vision qu’à la première. Le film de Yang Ik-June (son premier) est pourtant, indubitablement, de ceux-là.

8. My Sassy Girl (2001)
Eh oui, on a beau faire le tour de la décennie en se disant qu’avec tous les films coréens vus au cours de ces dix années, il risque de ne pas y avoir beaucoup de place pour le potache, ne pas inclure My sassy girl semblerait être une trahison a la cote d’amour que peut représenter la comédie phénomène de société. Bien sûr si ce n’était qu’une comédie potache, le film ne se trouverait pas dans cette liste. My sassy girl est bien sûr plus que cela. C’est un film hors norme, se souciant peu des conventions cinématographiques, tentant tout, ne se souciant pas du sablier, jouant la carte de l’humour et de l’émotion avec une conviction déchaînée, et emportant tout sur son passage, et surtout les cœurs. Le mien n’a pas fait exception.

9. Secret Sunshine (2007)
Passer de My Sassy Girl à Lee Chang Dong, c’est un peu faire le grand écart. Le drame d’un grand nom du cinéma d’auteur coréen succède à la comédie populaire, et pourtant un point commun est indéniable aux deux films : l’outrance. Ce qu’il y a de magnifique dans le cinéma de Lee Chang Dong, c’est sa faculté à explorer les comportements humains sans retenue. Secret Sunshine est un portrait de femme vibrant, une femme confrontée à une série de drame qui vont chambouler son être qui a valu à son interprète Jeon Do-Yeon le Prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes. Un drame puissant, déchirant et pourtant drôle (grâce à Song Kang-Ho, une fois de plus), d’un lyrisme éclatant, dans la droite lignée de son magnifique Oasis (qui pourrait tout aussi bien se trouver dans cette liste).

10. The President’s last Bang (2005)
Après avoir réalisé des films jetant un regard acerbe sur la société coréenne, Im Sang-Soo s’est attaqué avec cet opus à l’histoire du pays, de façon à la fois intimiste et haletante. The President’s last bang se penche sur le complot pour assassiner Park Chung-hee, le dictateur sud-coréen des années 60 / 70, par ses propres services secrets. Avec une intrigue se partageant entre l’homme d’état et ses comploteurs dans le lieu confiné de la Maison Bleue (la résidence du président sud-coréen), le réalisateur tisse une intrigue, des personnages, et un pan de la politique coréenne tout à fait passionnant, avec un sens de la mise en scène renversant. Son film suivant sera lui aussi un fascinant portrait de l’Histoire de son pays, Le vieux jardin.

Ils ne sont pas dans les dix, mais la ligne les séparant de cette position est bien mince :
Take care of my cat (2001), un portrait de la jeunesse féminine de Pusan tout en justesse.
Deux Sœurs (2003), un film d’épouvante qui n’en n’est pas un, et se révèle un drame familial brillant.
Double Agent (2003), un thriller d’espionnage décrivant le climat de Guerre Froide comme rarement au cinéma.
Le bon, la brute et le cinglé (2008), un des moments de cinéma les plus jubilatoires de la décennie.
Locataires (2004), le Kim Ki-Duk le plus audacieux, presque muet, envoûtant, qui n’a qu’un défaut : il n’est pas muet.

vendredi 18 décembre 2009

Le jour où le cinéma coréen s'est emparé de moi


Lorsqu’une nouvelle décennie pointe le bout de son nez, faire le bilan de celle qui vient de s’écouler est inévitable. L’occasion est trop belle de dresser la liste des films ayant marqué nos papilles cinéphiles avec le plus de goût. Dans les jours qui viennent, il ne fait pas de doute que je compilerai mes films préférés sortis entre le 1er janvier 2000 et le 31 décembre 2009, mais en attendant, je sens poindre l’envie de faire une parenthèse coréenne.

L’idée me trottait dans la tête de faire le Top de mes films coréens préférés, et la fin de cette décennie me donne l’occasion de détourner un peu ce projet et de l’adapter au moment. Je ne suis pas un maître incontestable en cinématographie coréenne. Je connais plusieurs personnes ayant vu beaucoup plus de films que moi. Des personnes qui ont fait du cinéma coréen, ou plus généralement asiatique, leur champ de spécialité geek. Je ne suis pas un compulsif téléchargeant et important en masse, seulement un cinéphile ne ratant aucune miette en salles et essayant d’attraper le plus de films possibles en festivals en provenance de ce pays.

Néanmoins le spectateur avide de plongées en salles obscures que je suis s’est fait happé par le cinéma coréen, lentement mais sûrement. Les films sont une affaire de salle pour moi, et mon cinéma coréen a été au cours de la décennie un cinéma vu sur grand écran, d’où certaines lacunes, mais aussi et surtout un impact fort comme seule la salle le permet. Le cinéma coréen n’est qu’une petite partie de mon vivier d’expéditions cinéphiles, mais une partie qui me tient à cœur.

J’ai aimé beaucoup de films chinois et japonais avant de m’intéresser au cinéma coréen. Le fait qu’il y a dix ans on ne voyait pas autant de films coréens dans les salles françaises a bien sûr joué. Le fait que je n’ai pas été emballé par les premiers films coréens que j’ai vus n’a pas arrangé les choses. Sur la trace du serpent, Peppermint Candy, La 6ème victime, La princesse du désert et Ivre de femmes et de peinture sont les cinq premiers films coréens que j’ai vus en salles au cours de la décennie, entre 2001 et 2002. Je n’en ai véritablement aimé aucun. C’est à travers ces films que j’ai découvert la Corée, mais à l’époque aucun ne m’a vraiment impressionné. Je me souviens même à quel point Peppermint Candy de Lee Chang-Dong, devenu un de mes cinéastes préférés, m’avait gonflé à l’époque.

Le cinéma coréen a commencé à sérieusement me titiller avec Sympathy for Mr. Vengeance de Park Chan-Wook. Ou plutôt, sa bande-annonce. Vous en souvenez-vous ? L’aviez-vous déjà vue ? Aujourd’hui encore, elle me donne le frisson. La voix de Song Kang-Ho, le lyrisme enlevé du violon, et cette énergie pleine de rage que l’on devine derrière ces images. Je me souviens comme si c’était hier de l’état d’excitation cinéphile dans lequel cette bande-annonce me mettait à l’été 2003. Avec quelle impatience j’attendais ce film. Je me souviens aussi à quel point le film m’a déstabilisé une fois le générique de fin commençant à défiler. Symbolique du nouvel âge du cinéma coréen comme aucun des films que j’avais vus jusqu’ici, je découvrais un film auquel je ne m’attendais pas du tout. J’attendais un film noir, haletant et épique, et je me suis retrouvé nez à nez avec un drame social plus noir que l’encre. Je n’étais pas prêt pour un tel film.

