dimanche 30 septembre 2012

"Somebody up there likes me", le Festival de Locarno à Paris !


Une des choses fort appréciable à Paris lorsque l’on aime le cinéma, c’est que malgré l’assiduité pour guetter tout ce qu’il y a d’intéressant à voir sur un grand écran, il est possible de faire des découvertes fortuites. Balader ses yeux dans la liste des films à l’affiche, zieuter un peu ce qui passe dans telle ou telle salle, et boum, on se rend compte que si l’on n’avait pas fait attention, on serait passé à côté d’une belle opportunité cinéphile. Cela m’est arrivé il y a encore quelques jours à peine en tombant sur la programmation de la semaine du Nouveau Latina, le cinéma du Marais qui héberge notamment chaque samedi soir « Panic ! Cinéma ».

« Reprise des films du Festival de Locarno ».Ah bon ils font ça au Latina ? Depuis quand ? On verra bien ce qu’ils en disent sur place, car hors de question de passer à côté d’une telle occasion, d’autant que parmi les œuvres qui me sautent aux yeux, l’une s’inscrit parfaitement dans mon emploi du temps : « Somebody up there likes me ». Certains d’entre vous reconnaîtront là le titre d’un film de boxe des années 50 ayant lancé la carrière de Paul Newman sur grand écran (« Marqué par la haine » en français), mais le « Somebody up  there likes me » présenté ce jour-là au Nouveau Latina n’avait rien à voir avec le film de Robert Wise.

La faible densité de spectateurs ayant répondu présent (certes un jour de semaine à 17h, mais lorsque je sortirai à 18h30, il n’y aura pas plus de monde à faire la queue pour le film suivant) laisse penser que la manifestation doit être jeune et fort peu connue. En fait, lors de la présentation du film, on apprendra que c’est la troisième année que le Centre Culturel Suisse organise une reprise des films du Festival de Locarno à Paris (une sélection de films pour être plus précis), mais qu’il s’agit de la première fois que les films sont projetés dans une vraie salle de cinéma et non plus au Centre Culturel lui-même. Pas étonnant donc que je n’en avais pas entendu parler jusqu’à cette année.

Olivier Père, directeur artistique du Festival de Locarno (plus maintenant en réalité, il vient de quitter le festival), avait fait le déplacement pour nous présenter le premier film de la sélection à être projeté, « Somebody up there likes me », donc, lauréat du Léopard d’Argent lors de la manifestation suisse en août dernier. Calé à mon cinquième rang fétiche,  j’attendais le début des festivités lorsque j’entendis les deux spectatrices dans mon dos discuter :
« Oh ça faisait longtemps que je ne l’avais pas vu lui !
- Qui, lui ? Tu sais qu’ils ont parlé de lui dans So Film ?
- Ah c’est LUI Plastic Man ?? Ils mettaient pas sa photo dans l’article, je savais pas que c’était lui ! »

Je me retourne, et effectivement, je vois mon cinémaniaque préféré en train de discuter quelques rangs plus hauts, debout, avec un autre spectateur. Le dossier de So Film sur les cinémaniaques va le rendre encore plus célèbre dans la communauté cinéphile parisienne… Quelques minutes plus tard, il passera devant mon rang pour s’installer au sien, le premier. Si ce camarade cinéphile que j’ai régulièrement croisé au cours du mois à L’Étrange Festival est là, c’est que j’ai certainement bien fait de me déplacer moi aussi. « Somebody up there likes me » est issu de la scène ciné d’Austin, Texas, et Olivier Père n’avait pas besoin de le préciser, même sans reconnaître la ville il suffit de jeter un œil au générique de fin et d’y voir apparaître les noms de Richard Linklater et Terrence Malick dans les remerciements pour se douter que le film que l’on vient de voir était de la région.

Mais tant qu’à parler de références texanes, le film de Bob Byington se rapproche plus de l’univers absurde et mélancolique de Wes Anderson, mais arrêtons là les comparaisons tant « Somebody up there likes me » est un drôle de film qui ne ressemble à rien d’attendu. En 1h15 à peine, le réalisateur se permet de brasser une trentaine d’années de la vie d’un homme, et quand on constate que certains cinéastes ont bien du mal à le faire en plus de deux heures, l’audace semble immense. Le tour de force fonctionne parce que ce n’est pas la densité narrative qui est recherchée (ce serait idiot en 1h15). Byington vise les petites touches, comme des instantanés d’une vie, une vie morne qui plus est, racontée malgré tout avec le sourire aux lèvres.

C’est l’histoire d’un jeune homme qui ne fait pas grand-chose de sa vie, il est serveur dans un restaurant, n’a pas vraiment d’ami sinon son collègue pince-sans-rire (Nick Offerman de « Parks and Recreation », déjà vu cette année dans l’inénarrable « 21 Jump Street »), rencontre une fille, l’épouse, fonde une famille avec elle. Les années passent et il ne change jamais vraiment. Sa vie n’a pas vraiment de sens mais cela ne le chagrine pas. Il se satisfait de la simplicité de son existence, sans ambition, sans vrai bonheur ni tristesse. Il avance et ne vieillit pas. Ça n’a pas l’air gai et pourtant ça l’est indéniablement. L’humour est omniprésent, comme pour désamorcer le gris de cette existence et de celles guère plus glorieuses qui l’encadrent et parcourent le film. Dialogues de sourds et absurde émaillent les relations humaines de ce Dorian Gray texan. L’ennui semble le quotidien des héros du récit, mais le réalisateur trouve un langage des plus étranges pour nous faire rire de cette morosité ambiante sans que ce soit jamais aux dépens des personnages.
« Somebody up there likes me », sous son apparente simplicité, est une affaire d’audace. Il paraît que le film sortira en France début 2013…

mardi 25 septembre 2012

Camille Redouble et le passé affleure…


J’ai cru qu’ils allaient me gâcher le film. J’ai cru que je n’arriverais pas à prendre sur moi et laisser couler. J’ai même cru un instant que le film ne serait pas à la hauteur pour me donner la possibilité de transcender cette interférence extérieure. Je me suis trompé. Ils ne m’ont pas gâché le film. J’ai pris sur moi. Le film a été à la hauteur.

Le film, c’est « Camille redouble », la nouvelle réalisation de Noémie Lvovsky dont a été dit le plus grand bien depuis qu’il a fait ses débuts au Festival de Cannes en mai dernier. L’interférence extérieure, on la doit à l’UGC Ciné Cité Les Halles et la manie de ses responsables de rapprocher un maximum les séances des films qu’ils projettent, une fois de plus. Nous étions un vendredi soir à la dernière séance, supposée commencer à 22h20. 22h15, les portes ne s’ouvrent pas (rien de plus normal aux Halles). 22h18. 22h20. 22h25. 22h30. 22h32, ah ! Enfin ! L’accès à la salle nous est gentiment permis avec un « Voilà, bonne séance » avec le sourire, comme si c’était normal de nous ouvrir les portes avec 12 minutes de retard sans explication aucune. Bon, vu le retard, au moins, nous échapperons aux pubs, nous sommes-nous dit avec l’ami qui m’accompagnait…

Eh bien non. Lorsque l’on entre en salles, les pubs défilent à l’écran. Les dernières peut-être ? Non, les premières apparemment. 22h35. 22h40. 22h45. Toujours les pubs, alors que le film était censé débuter à 22h35. 22h50, ah quand même, les pubs se terminent et le film commence, avec un quart d’heure de retard. Mon ami, qui se déplace en RER, me dit alors « Avec ce retard, j’espère que je n’aurai pas à partir avant la fin du film, mon dernier RER est à 00h40 je crois ». Et voilà, après l’agacement du retard, le stress pour mon pote. Lorsque le film se terminera à 00h39, il s’enfuira en trombe vers le RER.

Dans ces moments d’énervements en salle obscure, je suis capable de ne jamais entrer dans le film qui prend vie sous mes yeux. Si celui-ci n’est pas exceptionnel, mes noires pensées prennent le dessus sur le plaisir cinématographique, et pendant la première bobine de « Camille redouble », j’ai cru que je n’arriverais pas à surmonter mon amertume. Mais petit à petit, le film de Noémie Lvovsky s’est infiltré en moi.

