Que reste-t-il des chances du cinéma coréen en France ? Les
espoirs sont-ils définitivement utopiques ? Les échecs successifs de ces
dix dernières années ont-ils brisé tout espoir ? Allez, en deux lignes à
peine, vous allez me croire dans un jour défaitiste, même si ma complainte ne
retentit pas pour la première fois. Il
y a quelques jours déjà, j’en étais à contempler la sortie en DVD de trois
« gros » films coréens dans ce triste été français, et à compter les
films du Pays du Matin Calme à apparaître sur le calendrier des sorties ciné de
2012. A savoir un Hong Sang Soo passé (« Matins calmes à Séoul »), et un Hong Sang Soo futur (« In another country »). C’est
l’amer constat de l’année, qui en dit malheureusement long sur l’état actuel de
la distribution des films coréens en France.
Après une décennie au cours de
laquelle les distributeurs ont tenté d’implanter ce vif et excitant cinéma
coréen dans les mœurs cinématographiques des français, l’heure ne semble plus
être à l’utopie. Les tentatives successives ont échoué et l’époque ne fait que
le confirmer. Le cinéma coréen ne parvient toujours pas à s’imposer au-delà du
public art & essai, et c’est le format DVD qui a aujourd'hui la primeur des films
coréens. Le 1er août prochain, c’est le budget le
plus imposant de l’histoire du cinéma coréen qui sortira directement en DVD,
« Far Away, les soldats de l’espoir ». Tout un symbole, puisque son
réalisateur est Kang Je-Kyu, dont le « Shiri » avait été le premier
blockbuster coréen à sortir en salles France, en 2001, auréolé de son succès
monstre en Corée où il avait battu les records du box-office local. Le film
suivant du réalisateur, « Frères de sang » eut encore plus de succès en Corée (10 millions de spectateurs
en salles), avec un plus grand budget encore, et une sortie plus visible en
France au printemps 2005.
Il est facile dès lors
d’affirmer que Kang-Je-Kyu est l’un des cinéastes les plus ambitieux de Corée,
ce que « Far Away » (en VO, « My Way », on devine pourquoi
le titre français est différent) vient confirmer, puisque le cinéaste a vu
encore plus grand. Une fresque épique, guerrière, historique et mélodramatique
traversant la Seconde Guerre Mondiale de la Corée aux plages du débarquement en
Normandie. Un budget gigantesque pour le
cinéma coréen, un casting international avec le coréen Jang Dong-Gun, le
japonais Joe Odagiri et la chinoise Fan Bingbing, tout cela au service d’une
histoire si incroyable qu’elle ne peut être que véridique (d’accord, un peu
customisée pour les besoins dramatiques). Imaginez plutôt : en 1939, dans la
Corée occupée par l’Empire Japonais, un jeune athlète est enrôlé de force dans
l’Armée Impériale pour aller combattre sur le front mongol, sous les ordres de
celui qui depuis des années est son rival sportif. Alors que la guerre se fait
mondiale, notre héros est fait prisonnier par les russes et va être balloté
pour le reste de la guerre entre différentes armées, différentes batailles, qui
vont le conduire jusqu’aux plages de Normandie en 1944.
La démesure du film est à
l’image de l’histoire vraie qu’elle dépeint. D’emblée, on sent bien que
« Far Away » ne fera pas dans la subtilité et l’économie. C’est une
fresque, grande, ample, qui cherche à vous prendre aux tripes et à ne vous
relâcher que 2h20 plus tard. L’excès de mélo peut faire tiquer, tout comme ce
patriotisme exacerbé qui se fait jour dans la première partie du film. Cette
vieille rancœur entre Corée et Japon est vivace, et il ne faut pas attendre de
Kang Je-Kyu qu’il atténue cela. Ses japonais sont vils, détestables, quand ses
coréens sont la bonté incarnée. Inutile de dire qu’un soupçon de finesse dans
ce portrait des relations entre japonais et coréens aurait été apprécié, mais
heureusement à mesure que le film avance, le réalisateur parvient à affiner son
propos. Le discours sur la cruauté de l’occupation japonaise devient de fil en
aiguille un regard sur la corruption du pouvoir et l’avilissement du conflit.