Le cinéma coréen commença néanmoins à clairement m’intriguer. Je peux étonnamment presque dater le moment où il a fini par me séduire totalement, m’enlacer et me faire oublier un instant que les trois années précédentes, il ne m’avait jamais fait vibrer. C’était au printemps 2004. En l’espace de dix semaines ce printemps-là, j’allais voir six films coréens au cinéma. Ce printemps-là, je suis tombé amoureux du cinéma coréen. Printemps, été, automne, hiver… et printemps. La femme est l’avenir de l’homme. Oldboy. Deux sœurs. Wonderful Days. Memories of Murder. Ce sont ces films que j’ai vus au printemps 2004, presque coup sur coup, entre avril et juin. Trois d’entre eux ont fini cette année-là dans mes dix films préférés de l’année. Un ratio assez exceptionnel si l’on prend en compte le fait que sur toute l’année, je vis 230 films au cinéma, et parmi ceux-ci seulement huit coréens.

Depuis je n’ai pas téléchargé à tout va et acheté des tonnes de DVD en zone 3 pour tout voir, mais le cinéma coréen est entré dans ma vie de cinéphile et ne l'a plus quittée. Je passe tellement de temps au cinéma à voir un maximum de films de tous pays que j’ai rarement le temps d’en regarder chez moi. Je guette donc chaque incartade coréenne dans les salles obscures parisiennes. Mes lacunes sont à n'en pas douter grandes, pourtant quelque part cela me plait de savoir qu’il y a tant de films coréens qui m’attendent. Et même si je n’ai pas tout vu, cela ne m’empêchera pas de partager mes films coréens préférés de la décennie. Mais après cette longue mise en bouche, cela attendra mon prochain post...

lundi 14 décembre 2009

Jim Jarmusch s'est perdu en chemin


Lorsqu’il y a 10 ans, je me suis branché pour de bon sur Internet, Ghost Dog venait de m’ensorceler. Résultat j’ai commencé à surfer sous le pseudo Chien Fantôme sur quelques sites de ciné, sous l’influence de l’œuvre et du personnage créés par Jim Jarmusch. C’est anecdotique, mais cela indique suffisamment l’influence cinéphile qu’a eue le cinéaste new-yorkais sur moi. J’ai encore deux ou trois lacunes dans la filmographie du bonhomme, mais je la connais et la respecte assez pour ne pas avoir résisté à l’appel de son nouveau long-métrage…

C’est donc en admirateur que je m’exclame « Mais qu’est-ce qui t’a pris Jim ?!?! ». Si l’errance a toujours été un thème de prédilection du cinéma de Jarmusch, l’errance dépasse avec The Limits of Control la frontière du sujet pour prendre corps dans la démarche artistique. J’en suis encore bouche bée, bloqué à cette expression qui était la mienne lorsque le générique de fin a commencé à défiler.

Pouvait-il faire plus énigmatique ? Plus vain ? Plus soporifique ? J’ai bien peur que non. Combien de temps y ai-je cru ? Vingt minutes peut-être ? Le ton énigmatique du projet a d’abord belle allure, séduisant par sa cocasserie. Isaach de Bankolé tueur à gages se voyant assigné une mission incompréhensible par deux types incompréhensibles. Des étapes successives, nonchalantes et vides, aux quatre coins de l’Espagne, mettant le tueur au contact d’intermédiaires au rôle indéfini, à la nécessité clairement nulle. Une longue errance le menant enfin vers le point de convergence final, attendu. Trop attendu.

Le problème de The Limits of Control, c’est qu’on y trouve seulement l’art du cadre et des personnages décalés de Jarmusch. Certes il parvient à parsemer son film d’une ou deux séquences amusantes ou séduisantes, mais le reste ne vient et ne mène nulle part. Scénaristiquement, c’est le néant absolu. Jarmusch répète les mêmes séquences à outrance, ne changeant que l’interlocuteur de Bankolé. Sinon, c’est le même rituel, les mêmes gestes, les mêmes répliques qui se multiplient pendant deux heures.

Deux expressos, deux boîtes d’allumettes, « La vida no vale nada », « Usted no habla español, verdad ? ». Une fois que vous avez vu ou entendu ces éléments, le reste n’est qu’une énième répétition de ce qui vient de se jouer dans la séquence précédente. Les personnages que Bankolé, mutique à l’extrême, croise sont tellement opaques qu’ils en deviennent transparents. C’est une errance, la forme ultime de l’art de Jarmusch, qu’il poursuit dans chacun de ses films, l’errance de Dead Man, la dérive de Ghost Dog, la quête de Broken Flowers, qui se retrouve, comble ultime, dans le savoir faire disparu de Jarmusch.

Le paroxysme du film, tant au niveau de la supposée tension dramatique que de l’errance de Jarmusch cinéaste, se trouve dans l’aboutissement de la mission du tueur à gages, par lequel le cinéaste se réfugie dans une des ellipses les plus faciles et ridicules qui soit.

On pourra dire ce que l’on veut, lui attribuer de nombreuses paraboles, métaphores, et intentions de discours sur l’état du monde et de l’influence néfaste du capitalisme à outrance, symbolisé par l’homme à abattre, au final, l’image qui reste est celle d’un cinéaste tournant à vide, préférant nous laisser tout le travail de l’imagination plutôt que de se le permettre une seule seconde. Si ce n’est que de l’apparence, je m’en excuse bien bas Jim. Mais quelles qu’en soient les raisons, The Limits of Control teste avec trop d’insistance nos limites de spectateurs. Jusqu’à épuisement.

dimanche 13 décembre 2009

J'ai grandi avec Sami Frey

En l’espace de dix jours, j’ai vu Sami Frey deux fois. Seul en scène pour jouer « Premier Amour » de Beckett, puis dans l’ombre faible de Nicolas Cazalé dans Mensch de Steve Suissa. Longtemps pour moi, l’acteur n’aura pourtant été qu’un nom. Le nom de l’acteur français préféré de ma mère. J’ai grandi avec ce nom résonnant régulièrement à mes oreilles, sans jamais vraiment me faire une idée de la valeur de l’acteur.

Il faut dire que Sami Frey est un acteur rare, qui ne tourne pas tous les ans, et que le peu qu’il a tourné n’a jamais vraiment été le genre de films que l’on voit le dimanche soir en prime time à la télé. Du coup j’ai grandi avec ce nom m’entourant régulièrement, sans jamais vraiment le matérialiser. Je l’ai bien aperçu de-ci de-là, tout jeunot dans La vérité de Clouzot, égaré dans Le garde du corps ou en vieil Aramis dans La fille de D’Artagnan.

