jeudi 31 décembre 2015

Pourquoi j'ai aimé le cinéma en 2015

Il y a des moments dans la vie où aller au cinéma semble un geste futile. Combien de fois en 2015, le cœur n’y était pas vraiment… Pourtant c’est exactement dans ces moments de tristesse comme cette année nous en a malheureusement trop apporté que l’importance de la « trivialité » (si l’on peut dire du cinéma que c’est trivial, ce dont je doute grandement) se fait plus forte. L’importance de ces instants de vie dont le cinéma fait partie prend encore plus de sens.

Cette année encore, j’ai aimé aller au cinéma, j’ai aimé découvrir des films, seul, avec des gens que j’aime, et même avec ces cons qui prennent un malin plaisir à me gâcher les films à coups de bruits, parlottes et coups dans le fauteuil. Même ces cons-là, j’ai pu être content de partager des moments de cinéma avec eux, cette année. Bon, avec eux un peu moins quand même.

Mais le cinéma, c’est aussi ce qui se passe à l’écran, quand le 7ème Art nous évade de cette tristesse en danger de devenir ordinaire, ou qu’il trouve les mots et les images pour parler au mieux de ce que nous ressentons. Bref, j’ai continué à aimer le cinéma en 2015, et voilà pourquoi.

Parce que « Kingsman : Secret Service » s’ouvre sur « Money for Nothing » des Dire Straits, et « Veteran » sur « Heart of Glass » de Blondie. Et quand ça commence comme ça, on sait que le film sera bon.



Parce que Paul Thomas Anderson et Joaquin Phoenix sont venus présenter « Inherent Vice » à l’Arlequin et que j’étais dans la salle.

Parce que j’ai vu deux films interprétés par l’excellent acteur norvégien Aksel Hennie.


Parce que Jean-Marc Vallée utilise El Condor Pasa de Simon & Garfunkel dans « Wild ».

Parce qu’au milieu d’ « Une merveilleuse histoire du temps », le film à Oscars sur Stephen Hawking, Frank Leboeuf débarque sans crier gare.

Parce que j’ai revu « The Big Lebowski » sur grand écran, et qu’entre 378 hurlements de rire, je suis toujours ému quand Donnie s’éteint comme un enfant apeuré.

Parce que le mari de Meira s’allonge dans le salon pour écouter le disque de sa femme.

Parce qu’à chaque fois que je vois un film de Gianni DiGregorio, j’ai envie d’aller à Rome.

Parce qu’il y a quelque chose de lumineux chez Mark Ruffalo dans « Foxcatcher ».

Parce que Zhao Tao danse sur « Go West » des Pet Shop Boys.

Parce que quand Bouli Lanners chante sa chanson à une femme dans un train vers le grand nord canadien, elle lui répond « Ah, t’es nul, j’aime pas » dans « Je suis mort mais j’ai des amis ».

Parce qu’au moment où j’ai revu « The Misfits », alias « Les désaxés », sur grand écran au début de l’année, voir Eli Wallach, décédé depuis peu, m'a ému.


Parce qu’à part les 8 dernières minutes convenues, « Papa ou Maman » est l’un des films les plus drôles dont a accouché le cinéma français ces dernières années.

Parce que grâce à « Things people do », j’ai vu la trop rare Vinessa Shaw sur grand écran.

Parce qu’à un moment, je me suis réveillé de ma torpeur devant « Il est difficile d’être un Dieu ».

Parce que « Vincent n’a pas d’écailles » revisite le mythe du super-héros à l’échelle du cinéma d’auteur français.

Parce que Ryoo Seung-wan était mort de rire dans la salle pendant la projection de « Scary House » au FFCP.

Parce que Colin Firth est badass de chez badass.

Parce qu’au moment où le grand Thomas dit, dans « Le film que nous allons tourner au Groenland », « De toute façon il ne passera qu’au MK2 Beaubourg », j’étais assis au MK2 Beaubourg.

Parce que j’ai vu Anthony Quinn apprendre à Alan Bates à danser le sirtaki.

Parce que le Japon post-Fukushima s’insinue dans « Tokyo Fiancée ».

Parce que Benjamin Biolay mériterait de faire plus de cinéma.

Parce que Michael Mann filme la mort d’un personnage en caméra subjective avec une simplicité et une force rares.

Parce que ça faisait trop longtemps que Michael Keaton et Edward Norton n’avaient pas eu l’occasion de montrer quels bons acteurs ils sont.


Parce que dans « Tu dors Nicole », un gamin d’une douzaine d’années qui a mué trop vite parle avec la voix d’un mec de 40 piges. Il fait du gringue à Nicole, la vingtaine, et c’est irrésistible de drôlerie.

Parce que les morceaux de musique de « Franck » et « Paris of the North » sont d’enfer.

Parce que l’un des personnages les mieux écrits, filmés et joués que j’ai vu était haut comme trois pommes et s’appelait Jack.

Parce que Peter Bogdanovich m’a donné envie de me replonger dans le cinéma de Lubitsch, Wilder et Hawks.

Parce que Kim Dong-ho, fondateur et directeur d’honneur du Festival de Busan, a revêtu le hoodie du FFCP pour donner sa masterclass.

Parce que le cinéma de Bruno Podalydès continue de me rendre amoureux de la vie.

Parce que Napoleon Solo mange son sandwich tranquille dans son camion pendant qu’Ilya essaie de sauver sa peau lors d’une course poursuite en bateau.

Parce que l’ex-catcheur John Cena vole toutes les scènes dans lesquelles il apparaît dans « Crazy Amy »

Parce que l’écho de la musique de « Sicario » me donne encore des frissons.

Parce que la présence et la beauté d’Aomi Muyock compensent le manque de charisme de Karl Glusman dans « Love » de Gaspar Noé.

Parce que « Magic Mike XXL », c’était mieux que « Magic Mike ».

Parce que j’avais oublié que Jason Statham pouvait être drôle et que « Spy » me l’a rappelé.

