Le ras-le-bol me guette. J’ai l’impression qu’en ce
moment, les dieux de la cinéphilie sont contre moi et que les projections
tordues s’enchaînent. J’ai beau me dire que c’est parce que je vais beaucoup au
cinéma que je tombe régulièrement sur des connards en guise de co-spectateurs,
je commence à sérieusement douter. La poisse me poursuit peut-être
véritablement en ce moment. Et là j’ai comme un besoin de souffler. De laisser
les cons de côté, de les oublier et de rester entre gens de bonne compagnie.

Bien sûr, finalement, alors que je trouvais vraiment bête
que des cinémas déprogramment « Sinister » de Scott Derickson suite
aux perturbations connues le soir d’Halloween dans certains multiplexes
projetant « Paranormal Activity 4 », il a fallu que je voie
« Sinister » lors d’une séance amplement perturbée. Non, je ne
suis pas allé voir le film en VF dans un multiplexe de banlieue
un samedi soir. J’y suis allé un
dimanche, en début d’après-midi, dans un cinéma supposé être, malgré son grand
nombre de salles, plus « art & essai » que le tout-venant des
multiplexes, à savoir le
MK2 Bibliothèque. Je me souviens encore de cette phrase
de Nathanaël Karmitz, le patron de MK2, lue récemment, qui disait que lorsque
l’on va voir « Harry Potter » dans un multiplexe lambda, on va voir
un blockbuster, mais lorsque l’on va voir « Harry Potter » dans un
MK2, on se cultive. Bah mon vieux, tu traînes pas souvent dans tes cinémas,
sinon tu tournerais plusieurs fois la langue dans ta bouche avant de dire une
connerie pareille. Désolé pour le tutoiement, je suis encore un peu tourneboulé
par la séance « culturelle » que je viens de vivre dans l’un de vos
établissements… (vous voyez, le vouvoiement de rigueur est vite revenu).
Je ne saurais accuser le MK2 Bibliothèque (seul) des maux
de cette pénible séance de
Sinister que
j’ai vécu. Il y a très certainement plusieurs paramètres qui ont fait que ce
jour, en cet endroit, il était écrit que je vivrais une des projections les
plus pénibles de ma vie de spectateur, probablement la pire depuis celle,
malheureusement inoubliable,
de « Dernière séance ». Il y a le genre du film, il y a l’éducation
des spectateurs, il y a les smartphones… Et la gestion des salles du MK2
Bibliothèque, quand même, désolé.
Bon, reprenons au commencement. C’était un beau dimanche
de novembre, bon d’accord, météorologiquement parlant, c’était plutôt un
dimanche pourri, mais pour moi c’était un beau dimanche qui avait commencé
autour d’un brunch entre amis et qui allait se poursuivre vers un bon film au
ciné. Direction le MK2 Bibliothèque en ce début d’après-midi pour aller se
faire peur avec Sinister. Cela me
semblait un bon choix pour découvrir le film, plutôt que d’aller le voir un
soir entouré de spectateurs emmerdants comme cela peut souvent être le cas en
soirée. Dans les couloirs du cinéma, pas grand monde. A un quart d’heure du
début de la séance, nous ne sommes que cinq ou six à attendre l’ouverture des
portes pour la salle. Le film était projeté dans la salle C, une des nouvelles
salles du MK2 Bibliothèque, loin de toutes les autres (sinon la D), où il
semble que jamais aucun employé du cinéma ne vient ouvrir les portes et
contrôler le flux des spectateurs. Ceux-ci se démerdent. Vous direz que je n’ai
pas une grande foi en l’humanité, mais les cinés où les spectateurs se
gèrent eux-mêmes, je n’ai jamais trouvé ça bien efficace.