Mais pour moi, Sami Frey restait « l’acteur préféré de ma mère ». Un acteur tant aimé que j’avais un jour appris qu’il était l’une des deux raisons pour laquelle je m’appelais David. Car si ma mère aime tant Sami Frey, ce n’est pas tant pour Bande à part de Godard ou Qui êtes-vous Polly Magoo ? de William Klein. Non, si ma mère aime tant Sami Frey, c’est pour César et Rosalie dans lequel l'acteur interprète un homme prénommé David.

J’ai mis longtemps à voir César et Rosalie. Peut-être parce que j’ai mis longtemps à m’intéresser au cinéma français datant d’avant ma naissance. Peut-être parce qu’il aura fallu que je découvre Claude Sautet et ses films les plus récents comme Quelques jours avec moi, Un cœur en hiver et Nelly et monsieur Arnaud pour me plonger vers le Sautet de la grande époque. Un jour pourtant j’ai fini par voir César et Rosalie, il n’y a pas si longtemps, quatre ou cinq ans tout au plus. Et il aura fallu ce film dont j’avais tant entendu parler pour enfin matérialiser pour de bon cet acteur appelé Sami Frey.

C’était le bon moment, le bon âge, le bon film, et voilà que Sami Frey a pris tout son sens. Au passage César et Rosalie est devenu un de mes films français préférés, et la valeur de Sami Frey, cet homme à la fois sec et entouré d’un charme mystérieux, s’est révélée à mes yeux. Il n’est pas devenu mon acteur préféré, mais j’ai enfin pardonné à ma mère de m’avoir tant rabâché sans cesse dans mon enfance les mérites de Sami Frey, et de César et Rosalie.

Cette année pour son anniversaire, j’ai emmené ma mère au théâtre pour voir Sami Frey jouer « Premier Amour » de Samuel Beckett, seul, au bord de la scène, dans un décor minimaliste. Une performance drôle, et émouvante, qui fut suivie quelques jours plus tard par la projection de Mensch de Steve Suissa, dans lequel Frey incarne le patriarche rigoureux de la famille, le grand-père soucieux de son petit-fils et de ses magouilles. Un second rôle dans un film plus qu’anodin, électrisé par la présence de Frey le temps d’une séquence rendue intense par le simple visage du comédien, à la fin du film.

J’ai grandi avec Sami Frey sans vraiment le connaître. J’espère maintenant qu’il me rendra visite sur grand écran pendant de longues années encore.

jeudi 10 décembre 2009

Souvenirs d'une première fois


Quand la cinéphilie se fait geekitude, l’introspection est aussi importante que la création de listes diverses et variées où nos goûts s’étalent. L’introspection pour jeter un œil sur ce qu’on aimait voir à telle époque, combien de films on allait voir en salles en telle année… Une façon de voir se dessiner les films qui ont construit petit à petit le cinéphile que l’on est devenu.

Le premier souvenir cinématographique par exemple. Quel adulte n’a jamais tenté de se remémorer quel fut le film qui l’introduisit pour la toute première fois au cinéma. A ce plaisir de se trouver dans une grande salle, qui à l’époque nous paraissait certainement immense, pour regarder un film avec des personnages grands comme une montagne à nos yeux d’enfants.

Quel est le premier film que j’ai vu au cinéma ? Cette question, je me la suis posée, et aussi peu évidente soit-elle, la réponse m’est toujours venue facilement. J’ai toujours associé un film en particulier à mon premier souvenir de cinéma. Parce que c’est comme une évidence, je soupçonne fortement cette sensation d’être erronée. Déjà parce que ce souvenir n’est pas celui d’un film d’animation. Non, mon premier souvenir n’est pas un Disney. Pourtant c’est dans la plupart des cas la réponse qui vient lorsque l’on pose la question à quelqu’un. « Le premier film que j’ai vu au ciné, gamin ? Oh c’était un Disney ». Les 101 Dalmatiens, Le livre de la jungle, Robin des Bois, La Petite Sirène, Le Roi Lion, tout dépend de notre année de naissance, mais en général, le premier souvenir est un Disney.

Moi, dans cette optique, cela serait Basil, détective privé, cette transposition dans l’univers des souris de l’œuvre de Arthur Conan Doyle et de son duo Sherlock Holmes / Docteur Watson, sortie à Noël 1986. J’avais 5 ans, et c’est probablement l’un des tous premiers films que j’ai vu au cinéma.
Pourtant, rien à faire, j’ai un autre souvenir. Un souvenir que je cultive depuis suffisamment d’années pour que je sois persuadé qu’il est véridique, alors que franchement, je ne parierais pas ma vie dessus.

Ce souvenir, c’est Pirates de Roman Polanski. Aussi loin que je farfouille ma mémoire de spectateur, la première image qui me vient à l’esprit lorsque je plonge au plus loin dans mon enfance, c’est celle de Walter Matthau et Cris Campion, sur leur radeau de fortune, en plein océan. Le capitaine pirate et son moussaillon appelé Grenouille. L’image est vive, je la vois clairement. Je me vois enfant, accompagné de ma grand-mère (mes parents et ma sœur étaient-ils là, impossible de me souvenir), dans cette petite salle du cinéma Jacques Tati à Tremblay-en-France.

Ma grand-mère m’accompagnait-elle vraiment ? Cette première rencontre avec le cinéma a-t-elle bien eu lieu au Tati, en ce jour de 1986 ? Le film était sorti en France en mai, dans la foulée de sa présentation au Festival de Cannes. Possible. La seule personne qui aurait peut-être pu répondre à cette question avec plus de certitude que moi est morte bien avant que la question me taraude. D’ailleurs c’est étrange, car c’est justement après la mort de ma grand-mère que j’ai commencé à m’intéresser plus sérieusement au cinéma. A l’été 1996. Très étrange.

Je ne saurai certainement jamais avec certitude si Pirates est bien le premier film de ma vie au cinéma. L’impression restera, et le doute avec, sans jamais m’empêcher de dormir la nuit pourtant. Et vous, vous êtes-vous déjà posé la question ? C’était lequel, ce fameux premier film ?

mercredi 9 décembre 2009

Christophe Lambert aime les nanars ? Et alors, moi je l'adore !

Lorsque l’on est cinéphile, il y a des acteurs ou des cinéastes que l’on ne doit pas aimer. C’est comme ça, une espèce de règle tacite entre cinéphiles pointus qui veut que l’on raille quelqu’un de la profession dès que sa carrière touche plus à la série B (tendance Z sur les bords) qu’aux genres respectables. C’est sûrement à cause de ça que JCVD s’est lamentablement planté au box-office il y a deux ans. Le problème c’est que ce genre d’élitisme tue le goût de la diversité au cinéma, qui se doit d’être un régal d’un bout à l’autre du stroboscope cinéphile.