Parce que quand le héros de « Hard Day » a enfin réussi à glisser son cadavre encombrant dans le cercueil de sa mère et refermé celui-ci, le téléphone portable du mort sonne.


Parce qu’un documentaire sur l’équipe de hockey sur glace de l’ex-Union Soviétique, c’est passionnant.

Parce que Josh Brolin commande ses plats en japonais au restaurant dans « Inherent Vice ».

Parce qu’à la sortie de l’excellent « Histoire de Judas », un petit vieux fulminait du « révisionnisme » du film, et que cela m’a bien fait rire de l’entendre dire ça.

Parce qu’il y a de la grâce dans « Leopardi, il giovane favoloso ».

Parce que Jean-Pierre Bacri parle facilement à son GPS, mais difficilement à son père.

Parce qu’ « Une belle fin » porte bien son titre.

Parce que dans un moment de folie passagère, je suis allé voir « Robin des Bois, la véritable histoire », et je n’arrive plus à me souvenir pourquoi. C’était pénible mais repenser au fait d’être allé le voir, c’est hilarant.

Parce que même s’il est classique dans la forme, quelque chose m’a remué dans « Le Labyrinthe du Silence ».

Parce qu’Alex Garland est passé à la réalisation.

Parce que la fin de « Sea Fog » laisse libre court à notre imagination…

Parce que quand je suis sorti de la projection de « Comme un avion », je suis passé devant un café à la terrasse duquel était attablé Bruno Podalydès.

Parce que Valley of Love m’a rappelé quel grand acteur est Gérard Depardieu.

Parce que je n’ai pas reconnu Tony Leung Ka Fai dans “La Bataille de la Montagne du Tigre”.


Parce que même si le scénario n’est pas à la hauteur du pitch, Pixar est assez fou pour faire un film comme « Vice Versa ».

Parce qu’un film de Terrence Malick est sorti en salles. Même s’il s’agit probablement de son moins réussi.

Parce qu’à Cannes, j’ai croisé John Turturro en smoking qui attendait sur le trottoir d’une petite rue qu’on lui installe sa table dans un restaurant vietnamien, Shin Su-won déambulant sur la Croisette à 3h du mat’ avec son producteur, Jake Gyllenhaal cherchant à se cacher des photographes sous sa casquette…

Parce que le film d’horreur américain a repris un peu de couleurs avec « Unfriended » et « The Visit ». Et beaucoup avec « It Follows ».

Parce que je suis sorti de « Love & Mercy » en me précipitant pour écouter « God Only Knows » des Beach Boys.

Parce que Gasoil refuse catégoriquement de dormir dans une chambre où est épinglé un poster de Mariah Carey.

Parce que j’ai vu un film guatémaltèque.

Parce que j’ai vu un dinosaure avec l’œil qui vrille ayant un animal sur chacune de ses cornes pour calmer chacune de ses angoisses, ou presque. C’était dans « Le voyage d’Arlo », pas « Jurassic World ».

Parce que Michael Peña devrait faire plus de comédies.

Parce que la région du Guadalquivir filmée du ciel sous un angle de 90° donne un caractère incroyable à « La Isla Minima ».

Parce que rien ne m’avait préparé à découvrir « Sorcerer / Le convoi de la peur » de William Friedkin en version restauré sur le grand écran du Max Linder Panorama.


Parce que Michel accorde une très grande importance au matos.

Parce que Tony Revolori ne s’arrête pas à « Grand Budapest Hotel » et enchaîne.

Parce que « La niña de fuego » est un drôle de film.

Parce que je me suis retrouvé assis en plein milieu de l’orchestre de la grande salle Lumière du Palais des Festivals, juste derrière l’équipe du film coréen « Office » lors de la séance de minuit.

Parce que « Much Loved » ne devrait pas être une rareté.

Parce que dans « Marguerite », il y a Michel Fau.

Parce que je crois que « Mon Roi » et « Les deux amis » m’ont réconcilié avec Louis Garrel.

Parce que « Ni le ciel ni la terre » conserve tout son mystère.


Parce que « Souvenirs de Marnie », « Miss Hokusai », « Vers l’autre rive », « Notre petite sœur » ont porté haut les couleurs du Japon dans les salles françaises cette année.

Parce que « Le Bouton de nacre » rend le monde plus beau.

Parce que le plan-séquence d’ouverture de « Spectre » est une tuerie.

Parce que Connie Britton et Nick Offerman sont les parents du héros dans « This is not a love story ».

Parce que malgré de nombreux problèmes narratifs, je me suis éclaté devant le nouveau Star Wars.

Parce que le soir de l’ouverture du 10ème Festival du Film Coréen à Paris, la salle pleine à craquer du Publicis riait et applaudissait à tout rompre devant le jubilatoire « Veteran » de Ryoo Seung-wan.

Parce que j’espère qu’Arnaud fera un 3ème film.


Parce que je suis encore tout ébouriffé par « Mad Max Fury Road ».


Parce que dans la salle Debussy à Cannes, je m’asseyais toujours le rang devant les équipes de film et que je pouvais me retourner et regarder leur émotion lorsque la lumière se rallumait.


Parce que Wim Willaert, sa barbe et sa casquette jaune sont une des plus belles révélations de l’année.

Parce que Rainn Wilson a trop la classe quand il balance « Nap time, motherfuckers » dans « Cooties ».

Parce qu’ « American Sniper » est plus subtil qu’il en a l’air.

Parce que j’ai eu l’impression d’avoir 17 ans à nouveau cette année, entre « Studio 54 » qui ressortait en salles dans une Director’s Cut inédite et cette attente fébrile d’un tout nouveau Star Wars. J’avais l’impression d’être retourné en 1999.

Parce qu’à la Cinémathèque c’était Noël tous les jours en décembre avec la rétrospective Im Kwon-taek.

Parce que j’ai hâte d’aller voir les deux Thomas s’aventurer au Groenland.

Parce que Vincent Macaigne lit le générique de fin d’ « Une histoire américaine » et en fait un des meilleurs génériques de fin qui soit, commentant les musiques utilisées, les remerciements, les seconds rôles ou les techniciens et ce qu’ils ont fait pour le film.