C’est étrange car j’ai grandi avec « Peggy Sue s’est mariée » de Francis Ford Coppola. C’est un des films que je regardais en boucle avec ma sœur lorsque j’étais ado. La première fois que j’ai vu la bande-annonce de « Camille redouble », je n’ai pas pu m’empêcher de penser au film de mon enfance. Mais « Peggy Sue », je ne l’ai jamais vu avec mes yeux d’adulte. Je le regardais avec mes yeux d’ado amusé de voir l’adulte Kathleen Turner retomber en adolescence. « Camille redouble », je l’ai découvert avec mes yeux d’adulte. Je suis certes encore trop jeune pour tomber dans la nostalgie béate, mais je suis tout de même suffisamment « vieux » pour caresser ce doux rêve de revivre de plus jeunes années, et prendre un plaisir fou à voir Noémie Lvovsky  nous entraîner dans ce rêve universel de quasi insouciance.

La voir retrouver du même coup les années 80 ajoute certainement à la symbiose, ces années 80 non plus de mon adolescence mais de mon enfance. Mais l’époque ne fait pas tout. « Camille redouble » n’est pas que ce bonbon sucré drôle et revigorant aux vibrations pop. C’est un doux songe de délicatesse, un instant magique que seul le cinéma est parfois capable de nous procurer, entre fraîcheur, douceur et mélancolie. Ce ne sont parfois que des gestes et des sentiments qui savent en dire long. C’est un regard bienveillant de Michel Vuillermoz. Une glissade maladroite de Samir Guesmi. Un sourire triste de Denis Podalydès. C’est Barbara qui retentit dans un jukebox pour rendre cette histoire finalement intemporelle et éternelle.

Après « Adieu Berthe, l’enterrement de mémé », avec lequel « Camille redouble » partage de nombreux acteurs, le cinéma français vient de me prouver qu’il était capable d’instants rares entre rire et poésie qui soulignent la magie du cinéma. J’en reprendrais bien quelques instants de plus…

dimanche 23 septembre 2012

Branchez les sonotones et laissez les mioches à la maison


Ce sont les risques du métier. La part incontrôlable du plaisir de voir les films dans une salle de cinéma. Les autres. Si j’étais misanthrope en plus d’être cinéphile, je serais sûrement un cinéphile qui ne sort pas de chez lui pour voir les films et regarde tout sur un petit écran sans perturbation extérieure. Mais j’aime trop la salle pour jouer le misanthrope que je ne suis pas, même si régulièrement, les autres mettent mes nerfs de spectateur à rude épreuve. Prenez ce vendredi soir il y a quelques jours, que j’aurais aimé voir se dérouler parfaitement. Je me faisais un petit double-feature comme ils disent outre-Atlantique. Un classique d’Orson Welles dans le Quartier Latin suivi d’un film d’animation en 3D aux Halles.


 Je vous plante le décor pour le film d’Orson Welles. Reflet Médicis, aux alentours de 18h. J’attends dans le hall en compagnie de quelques spectateurs lorsque les portes s’ouvrent enfin à nous. Une centaine de fauteuils pour une quinzaine de cinéphiles, chacun a largement de quoi trouver son confort et sa part de territoire. C’est un jour de semaine et il faut bien l’avouer, c’est une salle de vi… de personnes âgées. Moyenne d’âge 75 ans au bas mot, je fais figure d’exception, seul de ma génération à être venu découvrir « Le criminel » d’Orson Welles sur grand écran. La première spectatrice à faire valider son ticket s’arrête net et bloque l’accès à la salle juste avant qu’on y entre. Elle se retourne tout à coup vers le couple qui la suit : « Il fallait donner quelque chose ? A l’ouvreuse, il fallait lui laisser un pourboire ? Je l’ai pas fait… ». Le couple a beau la rassurer, elle pénètre dans la salle manifestement soucieuse. Je m’installe le rang derrière elle, confiant quant à la tranquillité qui devrait régner compte tenu du nombre réduit de spectateurs.

Que j’ai été naïf. Que ne me suis-je souvenu qu’une salle de vieux (tant pis pour la bienséance) n’est jamais tranquille (et que de toute façon il n’est point besoin d’être nombreux dans une salle pour perturber l’ambiance…). Car les voici qui sont arrivés, peu après moi, alors que je venais tout juste de caler mon séant derrière l’anxieuse. Elle et lui. Non, pas Deborah Kerr et Cary Grant (j’aurais préféré). « On se met là ? » lui propose-t-il.  Là, c’est le rang où je suis. Là, c’est juste à côté de moi, ne laissant pas même un fauteuil pour respirer et être à l’aise. Là, c’est collé à moi. Là, c’est aussi juste derrière l’anxieuse, qui sentant que quelqu’un s’asseyait derrière elle, en profite aussitôt pour se retourner : « Je n’ai pas laissé de pièce à l’ouvreuse, j’aurais dû ? ». Deborah et Cary ne comprennent pas. Leurs 80 printemps semblent déjà consommés, et l’anxieuse se répète en enchaînant : « A l’Action Christine, je leur donne, ils se battent pour leur survie, le cinéma risque de fermer. Ici je sais pas ». Deborah semble concernée : « Ils vont fermer l’Action Christine ? C’est dommage ils y passent de bons films ». L’anxieuse rectifie : « Pour le moment ils ne ferment pas, mais ils luttent ! ». Je ne sais pas si la paniquée du pourboire dit vrai et si l’Action Christine est en danger, je suppose que tous les petits cinémas art & essai de Paris sont de toute façon en permanence en danger, mais si le danger est imminent, Deborah a raison et c’est triste. Espérons que l’anxieuse s’affole pour rien.


Dans la salle, un climatiseur tourne juste à côté de l’écran en ronronnant sans discrétion. « Pourvu qu’ils l’arrêtent pendant le film » s’exclame justement Deborah. Les bandes-annonces et publicités commencent… et c’est là que la peur m’assaille. Après avoir vu une pub drôle, Cary balance « C’est marrant ça ! Dommage qu’ils mettent pas le son ! ». Hein ?! Quoi ?! Il entend pas le son là ? Ah non Cary, me fais pas ça, me dit pas que t’es sourd comme un pot, que tu vas avoir du mal à suivre le film et que tu vas poser des questions à Deborah en parlant fort parce que tu t’entends pas parler ?! Pas ça Cary ! Bon, d’accord, le son n’est à l’évidence pas à son maximum, mais quand même…

« Advienne que pourra » me dis-je pompeusement (oui j’aime être pompeux quand je me parle à moi-même). Pour autant « Le criminel » a débuté, Edward G. Robinson a lancé sa chasse au nazi, et Cary et Deborah se sont tenus cois pendant un long moment. Le responsable de la salle est même venu couper le rugissant moteur du climatiseur au moment où le film commençait. Tout semblait finalement parti pour bien se dérouler, même si Cary empiétait trop à mon goût sur mon accoudoir. Pour ceux qui ne le savent pas, Edward G. Robinson incarne dans le film, tourné en 1946, un chasseur de criminels de guerre qui choisit d’en laisser s’évader un « petit » dans l’espoir qu’il le mène à un plus gros poisson dont personne ne connaît le visage, Franz Kindler. Le nazi libéré mène Robinson jusqu’à Harper, Connecticut, mais disparaît ensuite rapidement, réduit au silence et enterré par Kindler qui ne veut surtout pas être identifié maintenant qu’il a réussi à s’intégrer dans cette bourgade sans que personne sache qui il est réellement. Le chasseur de nazi mène alors son enquête pour démasquer Kindler. Bien sûr, le spectateur sait d’emblée que l’affreux Kindler n’est autre que ce gentil professeur qui vient de se marier, et qui a les traits d’Orson Welles lui-même. Heureusement qu’on le sait d’emblée, car je ne doute pas que cela m’a épargné des commentaires de la part de mon voisin Cary.

Oui, car Cary a bien fini par se faire entendre, comme craint plus tôt… devant une scène au cours de laquelle Edward G. Robinson fixe intensément l’horloge de l’église et semble manifestement avoir une idée. Cary, pas patient pour un sou, se tourne alors vers Deborah et lui demande, sans baisser le moins du monde la voix :
« Qu’est-ce qui s’est passé là ?
- Bah il a regardé l’horloge de l’église (non, Deborah ne parle pas moins fort que Cary)
- Bah oui ça j’ai bien vu, mais pourquoi ?
- Mais j’en sais rien moi, regarde tu verras bien ».


