S’il est permis de penser que les premiers films vus au
cours d’un festival définissent la qualité de la manifestation à venir, alors
les espoirs sont forts pour la 18ème édition de L’Étrange Festival.
Concocter son programme pour suivre un tel évènement cinéphile nécessite choix
drastiques et paris hasardeux que l’on préfère ne pas avoir à regretter, alors
tomber d’entrée de jeu sur des films qui nous confortent dans nos choix, cela
fait grimper l’envie d’un cran supplémentaire – si c’était possible.
Certains diront qu’en décidant d’entamer le festival par
le nouveau film d’Alex de La Iglesia, le risque était mesuré, mais ceux-là
auront certainement adoré ce « Balada Triste » qui m’a été une telle souffrance cinématographique. Non,
« Un jour de chance » n’était pas une évidence dans mon programme, et
Salma Hayek ne m’eut-elle envoûté à jamais ce jour où je l’ai découverte
dansant sur les tables du Titty Twister, peut-être aurais-je été moins enclin à
me poster dans l’amphithéâtre du Forum des Images ce soir-là. Mais heureusement
ce fut le cas.
Contrairement à ce que laisse penser le titre au premier
abord, la journée de Roberto, protagoniste d’ « Un jour de
chance », se déroule diablement mal. Après avoir été agressé par un SDF,
arrosé de la tête au pied avant un rendez-vous crucial et humilié par un ancien
ami qui lui refuse un job, Roberto va voir sa journée se terminer sur une tige
de fer. Tombé d’une grue, et la tête percée. Mais cet évènement dramatique va
se transformer aux yeux de Roberto, miraculeusement conscient mais incapable de
bouger, en une opportunité unique de passer de looser pathétique à winner connu
de tous lorsque les caméras du monde entier s’intéressent à ce pauvre bougre
planté sur sa tige en position christique.
Il est étonnant de découvrir le nouveau film du cinéaste
espagnol quelques jours après avoir fait les frais du « Superstar »
de Xavier Giannoli, car bien qu’ils soient très différents dans la forme et sur
certains points essentiels, il y a une concordance évidente entre les deux
longs-métrages, dans leur volonté de mettre en scène et dénoncer cette société
du spectacle permanent, cette époque où les valeurs les plus recherchées sont
celles de l’argent et de la reconnaissance. « Un jour de chance » est
une comédie noire qui s’amuse à tourner en dérision les obsessions humaines
contemporaines tout en s’inscrivant dans l’observation sociétale d’une Espagne,
et plus généralement d’un monde, en crise. L’être humain qu’il prend pour héros
se sait dans une situation au bord du gouffre mais en bon publicitaire qu’il
est détecte les possibilités qui s’offrent à lui dès lors que les caméras sont
braquées sur lui. Il ne s’agit pas tant d’être célèbre, mais de tirer parti des
quinze minutes de célébrités par tous les moyens possibles, même s’il faut pour
cela empiéter sur la dignité humaine. Et si les êtres sont ainsi aujourd’hui,
c’est bien la crise qui est la première fautive.
Certes le scénario manque parfois de finesse, mais
d’audace certainement pas (malgré un dernier acte un peu trop moral où les
valeurs familiales reprennent le pouvoir), tout comme le second film vu lors de
cette première journée à L’Étrange Festival. Celui-là, l’irlandais
« Citadel », était précédé d’une flatteuse réputation qui a suffi à
me faire immédiatement retourner dans l’amphi du Forum des Images sans passer
par la case départ. Le réalisateur présent en début de projection nous révéla
que malgré le genre, l’envie de faire le film était partie de son expérience
personnelle d’agoraphobe suite à une violente agression dont il avait été
victime. Bien sûr, dans le film, cela va plus loin que cela. Tommy, un jeune
homme marié, voit sa femme enceinte se faire attaquer par une bande de jeunes
dans leur immeuble. Le bébé sera sauvé, mais pas la mère. Dès lors, après avoir
déménagé quelques rues plus loin, et alors que les agresseurs courent toujours,
Tommy n’ose plus sortir de chez lui. Jusqu’à ce que les agresseurs refassent
surface et menacent son bébé.
Ce qui frappe dans Citadel,
c’est l’intensité dramatique qui s’en dégage. Ces agresseurs au physique
étrange, inquiétants, qui n’ont pas l’air tout à fait humains. Cette banlieue
sinistre, grise, froide, industrielle, menaçante. Cette présence sourde mais
palpable d’une menace qui pèse constamment. Le jeune réalisateur instaure une
atmosphère suffocante et terriblement angoissante qui imprime totalement la
pellicule. A mesure que Tommy doit faire face à sa phobie et à ses agresseurs,
l’angoisse se transforme en peur. Et non content de tisser cette ambiance
glacée, le cinéaste se montre à l’aise dans la métaphore, ces jeunes agresseurs
que la société a enfanté avant de la laisser pourrir dans son coin, retranchée
dans des barres d’immeuble où elle espérait qu’elle se ferait oublier alors que
d’elle nait la peur et surgit la violence, tant et si bien que la seule réponse
que l’on sait lui trouver, c’est la violence en retour.
Le film est fort, décidément très fort… pourtant il est
loin d’être exempt de défauts, au premier rang desquels se situent une nette
approximation scénaristique, et des personnages trop souvent esquissés dans la
facilité, en dépit du bon sens. L’agacement m’a souvent assailli au cours de la
projection, à la vue d’une telle maîtrise visuelle gâchée par des détours
narratifs flous qu’il est difficile de pardonner. J’aurais voulu embrasser le
film, me laisser embarquer et me prendre une claque, je n’en étais pas loin,
mais ce ne fut finalement pas le cas. Une belle gueule et un bon caractère ne
suffisent parfois pas pour tout emporter sur son passage. Mais c’est nettement
suffisant pour me sentir déjà bien dans cet Étrange Festival, 18ème
du nom. Les films font d’emblée effet (comme l'an passé), l’ambiance est là, l’homme aux sacs
plastiques tente de passer incognito sans ses sacs plastiques. Vivement la
suite.
4 commentaires:
oh, déjà un article sur citadel ?
j'ai trouvé que le film commençait très fort, et puis la dernière partie m'a quand même paru un peu plus faible, ce qui est en effet dommage...
alors c'est quoi la suite du programme ? ;)
Il faut maximiser sur le peu de temps libre que j'ai en ce moment pour écrire au plus vite ;)
La suite... eh bien dans le prochain article, ce sera voitures HK et chasseurs de têtes norvégiens ;)
"8000 tour, 2 km/h, et donne tout ce que tu as". :) C'était bien divertissant "motorway". (mais loin d'un grand film) J'étais déçu, je pensais qu'il allait prendre sa voiture tonyjacko pour le final :)
Pou ma part, je continuerai le festival à partir de Lundi. On se croisera sûrement. (ou peut être ce soir pour dead sushi si j'ai pas la flemme)
Mon programme du jour, c'est "Chinese Ghost Story" et "Game of Werewolves". On se croisera sûrement demain en effet ;)
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