Parce que maintenant, il arrive que Plastic Man me reconnaisse et vienne me parler.

Parce que je ne suis pas fait pour le « e-cinema ».

mardi 21 juillet 2015

L’homme qui rit se prend pour Plastic Man, ou le quotidien étrange d’un cinémaniaque

Voilà longtemps que je n’ai pas parlé de mes cinémaniaques préférés, que je croise toujours régulièrement dans les salles obscures de la capitale. Si Jean-Paul, alias Plastic Man, est devenu un fidèle du Festival du Film Coréen à Paris pour mon plus grand bonheur, les autres ne sont pas en reste. Il en est un que je croise uniquement aux Halles et qui s’est rappelé à mon heureux souvenir samedi dernier. L’homme qui rit, alias La Hyène, qui se fait habituellement repéré dans la salle par son rire strident, inquiétant, intempestif, pouvant retentir à n’importe quel instant de n’importe quel film.

Par deux fois je l’ai croisé samedi, et la première des deux ne fut pas au cinéma mais… à la caisse de la Fnac des Halles. Il m’y a joué un drôle de numéro qui semble indiquer qu’il voudrait rivaliser avec Jean-Paul pour se voir attribuer le surnom Plastic Man (mais soyons clair tout de suite, il n’y a qu’un Plastic Man à Paris, et c’est Jean-Paul).

Il est vrai que l’homme qui rit est lui-même toujours assez chargé en sacs plastiques en  tous genres, même si on le remarque plus facilement grâce à ses chapeaux colorés (au choix rose ou orange fluo) qui accompagnent un regard étrange derrière ses grandes lunettes. Et ce rire si particulier, cela va sans dire.

Samedi donc, alors que je patientais dans la queue d’une caisse à la Fnac, je l’ai remarqué là, deux personnes devant moi, dans la même file. Il était encombré de ses énormes sacs, arborait son chapeau orange fluo zébré de noir, et discutait avec la caissière de la file d’à côté en attendant son tour. Si l’on en juge par la familiarité avec laquelle il s’adressait à elle, l’homme doit autant être un habitué de la Fnac des Halles que de l'UGC Ciné Cité. Je m’inquiétais un peu de me trouver dans la même file que lui, redoutant que le personnage soit un client aussi hésitant que le spectateur qu’il est, changeant souvent plusieurs fois de places dans la salle avant le début d’un film. 

Mais j’étais trop curieux pour changer de file. Quelque chose ne collait pas. Un détail qui risquait de rendre la scène ubuesque, du moins l’espérais-je, même si ma séance de « La Isla Minima » m’attendait 15 minutes plus tard. L’homme avait un billet de 10 euros dans une main, et ses 7 ou 8 sacs plastiques dans l’autre… mais rien d’autre. Pas de livre, de disque ou de DVD. Que diable faisait-il donc là ? Qu’achetait-il ?

Son tour enfin arriva… et ma curiosité se propagea à l’homme se trouvant devant moi dans la file, lorsque lui aussi entendit comme moi ce que demanda alors l’homme qui rit à la caissière, nous révélant enfin ce qu’il était venu acheter à la Fnac, et ce pour quoi il faisait depuis de longues minutes la queue. Tendant son billet de 10 euros à la caissière, il demanda à celle-ci : « Donnez-moi 3 euros de sacs plastiques ». Pardon ? L’homme placé devant moi dans la queue s’est tourné vers moi, perplexe, cherchant dans mon regard la confirmation qu’il avait bien entendu. Mon haussement de sourcils le lui confirma.

La caissière sortit alors son stock de sacs plastiques estampillés Fnac, les sacs que l’on vous propose à la caisse contre quelques centimes lorsque vous achetez DVD ou livres, à peine désarçonnée. Et elle s’est mise à compter (pas à voix haute tout de même). 1, 2, 3, 4, 5,… 60. Soixante sacs plastiques Fnac grand format, qu’elle lui passait par paquets de 20, qu’il pliait alors consciencieusement avant de les ranger dans son sac à dos. Et c’est tout. Notre homme rieur aime tant les sacs Fnac qu’il vient dans une des boutiques de la célèbre marque uniquement pour en acheter par soixantaine (à quelle fréquence, je serais bien curieux de l’apprendre). A croire qu’il en fait un usage intensif et exclusif, car effectivement parmi les nombreux sacs qu’il utilisait déjà et pendaient à son bras, les sacs Fnac étaient nombreux.

Il me laissa là et je ne pensais plus le revoir de la journée, lorsque le soir même, alors que je me trouvais dans une salle des Halles, attendant le début de « Magic Mike XXL » (poussé par celle qui m’accompagnait, mais à l’image du premier, le film fut plutôt une bonne surprise), un chapeau orange fluo entra dans la salle. Les mains toujours encombrées de ses nombreux sacs plastiques, son sac à dos renfermant probablement toujours les soixante sacs Fnac achetés plus tôt, l’homme qui rit scruta alors rapidement la salle déjà bien remplie, en quête du fauteuil idéal. Après une première approche en haut de la salle sur la gauche où il était en train de s’installer, il changea d’avis et descendit plus bas, de l’autre côté, quelques rangs devant mois qui avait une bonne vue sur la travée droite de la salle.

C’est dans cette travée que je le vis poser tout son barda, sacs à profusion et chapeau, par terre, au milieu ou presque des marches, laissant peu de place à la circulation des spectateurs. Et au lieu de choisir de s’installer à côté de ses affaires, dans le fauteuil vide donnant sur la travée, il remonta un rang plus haut et fit se lever un spectateur pour s’asseoir un peu plus au centre, laissant là ses affaires, à l’écart. La salle finit par se remplir complètement, la plupart des spectateurs passant par-là se demandant ce que faisaient tous ces sacs plastiques dans la travée. Mais il ne retourna pas à ses affaires avant la fin du film.