Ma chance, c’est que Cary, devant une intrigue dont il commençait à ne plus maîtriser tous les tenants et aboutissants, a manifesté une certaine lassitude… qui s’est traduite par une plongée dans le sommeil. Ouf, au moins, je ne l’entendrai plus. Sauf qu’au bout d’une quinzaine de minutes d’un repos discret, la soufflerie personnelle de ce cher voisin s’est mise en route, et je dus me résoudre à abreuver notre accoudoir commun de coups de coudes dans l’espoir de le réveiller. Mieux vaut quelques phrases de temps en temps qu’un ronflement continu à mon oreille. Ces phrases, des questions pour Deborah, Cary ne me les a bien sûr pas épargnées, mais finalement, elles se sont avérées plus rare que ce que je craignais. Au sortir du film, Cary affichait une satisfaction aussi grande que moi, comme s’il avait vu, suivi et compris le film, ce dont je me permets de douter… La prochaine fois que je vois autant de personnes âgées dans la queue, je ferai exprès d’entrer en dernier dans la salle, que je puisse choisir de ne pas être assis à côté d’un autre couple dur de la feuille.


Il faut croire que j’étais maudit ce soir-là, car une heure plus tard, lorsque je me trouvai devant « L’Étrange pouvoir de Norman », en VO et en 3D, une voix peu discrète a commencé à se faire entendre dès les premières minutes du film. Je cherchai du regard où était installé le malotru qui parlait pendant que nous autres essayions de suivre le film. L’ami assis à côté de moi s’est retourné, énervé, en lançant « Ca suffit oui ? C’est énervant ! ». Mais c’est au moment où il se retournait pour lancer son invective justifiée que je repérai la cause de la perturbation sonore : deux rangs derrière nous, sur un côté, un père traduisait le film à sa gamine qui ne semblait pas âgée de plus de 6 ou 7 ans.


Mais tous les parents ne savent-ils donc pas que si son enfant n’est pas capable de comprendre seul un film en VO, il ne faut pas l’y emmener ?! Et bien sûr, cela a duré tout le film. A la sortie, la satisfaction de la qualité du film ne m’a pas retiré cette rancœur lorsque j’ai aperçu le père et sa fille, mais en passant à côté de lui, je me suis rendu compte qu’il était étranger. Il traduisait le film à sa fille dans leur langue. Mais bon sang, existe-t-il des salles où les spectateurs ont conscience qu’ils ne sont pas seuls dans la salle ? Ce jour-là, non. Et malheureusement, ces journées-là sont plus ordinaires que rares.

(merci à Phea pour les illustrations)

jeudi 20 septembre 2012

Dennis Quaid m'échappe...


C’était un jour d’été 1999, la crainte de l’annoncé bug de l’an 2000 n’avait pas empêché le thriller techno-futuriste Matrix d’enthousiasmer les salles avant que « Le projet Blair Witch » ne les fasse frémir et enflamme le box-office au passage. C’était l’été et comme tous les étés lorsque l’on part en vacances, il m’avait été difficile de voir tous les films qui étaient sur mes tablettes. Oui, je sais, j’étais déjà un peu névrosé, mais le fait que le bac venait de passer et que j’allais m’envoler pour un mois à La Réunion compensait le stress des films que j’allais rater. Si j’ai eu le temps d’attraper « Studio 54 » juste avant de décoller (je crois que j’étais plus ou moins amoureux de Salma Hayek à l’époque), « La carte du cœur » de Willard Carroll m’avait échappé. La carte de quoi ? Quel film ? Qui donc aujourd’hui se souvient de ce film sorti au cœur de l’été 99 et qui réunissait Sean Connery, Gena Rowlands, Angelina Jolie, Ryan Philippe, Madeleine Stowe et quelques autres stars ? Moi je m’en souviens bien parce que justement à l’époque, je ne l’avais pas vu.

Mais que Diable vient-il nous raconter cette vieille anecdote vous dites-vous. C’est que jusqu’à cet été 2012, il y a quelques jours à peine, « La carte du cœur » était la toute dernière fois qu’un film au générique duquel figurait l’acteur américain Dennis Quaid m’avait échappé. De « L’enfer du dimanche » d’Oliver Stone en avril 2000 au remake de Footloose sorti en décembre dernier, je n’ai manqué aucun rendez-vous avec Dennis Quaid (j’ai compté, ça fait 17 films sortis en salles quand même). Et inutile de préciser que ce ne fut jamais un hasard, car il y a une quinzaine d’années, je me suis découvert cette étrange et inexplicable fascination pour l’acteur. Je sais, ça ne fait pas aussi cinéphile et sérieux que si mon addiction avait concerné Marlon Brando, Marcello Mastroianni ou Toshirô Mifune, mais que voulez-vous, comme je l’ai déjà dit, certaines passions ne s’expliquent pas. Et ma relation à Dennis Quaid en est bien la preuve.

Je n’ai jamais vraiment été capable de déterminer  le moment précis, le film qui a fait naître ma fascination, même si je soupçonne les découvertes successives de quelques films des années 80 et 90 d’y avoir amplement contribué. Autour de 1998/1999, l’étincelle s’était déjà produite puisque j’avais fait l’effort d’aller voir en salles « La piste du tueur » et « Savior », et ça m’étonnerait qu’on ait été nombreux à l’époque. J’avais déjà dû découvrir « L’étoffe des héros » et « Flesh and Bone ». En tout cas je suis certain que l’addiction était vive à l’été 2000 lorsque je suis allé voir « Fréquence interdite » de Gregory Hoblit trois fois au cinéma, dont le jour de la sortie à la séance du matin si je me souviens bien. « Fréquence interdite », le premier film que j’ai acheté en DVD, alors même que je n’avais pas encore de lecteur, juste histoire d’être sûr que je pourrais revoir le film dès que j’en achèterais un.

Oui, je ne devais pas avoir plus de 17 ou 18 ans lorsque la « fièvre Quaid » s’est emparée de moi. Aujourd’hui encore, je pense que l’absence de l’acteur parmi les nommés à l’Oscar du Meilleur acteur dans un second rôle pour son interprétation de mari tourmenté par son homosexualité dans le « Far from Heaven » de Todd Haynes reste une des grandes injustices des Oscars. Oui j’ai tout vu et tout acheté de la filmographie de Dennis Quaid. J’ai acheté ses vieux films, « La bande des quatre », « Our winning season », « Dreamscape ». J’ai attrapé tout ce qui est passé à ma portée à la télé, « The Big Easy », « Mort à l’arrivée », « Great balls of fire ! » (et après je les ai achetés en DVD eux aussi bien sûr). Je me suis procuré les inédits, ceux qui ne sortaient pas en salles en France, les « Cold Creek Manor » et « Alamo ». J’ai vu son film préhistorique avec Ringo Starr lors d’une soirée Bis à la Cinémathèque. Et dès qu’un film sortait en salles, j’y fonçais les yeux fermés, qu’il soit aussi bon que « Traffic » de Steven Soderbergh ou aussi minable que « Les cavaliers de l’Apocalypse » de… de… de qui déjà, on s’en fout c’était trop nul. Je suis même allé voir « Une famille 2 en 1 », oui, l’ersatz de « Treize à la douzaine » qui n’avait eu droit qu’à une sortie technique en VF au cinéma Les Montparnos. Même ça.

Et puis est arrivé cet été 2012. Les signes avant-coureurs s’étaient déjà manifestés mais je ne les avais pas remarqués. Je ne m’étais pas intéressé à la sortie directement en DVD de « Soul Surfer », et je n’avais même pas capté que « The Special Relationship », le film HBO dans lequel Quaid incarne Bill Clinton face au Tony Blair de Michael Sheen, était lui aussi sorti en DVD. Mais c’est bien la sortie en salles de « Ce qui vous attend si vous attendez un enfant » qui m’aura fait prendre conscience qu’une page s’est tournée dans ma relation cinéphile  avec Dennis Quaid. Pour la première fois en treize ans, j’ai délibérément laissé filer un de ses films sortant sur grand écran. Bon, d’accord, la plupart d’entre vous j’en suis certain m’assureront que j’ai bien fait et que je n’ai rien manqué. Mais là n’est pas la question. Si je suis allé voir « Une famille 2 en 1 » en VF dans une petite salle du  Montparnos, croyez bien qu’il n’y a pas si longtemps, je n’aurais pas hésité une seconde à aller voir « Ce qui vous attend si vous attendez un enfant » en VO dans une belle salle.