Je fais partie d’une génération trop jeune pour avoir vu débarquer les films hollywoodiens de genre de la décennie 80’s d’un œil écœuré, et trop vieille pour voir cette même décennie comme un arc vieillot et dépassé de la chronologie du grand écran. La cinéphilie de chacun se nourrit de l’époque à laquelle il ou elle grandit, et moi quand j’étais gamin, Van Damme, Seagal, ou Lambert étaient des stars. Leurs tronches étaient partout, leurs films en tête du box-office, et quoi qu’aient pu en penser les cinéphiles mûrs de l’époque, ou quoi qu’en pensent les spectateurs plus jeunes aujourd’hui, ceux de ma génération ont emmagasiné ce cinéma dans leur culture cinéphile, aussi sous-culturelle soit-elle.

Le problème c’est que du coup, tous ceux qui ne sont pas de cette génération, et il y en a quand même pas mal, semblent assez largement mépriser l’affection que l’on puisse attacher à certains de ces acteurs, même lorsque les fluctuations de projets et la montée en force de jeunes cinéastes les voient s’afficher dans des productions bénéficiant d’un standing auxquels il ne nous avaient plus habitués.

Moi, j’aime bien Christophe Lambert. Ce n’est pas une phrase qui se lit souvent, mais je l’écris. Lambert, c’est une trajectoire un peu particulière sur plan cinématographique. Greystoke, Subway et Highlander en ont rapidement fait un grand espoir du cinéma français et international. Il sortait du Conservatoire, faisait la couv’ de tous les magazines, tournait chez Michael Cimino, et travaillait avec David Lean sur un projet d’adaptation du "Nostromo" de Joseph Conrad interrompu par le décès du cinéaste britannique. Bref, un acteur incontournable des années 80.

Pourtant sont arrivées les années 90, et avec elles, la crédibilité artistique de Lambert a volé en éclats. Des suites ratées de Highlander, des séries B aux scénarios éculés, des comédies françaises avec des chiens et Richard Anconina, et bientôt, avant que l’on s’en rende compte, Christophe Lambert était cantonné aux thrillers soporifiques pour le marché DVD. Et si d’aucuns pourraient arguer que moumoute et moustache lui allaient à ravir dans ce monument de série Z qu’est Vercingétorix, il faut bien l’admettre, Lambert semblait prendre un malin plaisir à faire les mauvais choix de carrière. D’ailleurs il a longtemps dit lui-même qu’il faisait du cinéma pour s’amuser (on ne l’en blâmera pas, mais n’y avait-il donc que sur ces films-là que l’on s’amusait à l’époque ?).

Et voilà, celui que les américains appellent Christopher Lambert semblait bel et bien fini. D’autant que l’autre raison qui forçait le respect envers le bonhomme était finie, puisqu’il avait divorcé de Diane Lane…

Ces jours-ci, j’ai fait l’amer constat que la cote de l’acteur est encore plutôt basse dans le cœur des cinéphiles lambdas. Je claironnais à qui voulait bien l’entendre que « Oui oui, je vais aller voir L’homme de chevet », « Quoi le truc avec Christophe Lambert ? », « Le truc avec Christophe Lambert oui »… Bah oui désolé je ne me refais pas. J’ai vu Janis et John de Samuel Benchetrit en 2003. J’ai constaté que Christophe Lambert était toujours un bon acteur quand il est bien dirigé, qu’il pouvait être drôle, touchant et voler un film en quelques scènes.

Alors oui, depuis il a encore tourné des direct-to-DVD pourris, il a joué dans le gros nanar de Sophie Marceau La disparue de Deauville, et en ce moment il parait même qu’il tourne un film d’aventures avec une princesse, une sorcière, des guerriers, Kevin Sorbo – oui oui, le Hercule télé des années 90 – et un budget de 1 million de dollars (des clopinettes). Non Christophe Lambert n’est pas un comédien 100% fiable. Des daubes il en a tourné des tonnes, et en tournera encore sûrement à l’avenir.

Mais il vient aussi de tourner avec Isabelle Huppert sous la direction de Claire Denis, White Material. Et il a tourné cet Homme de chevet d’Alain Monne, adapté d’un roman d’Eric Holder, une agréable surprise, certes inégale et qui ne finira pas dans de nombreux Top 10 à la fin de l’année, pas même le mien, mais un film qui sent bon le cinéma tout de même, loin de sa collection de nanars habituelle. Un film qui laisse espérer que Lambert délaisse plus souvent son marché DVD adoré pour se laisser reconquérir par des personnages à la hauteur de son talent.

La route est encore longue avant que Christophe Lambert redevienne un nom respecté sur grand écran, détaché des ricanements qui peuvent encore l’accompagner. Mais en attendant, moi, je continuerai à aller voir ses films en salles, dans l’attente. L’attente d’un sursaut. Je suis peut-être le seul à attendre. Mais j’ai l’habitude.

dimanche 6 décembre 2009

La Route vaut-elle "La Route" ?


Cette question, tous ceux qui ont lu l’œuvre de Cormac McCarthy se la posent en ce moment. A chaque adaptation évènementielle d’un roman célébré, ce genre de question fait surface, et aucun doute ne se pose quant au fait que « La route » de Cormac McCarthy est l’une des œuvres littéraires majeures de ces dernières années. Voire l’œuvre majeure.

Vouloir la porter à l’écran a du sens, tant d’une part l’auteur est à la mode depuis le carton de No Country for Old Men, et d’autre part le récit s’inscrit dans une problématique sociétale actuelle, les craintes écologiques pour l’avenir. McCarthy y suit un homme et son fils, marchant dans un monde dévasté par une tragédie écologique jamais nommée, qui a plongé une humanité devenue rare dans un quotidien sans espoir. L’homme et son enfant avancent pour leur survie, cherchant à manger et à échapper à leurs congénères trop souvent tombés dans le cannibalisme.

Le réalisateur australien John Hillcoat est aux commandes de la version filmée de l’œuvre de McCarthy. J’ai récemment parlé du cinéaste pour vanter les mérites de son précédent long, le western The Proposition, qui sort dans quelques jours en France. Son style épuré et quasi naturaliste en ont fait un choix logique pour La Route.

Le film est-il donc fidèle au roman ? Oui, la fidélité scénaristique est indéniable. Le récit n’est pas dénaturé le moins du monde. Est-ce donc un film aussi important que le livre ? Non. Laisse-t-il la même trace émotionnelle que le roman ? Non. Est-ce au moins un bon film ? Sans doute. Pourtant lorsque l’on décide de transposer sur grand écran l’un des romans les plus forts de la décennie, il est impossible de se contenter d’un bon film. Un grand film est attendu.

Peut-être faut-il n’avoir pas lu l’écrit de McCarthy pour voir la puissance du film de Hillcoat rayonner sur le spectateur que l’on est. Peut-être faut-il entrer en salle vierge pour ne pas ressentir que la belle musique composée par Nick Cave et Warren Ellis a quelque chose de déplacé tant elle annule parfois l’âpreté qui doit être au cœur du film, y ajoutant de légers trémolos tout à fait inutiles.