Drôle de journée avec l’homme qui rit, même si le plus étrange dans tout cela, c’est que pas une fois celui-ci ne fit retentir son désormais légendaire rire devant le film, pourtant régulièrement propice à cela même pour un spectateur lambda… alors pour lui qui peut rire de tout, ce silence fut surprenant.

dimanche 8 mars 2015

Deux inuits et deux Thomas pour un voyage entre Paris et le Groenland

De temps en temps, des courts-métrages ont droit à une sortie en salles au milieu de la quinzaine de longs qui débarque chaque semaine en France. Et la plupart du temps, je passe à côté, faute de temps plus que d’envie, puisqu’il m’est déjà difficile de réussir à voir tous les longs que je souhaite en salles (il faut dire que je suis très gourmand). Il y en a en revanche un que je ne voulais pas rater, cet « Inupiluk » sorti il y a quelques jours couplé avec un autre court du même réalisateur.

Ce réalisateur c’est Sébastien Betbeder, et il est la raison pour laquelle je tenais à voir ces deux court-métrages. Parce que son film « 2 automnes, 3 hivers », sorti fin 2013, m’avait enchanté. C’était une étrange comédie, pleine de tendresse et de folie, qui parvenait comme rarement dans le cinéma français à embrasser la culture populaire et à l’incorporer à son ADN avec finesse. Depuis je suis plus que curieux de voir d’autres films de ce cinéaste prometteur. Même si cela signifie aller se poser dans cette inconfortable salle 3 du MK2 Beaubourg, seule salle à diffuser « Inupiluk + Le film que nous tournerons au Groenland » sur Paris en première semaine (avant de s’attaquer à la rénovation du MK2 Hautefeuille, il y aurait des travaux à envisager dans certaines salles du MK2 Beaubourg, monsieur Karmitz).

Certains auront peut-être regardé la cérémonie des César il y a quelques jours, et repéré que « Inupiluk » était nommé au César du Meilleur Court-métrage (qu’il aurait amplement mérité de remporter, mais je dois bien avouer ne pas avoir vu le vainqueur). Le film raconte l’accueil à Paris par deux potes trentenaires, Thomas et Thomas, de deux Inuits du Groenland venus faire un peu de tourisme dans la capitale avant de partir en Suisse pour une conférence. Les deux Inuits n’ont jamais quitté leur village et devaient être accompagnés par le père de l’un des deux Thomas, français installé au Groenland. Mais le père de Thomas a dû rester là-bas, et c’est donc le fils qui doit héberger les Inuits et leur servir de guide, avec l’aide de son pote Thomas.

Sur le ton réjouissant de la comédie, le film brille par sa liberté et son énergie communicative. Un humour irrésistible lie les deux duos, les Inuits ne parlant pas un mot de français, et les français ne parlant pas un mot de… euh, d’Inuit ? Le court-métrage suivant avec lequel il est couplé, intitulé « Le film que nous tournerons au Groenland », est lui un court documentaire, qui chronique la préparation de la suite de « Inupiluk », qui sera un long-métrage dans lequel les deux Thomas iront rendre visite à leurs nouveaux amis Inuits, dans leur village au fin fond du Groenland (et au passage rendre visite au père de l’un des deux Thomas). « Le film que nous tournerons au Groenland » voit donc le réalisateur Sébastien Betbeder et les deux comédiens, Thomas Blanchard et Thomas Scimeca, réfléchir au long-métrage à venir, imaginer l’intrigue, l’évolution des personnages, et quelques séquences qui parsèmeront le film. Un brainstorming réjouissant qui est aussi drôle et frais que le court-métrage vu juste avant, et a même donné lieu à un grand effet miroir, lorsque l’un des deux Thomas fit la remarque que ce film au Groenland en préparation passerait probablement essentiellement au MK2 Beaubourg, ce qui a valu un beau rire (de plus) parmi les spectateurs dudit MK2 Beaubourg.

Que ce soit ensemble ou séparément, l’énergie que dégagent « Inupiluk » et « Ce film que nous tournerons au Groenland » se répercute sur le spectateur. Ils donnent envie d’attraper un stylo et d’écrire, que ce soit quelques lignes, un roman ou un scénario. Ils donnent envie de tourner un film et de faire l’acteur. Plus que tout ils donnent envie d’aller à la rencontre de nos congénères humains, d’apprendre à connaître les gens qu’ils soient dans notre entourage ou simplement de passage. Il donne envie de voyager, aussi. Tant d’envies nées de ces courts films, collant un sourire d’une oreille à l’autre pour toute une journée et plus encore. Et une autre envie évidente, celle de revoir sur grand écran le duo irrésistible des deux Thomas pour ce film qu’ils vont tourner au Groenland (le tournage doit commencer à la fin du mois). Au MK2 Beaubourg ou ailleurs. Alors bon voyage les gars !

dimanche 1 mars 2015

Que vais-je bien pouvoir raconter... ?

La question me tiraille en cette soirée où j’ai 30 minutes devant moi et où je sens que je pourrais en profiter pour taper sur mon clavier mettra à jour mes explorations cinéphiles. Le problème c’est que si j’écris peu ces derniers mois, je continue à aller toujours autant au ciné, et que des pérégrinations cinéphiles, j’en ai à raconter, trop. Alors qu’écrire ?

Peut-être pourrais-je raconter cet instant pendant la projection de « Une merveilleuse histoire du temps » où la salle, voyant tout à coup apparaître à l’écran dans ce film « prestigieux » visant les Oscars l’ex-footballeur Franck Leboeuf, prêtant ses traits au SEUL personnage français du film, explosa de rire. De tous les acteurs potentiels à la disposition de la production, c’est Franck Leboeuf qui a été choisi. Et une salle remplie de français ne peut évidemment s’empêcher de trouver cela drôle. J’aurais aimé que James Marsh, le réalisateur, voie son film en présence d’un public français pour voir sa propre réaction à nos rires.

