Quand on me parle de Yongsan, j’ai une image qui me vient
en tête. Le multiplexe du centre commercial attenant à la gare et dans laquelle
se déroule le climax de Helpless.
C’est le dernier film que j’ai vu au FFCP 2012 jeudi, un polar carré qui a
conclu une journée riche en films et en péripéties diverses. En voyant ces
dernières minutes du film, j’ai repensé à ces deux fois au cours de l’été 2009
où je suis allé au cinéma dans ce quartier séoulite, voir Haeundae et Take Off.
C’était déjà à Yongsan qu’avait commencé la journée, avec
le documentaire « Two Doors » qui ouvrait le bal. Un film retraçant
un épisode ayant secoué Séoul il y a trois ans, la répression par les forces de
l’ordre de manifestations s’opposant à des expropriations dans le quartier de
Yongsan, une triste page qui s’était conclue avec six morts (dont cinq
manifestants) et des condamnations à la prison ferme. Pour nous présenter le
film, le festival avait fait appel à une militante coréenne ayant vécu la
tragédie de près, et qui nous a introduits le documentaire au bord des larmes.
« Two Doors » promettait d’être un documentaire fort, frappant sans
vergogne d’entrée de jeu le gouvernement coréen pour son comportement dans
l’affaire, et plus généralement l’ensemble de l’œuvre politique du président
conservateur Lee Myung Bak.
Hélas, il y a des jours comme ça où la meilleure volonté
du monde ne peut rien contre la poisse. La poisse du festival, et la poisse du
spectateur. Les problèmes techniques sont le lot commun des festivals, mais
certains jours, ils s’accumulent plus que de raison, et ce jeudi était l’un de
ces jours au FFCP. Sur les quatre films inscrits à mon programme, trois furent
frappés du sceau de la malédiction technique (bon ok, je vais y aller mollo sur
l’emphase). « Two Doors » fut le premier d’entre eux, lorsqu’au bout
de 30 minutes de projection à peine, les sous-titres se firent la malle, paumés
quelque part entre le projecteur et l’écran. Le film continuait, mais à moins
d’être coréen ou bilingue, difficile de suivre un documentaire assez
procédurier sans l’aide de ces sésames du bas de l’écran. Au bout de 15 minutes
de projection sans sous-titrage, alors que deux spectateurs avaient prêté main
forte à la jeune femme chargée de gérer le sous-titrage dans la salle, le film
fut finalement interrompu pour nous annoncer officiellement la présence d’un
problème technique… qui ne pouvait être résolu sur le champ, signifiant par là
même l’annulation de la projection.
Déception, forcément, pour toute une salle qui était tout
de même bien fréquentée, et incompréhension peut-être pour les spectateurs coréens qui eux
n’étaient pas gênés par l’absence de sous-titres et auraient certainement aimé
pouvoir voir la fin du film même sans ceux-ci… Allez, pour la peine, le lot de
consolation (enfin, même si « Two Doors » s’était passé correctement,
c’était au programme…) s’appelait « The empty dream », le deuxième
film projeté dans le cadre de la thématique « Parfum de scandale » de
la section classique. Je disais hier l’importance de voir du monde se déplacer
pour ces raretés coréennes, et cette seconde projection est venue confirmer la
curiosité des spectateurs. Allez savoir si les mots « scandale » et
« érotisme » n’y sont pas pour quelque chose…
Bon, ceux qui étaient venus se rincer l’œil avec
« The empty dream » en sont sûrement sortis un peu déçus, car si
érotisme il y a bien dans le film de Yoo Hyeon Mok, tout se joue sur la
suggestion et la métaphore. Et tout commence dans un cabinet de dentiste, où un
patient qui reluque les jambes et le décolleté d’une jeune femme venue souffrir
sous la roulette commence à se faire des films. Et bientôt, tout le film n’est
plus que le fantasme halluciné de cet homme au regard baladeur qui va se rêver
sauveur de cette belle nana prise dans les griffes d’un magicien maléfique qui
aime bien la fouetter. Oui, quand même.
Si les premières minutes sont assez fortes parce
qu’encore ancré dans un certain réalisme, le film devient un beau foutoir quand
le récit abandonne tout réalisme pour embrasser le rêve à pleine bouche. C’est
court, pêchu, cheap, fou, des palmiers
miniatures dans un décor ensablés succèdent à un p’tit vieux hébété se
baladant dans un magnifique caleçon qui pourrait faire fureur si plus de monde
voyait le film. On est loin du film à scandale qui aurait pu remué la société
coréenne à l’époque pour la façon dont elle s’y trouvait dépeinte, comme dans
« Madame Freedom », mais plutôt dans un petit délire barré qui colle
de beaux sourires aux lèvres.
C’est déjà bien, et plus que ce qu’a pu m’offrir
« Ashamed » à la séance suivante. Pourtant le bruit courait depuis le
début du festival que le film bénéficiait d’une bande-annonce alléchante (que je
n’avais pas vue) annonçant un film
potentiellement beau… mais j’ai eu l’impression de vivre une expérience
cinématographique assez similaire à « From Seoul to Varanasi » la
veille, avec une continuité assez évidente sur la forme pour le même effet sur le fond.