Si La Route version grand écran n’atteint pas les sommets qu’il devrait, c’est peut-être parce que ses créateurs se contentent d’être fidèles au récit et à l’atmosphère sans parvenir à se l’approprier autrement qu’en y ajoutant une belle musique et en s’appuyant sur une grande performance de Viggo Mortensen. Les lecteurs seront forcément déçus. Les autres feraient mieux de lire l’œuvre originelle, mais à défaut devraient apprécier.

samedi 5 décembre 2009

Noise, ou la pêche aux films oubliés

Il y a huit ans, Henry Bean réalisait Danny Balint, qui révéla le talent du comédien Ryan Gosling. Fin 2009, voici que débarque enfin dans les salles françaises le second long-métrage du cinéaste, Noise. Une diatribe très personnelle contre un mal de la société moderne, le bruit, porté par Tim Robbins. Intéressé ? Dépêchez-vous, le film ne joue que dans deux salles en France…

Noise ressemblait jusqu’ici typiquement au film chimère, une figure cinématographique fantomatique apparaissant régulièrement dans le calendrier des sorties pour en disparaître quelques semaines plus tard. Tourné en 2006, présenté en festivals en 2007, sorti aux États-Unis au printemps 2008, le film a failli être distribué à plusieurs reprises, jusqu’à sortir enfin le 25 novembre dans deux salles en France, dont le Publicis sur le Champs-Élysées.

On ne peut trop en vouloir au distributeur Eurozoom d’avoir hésité, tant le long-métrage d’Henry Bean est un objet étrange, assez foutraque, plus à même de déconcerter que de fédérer. Le film dépeint la croisade d’un new-yorkais contre les bruits qui pullulent et lui gâchent le quotidien. Se transformant en véritable vengeur anonyme autoproclamé « Le Rectificateur », il traque tout particulièrement les alarmes de voiture sonnant intempestivement, au grand dam de son épouse et du maire de New York qui n’apprécie guère cet original justicier du bruit.

Parfois très amusant, Noise part un peu dans tous les sens, dans le ton (du film engagé à la comédie loufoque) et dans la forme (Bean joue avec la chronologie des évènements). On y prend du plaisir en se disant tout de même au final que l’entreprise demeure futile, malgré l’hallucinant numéro de cabotinage de William Hurt en maire de New York.

2009 se sera avéré une année chargée en sorties en salles différées. Si Noise sort plus de 18 mois après sa sortie américaine, d’autres œuvres auront enfin aperçu le bout du tunnel après de longs mois à stagner dans un tiroir ou sur une étagère.

Nous aurons ainsi enfin eu droit à Smart People, tourné en 2006, sorti aux États-Unis au printemps 2008 et en France à l’été 2009. Au rayon asiatique, la fantaisie culinaire Le Grand Chef et la décevante balade de Bollywood Saawariya seront sortis deux ans après leurs sorties respectives dans leurs pays d’origine.

Le champion toutes catégories de sortie décalée reste tout de même Silver City de l’américain John Sayles, que plus personne ne s’attendait à voir sur un grand écran hexagonal. Tourné en 2003 et sorti au Pays de l’Oncle Sam en 2004, le film est arrivé comme une fleur cinq ans plus tard, en plein été 2009, dans nos salles. Qui dit mieux ?

Avant la fin de l’année, nous auront droit à une dernière de ces sorties inattendues, The Proposition, le beau western australien de John Hillcoat datant de 2005. Aussi regrettable que cela soit de devoir patienter plusieurs années avant de pouvoir découvrir un film espéré sur grand écran, je ne saluerai jamais assez ces distributeurs (le plus souvent petits) de ne pas renoncer à nous faire découvrir ces films qui peuvent se révéler des pépites, aussi tard soit-il.
Qui sait, peut-être aura-t-on un jour droit à une sortie en salles de Napoleon Dynamite ? (on peut toujours rêver…)

jeudi 3 décembre 2009

Retenez-les, les spectateurs fuient la salle !!!!


Il n’est pas rare qu’un déçu ou un pointilleux quitte une salle en cours de film. Il y aura toujours quelqu’un pour se rendre compte un peu tard que le film qu’il ou elle est venu(e) voir ne correspond pas du tout à ce qu’il ou elle espérait. Dans ce cas, la plupart des gens restent tout de même et donnent une chance au film, alors que quelques uns abandonnent lâchement la salle.

Ce qui est plus rare, c’est qu’un film pousse tout un pan de ses spectateurs à déserter les lieux les uns après les autres. Mon expérience la plus mémorable tournant autour de ce rejet général a sans nulle doute été Los Bastardos en tout début d’année. L’œuvre du mexicain Amat Escalante avait fait grand bruit à Cannes en 2008, et il m’a suffi de le voir à sa sortie en janvier pour comprendre pourquoi. Les longs plans fixes (très longs) avaient perdus quelques spectateurs en route, avant qu’une séquence d’une violence sauvage ne fasse fuir les derniers résistants.

Entre les premiers plans du long-métrage et le début du générique de fin, la salle s’était vidée de moitié au cours du film. Mardi soir, près d’un an plus tard, j’ai vécu une expérience presque similaire à l’UGC Ciné Cité Les Halles en allant voir Kinatay de Brillante Mendoza.

Comme Los Bastardos, Kinatay a fait sensation à Cannes, celui-ci en compétition officielle où il a séduit le jury et remporté le Prix de la Mise en Scène. Une distinction amplement méritée si vous voulez mon avis. Il y a tout juste un an, j’étais tombé sous le charme de Serbis du même Mendoza, la lumineuse chronique d’une famille de Manille tenant un cinéma porno.

Bien plus sombre, Kinatay conte une descente dans les abymes de la violence. Le premier acte du film est aussi lumineux que l’était Serbis, relatant le mariage d’un tout jeune couple. Ils ont 20 ans à peine, elle s’occupe de leur nouveau-né, il est étudiant à l’école de police. Ils fêtent leur union entre amis et en famille, ils sont heureux, la vie semble partie du bon pied pour eux. Pourtant à l’inverse d’Irréversible de Gaspar Noé qui glissait lentement de l’enfer au paradis à mesure que le récit progressait (grâce à un montage remarquable), Kinatay va peu à peu basculer dans la nuit la plus totale.

Le jeune marié arrondit ses fins de mois en traînant le soir avec des mecs peu recommandables qui l’entraînent pour une petite virée qui tourne au kidnapping. L’insouciant se met à flipper lorsqu’il comprend toute la dangerosité de la bande, et jusqu’où ils semblent prêts à aller.