A moins que je ne décrive ma déception à la découverte de « Jupiter, le destin de l’univers », l’un des films que j’attendais le plus en ce début d’année, déception de voir les Wachowski, au-delà de leur imagination visuelle toujours riche, se réfugier derrière un récit aussi éculé et des personnages aussi fades et prévisibles, sauf peut-être ce méchant incarné avec une retenue emphatique (si si c’est possible) par Eddie Redmayne justement, talentueux jeune acteur certes, mais qui a malgré tout piqué son Oscar à Michael Keaton, bluffant dans le virtuose - même si un peu creux - « Birdman »

De toute façon maintenant c’est trop tard pour commenter les Oscars et les César, moins les vainqueurs que les oubliés des nominations. Où donc étaient passés « La Grande Aventure Lego », « A Most Violent year » et « Inherent Vice » aux Oscars ? Et en France, personne à l’Académie n’avait donc vu « Au bord du monde », « Eden », « Tonnerre », « Maestro » ou « 3 Cœurs » ?

Défendre un film alors. Peut-être n’est-il pas encore trop tard pour vous pousser à aller voir le jubilatoire « Hard Day » ou l’étonnant « L’affaire SK1 », deux films qui n’ont pas eu la carrière qu’ils méritaient au box-office, en partie parce qu’ils ont eu le tort malheureux et imprévisible de sortir un funeste 7 janvier 2015. Pas trop tard non plus pour vous parler de Mark Ruffalo, acteur solaire dans « Foxcatcher », certes moins surprenant mais tout aussi important que Steve Carell. Ou ceux dont je suis sûr qu’ils sont encore à l’affiche, le glaçant « Snow Therapy », le délicat « Félix et Meira », ou le délicieux « Bons à rien » de Gianni DiGregorio, dont les films me donnent invariablement envie de voyager jusqu’à Rome. La capitale italienne n’est pas si loin de Paris, je devrais bien y arriver un jour.

J’ai lu tellement de choses qui m’ont fait tiquer dans la cacophonie qui entoure la sortie de « American Sniper » de Clint Eastwood que je pourrais aussi bien y ajouter mon grain de sel. Il faudrait donc que je traduise en mots mes haussements de sourcils répétés lorsque je lis que certains voient dans le film une hagiographie et trouvent qu’Eastwood a fait de Kyle un personnage sympathique. Ou plus que tout lorsque je lis que le film est belliqueux, une remarque qui me donne envie de leur proposer de retourner voir le film en m’inquiétant qu’ils s’y soient peut-être endormis. Mais ils me répondraient certainement à l’inverse que JE m’y suis endormi. C’est de bonne guerre.

Oublions un peu la polémique alors. Peut-être vaut-il mieux y aller de quelques phrases à propos de Marilyn Monroe, Clark Gable et Monty Clift effectuant leur dernière danse (ou presque) sous les yeux de celui qui était encore vivant il y a quelques mois, Eli Wallach, le tout devant la caméra de John Huston. Une projection qui m’a rappelé que pendant des années, j’avais dans ma chambre, épinglée au-dessus de mon lit, une belle photo de Marilyn au milieu du désert pendant le tournage du film. « The Misfits », film avec Marilyn vu dans la salle Marilyn de la Filmothèque, un clin d’œil toujours amusant.

Et puisque l’on parle d’amusement, voilà un autre chapitre de ces dernières semaines que je pourrais ouvrir, celui de l’avant-première d’ « Inherent Vice » de Paul Thomas Anderson à l’Arlequin. Peut-être devrais-je vous en raconter tous les détails de cette soirée, à laquelle je craignais que seule la productrice soit présente, et où non seulement Paul Thomas Anderson, mais Joaquin Phoenix himself ont pointé le bout de leur nez pour nous présenter le film. Avec un Joaquin égal à lui-même, étrange et drôle, pour soutenir le film fou, superbement écrit et filmé et assez hilarant de PTA.

Cela vaut mieux que raconter en détail la projection d’ « Il est difficile d’être un dieu ». Quoi que. Si je me délectais à vous décrire tous les états par lesquels je suis passé à la découverte du film d’Alexeï Guerman, une épique aventure moyenâgeuse russe de 2h50 en noir et blanc, je suis sûr que je pourrais décrocher quelques sourires. Après tout j’ai scruté, tenté de pénétrer dans le film, somnolé, hoqueté devant les éviscérations et énucléations (bon appétit) avant de sortir heureux. Heureux parce qu’une certaine forme de souffrance s’achevait, mais aussi heureux d’avoir découvert sur grand écran un film pareil, qui quoi qu’il en soit restera longtemps imprimé dans ma rétine Et mine de rien cela compte énormément, vivre une expérience cinématographique rare dont on se souviendra longtemps, quand tant de films plus faciles à regarder seront oubliés avant que le mot « Fin » ne tourne la page 2015.

Le mot fin, tiens. Cela me fait penser au générique qui clôt « Une histoire américaine » d’Armel Hostiou. La voix de Vincent Macaigne,  coscénariste et protagoniste du film, y énumère l’intégralité des informations dudit générique, les expliquant presque. Quel acteur jouait quel rôle. Quel morceau de musique était joué à quel moment du film. Quelle personne est remerciée et pourquoi. Un geste généreux, simple et jubilatoire.

Maintenant il est trop tard pour choisir un seul de ces moments. Restons-en là. En n’en choisissant aucun, je les choisis tous.

mercredi 28 janvier 2015

« Hill of Freedom » : rendez-vous avec la douce musique du cinéma de Hong Sang-soo

Il y a quelque chose de tout à fait « Hong Sang-sooesque » à écrire sur les films de Hong Sang-soo, comme une drôle de mise en abyme entre son œuvre et ce que l’on en ressent. Ses films reviennent à un rythme inéluctable. Ils sont des explorations continues d’histoires familières, inlassablement examinées sous le prisme de ce qui a été fait avant. Ses films sont des boucles où le temps et les sentiments s’entremêlent, et à mesure que le cinéaste navigue dans cet entrelacs de récits familiers selon des angles, des schémas et des personnages qui varient, les lignes de ceux qui écrivent épousent ces boucles familières, ces contextes et ces cadres semblables au premier regard, mais qui se distinguent pourtant bien de film en film.