Quelque chose s’est bel et bien passé. Une page s’est tournée. A l’avenir, je sais que je continuerai à guetter les projets de Dennis Quaid avec une attention toute particulière (je t’ai dans mon viseur, « At any price » !). Je sais que je continuerai à aller voir ses films avec excitation. Mais je sais aussi qu’entre un film qui m’intéresse pour ce qu’il est et un autre qui m’intéresse  uniquement parce que Dennis Quaid  figure à son générique, je ne ferai plus forcément le même choix qu’il y a dix ans. Et puis, il me reste toujours « La carte du cœur » à regarder, treize ans après l’avoir raté en salles. Un de ces jours, je finirai bien par le glisser dans mon lecteur DVD…

mardi 18 septembre 2012

L’Étrange Festival, dernier jour : la surprise Ben Wheatley


A l’heure où vous lirez ces lignes, l’Étrange Festival, 18ème du nom, aura déjà refermé ses portes, couronnant au passage l’excellent Headhunters du Prix Sang Neuf et du Prix du Public (un excellent choix si vous me permettez). Une récompense logique qui parachève un festival ayant offert son lot de bons films. Les organisateurs peuvent être fiers de leur sélection, elle nous a tenu en haleine pendant dix jours, et confirmé que l’Étrange Festival est bien un rendez-vous cinéphile incontournable en septembre (comme s’il était besoin d’une autre confirmation…).

Si certains ont clos le Festival avec Dredd, je n’ai pas eu cette chance. La dernière fois que j’ai attendu en compagnie de mes congénères amateurs de l’étrange que les portes de la salle 300 s’ouvrent, ce fut le samedi après-midi pour « Down Terrace » de Ben Wheatley. Ben Wheatley, pour ceux qui n’auraient pas encore retenu son nom (tsssss…), c’est l’homme à qui l’on doit l’électrique « Kill List », découvert l’an dernier à l’Étrange Festival et sorti en salles en France cet été, et le poilant « Touristes », passé par la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes cette année. L’incontournable Phil Siné m’a rejoint devant les portes de la salle alors que je captais pour la dernière fois les bribes de conversation des spectateurs à propos des films qui auront été notre quotidien ces dix derniers jours.

Phil et moi avons fait notre bilan, lui m’assurant qu’ « Iron Sky » était sympathique mais se souvenant avec plus de délectation de Touristes (justement) et de Citadel, quand de mon côté j’essayais de lui faire regretter d’avoir fait l’impasse sur Headhunters, Games of Werewolves et le diptyque Baraka / Samsara. Avant même que l’on s’en rende compte, nous étions assis, cette fois parfaitement campés au cœur de ce sixième rang circulaire qui m’avait échappé la veille. Une surprise nous tendit les bras, puisque Ben Wheatley, sa barbe et ses marmonnements aux accents british, nous rejoignit pour lancer le film (son premier, datant de 2009) qui pour la toute première fois était projeté en France. Wheatley était la star de la journée au Festival, puisque « Kill List » et « Touristes » étaient programmés dans la foulée.

Une petite photo de la salle l’applaudissant, un petit discours sur l’humilité, et hop, nous découvrîmes enfin « Down Terrace ». Dix jours au sein d’une famille de gangsters de la province anglaise, dont un père et un fils venant juste d’échapper à une lourde condamnation et rentrant au bercail après six mois au frais, reprenant le cours de leur vie en se demandant qui les a balancés aux flics. Ce pourrait un drame social comme nos voisins les britanniques savent les faire, mais Ben Wheatley, pour son premier long-métrage, choisit de dynamiter quelque peu les attentes en la matière. Pour ce faire, il a pris la chose avec le sourire, bourré son film d’idées et de personnages truculents, et s’est appuyé sur cette morosité provinciale anglaise pour concocter un récit réjouissant.

Certes le film manque de maîtrise sur toute la longueur, et une baisse de régime se fait sentir, mais l’irruption excessive et jubilatoire du dernier acte compense largement. Dans ce ton sarcastique, dans cette verve noire, Ben Wheatley laisse entrevoir le cinéaste passionnant qu’il allait devenir, posant notamment les bases du spectacle enthousiasmant que sera trois ans plus tard son road-movie « Touristes ». Je n’ai peut-être pas eu droit au juge impitoyable pour clore mon Étrange Festival, mais j’ai trouvé le moyen de le finir dans l’excès, le sang, le rire et la jubilation. Un beau point final tout de même, non ?

dimanche 16 septembre 2012

L’Étrange Festival, 6ème jour : un junkie dans les bois


Note pour plus tard. Ne jamais organiser une soirée crêperie avec des potes suivie d’une projection à l’Étrange Festival un vendredi soir. Les chances sont grandes qu’il y ait trop de clients au resto, pas assez de monde en cuisine, qu’on attende les crêpes des heures et qu’on se mette en route pour le festival à l’heure où l’on devrait déjà être assis dans la salle. C’est ce qui m’est arrivé pour mon avant-dernière projection à l’Étrange Festival vendredi soir. Détaler dans la rue pour arriver avant que le film soit commencé, alors que le plan consistait à arriver tranquillement et se placer tous ensemble au sixième rang de la salle 300. La réalité, c’est qu’on est entrés en salles alors que la salle était presque pleine et que les réalisateurs Justin Benson et Aaron Moorhead étaient déjà en train de présenter leur film, « Resolution ». Résultat, on s’est séparés dans la salle et on a raté l’intro.

Bon, l’essentiel était sauf, nous n’avons rien raté du film. Ouf. En même temps je ne suis pas sûr que cela aurait grandement changé mon appréciation du film d’en avoir raté un bout, au contraire. Un de mes amis a somnolé quelques minutes pendant la projection, et a eu en conséquence l’impression d’avoir manqué une scène importante où aurait été expliqué ce qui se passait. Après son réveil (celui de mon ami), le protagoniste du film semblait comprendre ce qui leur arrivait et disait des choses comme « Je ne veux pas ramener ça à la maison », mais non, je lui ai pourtant dit qu’il n’y avait pas vraiment eu de révélation pendant son somme, seulement des déductions fumeuses ne donnant pas beaucoup de crédit aux personnages. Bon, d’accord, que le pote junkie en manque soit en déficit de lucidité, je veux bien, mais Mike, son meilleur pote propre sur lui et ayant la tête sur les épaules… Ah oui, au fait, l’histoire suit deux amis, l’un reçoit une vidéo de l’autre où il est apparemment complètement défoncé dans une cabane paumée, et il décide donc d’aller le trouver pour le tirer de ses problèmes de drogue, mais il semble rapidement, une fois sur place, qu’il se passe des choses très étranges autour de cette cabane paumée…

C’est toujours agaçant dans les films de genre de voir des personnages ne réagissant pas de façon logique et crédible. Trop de films croient que puisque l'on se trouve dans un cadre fantastique, on peut se permettre d’être fantaisiste dans les caractères des personnages, or cette fébrilité scénaristique pardonne rarement. Ici, nous avons donc un homme ayant clairement l’air lucide et intelligent qui vient trouver son pote dans cette cabane paumée. Des dealers viennent le menacer assez méchamment, une fille échappée de l’asile vient cogner à sa fenêtre en pleine nuit, des indiens peu aimables lui disent qu’il y a pleins de junkies enterrés dans le jardin et qu’ils ne sont pas les bienvenus, des vidéos et photos très inquiétantes lui tombent dessus mystérieusement, vidéos qui montrent qu’ils sont bizarrement surveillés, et un couteau grave des formes flippantes sur les murs de la cabane pendant qu’ils dorment.

Et que fait-il, monsieur j’ai-la-tête-sur-les-épaules, face à toutes ces péripéties étranges ? Rien. Il reste, il se fait assez peu de soucis proportionnellement aux choses qui lui arrivent, et il trouve même intelligent de pousser plus loin et de chercher encore plus de trucs flippants pour passer le temps, alors que n’importe quelle personne sensée comme il semble pourtant l’être aurait attrapé son pote junkie, l’aurait mis dans sa bagnole et aurait détalé, alors que lui laisse son pote attaché à une barre de fer pour qu’il soit sevré, qu’importe si le coin et ses habitants sont clairement dérangés. Que le scénario trouve un prétexte à peine crédible en fin de compte pour nous faire accepter le fait qu’ils ne veuillent pas quitter la cabane devient dès lors un détail, le mal est fait, la crédibilité des personnages est mise à mal.