Cette descente aux enfers est réalisée avec une insolente maestria par Brillante Mendoza. Le sens du récit nous explose au visage, sa capacité à subrepticement changer de ton et d’atmosphère en cours de route, tout en justesse. Avec une caméra vive, à l’épaule, il happe l’énergie de Manille. En étirant ses séquences au maximum, les faisant exister sur une durée rare, il donne une consistance et une intensité remarquables à sa narration. Très vite, l’atmosphère nous englobe et nous fascine jusque dans l’audace contemplative de certaines scènes.

C’est justement cette audace contemplative qui a perdu une première partie des spectateurs, qui ne s’attendaient certainement pas à ce rythme ralenti dans lequel ils n’ont su capter toute l’intensité. La tension monte avec une efficacité incroyable à mesure que le jeune protagoniste s’enfonce dans cette nuit. Bientôt, on perçoit que la violence va se déchaîner à l’écran. Mendoza dépeint alors un traumatisme, celui de notre héros qui met le doigt dans un engrenage qu’il passe tout le film à chercher à éviter, mais n’y parvient pas. Il se laisse prendre dans une spirale ponctuelle qui on s’en doute le marquera à vie, et n’est sûrement qu’une première étape dans une vie qui risque d’être jalonnée de violence.

Ce regard profondément sombre n’aura pas eu le temps d’impressionner une autre partie des spectateurs, qui ont choisi de quitter la salle lorsque les machettes ont commencé à trancher avec force… Plus d’un quart de la salle se sera vidé avant que le film n’atteigne sa conclusion.
Ce n’est pas Twilight qui risque de faire cet effet-là…

mardi 1 décembre 2009

Spike Jonze, sa moustache, son Max et ses Maximonstres à Paris


Spike Jonze attire assurément le geek parisien. Dimanche soir aux Halles, nous étions nombreux à nous être déplacés pour découvrir en avant-première le nouveau film du cinéaste culte, Max et les Maximonstres, qu’il était venu présenter lui-même, accompagné de son jeune acteur principal Max Records.

Décontract’ et moustachu, Jonze le quadra nous a présenté son troisième long-métrage, le plus accessible de sa filmographie et pourtant celui qui aura été le plus compliqué à mener à son terme d’après ce que les rumeurs en disent. Il faut dire que Max et les Maximonstres a été tourné il y a plus de trois ans maintenant, que sa production a été émaillée de nombreuses difficultés techniques, et que le cinéaste a été en conflit avec deux studios différents (d’abord Universal, qui a lâché le film, puis Warner, qui a obligé Jonze à revoir sa copie).

L’œuvre de Maurice Sendak, dont ce film est adapté, est un classique de la littérature enfantine en Amérique du Nord. En France, elle est nettement moins connue. Peu d’enfants (petits ou grands) sont familiers de Max, cet enfant à l’esprit débordant d’imagination de parents divorcés, vivant avec sa mère et sa grande sœur. Un jour, après une énième dispute avec sa mère, Max s’enfuit et s’imagine plonger dans un monde peuplé de drôles de créatures habitant une île éloignée. Ces créatures, les fameux maximonstres, sont grandes, fortes, mais déboussolées. Max, haut comme trois pommes, va devenir leur roi et les guider.

Max et les Maximonstres est un film bien plus riche que le titre français le laisse entendre. Si c’est sur l’aspect aventureux et enfantin que le film est avant tout perçu, le sujet qui se trouve au cœur du film est la famille et ses désagréments lorsque l’on est enfant et que l’on a du mal à s’intégrer au monde qui nous entoure. Film sur l’enfance, Max et les Maximonstres est aussi un film sur l’explosion de l’unité familiale.

La force du film de Jonze est de parfaitement creuser ces thèmes lorsque l’on bascule dans la fantaisie. Max s’enfuit de son foyer familial branlant pour s’en créer un nouveau, fun et équilibré à première vue pour l’enfant, lequel va bientôt se rendre à l’évidence qu’il est difficile de vivre harmonieusement et que la perfection n’est pas de mise dans les relations humaines. Chacun est faillible, lui le premier.

Spike Jonze filme cette vision de l’enfance avec une énergie peu habituelle pour des longs adressés au jeune public, ce qui classe Max dans un coin à part dans l’univers des films pour jeune public. Avec sa caméra à l’épaule et sa vivacité, Jonze ne déroge pas à son style vibrant et s’intéresse finalement plus à faire un film sur l’enfance pour des adultes qu’à un film sur l’enfance pour les enfants.

On ne peut nier toutefois que le film souffre d’une inégalité de rythme, que dans sa vivacité, il traîne parfois un peu des pieds et menace souvent de tourner en rond. Jonze se dépêtre de ce piège en ne délaissant pas l’univers visuel, puissant, et l’humour qui éclaire régulièrement le récit avec un goût savoureux pour le décalé. Cet univers visuel et ce ton décalé, c’est dans les Maximonstres que Jonze les trouve. Leur univers est à la fois dépouillé et fascinant, et leur allure respire la bonhomie tout en bénéficiant à l’évidence d’un savoir faire technique discret mais palpable (ont dirait d’immenses peluches aux expressions terriblement humaines).

Jonze excelle par ailleurs dans sa tâche consistant à imprimer à chaque personnage, chaque Maximonstre, une personnalité propre. C’est à travers eux, à travers Alexander l’incompris, Ira le tout mou KW l’amie des chouettes ou Douglas le bras droit que Max et les Maximonstres fournit ses moments les plus chaleureux, les plus tendres, les plus drôles, les plus inattendus.

Étrangement, malgré tous ces compliments que j’ai pour lui, Max et les Maximonstres ne m’a pas libéré dans un état d’intense fascination, plutôt de gentille satisfaction. Jonze n’avait pas réalisé de long-métrage depuis 2002 et Adaptation. Toutes ces années d’attente m’ont peut-être joué un tour. J’y ai tout de même vu un beau film, offrant à James Gandolfini son plus beau rôle au cinéma, celui permettant d’étaler toute la finesse de son jeu trop souvent mal exploitée sur grand écran, même si on ne fait finalement ici qu’entendre sa voix, celle de Carol, le leader des Maximonstres. Mais c’est amplement suffisant pour capter le talent monstre de l’acteur.
A voir en salles le 16 décembre.

samedi 28 novembre 2009

Roland Emerich fait-il du cinéma d'auteur, ou comment de drôles d'idées peuvent traverser l'esprit à 1 heure du matin...


Moi qui pensais passer une partie de ma soirée à la laverie automatique, me retrouver à 1 heure du matin sur le point de débattre avec moi-même de la possibilité que Roland Emmerich cache derrière son cinéma gros sabot une âme d’auteur est étrange. Oui car en fait d’expédition linge sale, c’est au cinéma que je me suis laissé entraîné ce vendredi soir pour aller découvrir (il était temps) la nouvelle fantaisie gigantesque du cinéaste allemand.