Aimer  le cinéma de Hong Sang-soo c’est aimer ce qu’il peut y avoir d’imprévisible dans ce que l’on connaît, ou croit connaître. Aimer le faux-semblant qu’est l’apparente routine - qui n’est en fait qu’une illusion. Le cinéma de Hong Sang-soo est un cinéma de paradoxes, en premier lieu desquels se trouve la liberté affichée et revendiquée d’une certaine improvisation, qui trouve tout son sens dans le caractère obsessionnel du cinéaste. Liberté et obsession pourraient ne pas faire bon ménage, l’une des forces du cinéma de Hong Sang-soo se révélant pourtant dans la conjonction de ces deux traits, qui lui permet d’enrichir son cinéma film après film, de creuser ses thématiques fétiches en leur trouvant de nouveaux terrains de jeux, de nouveaux visages, de nouveaux mots. Pour montrer à chaque film, l’air de rien, que si le corps de son cinéma demeure, son visage évolue.

C’est un exercice fascinant, et l’œuvre qui en découle est passionnante. A l’image de « Hill of Freedom », son dernier film en date, récompensé récemment de la Montgolfière d’Or au Festival des 3 Continents à Nantes, où se tissent triangle amoureux, recherche nostalgique d’un passé qui s’efface, et rencontres fugaces dans les ruelles du nord de Séoul et autour de quelques verres de soju. Fugaces comme le film lui-même, qui ose ne durer qu’à peine plus d’une heure, et qui en si peu de temps parvient à dessiner ses personnages et les sentiments qui les habitent sans précipitation aucune. Derrière l’exercice de style, du réel, de la vie naissent de cette valse-hésitation narrative dans lequel un japonais vient à Séoul afin de retrouver une femme qu’il admire et aime, pour se rendre compte qu’elle est absente. L’étranger s’installe alors dans le quartier pour guetter le retour de celle qu’il est venu trouver, et noue des relations inattendues.
Qu’il est bon de retrouver chaque année Hong Sang-soo. Celui-ci sortira en salles en mai prochain.

jeudi 15 janvier 2015

Mes films préférés de l'année 2014 sont...

En quelle année ai-je commencé à faire le Top de mes films préférés de l’année écoulée ? Je ne saurais le dire avec certitude, même si je sais qu’à peu de choses près, cela remonte à la fin des années 90. Toutes les années n’ont pas été de grands crus depuis, mais à chaud, 2014 semble avoir été une belle année cinématographique.
J’ai d’ailleurs bien du mal à faire mon choix sur mes films préférés de l’année. Car je les aime tous tellement qu’il m’est proprement impossible cette année de m’arrêter à un Top 10 comme j’ai su m’y contraindre ces dernières années. Probablement aussi parce que j’ai peu écrit sur le blog en 2014, j’ai peu partagé mes coups de cœur, et ce Top m’en donne l’occasion. Alors pourquoi se limiter à 10 ?
J’élargis donc mon Top… et voici quels sont mes films préférés de 2014.

1. The Grand Budapest Hotel
Mon histoire d’amour avec le cinéma de Wes Anderson est née un jour d’automne 1999 lorsque j’ai découvert « Rushmore » au cinéma. Elle s’est ancrée définitivement avec son film suivant, « La famille Tenenbaum ». Anderson fait partie de ces cinéastes au style unique et reconnaissable entre tous, qui séduit ou agace. Voilà quinze ans qu’il me séduit, et peut-être plus que jamais avec « The Grand Budapest Hotel », une œuvre folle qui allie humour et mélancolie avec une finesse rare. Le film m’a transporté dans son monde qui derrière son côté fantasmagorique cache une véritable conscience historique. Il m’a réjoui et ému par cette douce folie que j’aime tant chez Anderson. Le cinéaste semble avoir créé un monde parallèle où coexistent ses films au ton si unique. Et ce monde parallèle, une fois que le réalisateur m’y plonge, je n’ai plus envie de le quitter.

2. A Cappella
La première fois que j’ai vu “A Cappella”, c’était sur un écran de télé, en screener de mauvaise qualité que j’avais reçu pour préparer le Festival du Film Coréen à Paris. Moi qui suis un obsédé des salles obscures, le découvrir dans ces conditions ne m’a pas empêché de me prendre un coup de poing en plein estomac. Le film m’a frappé et m’a laissé K.O. C’est un film que l’on regarde absorbé, fasciné, craintif, qui nous met mal à l’aise et nous retourne. Un film qui préfère l’audace à la facilité et vous laisse à fleur de peau. Un vrai choc cinématographique, qui aurait mérité de mieux rencontrer son public en salles. Moi il m’a bouleversé.

3. Boyhood
Il n’y a pas eu de cinéaste plus ambitieux et audacieux que Richard Linklater cette année. Son projet même en fait l’un des films les plus importants de ces dernières années : réaliser un film en douze ans. Tourner chaque année des séquences de son scénario couvrant douze années de la vie d’un garçon, de son enfance à ses premiers pas dans l’âge adulte. Avec les mêmes comédiens de bout en bout. Et en tisser le portrait d’une vie, avec une simplicité désarmante qui sert un récit juste. Ce sont douze années d’une vie qui se déroulent sous nos yeux, et douze années de notre vie par extension. Un film unique que j’ai attendu pendant douze ans. J’ai rarement attendu aussi longtemps.

4. At Berkeley
Frederick Wiseman fait de grands films. Cette année deux de ses documentaires sont sortis en salles en France, un « court » de 2h50 (« National Gallery »), et « At Berkeley ». Une plongée de quatre heures sur le campus de l’Université de Berkeley en Californie, une observation minutieuse, dense, foisonnante, fascinante de Berkeley, de ceux qui y travaillent, ceux qui y étudient, ceux qui font tourner l’université et ceux qui y réfléchissent sur l’état et le devenir du monde. Wiseman, observateur silencieux et quasi omniscient, livre une œuvre cinématographique passionnante et un travail sociologique remarquable. Quatre heures de cinéma total.