Bien sûr, le personnage du pote junkie est lui nettement plus réussi et apporte une vraie tranche d’humour. Bien sûr, il y a une atmosphère étouffante où l’on sent clairement la tension monter, quelque chose qui rappelle « Bellflower » sorti il y a quelques mois en salles, mais cette tension n’est jamais véritablement exploitée, et cette montée d’adrénaline reste à l’état de suggestion, elle ne prend jamais. Le danger reste trop vague et est trop vite désamorcé par des pirouettes scénaristiques floues. A l’image de ce dénouement qui se voudrait étonnant et impressionnant alors qu’il tombe plutôt à plat.

A la sortie, les amis dispersés se sont rassemblés, et après un petit débriefing qui nous a conduits jusqu’aux portes de la RATP, les jeunes réalisateurs du film ont passé les tourniquets du métro en même temps que nous, visiblement heureux de la projection et de la soirée, et parés à aller faire la fête dans la nuit parisienne. Aussi étrange que « Resolution » fut, je n’ai même pas eu envie d’aller leur demander quelques explications sur le film. Mes questions auraient certainement été aussi vagues et molles que mon ressenti à l’encontre de leur film. Mieux vaut tirer un trait et se préparer pour le lendemain, dernière journée à l’Étrange Festival…

vendredi 14 septembre 2012

L’Étrange Festival, 5ème jour : sur le nuage de Baraka

Les journées se font courtes, après le rush des premiers jours où les films s’enchaînaient. Alors que le festival entre tranquillement dans sa dernière ligne droite (clôture dimanche), ma présence se fait plus succincte. Et si en ce mercredi je ne suis venu que pour un unique film, ce fut tout de même pour un morceau de choix : « Baraka » de Ron Fricke, deux jours après avoir découvert son somptueux « Samsara ». Bien sûr, idéalement, j’aurais préféré les découvrir dans l’ordre chronologique, le Baraka de 1992 puis seulement le Samsara de 2012, mais on s’arrange comme on le peut avec son emploi du temps.

Je ne sais pas pour vous, mais moi, quand Baraka est sorti en salles en France à l’origine, début 1994, j’étais plus intéressé par le cinéma d’action hollywoodien et les longs-métrages populaires français que par les films tel que celui-ci. Bon, à l’époque j’avais douze ans et de nombreuses années se sont écoulées avant que j’entende parler du film de Ron Fricke. L’une des premières choses qui m’a sauté aux yeux lorsque j’ai posé mon regard sur la sélection de cette 18ème édition de l’Étrange Festival, ce sont les films de Ron Fricke justement. Samsara qui ne sortirait pas avant des mois en salles en France, et Baraka, que les occasions de voir sur grand écran sont plus que rares. Surtout lorsqu’il s’agit d’une version restaurée tout juste « sortie des presses » d’un laboratoire californien un mois à peine avant le festival. Certes j’aurais payé cher pour voir Samsara et Baraka projetés en 70mm, le format sous lequel ils ont été tournés, mais les salles capables de projeter un film en 70mm aujourd’hui ne sont pas légion.

Jan Kounen en a fait des jaloux dans la salle, lorsqu’au moment de nous présenter Baraka, il nous révéla que parmi les nombreuses fois où il avait vu le film de Fricke, il avait eu la chance d’assister à une projection privée du film en 70mm au Max Linder Panorama. L’un des plaisirs de découvrir le film à l’Étrange Festival tenait aussi dans le fait que Kounen nous le présentait. Entendre le réalisateur de Blueberry nous conter sa passion pour le film de Ron Fricke fut bien un plaisir en soit, et avant même le début du film, il était parvenu à nous communiquer son excitation (si cela était nécessaire…).

Lorsque Kounen en eut fini de son introduction et vint s’installer au premier rang, la lumière s’éteignit, la salle se mit à vibrer, et les montagnes de l’Himalaya apparurent à l’écran dans toute leur majesté. Pour l’occasion j’étais descendu plus près encore que pour Samsara. L’immersion devait être totale. Je voulais sentir le poids des images sur moi, ou plutôt non, je voulais m’envoler vers l’écran avec toute la majesté que m’offraient les plans de Ron Fricke. A côté de moi, ma voisine semblait ne pouvoir s’empêcher de souffler sans discrétion au moment d’expirer sa respiration. Au début cela eut le don de m’agacer, mais petit à petit, je me laissai bercer par le film, et bientôt ce souffle à mon oreille se dissipa parmi le son du vent, des instruments, des marées humaines qui peuplent Baraka. L’environnement de la salle disparut-il, celui du film écrasa-t-il ce qui pouvait bien se passer face à l’écran, je ne saurais le dire, mais le monde tel que vu à travers le regard de Ron Fricke accapara toute l’attention.

La parenté est évidente entre Baraka et Samsara, les deux films sont les échos et les reflets l’un de l’autre. Le petit frère Samsara prolonge la vision du cinéaste, pousse ses constats et interrogations toujours plus loin, mais il doit tout à Baraka (Terrence Malick et son "Tree of life" lui doivent sans doute une certaine influence également). Cette façon de regarder le monde, de l’ausculter, de le jauger, de le magnifier sans jamais trahir ce qu’il est vraiment. Avant cet Étrange Festival, je ne connaissais de Ron Fricke que le nom. Son cinéma s’est emparé de moi, et sa vision du monde et des hommes n’a pas fini de me hanter.

mercredi 12 septembre 2012

L’Étrange Festival, 4ème jour : et soudain, l’écran m’a happé


Ils sont marrants les programmateurs de l’Étrange Festival. On les sent passionnés par les films qu’ils ont choisi de nous montrer, c’est indéniable. On en viendrait presque à se demander s’ils n’en font pas un peu trop, lorsqu’avant chaque projection, on sait d’avance qu’ils vont nous annoncer que le film que l’on est sur le point de voir est un chef d’œuvre, ou le plus grand film de tel genre depuis tant d’années, ou qu’il est interprété par le meilleur acteur au monde. Hum… on commence à se méfier, même si la plupart du temps, les films sont effectivement bons, les superlatifs employés semblent un chouia déplacés.

Lundi après-midi, c’est « A fantastic fear of everything » qui a bénéficié d’une survente évidente. Celui-là nous a tout simplement été présenté comme « le meilleur film du festival » et « la comédie la plus drôle » de l’année. Ah ouais quand même, ils n’y vont pas avec le dos de la cuillère quand ils aiment un film. Après plusieurs films, on sait à quoi s’attendre, et je n’ai donc pas été surpris de constater que le film n’était à mes yeux ni le meilleur film du festival, ni le film le plus drôle de l’année (dors tranquille, « 21 Jump Street »). Mais encore une fois, le film s’est tout de même avéré sacrément sympathique, et la présence en tête d’affiche de Simon Pegg n’y est pas pour rien.

Le comédien britannique y campe un écrivain en pleine crise de paranoïa, cloîtré chez lui et persuadé qu’on cherche à l’assassiner. Bien sûr, le fait qu’il fasse depuis des semaines des recherches sur les grands tueurs en série de l’Angleterre Victorienne pour un projet de série l’a rendu un peu crispé. Du fond de son canapé ou penché au-dessus de son lavabo, il guette chaque bruit et mouvement suspect dans son appartement, prêt à se défendre contre tout agresseur potentiel, un couteau de cuisine à la main. Il y a véritablement quelque chose d’étonnant dans cette première moitié du film de Crispian Mills et Chris Hopewell. Un huis clos à un personnage, ne quittant presque jamais l'appartement, avec des dialogues en solitaire et un sens du cadre souvent sidérant. Ce n’est pas loin d’être unique en son genre. Les peurs du protagoniste se matérialisent entre rires et tension, et à défaut de parvenir à donner l’impression qu’un tel exercice de style pourra durer sur la longueur, « A fantastic fear of everything » a de la gueule.

Lorsque le scénario vire de bord, fait sortir le personnage de chez lui pour commencer un second huis-clos, cette fois dans un lavomatique, c’est presque comme si un second film commençait. Ce qui est à la fois regrettable et en même temps nécessaire pour insuffler un rythme qui commençait à manquer (du fait de l’absence de personnages secondaires ?). Le film trouve un second souffle là où il perd forcément en originalité. Plus prévisible, il gagne par contre en humour avant un dernier acte peu convaincant. Sur la longueur tout de même, j’ai eu bien du mal à voir en « A fantastic fear of everything » le film le plus drôle de l’année.