Ce sont M et C qui m’ont appelé pour me proposer de me joindre à eux pour aller voir 2012 au Gaumont Parnasse en leur compagnie. Si vous lisez régulièrement ce blog, vous saurez que je suis détenteur d’une carte illimitée et non d’un pass Gaumont, mais ce cher M a proposé de me passer une place (que je compte bien lui rendre un de ces quatre) me permettant de ne pas dépenser 10€ pour aller voir le film (mais pourquoi je donne tant de détails !?).

Cela devait bien faire dix ans que je n’étais pas entré dans une salle du Gaumont Parnasse (mon dernier souvenir mémorable, Las Vegas Parano de Gilliam à l’été 98 avec mon père et ma tante réunionnaise, partis avant la fin, écœurés). Le maniaque du confort offert par une salle que je suis ne peut s’empêcher de noter que dans cette salle 3 du complexe de Montparnasse, on se serait cru dans une fournaise tant il faisait chaud. Quant aux sièges, il leur manquait un peu de rembourrage dans la partie supérieure, si je n’avais pas calé mon écharpe sous ma nuque, j’aurais eu la tête inclinée à 45° pendant 2h40. Rien à redire à la qualité de l’écran courbe en revanche, impeccable (non, sans déconner, pourquoi tant de détails !?).

Mais revenons à nos moutons. Notre mouton. Un mouton de plus de 2h30 donc, placé sous le signe de l’Apocalypse. Emmerich y plonge notre bonne vieille Terre dans un chaos monstre. La fameuse prophétie Maya annonçant la fin du monde pour l’an 2012 s’y vérifie, mettant l’espèce humaine (et par là comprenons une poignée d’américains) en proie à divers séismes, éruptions volcaniques, tsunamis et autres cataclysmes dévastateurs.

2012, vous l’aurez compris, ne fait à priori pas dans la dentelle. La situation est très vite posée, les scientifiques d’emblée paniqués, les politiciens rapidement alarmés, et monsieur tout-le-monde vite dépassé. Emmerich, ses scénaristes et ses responsables des effets visuels, s’en donnent à cœur joie. Petit avion se faufilant dans les airs entre les tours de Los Angeles qui s’écroulent, super volcan du Parc de Yellowstone se réveillant, montagnes de l’Himalaya submergées par les eaux… Le désir fou de super destruction du réalisateur n’a ici pas de limite.

Est-ce un gros blockbuster hollywoodien ayant coûté 200 millions de dollars et offrant ses leçons de bravoure et d’humanité, ses moments de suspense et d’émotion ? Oui. On pourrait même y voir une certaine forme ultime du film catastrophe, tant tout est déchaîné dans 2012. Un peu de Deep Impact par-ci, un peu de l’Aventure du Poséidon par-là…
Pourtant on aurait sûrement trop vite fait de ranger Roland Emmerich dans la catégorie des faiseurs au service du système ne cherchant que l’adrénaline à offrir sur un plateau aux spectateurs.

Petit rappel pour ceux ne s’étant jamais penché sur la carrière du bonhomme, Emmerich, allemand attiré par les sirènes hollywoodiennes voilà de nombreuses années maintenant, s’est fait connaître du public du cinéma d’action avec Universal Soldiers en 1992. Mais c’est Stargate, puis surtout Independence Day en 1996 qui en ont fait un véritable « über director ».

Godzilla, Patriot, Le Jour d’après et 10,000 ont façonné les dix dernières années de sa carrière. Y a-t-il un enseignement à tirer autre que le simple constat que sa filmographie est à moitié composée de films peu (voire pas) recommandables ? Peut-être bien. Car derrière ses blockbusters « en veux-tu en voilà », il semble se dégager une véritable obsession chez Emmerich. Celle de confronter l’être humain à une situation extraordinaire, et d’observer comment ce changement de contexte va affecter son caractère et sa destinée. L’humanité face à une invasion extraterrestre. L’humanité face au réchauffement climatique. L’humanité face à l’Apocalypse. Cela fait beaucoup d’humanité, mais Roland aime voir grand, donc pourquoi se contenter de peu… ?

C’est vraiment con à dire, et à la vue du résultat global de ses œuvres, on ne peut pas dire que cette obsession tire forcément Emmerich vers le haut qualitativement parlant. Néanmoins Emmerich insiste, revisite son obsession comme un grand (façon de parler) et mine de rien affine sa vision et densifie son propos de film en film (si on enlève ses daubes intitulées Godzilla ou 10.000, et oui même Patriot allez). Independence Day était une ode au dépassement de soi certes, mais c’était tout de même un bon gros film patriotique dans lequel la bannière étoile flottait à tout bout de champ et le Président des États-Unis concourait à sauver l’humanité.

Dans Le Jour d’après, l’air de rien, le changement de ton était presque radical : le président était tué par la catastrophe, les américains étaient réduits à tenter de franchir illégalement la frontière mexicaine dans l’espoir de survivre… Dans 2012, Emmerich creuse le sillon. La bureaucratie gouvernementale américaine, symbolisée par le personnage incarné par Oliver Platt, symbolise l’hypocrisie et l’arrivisme dans toute sa splendeur, glissant à travers lui un message s’adressant à la population : ne vous fiez pas aux politiques, jusqu’au bout ils essaieront de vous entuber. Mieux vaut encore écouter les marginaux !

Toujours adepte de symboles forts, Emmerich, qui avait fait de l’Amérique latine le lieu salvateur dans Le jour d’après, s’amuse à faire de l’Afrique, le continent malaimé par excellence, en proie aux plus grands maux de la planète, l’espoir de l’humanité.

Bien sûr, il est tout de même difficile de voir en 2012 un brûlot tout à fait couillu, car les ficelles du film catastrophe sont souvent connues, et les bons sentiments familiaux inhérents au genre ne sont pas laissés de côté, loin de là. Mais rendons à Emmerich ce qui lui appartient : cette volonté de tirer la langue à l’establishment à travers son énorme blockbuster. On serait bien en peine d’en dire autant de certains autres réalisateurs de blockbusters hollywoodiens… D’autant qu’Emmerich a la bonne idée de réunir devant sa caméra des comédiens de la trempe de John Cusack, Chiwetel Ejiofor, Danny Glover ou Oliver Platt.

Le cinéma de Roland Emmerich est-il du cinéma d’auteur ? Faut pas pousser, mais enfin, après tout…

jeudi 26 novembre 2009

Séances de rattrapage : la compétition cannoise investit les salles

Une semaine après la fin du Festival Franco-Coréen du Film - quinze jours de films et peu de sommeil - il est temps de reprendre le rythme cinéphile de croisière. Ce qui n’est pas rien en cette période automnale où les films attirant se succèdent, à défaut d’être tous palpitant. Mon ardoise de films vus depuis tout ce temps est bien remplie… Commençons par une recollections d’instants cannois…

Un ruban blanc. Il aura suffi de ce si simple objet pour nier à un cinéaste français la Palme d’Or pour la deuxième année consécutive. Si l’exploration fascinante du milieu carcéral par Jacques Audiard dans Un prophète a dû « se contenter » du Grand Prix cannois, c’est au bénéfice du Ruban Blanc de l’autrichien Michael Haneke.