5. Interstellar
Tout a probablement été dit sur Interstellar, que ce soit en bien, en mal, ou entre les deux. Je suis le premier à reconnaître des défauts au film. Mais Christopher Nolan nous offre du  cinéma avec un C majuscule, tellement grand que les défauts du film ne prennent pas le pas sur ses immenses qualités.  Le doux rêveur que je suis s’est laissé prendre par la main et a décollé aux confins de l’univers pour accompagner Matthew McConaughey. Interstellar est un grand film de science-fiction, mais également un film sur le courage, sur l’humanité (avec un petit « h ») et bien sûr sur le temps. Une odyssée spatiale et humaine qui m’a fait frissonner de joie, d’intensité et d’émotion.

6. La Grande Aventure Lego
Faire un film autour d’une marque de jouets, c’est forcément casse-gueule. Et plutôt que de crier l’inventivité, cela aurait pu vite tourner à la publicité géante. La motivation peut être ce qu’elle est, l’œuvre cinématographique qui en a résulté est une évidence : un long-métrage ébouriffant où dix gags nous tordent à la minute. Un film malin et virevoltant où les aventures sont trépidantes à souhait. Et ce qui le propulse si haut, une réflexion intelligente sur la liberté d’expression via une mise en abyme aussi étonnante qu’elle est inattendue. Une grande aventure, ça c’est sûr. Également en 2014, les mêmes réalisateurs Phil Lord et Chris Miller ont concocté un « 22 Jump Street » presque aussi irrésistible que le précédent. Ces deux-là ont un incroyable sens de la comédie.

7. Au bord du monde
Au bord du monde, c’est là que se tiennent ceux qui ne sont plus considérés comme des citoyens par la société. Les sans-abris qui peuplent nos villes dans l’invisibilité. Claus Drexel profite des nuits parisiennes pour aller à leur rencontre et discuter avec eux. De ces rencontres nait un documentaire beau et fort, où il n’est pas tant question des circonstances qui poussent un homme ou une femme à vivre dehors, que de discuter avec eux de la société et de la façon dont ils perçoivent celle-ci. Qui s’avère bien plus nette et réfléchie que celle de beaucoup de ceux qui ont un toit sur la tête. Une balade nocturne splendide, une série de rencontres déchirantes qui reste encore accrochée à moi, presque un an après l’avoir vu.

8. Les Gardiens de la Galaxie
Comme nombre d’amoureux du cinéma, je suis tombé dedans en rêvant que je plongeais à l’intérieur de l’écran pour vivre moi aussi des aventures extraordinaires aux quatre coins du monde et de l’espace. J’ai grandi et si aujourd’hui, le cinéma m’apporte encore plus que l’excitation que j’en tirais enfant, « Les Gardiens de la Galaxie » m’a fait de nouveau ressentir cette excitation pure, joyeuse et grisante que j’éprouvais enfant. James Gunn est parvenu à s’extraire du cahier des charges Marvel pour livrer un cinéma décomplexé de plaisir total, qui m’a propulsé dans les étoiles et m’a fait vibrer, rire et trembler comme je le faisais enfant.

9. La Frappe
Certains films ont du mal à trouver leur chemin jusqu’aux salles obscures françaises, mais y parviennent malgré tout avec un peu  de retard. Deux films remarquables ont mis plus de trois ans et sont sortis dans une poignée de salles. « In the family » de Patrick Wang, et « La Frappe » de Yoon Sung-hyun. Ce dernier est l’autre grand film coréen auquel nous avons eu droit cette année en France. Comme « A Cappella », un film qui explore un drame lycéen avec une force incroyable, sans jamais non plus tomber dans le pathos ou le misérabilisme. C’est un drame poignant, une histoire d’amitié qui dérape, auscultée avec finesse, tout en non-dits et en puissance. Un des beaux films passés malheureusement inaperçus cette année.

10. Her
Il y a tant de choses à voir, entendre, percevoir, ressentir dans « Her »que j’en suis sorti dans un état de joie et de plénitude étrangement inachevé. Je voulais le revoir pour me l’approprier totalement. « Her » n’est pas que l’histoire d’amour étrange entre un homme et un système informatique, comme on pourrait trop vite le résumer. C’est un film sur notre époque (comme tous les bons films futuristes), un film sur la solitude des êtres retranchés sur le virtuel parce que la confusion des sentiments nous éloigne de nos congénères. Un film sur notre dépendance à ce qui nous simplifie, au détriment de ce que l’on doit affronter et regarder dans les yeux : l’autre. « Her », avec ses problématiques, ses questions, ses métaphores, nous entraîne bien loin, dans un voyage poétique, mélancolique et introspectif.

11. I, Origins
J’aime ces jours où il m’arrive encore d’aller miraculeusement voir un film américain autour duquel je n’ai vu aucune image ou lu aucun article, et dont je ne connais même pas l’intrigue. Ce fut le cas cette année avec « I Origins », et j’en suis bien heureux. Il y a quelque chose de tout à fait improbable dans ce film, qui raconte l’histoire d’un scientifique fasciné par les yeux, qui les étudie et va voir ses convictions remises en question par une rencontre. Oui, il y a véritablement quelque chose d’improbable qui aurait pu faire basculer le film dans le ridicule. Or c’est un moment de poésie cinématographique auquel on assiste, face à cette confrontation entre science et foi. Une histoire hors des conventions qui accouche d’un petit moment de grâce inattendu.

12. Eastern Boys
Un film sur un quadragénaire qui paie un jeune immigré d’Europe de l’Est pour avoir des relations sexuelles avec lui, ce n’était pas sur le papier le film qui m’excitait le plus cette année, et j’y suis allé presque uniquement mu par les critiques élogieuses et les prix récoltés en Festivals. Bien m’en a pris. Le film de Robin Campillo est aussi brutal qu’il est délicat, et parvient à dépeindre les luttes de pouvoir entre les hommes à l’échelle d’une situation inattendue. C’est un film sensible, doux, beau et intelligent.