La raison aurait voulu que je coure à peine le générique de fin entamé. Oui, car la projection de la comédie britannique avait commencé avec trente minutes de retard dues à une alerte incendie au Forum des Halles plus tôt dans la journée, alerte qui avait décalé toutes les séances. « A fantastic fear of everything » s’est donc terminé exactement à l’heure où devait commencer le film suivant, que j’allais voir, Samsara. S’il y avait autant de monde que je le craignais pour ce dernier, j’aurais mieux fait de me presser pour être sûr d’avoir un bonne place… mais voilà, que voulez-vous, je n’arrive pas à partir avant la fin du générique, c’est comme ça, je suis incapable de me lever dès un film achevé, je dois laisser le générique défiler pour reprendre mes esprits et laisser le film finir de s’installer en moi. J’aurais l’impression de partir avant la fin du film autrement. Alors je suis resté, j’ai donné ma note sur le film pour le Prix du Public, et je suis ressorti.

Et effectivement, la réputation de Ron Fricke et la perspective de voir en avant-première son nouveau film qui remplit actuellement les salles art & essai nord-américaines ont attiré en masse les cinéphiles parisiens. La queue était longue. Mais rester jusqu’à la fin du générique de « A fantastic fear of everything » a dû doper mon karma en bonnes ondes, car alors que je m’apprêtais à remonter la longue file d’attente pour m’y poster à son extrémité, je suis tombé sur un compère cinéphile qui se reconnaîtra et m’a alpagué à mon passage, commençant à m’interroger sur le film que je venais de quitter. Après une minute de discussion, il me demanda si j’allais voir Samsara, je lui dis oui, et il m’invita à le rejoindre dans la queue, lui qui était posté parmi les premiers. Les Dieux du cinéma étaient donc avec moi en ce jour ! J’acceptai et après quelques minutes, nous entrâmes parmi les tous premiers dans la grande salle 500 dont je venais de sortir. Bon, c’est là que je dus quitter mon bienfaiteur, car étant un peu maniaque sur mon positionnement dans la salle, je n’ai pu me résoudre à m’installer avec lui et ses amis qui se plaçaient trop haut à mon goût, et je descendis donc me caler bien en face de l’écran, paré pour une aventure cinématographique unique.

Je n’avais pas encore vu la salle 500 aussi proche d’être pleine depuis le début du festival, pour cette carte blanche à Jan Kounen qui avait choisi de présenter les films de Ron Fricke, Baraka surtout parce qu’il le connaît bien (je le verrai plus tard), et ce tout récent Samsara, que lui-même n’avait pas encore vu et s’apprêtait à découvrir à nos côtés. D’ailleurs après sa présentation, Kounen sembla déçu d’apprendre que la place que le festival lui avait réservée se trouvait au dernier rang de la salle. Je le comprends, si vous connaissez la salle 500 du Forum des Images, plus on est au fond, plus on est au-dessus de l’écran, en plus de s’en éloigner bien sûr - ce qui en soit est déjà horrible. Alors en remontant la salle vers sa place réservée si haut, il demanda à un spectateur placé un ou deux rangs en dessous de moi si le fauteuil à côté de lui était libre, mais il ne l’était pas, et le réalisateur se résolus donc à se poster si loin.

Moi j’étais au sixième rang (rétrospectivement, un rang trop loin), pile en face de l’écran, la tête prête à y plonger. Samsara est de ces films dans lesquels on se sent précipité la tête la première, oubliant que l’on se trouve entouré de centaines d’autres spectateurs dans une salle de cinéma. Le monde autour de nous arrête de tourner et l’écran devient l’unique réalité. Les sens s’éveillent, les yeux se font immenses pour capter la moindre image, le moindre détail. Samsara n’est pas un film comme les autres. C’est un documentaire, sans en être vraiment un. C’est une succession de scènes, de plan, tournés aux quatre coins du monde, sans commentaires, presque sans paroles, seulement les sons qui peuplent les contrées visitées par la caméra de Fricke. C’est un film sur le monde qui nous entoure et les hommes et femmes qui le peuplent. Le monde tel qu’il est, tel que nous le voyons et que nous le vivons, tel que  nous le façonnons. Pour le meilleur et pour le pire. Fricke parvient au passage à prouver de fort belle façon que même sans un mot, il est possible de raconter une histoire par le simple biais du montage.

A la sortie, le hall du Forum des Images rugit de commentaires. Certains avaient les images encore imprimées sur la rétine, pour longtemps, d’autres avouaient à demi-mot qu’ils s’étaient ennuyés. Moi je marchais sur un nuage, les sons de mes congénères bourdonnant à mes oreilles, les images de Ron Fricke se bousculant encore dans ma tête. La beauté des déserts et l’incongruité des usines. Les couleurs, les sons, les visages. Le vide et le fourmillement. Samsara est encore en moi, en attendant que Baraka ne vienne l’y rejoindre.

lundi 10 septembre 2012

L’Étrange Festival, 3ème jour : loups garous espagnols et fantômes chinois


Un rien peut me perturber une projection. Et parfois cela n’a rien à voir avec les autres spectateurs, rien à voir non plus avec les qualités de projection, non, parfois, ce n’est vraiment rien. Dimanche soir, pour la projection de « Games of werewolves » (en VO, "Lobos de Arga"), l’Étrange festival avait invité le réalisateur espagnol du film, Juan Martines Moreno, et son acteur principal Gorka Otxoa. Bon certes la grande salle 500 n’était même pas à moitié pleine, mais l’enthousiasme du cinéaste à l’idée de présenter son film dans « la capitale mondiale de la cinéphilie » comblait le vide. Après quelques mots sympas, une petite présentation du film, et quelques mots de l’acteur, le réalisateur nous annonça qu’il avait un petit cadeau pour nous avant de nous laisser regarder le film. Quelque chose qu’il avait l’habitude de faire lors des séances de  questions/réponses en fin de projection, mais puisqu’il n’y aurait rien de tel à l’issue de cette projection, il nous proposait de le faire sur le moment. Un petit quiz sur les films de loups garous qui vaudrait à deux personnes dans la salle un comic book tiré du film et la bande-originale pour accompagner.

Les films de loups garous ne sont pas ma spécialité, je ne m’attendais donc nullement à remporter l’un des deux cadeaux, me doutant qu’il y avait certainement assez de connaisseurs dans la salle pour se battre. Et puis boum, la première des deux questions tombe : « Quel acteur interprète le protagoniste du Loup-garou de Londres de John Landis ? ». Tout de suite, le visage de l’acteur se dessine dans ma tête, une ou deux mains se lèvent, je me dis que c’est plié. La première main répond Jack Nicholson (???), la seconde David McNaughton. La réponse est non aux deux. Je m’apprête à lever la main en me disant « Mais ils sont nuls ou quoi c’est… c’est… ». Et là, le blanc. Le vide intersidéral. Mais comment s’appelle-t-il déjà ! Mais c’est pas possible je ne connais que lui ! Il a joué dans « Le Grand Bleu » ! Dans « After Hours » ! Il a même réalisé la comédie romantique à la con avec Meg Ryan et Matthew Broderick à la fin des années 90 ! Ah mais bon sang c’est… c’est… Non ça ne vient pas. Ils filent le cadeau à celui qui a répondu David McNaughton, posent la deuxième question, l’homme aux sacs plastiques a la réponse et remporte son comic book et sa BO.

Et alors que le film commence. Je repense à l’acteur du « Loup-garou de Londres ». Comment s’appelle-t-il à la fin ? Sam… Non, ce n’est pas ça… Dan… non plus. David… Je ne sais plus. Et son nom de famille, ne finit-il pas en « -on » ? Non, en « -ell » je crois… Ça n’a pas quitté mon esprit pendant les trois premiers quarts d’heure du film. Tomas le jeune écrivain qui retourne dans le petit village  où il a passé son enfance, un village où pèse une malédiction et où sévit un loup-garou. Tomas ne sait pas que les villageois veulent le sacrifier au loup-garou pour mettre un terme à leur malédiction. Pourra-t-il s’en sortir ? J’essayais de consacrer pleinement mon attention à cette comédie horrifique qui me semblait parfaitement réjouissante, mais rien à faire, mon esprit revenait constamment à l’acteur du « Loup-garou de Londres ». Jusqu’à ce qu’enfin j’arrive à glisser cette obsession sous un tapis de mon cerveau, pour me plonger entièrement dans « Game of Werewolves », alors que la moitié du film s’était déjà envolé. Carlos Areces, l’acteur principal de « Balada Triste » d’Alex de la Iglesia, acteur in dans le cinéma espagnol actuel, tient l’un des rôles principaux du film et contribue à apporter de la joie à cette farce macabre rendant joliment hommage aux classiques du genre. Rires et sursauts se sont mêlés et ont finalement réussi à m’emporter.