Il me faut confesser que j’ai tardé à aller voir la Palme 2009 (un mois après sa sortie), et qu’il est fort probable que s’il n’avait pas glané la suprême récompense je n’eusse jamais eu le courage de m’installer 2h30 durant devant Le Ruban Blanc. Il faut dire que le cinéma de Michael Haneke, à la base, ce n’est pas franchement ma tasse de thé… Ce qui se rapproche le plus d’un film m’ayant plu, dans sa filmographie, est sans doute Caché, malgré son dénouement décevant à souhait.

Le Ruban Blanc est un ambitieux film plongeant dans une Allemagne sur le point de déclencher les premières hostilités de 14-18. Dans un petit village campagnard, une série d’accidents perturbe la sérénité locale. S’il est vite évident que ces chères petites têtes blondes apparemment si innocentes n’y sont pas étrangères, ce qui intéresse Haneke n’est pas d’expliquer ces accidents, mais plutôt de montrer, à travers le comportement des adultes d’un côté et des enfants de l’autre, comment un peuple a pu, deux décennies plus tard, être amené à suivre avec conviction un petit leader moustachu aux idées nauséabondes.

L’examen est plus qu’intéressant, et le noir et blanc pour lequel a opté le cinéaste est splendide. Le Ruban Blanc demeure tout de même à mes yeux un objet bien long, bien austère, et bien maniéré. Mais il ne fait aucun doute qu’il marque la rétine bien après la sortie de la salle. La Palme n’est absolument pas scandaleuse, même si elle n’aurait pas dépareillé dans les mains de Jacques Audiard…

Au moment du palmarès cannois justement, de nombreuses voix se sont élevées lorsque le Jury présidé par Isabelle Huppert a décerné un Prix Exceptionnel à Alain Resnais et ses Herbes Folles. « Quoi ? Mais c’est quoi ce faux prix ?! Pfff, ils n’ont pas osé lui offrir la Palme alors qu’il la méritait !! ».

Lors de sa sortie en salles il y a quelques semaines, rebelote, presse dithyrambique louant la vivacité du film du vétéran du cinéma français. J’y suis allé convaincu que le pâle Cœurs, son précédent, n’aura donc été qu’un faux pas après cette décennie merveilleuse qui l’avait vu réaliser les grandioses Smoking / No Smoking, On connaît la chanson ou Pas sur la bouche (ce dernier étant mineur mais fort sympathique).

La vision des Herbes Folles m’a, contre toute attente, plongé dans une incompréhension totale. J’ai peiné, pendant toute la durée de l’œuvre, à y voir un grand film. A y voir un bon film. A y voir un film regardable. L’excitation a vite laissé la place à l’atterrement. Où se trouvaient la folie, l’inventivité, le tonus tant annoncés ? Oui Alain Resnais sait tenir sa caméra, il l’a toujours su et le saura jusqu’au dernier souffle. Mais venant d’un tel cinéaste, j’attends plus que quelques beaux plans.

J’attends une richesse scénaristique. J’attends des personnages palpables, dessinés de manière à ce qu’on ait envie de se plonger dans l’écran. J’attends que l’écriture soit au diapason de la réputation du cinéaste, et de ses qualités de metteur en scène. Or Les Herbes Folles n’apporte rien de tout ça. C’est un film maîtrisé visuellement, mais n’ayant aucune consistance. Les personnages sont plats, sans queue ni tête. Le scénario trace des ébauches d’intrigues et de traits qui ne vont jamais nulle part. Jamais, jamais, jamais je ne me suis intéressé à un seul personnage. Ils sont fades, comme écrits sur un coin de table, prétextes à une course dans tous les sens aboutissant au néant le plus total.

Si Resnais a voulu divertir, c’est raté. S’il a voulu raconter quelque chose, c’est raté. S’il a voulu dresser un quelconque portrait de son époque, c’est également raté. La déception fût le seul apport de ces Herbes Folles.

L’un des films reparti sans prix de la Croisette et qui a plus certainement souffert d’injustice s’intitule A l’origine. Bien sûr il est difficile de juger puisque la version sortie en salle en novembre est différente de celle présentée à Cannes en mai (le film a entre temps été raccourci). Néanmoins, il ne fait aucun doute que François Cluzet n’aurait pas volé un Prix d’interprétation, tant sa composition est saisissante. Le comédien incarne un escroc montant une arnaque dans une commune du nord de la France. Il fait croire à la communauté que la construction de l’autoroute qui avait été interrompue quelques années plus tôt va bientôt reprendre. Au départ, il pense seulement empocher des pots de vin de contractants locaux. Mais peu à peu, l’escroc se prend au jeu et met vraiment en branle les travaux.

Xavier Giannoli semblait se chercher jusqu’ici (Les corps impatients, Quand j’étais chanteur, bof), mais avec A l’origine, l’homme s’est trouvé un sujet lui offrant une carrure de cinéaste impressionnant. Son film fascine par ses deux points de vue. Le premier c’est celui de l’arnaqueur, un mec un peu paumé attirant à la fois la pitié et la sympathie, une figure de bandit un peu minable dont le cinéma aime tant s’amouracher. Le second c’est celui de la communauté, cette petite ville frappée de plein fouet par les maux sociaux actuels, vivotant, attendant le messie pour les sortir de leur marasme quotidien.

Le messie, c’est donc cet escroc, ce mec encore plus paumé qu’eux, en qui ils voient un leader. A l’origine peut se lire comme une parabole religieuse autant que politique, comme l’adoption d’un messie ou d’un leader presque charismatique. L’histoire que nous conte Giannoli, au plus près des visages et des corps, les mains et les yeux dans la boue, en alchimie parfaite avec cette frange de la société, c’est celle d’une population en proie à une situation de crise prête à confier ses vies au premier venu, du moment que celui-ci a une bonne tête et un beau discours. Tout comme Giannoli parvient à nous attirer et nous fasciner de bout en bout, nous contant un récit tellement énorme et pourtant terriblement réaliste.

Il y a parvient car devant sa caméra, homme fatigué et avide, dépassé et ambitieux, pathétique et obsessionnel, il a un comédien en adéquation parfaite avec son personnage, lui donnant corps avec une conviction absolue, François Cluzet. L’acteur nous avait déjà gratifiés il y a deux mois d’une performance remarquable dans Le dernier pour la route. La différence c’est qu’ici, c’est au service d’un film à la hauteur de son talent, et de tous ceux, formidables, qui l’entourent.
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