13. Au revoir l’été
Peut-être me serais-je profondément ennuyé devant le film de Koji Fukada si je l’avais vu adolescent. Mais peut-être pas. J’ai appris depuis longtemps maintenant à apprécier ces longs-métrages capables de retranscrire la langueur et la répétition du quotidien, jusqu’à ce que s’en dégage un regard magnifique sur la vie. « Au revoir l’été » est de ces films-là, simples en apparence, mais d’une richesse émouvante lorsqu’on laisse le réalisateur nous entraîner totalement dans sa balade estivale. Un charme fou.

14. Whiplash
Un étudiant en musique décidé à devenir le meilleur dans sa discipline, la batterie. Un professeur charismatique et tyrannique dirigeant ses élèves comme des troupes militaires. Un film qui ne cherche pas à brosser le spectateur dans le sens du poil, mais qui va explorer l’obsession, le mal-être, la douleur, l’exultation dans ses zones d’ombre, avec une intensité rarement atteinte cette année, avec un œil puissant pour la mise en scène qui transperce l’écran. Un film qui divise, mais qui m’a complètement ébloui.

15. Eden
Parfois, un film d’époque n’est pas forcément un film en costumes. « Eden » n’est peut-être pas un film d’époques au sens où l’on entend habituellement, mais c’est sans conteste le film d’une époque. Plus qu’un film sur la fameuse French Touch musicale et ceux qui l’ont faite, c’est ce sont les émotions et les sentiments, le parcours humain retracé qui font d’Eden un des beaux films de 2014, voyage tantôt euphorique, tantôt spleen à travers les années 90 et 2000, un film intime et épique à la fois qui explore les rêves de la jeunesse, ses désillusions, ses espoirs, ses résignations.

16. Edge of Tomorrow
Il y a plusieurs films que j’ai vus deux fois cette année, et si « Edge of Tomorrow » n’en fait pas partie, c’est faute de temps, tant j’ai voulu le revoir quasi immédiatement après l’avoir découvert. Encore un film de science-fiction, un genre généreux en qualité ces temps-ci, qui ose la boucle temporelle comme schéma narratif. C’est casse-gueule, mais Doug Liman évite les pièges pour finalement accoucher d’un audacieux film hommage au Débarquement en Normandie en juin 1944, où les nazis sont remplacés par des extra-terrestres. Tant que les grands studios californiens produiront des films comme celui-ci, excitants, audacieux, neufs, il restera une lueur d’espoir à Hollywood.

17. Bird People
Il y a des films que l’on s’attend à adorer, et ceux qui vous prennent par surprise. « Bird People » a fait pour moi partie de cette seconde catégorie. Étrange, doux et poétique, le film nous glisse vers ces parenthèses de la vie, ces moments de pause qui parfois se veulent temporaires et deviennent le quotidien, ou que parfois l’on voudrait voir s’étendre longtemps pour constater qu’ils n’étaient effectivement qu’une simple parenthèse. Ces moments brefs de la vie, Pascal Ferran se les approprie pour confectionner un moment magique de cinéma.

18. Les grandes ondes (à l’ouest)
Je serais incapable de dire combien de films suisses j’ai vu à ce jour. Mais je peux vous assurer que dans de nombreuses années, je me souviendrai encore du film de Lionel Baier. Le cinéma est parfois une bulle inattendue où règnent folie, humour, tendresse, politique, Histoire et poésie. « Les grandes ondes (à l’ouest) » est l’une de ces bulles, road-movie joliment absurde où un trio de journalistes suisses parcourt les routes portugaises presque par hasard à l’heure où se déclenche la révolution des œillets. Avec un rare premier rôle pour le grand Michel Vuillermoz, irrésistible.

19. A most violent year
L’un des tout derniers films de 2014 est également l’un de ses tous meilleurs. Le nom de son réalisateur, J.C. Chandor, est devenu, en l’espace de trois films, un gage de qualité indéniable dans le cinéma américain. Il fait des films qui ne ressemblent à aucun autre dans le cinéma américain actuel. Ou plutôt dans le cas de « A most violent year », un film comme Hollywood n’en fait plus. Un film intense, réfléchi, adulte, qui navigue dans les zones d’ombre du rêve américain et porte un regard gris, lucide et amer sur la façon dont le monde tourne. Il est aidé en cela par deux des plus belles performances d’acteurs de l’année, Oscar Isaac en homme épris de droiture, à l’éloquence charismatique, qui refuse de révéler sa fragilité. Et face à lui, Jessica Chastain, presque terrifiante en femme prête à tout pour protéger les intérêts des siens.

20. Tonnerre
L’année dernière, si j’avais élargi mon Top à vingt films comme cette année, j’y aurais sans l’ombre d’un doute inclus « 2 automnes, 3 hivers », et probablement aussi « La bataille de Solférino », deux films desquels se rapproche « Tonnerre », par la génération du réalisateur, par Vincent Macaigne en tête d’affiche, et parce qu’ils emmènent le cinéma français dans une direction neuve, dynamique, imprévisible. « Tonnerre » commence comme un doux retour aux sources, iconoclaste et attachant, pour doucement basculer dans le film noir, explorant la dérive des sentiments humains. C’est un film d’une sensibilité folle, à la joie communicative, teinté d’une délicate mélancolie. Un beau film qui a ouvert une belle année pour le cinéma français.

Cette année j’ai élargi ce top à 20 films, mais même en l’élargissant ainsi, je laisse de côté des films dont j’aurais voulu, dont j’aurais dû parler cette année, et qui auraient tout aussi bien pu figurer dans ce Top. Alors je les cite tout de même : « In the Family », « The Spectacular Now », « Dans la cour », « Les bruits de Recife », « Ugly », « Under the skin », « La vie rêvée de Walter Mitty », « Only Lovers left alive », « American Bluff », « Les combattants », « Sunhi », « Hippocrate », « 3 cœurs », « Love is strange ».
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