Cela tombe bien parce que quelques heures plus tôt, j’étais tombé sur un os. Le premier à cette 18ème édition de l’Étrange Festival. Le problème quand un festival commence sur les chapeaux de roue, c’est que la baisse de tension est presque inévitable. A voir au moins deux films par jour, à un moment ou à un autre, on est condamné à tomber sur du mauvais, il faut seulement espérer que cela arrive le moins possible. Du vraiment mauvais, pas de la simple déception comme Motorway la veille. En même temps il serait difficile à l’Étrange Festival de nous en vouloir de ne pas aimer un film lorsque Rurik Sallé qui introduit le film (celui-là même qui nous avait survendu Motorway) laisse entendre que le film n’est pas exceptionnel.

Ce film, ce mauvais film, c’est « A Chinese Ghost Story » de Wilson Yip, remake d’un classique du cinema HK des années 80, et remake qu’il est impossible de désigner autrement qu’en le qualifiant de parfaitement inutile. J’ai eu beau avoir un espoir que le film me plaise par le simple fait que l’homme qui m’avait survendu Motorway semblait ne pas être fan, mais non, pour le coup, il avait bien raison. Démons et chasseurs de démons s’affrontent dans un ballet qui n’a de fantastique que le genre, virevoltant devant la caméra mais désolant le spectateur. Désolant par son incapacité à faire naître la moindre étincelle de vie, désolant dans la mollesse de son récit, dans la fadeur de ses personnages, dans cet esthétisme qui ne prend pas et paraît laid même s’il ne l’est pas tant que cela.

Louis Koo, loin des polars contemporains de Johnnie To, fait ce qu’il peut, mais rien n’y fait. C’est un film déjà fatigué, déjà dépassé, déjà inutile, qui ne trouve un sursaut de vie que dans une réplique qui semble parfaitement déplacé mais a le mérite, enfin, de nous sortir de l’encéphalogramme désespérément plat (Louis Koo balance un mystérieux liquide à son ennemi « Tiens c’est de la pisse de vierge, ça fait des années que je la garde, c’est ma touche personnelle ! » que personne n’a vu venir). C’est la première et (et dernière j’espère) fois que je me demande, depuis le début du festival, ce qu’il est passé par la tête des programmateurs pour nous offrir un tel spectacle. Après cela, le niveau ne pouvait que remonter, et ce fut donc le cas avec les loups garous espagnols.

Et puisque l’on reparle de « Games of Werewovles », c’est alors que je passai le tourniquet du métro pour rentrer chez moi, à la fin de la journée, que le nom de l’acteur américain du « Loup-Garou de Londres » s’est enfin matérialisé dans mon esprit : Griffin Dunne ! Mais oui c’est cela, Griffin Dunne ! Comment ai-je pu occulter son nom pendant toutes ces heures ! Griffin Dunne… Et puis rentré chez moi, je suis allé sur IMDb, et je me suis rendu compte que le nom qu’attendait certainement le réalisateur était « David Naughton », que Dunne ne jouait pas le héros mais son pote. Bon sang, je me suis gâché la moitié d’un bon film pour rien. Enfin, même si cela avait été lui, je me le serais gâché pour rien. Je me disais aussi… je savais bien que je n’étais pas un spécialiste du film de loups garous !

dimanche 9 septembre 2012

L’Étrange Festival, 2ème jour : bagnoles HK et noir norvégien


Les attentes peuvent être trompeuses. Samedi, deux films étaient inscrits à mon programme de l’Étrange Festival 2012, l’un que je guettais avec impatience, l’autre qui n’était pas loin de m’être inconnu. Le premier des deux ouvrait la journée, 14h30, l’heure où les spectateurs de l’étrange sont sur les starting blocks pour une journée de plus au Forum des Images. Salle 300, l’homme aux sacs plastiques avance toujours incognito pendant que l’homme au chronomètre scrute la salle à la recherche de visages familiers. Il y a du monde qui s’est déplacé pour « Motorway », un polar HK signé Soi Cheang.

Je garde un fauteuil idéalement placé pour un ami, fauteuil convoité par cette spectatrice aimant applaudir que j’avais croisé à Paris Cinéma en juillet dernier. Le tempo est plutôt à l’excitation, Motorway oblige, même si la projection cale au démarrage. Après l’apparition du logo Media Asia, l’image se transforme en un nuage gris de mauvais augure. La salle se rallume. Après une minute écoulée, l’homme au chronomètre profite de cette interruption précoce pour aller saluer un de ses potes de la Cinémathèque, chronomètre toujours autour du cou pour le relancer dès que le film commencera à nouveau. Ce qui se produit trois minutes plus tard.

L’attente suscitée par Motorway s’est avérée presque vaine. A l’excitation s’est assez rapidement substituée la déception. Annoncé comme une petite bombe, le film n’est pas loin de provoquer les bâillements, faute de réelle ambition. En suivant une paire de flics à la dynamique jeune/vieux qui sont préposés à la route, et leur course pour mettre la main sur deux truands qui filent à toute allure, Soi Cheang ne parvient pas à franchir le cadre de l’attendu. Certes les courses automobiles sont filmées avec un certain panache, mais le film peine à afficher de la substance. Il nous fait tous les vieux coups du film mentor/élève, avec un sérieux bien trop appuyé lorsqu’il s’agit d’enseigner à prendre des virages ultra serrés dans des ruelles à angles droits. C’est tout juste si l’on ne se croirait pas dans un Karaté Kid de la bagnole dans certaines scènes, sans la moindre malice.

On s’amuse, un peu, Anthony Wong affiche une mine bonhomme qui est loin de justifier que le présentateur du film l’ait proclamé « Meilleur acteur du monde » (hum… dans le genre film survendu en préambule, chapeau), et Josie Ho fait trois ou quatre apparitions fantomatiques (on la préférait dans « Dream Home »…). Le fait que les conditions de projection n’étaient pas optimales, avec des plans saccadés tout du long et des trous sonores épisodiques, n’ont rien arrangé. Motorway figurait aisément dans le Top 3 des films que j’attendais le plus lors de cet Étrange Festival, mais les chances que je l’oublie rapidement sont réelles. Tout le contraire de « Headhunters ».

Il faut dire que le film norvégien avait pour lui un avantage non négligeable : mes attentes étaient inexistantes en ce qui le concernait. Bien sûr, j’en avais entendu beaucoup de bien, mais les films noirs scandinaves ne se trouvent pas vraiment dans mon giron cinéphile, et en plus de n’avoir vu aucune image du film, je savais à peine de quoi il retournait. J’avais donc bien tout à apprendre et découvrir de Headhunters. Et la découverte fut grande. Enthousiasmante. Ebouriffante. Je sais qu’il me reste encore de nombreux films à voir au cours de l’Étrange Festival, mais le niveau devra être élevé pour que je revoie quelque chose d’aussi bon.

Que dire ? J’aimerais tant en dire en même temps que rien du tout. Car s’il est une force qui caractérise Headhunters, c’est celle de balader le spectateur. De nous offrir un visage que le réalisateur va prendre un malin plaisir à déformer tout au long du récit, sans jamais nous laisser sur le bas-côté, nous entraînant toujours au plus près des personnages et de l’intrigue. Je ne peux rester muet au risque de ne pas faire naître l’étincelle de la curiosité. Le protagoniste, Roger, est chasseur de tête. Il est haut placé dans un cabinet de recrutement, a une grande maison, une femme magnifique, une vie proche de l’idéal. Mais Roger n’est pas que cela. Roger dérobe également des peintures à ses heures perdues.

C’est ainsi que l’on découvre Headhunters et son personnage principal, et ce point de départ que nous présente le réalisateur va vite être malmené, détourné, amplifié. Imaginez les ruelles de Hong Kong que nous fait parcourir à toute allure Motorway. C’est ainsi que l’on pourrait se représenter le scénario de Headhunters. Un dédale de possibilités, des routes qui se succèdent, chacune tranchant avec celle qui la précède. Un ballet narratif passionnant explorant tout le potentiel du film noir, arnaque, vol, manipulation, tromperies, méfiance, violence, mort. Avec une aisance insolente, le réalisateur pousse chaque pion de son scénario millimétré dans une direction inattendue, creusant toujours plus loin le sillon du retors, avec un savant dosage de réalisme et d’invraisemblable qui confère même au film un sens de l’humour délicieux.