Le film est un patchwork de scènes plutôt léchées
visuellement suivant le parcours chaotique d’une… non, deux… non trois jeunes
femmes, et les relations humaines et amoureuses tortueuses qui les unissent
successivement. Les époques se succèdent à coups de va-et-vient auxquels on
voudrait une fois de plus trouver une réelle plus-value narrative qui ne se
fait jamais jour. Le récit se délite peu à peu, comme dans « From Seoul to
Varanasi », tel un exercice de style semblant malheureusement vain, ne débouchant
sur rien et affaiblissant au passage les réflexions que semble vouloir toucher
du doigt le réalisateur Kim Soo-Hyun et paraissent du même coup un peu fumeuse.
Et pour ne rien arranger, le film est long, terriblement long, affichant plus
de deux heures au compteur que le charme des actrices (dont Kim Kkobbi, vue
dans le poignant « Breathless »)
ne parvient pas à amoindrir, d’autant qu’elles conduisent le film vers une
hystérie abrutissante. Comme pendant « Two Doors », les sous-titres
français se sont carapatés en cours de route, mais heureusement les sous-titres
anglais incorporés à la copie ont permis de se maintenir à flot.
Les cris de « Ashamed » résonnaient encore à
mes oreilles lorsque je me remis dans la file d’attente, devant le Saint-André
des Arts, à attendre que les portes s’ouvrent pour la dernière fois de la
journée sur la séance de 22h, ce Helpless
qui allait de nouveau me conduire à Yongsan après la première tentative de
la journée. Et après la fantasmagorie de « The empty dream », après
l’hystérie morcelée de « Ashamed », finalement, je fus bien content
de trouver en Helpless un polar
classique et bien carré. Un homme perd la trace de sa fiancée sur une aire
d’autoroute alors qu’ils se rendaient chez ses parents. D’abord paniqué à
l’idée que sa femme ait pu être enlevée ou tuée, il va peu à peu découvrir,
grâce à un vieil ami ancien flic menant l’enquête pour lui, que celle avec qui
il partageait sa vie n’est pas du tout la femme qu’elle disait être.
On pourra reprocher à Helpless
de ne pas chercher à réinventer le genre, de n’être ni spectaculaire, ni
ahurissant, ni parfaitement palpitant. Mais c’est un thriller solide et
intrigant qui au bout d’une journée pleine de péripéties et films fous en tous
genres se révèle être ce petit moment de repos finalement attendu. La salle
tremblait sous nos pieds des bruits de « War of the Arrows » dans
l’autre salle. Le projectionniste eut un petit raté qui nous sortit du film
pendant une minute, mais ce fut un détail. Yongsan fut la dernière image de la
journée sur grand écran, après avoir été la première. La boucle fut bouclée.
10 commentaires:
Dans Ashamed y a quand même des idées, même s'il faut bien admettre qu'au final leur ne produit pas grand chose. Mais bon, des idées c'est précieux, ça sauve un peu l'ensemble. Par contre je suis déçu que tu ne mentionnes pas la magnifique gradation "you fucked my wife?", "is my son your son?", "Am I your fucking son too?" que j'ai trouvée particulièrement géniale.
Autre question, j'ai rêvé où tu t'es fourvoyé aujourd'hui : "Je sais d’ores et déjà que cette année, je n’irai pas voir « L’ivresse de l’argent » de Im Sang-soo, sachant que dans trois mois il sera à l’affiche" (j'étais assez loin et j'ai pu me tromper de silhouette).
il manque "réunion" quelque part entre "leur" et "ne" dans la première phrase.
Je t'accorde qu'au moins, Ashamed tente des choses et a des idées, même s'il y en a trop, dans tous les sens et surtout les mauvais. Mais il y a de belles choses qui se dégagent, dont cette scène au resto que j'ai manqué de mentionner tu as raison et qui est peut-être la meilleure du film, mais vu que toi tu ne l'as pas oubliée, ça va ;)
Eh bien tu as rêvé, je ne me suis pas fourvoyé. T'étais là aujourd'hui, je t'ai pas vu ! Non ce soir je suis allé voir "Love Fiction", ID et Epikt étaient avec moi ils pourront témoigner en ma faveur ;)
Ok au temps pour moi, je me disais bien que tu étais un homme de parole. L'Ivresse de l'Argent c'est vraiment bien (surtout en comparaison de Love Fiction), je suis de plus en plus fan du ton au 1,5 degré de ISS et sa mise en scène clinquante colle bien aux hautes sphères qu'il dépeint. Tu verras ça en janvier du coup
Je verrai ça en 2013 oui. Quant à Love Fiction, ma perception du film a été biaisée par le fait que j'avais enchaîné auparavant "Self Referential Traverse" et les courts de Kim Kyung Mook. J'avais un besoin vital d'une comédie superflue après ça. Alors Love Fiction m'a fait un bien fou ;)
Ça me démange... j'essaie de me retenir mais, mais, mais...
http://youtu.be/tmJr889SL4o
^^
74sumiga
ben en fait plastic man est comme moi à la .... cinémathèque!
@ID : Essaie de te retenir la prochaine fois ;)
@F : Ça ne m'étonne pas de lui !
Vu "Helpless". Un polar qui se tient. C'est dommage qu'il n'essaie pas d'être un peu plus ambitieux mais ça passe son temps. L'idée de départ est pas mal avec les investigations (du fiancé et de l'ex-flic) qui montrent la nature réelle de la jeune femmes disparue. La 3ème partie, j'ai tout de même été moins dedans. Y a quelques longueurs dont on aurait pu se passer.
On se rejoint encore une fois sur ce film-là, cher ID ;)
Enregistrer un commentaire