A quelques minutes de l’heure attendue, quatre ados qui
ne doivent pas avoir plus de 14 ans arrivent en courant avec leurs seaux de pop-corn,
voient que l’on attend, décident d’entrer quand même, en ressortent quand ils
constatent que l’on n’attend pas pour rien, et commencent à parler et se marrer
fort. Ceux-là, direct, je choisis de les laisser entrer dans la salle avant
moi, parce qu’il est hors de question que je les voie se coller à moi. Manque
de bol, ils choisissent pile le rang que j’aurais pris eussé-je pénétré dans la
salle le premier. C’est bon, déjà, ça me met dans un état d’énervement que l’on
pourrait nommer A, je me colle un rang plus haut presque complètement sur le
côté, plutôt que rester trop près d’eux, je n’ai pas envie qu’ils me gâchent le
film. Si j’avais su la tournure qu’allait prendre la séance, je me serais collé
au centre la salle au-dessus ou en-dessous d’eux, car finalement ces quatre-là se
sont tus dès que le film a commencé.
Lorsque le film a commencé justement, la salle était
quasi pleine. Trois ou quatre places dans les deux premiers rangs, et deux
places sur ma rangée, une juste à ma droite, et une autre un peu plus au
centre. L’ambiance s’est délitée en deux temps. Le premier temps fut l’entrée
en salle d’un couple, alors que
Sinister
avait commencé depuis au moins trois minutes, qui n’a pas cherché à voir s’il
restait des places sur les deux premiers rangs et sont directement montés vers
les cinquièmes et sixièmes rangs pour contempler le degré de remplissage. Tout
était plein à ce niveau-là, sauf bien sûr les deux places de ma rangée. Ni une
ni deux, ils piétinent presque les pieds de ma copine qui ferme le rang sans
lui demander pardon et sont sur le point de faire pareil avec moi quand je me
lève pour les laisser passer. Ils demandent alors au spectateur tranquillement
assis à deux fauteuils de moi de se décaler. Le film est commencé depuis quatre
ou cinq minutes à ce moment-là. C’est tout juste s’ils s’excusent de déranger.
Je sais très bien qu’il reste quelques places devant, alors je râle allègrement
et sans discrétion pour
le dérangement causé. Mon état d’énervement passe au
niveau B.
A peine assis, le couple commence déjà à se murmurer des
commentaires, et la fille à envoyer des sms avec son Blackberry. Gé-nial. Des
spectateurs comme je les aime. Je passe directement au niveau d’énervement C.
Okay, je souffle un grand coup, je prends sur moi en leur faisant tout de même
comprendre qu’ils pourraient être plus discrets, ce sera peine perdue pendant
toute la durée du film. Si encore c’en était resté là, je crois que j’aurais pu
rester calme, et mon état d’énervement redescendre un peu. Mais quelques
minutes après que mes nouveaux voisins se soient installés à ma droite, j’ai
commencé à sentir le sol trembler. Y a une escouade de soldats qui court vers
le front ou quoi ?
La porte de la salle, située à côté de l’écran, s’ouvre
soudain dans le bruit de conversations multiples. Ils ont 14 ou 15 ans tout au
plus et semblent entrer tel un troupeau. Un, deux, trois, quatre, cinq, six…
j’arrête de les compter quand je crois qu’il s’agit là d’une classe qui s’est
trompé de salle. Mais on est dimanche, et il s’agit là d’une bande d’ados, pas
loin de dix, filles et garçons, qui arrive en retard et vraisemblablement, vu
le nombre de fauteuils libres qu’il reste dans la salle, sans être passés par
la caisse et le contrôle des billets. Soit ils auront trouvé une entrée
dérobée, soit ils seront sortis d’une salle et seront venus jusqu’à celle-là.
Ils ne se posent même pas la question des premiers rangs et montent vers le
fond de la salle dans le bruit, ce qui pousse les spectateurs à leur crier en
retour d’une seule voix un gros « CHUT ! » auquel ils font à
peine attention. Niveau d’énervement ?
D. Arrivés tout en haut de la salle, quand ils comprennent que celle-ci est
pleine et qu’ils ne peuvent monter plus haut, ils restent dans les escaliers de
la travée et commencent à discuter à voix haute de la stratégie à adopter. Ce
qui leur vaut un magnifique « Putain vos gueules » d’une rangée plus
haut, à quoi l’un d’entre eux lui répond « C’est qui qui a dit ça, toi ta
gueule ! ». Niveau E.

L’un d’entre eux calme le jeu, et ils décident de
s’installer là, dans les escaliers, assis par terre, juste à côté de nous. Ma
copine, qui me connaît parfaitement, se penche vers moi et me dit « Si tu
veux on y va, on ira le voir un autre jour ». Tu parles, je ne vais pas
leur donner ce plaisir, je vais rester et je vais te les calmer s’ils se
tiennent pas, j’ai déjà trop de films à voir en ce moment, je n’ai pas le temps
d’aller voir celui-ci un autre jour. On reste. Évidemment le film a suivi son
cours pendant ce temps, Ethan Hawke s’est installé avec sa petite tribu dans la
maison où une famille s’est faite massacrée quelques mois plus tôt, et il
commence à trouver des trucs flippants dans la maison. Les premiers
commentaires, rires, discussions commencent à fleurir dans la travée. Les
premières remontrances, de ma part ou de celle d’autres spectateurs, commencent
à tomber. Ca les calme parfois. D’autres non. Je m’énerve souvent, j’ai envie
de me barrer parfois, je gueule régulièrement. J’ai envie de sortir de la salle
et d’aller chercher un mec du ciné mais je devine qu’il n’y en a pas un à
l’étage, qu’il va falloir que je descende tout en bas pour aller en chercher un
et que je vais rater cinq ou six minutes du film. Non merci. J’encaisse et je
riposte, le niveau F est dépassé depuis longtemps et je calme mes envies
d’étaler des baffes sur des mineurs.
Sinister avait
la réputation de faire peur, mais je dois avouer que je n’étais pas assez
plongé dans le film pour le sentir tout à fait, malgré l’atmosphère inquiétante…
Malgré les gamins de la travée qui criaient allègrement de peur, et en rajoutaient
même à l’évidence pour le plaisir, j’ai vu venir la fin des kilomètres avant qu’elle
arrive. Pendant ce temps, ma voisine continuait avec ses textos, bref tout était
formidable. Lorsque le film s’est achevé et la lumière revenue, le couple est
reparti en nous marchant sur les pieds, les gamins se sont relevés tout
contents, et les spectateurs de la séance suivante entraient pendant le générique de fin (une autre chose que j'adoooore). Moi, je me coltinais cette gueule de bois si spécifique des séances de
cinéma gâchées. Une envie de tout exploser, une amertume désenchantée, un désir
de ne plus jamais remettre les pieds sur les lieux du crime… un peu de tout
cela à la fois. Il est grand temps que je retourne aux séances du matin moi,
avant que je ne commette une bêtise… Le
respect des autres dans une salle de cinéma, ça reste une notion bien vague
pour nombre de spectateurs, même dans celles où quoi que l’on voie, « on
se cultive ».