Je ne sais pas ce que me réserve l’Étrange Festival dans les jours à venir, mais j’en suis désormais certain, j’ai bien fait de venir.

samedi 8 septembre 2012

L’Étrange Festival, 1er jour : poisse espagnole et peur irlandaise


S’il est permis de penser que les premiers films vus au cours d’un festival définissent la qualité de la manifestation à venir, alors les espoirs sont forts pour la 18ème édition de L’Étrange Festival. Concocter son programme pour suivre un tel évènement cinéphile nécessite choix drastiques et paris hasardeux que l’on préfère ne pas avoir à regretter, alors tomber d’entrée de jeu sur des films qui nous confortent dans nos choix, cela fait grimper l’envie d’un cran supplémentaire – si c’était possible.

Certains diront qu’en décidant d’entamer le festival par le nouveau film d’Alex de La Iglesia, le risque était mesuré, mais ceux-là auront certainement adoré ce « Balada Triste » qui m’a été une telle souffrance cinématographique. Non, « Un jour de chance » n’était pas une évidence dans mon programme, et Salma Hayek ne m’eut-elle envoûté à jamais ce jour où je l’ai découverte dansant sur les tables du Titty Twister, peut-être aurais-je été moins enclin à me poster dans l’amphithéâtre du Forum des Images ce soir-là. Mais heureusement ce fut le cas.

Contrairement à ce que laisse penser le titre au premier abord, la journée de Roberto, protagoniste d’ « Un jour de chance », se déroule diablement mal. Après avoir été agressé par un SDF, arrosé de la tête au pied avant un rendez-vous crucial et humilié par un ancien ami qui lui refuse un job, Roberto va voir sa journée se terminer sur une tige de fer. Tombé d’une grue, et la tête percée. Mais cet évènement dramatique va se transformer aux yeux de Roberto, miraculeusement conscient mais incapable de bouger, en une opportunité unique de passer de looser pathétique à winner connu de tous lorsque les caméras du monde entier s’intéressent à ce pauvre bougre planté sur sa tige en position christique.

Il est étonnant de découvrir le nouveau film du cinéaste espagnol quelques jours après avoir fait les frais du « Superstar » de Xavier Giannoli, car bien qu’ils soient très différents dans la forme et sur certains points essentiels, il y a une concordance évidente entre les deux longs-métrages, dans leur volonté de mettre en scène et dénoncer cette société du spectacle permanent, cette époque où les valeurs les plus recherchées sont celles de l’argent et de la reconnaissance. « Un jour de chance » est une comédie noire qui s’amuse à tourner en dérision les obsessions humaines contemporaines tout en s’inscrivant dans l’observation sociétale d’une Espagne, et plus généralement d’un monde, en crise. L’être humain qu’il prend pour héros se sait dans une situation au bord du gouffre mais en bon publicitaire qu’il est détecte les possibilités qui s’offrent à lui dès lors que les caméras sont braquées sur lui. Il ne s’agit pas tant d’être célèbre, mais de tirer parti des quinze minutes de célébrités par tous les moyens possibles, même s’il faut pour cela empiéter sur la dignité humaine. Et si les êtres sont ainsi aujourd’hui, c’est bien la crise qui est la première fautive.

Certes le scénario manque parfois de finesse, mais d’audace certainement pas (malgré un dernier acte un peu trop moral où les valeurs familiales reprennent le pouvoir), tout comme le second film vu lors de cette première journée à L’Étrange Festival. Celui-là, l’irlandais « Citadel », était précédé d’une flatteuse réputation qui a suffi à me faire immédiatement retourner dans l’amphi du Forum des Images sans passer par la case départ. Le réalisateur présent en début de projection nous révéla que malgré le genre, l’envie de faire le film était partie de son expérience personnelle d’agoraphobe suite à une violente agression dont il avait été victime. Bien sûr, dans le film, cela va plus loin que cela. Tommy, un jeune homme marié, voit sa femme enceinte se faire attaquer par une bande de jeunes dans leur immeuble. Le bébé sera sauvé, mais pas la mère. Dès lors, après avoir déménagé quelques rues plus loin, et alors que les agresseurs courent toujours, Tommy n’ose plus sortir de chez lui. Jusqu’à ce que les agresseurs refassent surface et menacent son bébé.

Ce qui frappe dans Citadel, c’est l’intensité dramatique qui s’en dégage. Ces agresseurs au physique étrange, inquiétants, qui n’ont pas l’air tout à fait humains. Cette banlieue sinistre, grise, froide, industrielle, menaçante. Cette présence sourde mais palpable d’une menace qui pèse constamment. Le jeune réalisateur instaure une atmosphère suffocante et terriblement angoissante qui imprime totalement la pellicule. A mesure que Tommy doit faire face à sa phobie et à ses agresseurs, l’angoisse se transforme en peur. Et non content de tisser cette ambiance glacée, le cinéaste se montre à l’aise dans la métaphore, ces jeunes agresseurs que la société a enfanté avant de la laisser pourrir dans son coin, retranchée dans des barres d’immeuble où elle espérait qu’elle se ferait oublier alors que d’elle nait la peur et surgit la violence, tant et si bien que la seule réponse que l’on sait lui trouver, c’est la violence en retour.

Le film est fort, décidément très fort… pourtant il est loin d’être exempt de défauts, au premier rang desquels se situent une nette approximation scénaristique, et des personnages trop souvent esquissés dans la facilité, en dépit du bon sens. L’agacement m’a souvent assailli au cours de la projection, à la vue d’une telle maîtrise visuelle gâchée par des détours narratifs flous qu’il est difficile de pardonner. J’aurais voulu embrasser le film, me laisser embarquer et me prendre une claque, je n’en étais pas loin, mais ce ne fut finalement pas le cas. Une belle gueule et un bon caractère ne suffisent parfois pas pour tout emporter sur son passage. Mais c’est nettement suffisant pour me sentir déjà bien dans cet Étrange Festival, 18ème du nom. Les films font d’emblée effet (comme l'an passé), l’ambiance est là, l’homme aux sacs plastiques tente de passer incognito sans ses sacs plastiques. Vivement la suite.

jeudi 6 septembre 2012

L’Étrange Festival fête ses 18 ans !


Où étais-je, moi, il y a dix-huit ans ? J’étais au collège, et je crois bien qu’à l’époque j’étais plus intéressé par les jeux vidéos et le foot avec mes potes qu’au cinéma. Et inutile de préciser que L’Étrange Festival, si la ligne programmatrice était la même qu’aujourd’hui, ne m’était pas franchement destiné, moi qui pouvait depuis peu accéder aux films interdits aux moins de 12 ans. Pourtant nos trajectoires à l’époque opposées se sont depuis bien rapprochées jusqu’à se rejoindre totalement. Et aujourd’hui l’amoureux des salles obscures que je suis devenu ne manquerait pour rien au monde ce rendez-vous incontournable qu’est « L’Étrange Festival » pour tout amateur parisien de cinéma de genre. J’y ai marché sur la Lune avec Sam Rockwell, j’y ai échappé à un bain de sang dans un immeuble hongkongais, je m’y suis pris pour un superhéros ordinaire. Au fil des ans, L’Étrange Festival m’a offert des voyages cinématographiques trippants, dérangeants, excitants, éblouissants, fascinants. Décevants aussi parfois, bien sûr. Mais la qualité première de la manifestation, c’est cette imprévisibilité que l’on y ressent. Du moment où l’on s’assoit et que la lumière s’éteint la seule certitude à laquelle on peut s’accrocher est que l’œuvre que l’on s’apprête à découvrir sera hors norme.

Alors forcément, lorsque l’heure de la rentrée a sonné et que septembre pointe le bout de son nez, si la mélancolie post-estivale guette, la perspective de ce festival célébrant le cinéma étrange réchauffe les cœurs, avant de potentiellement le glacer pour notre plus grand plaisir. C’est aujourd’hui que L’Etrange Festival fête ses 18 ans, mais si je n’y suis pas encore, comptez sur moi pour prendre le train en marche dès le deuxième jour, et pour n’en redescendre qu’au terminus. J’ai déjà fait mon programme, et celui-ci comporte des films d’horreur irlandais et espagnols, des fantômes et des loups-garous, du film noir, du documentaire et de la comédie fantastique. Certains sont attendus avec impatience, d’autres des paris opportunistes. Il suffit qu’un seul d’entre eux me transporte, et le festival sera inoubliable. En route pour dix jours d’étrange.
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