Comment avoir l’ascendant sur autrui peut corrompre l’âme et pousser à
commettre l’impardonnable. En faisant
traverser le monde à ses protagonistes, le réalisateur parvint à s’éloigner de l’indécrottable
différend entre coréens et japonais pour regarder plus loin et parvenir à poser
une observation plus générale sur les méfaits de la guerre. C’est peut-être
basique, mais après une mise en route si clichée, cela redonne au discours un
certain équilibre.
Visuellement, on ne peut être
qu’impressionné. Le film a beau être le plus gros budget de l’histoire du
cinéma coréen, 25 millions d’euros ne pèsent pas lourds au regard des budgets
hollywoodiens, et quand on voit ce que Kang Je-Kyu est parvenu à faire avec
cette somme (un feu de paille à l’échelle d’un blockbuster hollywoodien), on ne
peut que penser que les américains sont décidément moins efficaces dans leurs
dépenses. Ici, l’argent dépensé est clairement visible à l’écran. Finalement
c’est un peu ça, « Far Away », un blockbuster coréen où tout est
étalé et décuplé. Les émotions, les aventures, les horreurs, les sentiments.
C’est un vrai mélo où le réalisateur appuie fort sur chaque note, quitte à en
faire trop. C’est peut-être trop grand, trop exacerbé, trop ambitieux, et
pourtant c’est aussi ce qui fait sa force. Oser pousser jusqu’au bout pour le
bien du spectacle. Forcer les traits pour que le film en sorte plus grand. Ce
n’était pas tout le temps nécessaire, mais c’est ce qui fait que le film nous
emporte. Malgré la maladresse, le souffle est là, celui d’une saga épique over the top comme on aime parfois se
prendre en pleine face.
J’aimerais que tout le monde
puisse découvrir « Far Away » sur grand écran comme j’ai eu la chance
de le faire. Il y a des films qui demandent clairement à être vus dans une
salle obscure, et « Far Away » ne se contente pas de le demander, il
le crie. Il faudra se contenter du DVD. Si le film avait autant cartonné en
Corée que les précédents Kang-Je-Kyu (il a déçu quand il est sorti à Noël
dernier, ramant pour atteindre les 2 millions d’entrées, une déception en regard de son budget), aurait-il eu droit à
une sortie en salles ? Peu probable. Haeundae,
qui avait cartonné au box-office coréen en 2009, était sorti directement en DVD
en France sous le titre « The Last Day », déjà chez Wild Side, et le direct-to-dvd avait marché. La
conjecture du cinéma coréen en France semble dépasser les films au cas par cas.
Faut-il pour autant renoncer aux rêves d’un cinéma coréen populaire dans les
salles françaises ? Cela reste utopique, mais je ne renonce pas.
8 commentaires:
Je vous trouve bien magnanime. Personnellement, ce film n'est jamais parvenu à m'emporter dans son entier. Vous soulignez quelques-uns de ses défauts que vous minimisez à en faire quelque chose de plutôt positif au final. Une façon de dire que cela ne gâche pas le spectacle. En bref, on garde d'un film ce que l'on veut bien en garder (une réflexion que je me retourne). Il n'empêche mon cher ami, je vous sens spectateur facile sur ce coup.
Sans ça, j'espère que vous reprendrez bien une louche d'Andrea Bocelli ? ^^
> "Faut-il pour autant renoncer aux rêves d’un cinéma coréen populaire dans les salles françaises ?"
S'il est bon alors je ne renonce pas non plus ! ;) S'il est passable comme ce film-ci alors gardons-le utopique. Sur ce...
Je n'en attendais pas moins de vous, cher ami ;)
Si vous trouvez que les défauts que je souligne sont au final positifs dans mon optique, c'est que vous m'avez mal compris. Ne laissez pas votre propre jugement entacher votre qualité de lecture, je sais que vous valez mieux que cela ;)
Mais je reprendrai volontiers une louche d'Andrea Boccelli ;)
Il est vrai qu'à part "hong sang soo", c'est pauvre en terme de sortie. Et pour cause, quand tu parles de cinéma coréen, j'ai l'impression que je parle du cinéma estonien des années 1940. Les gens imaginent vraiment un cinéma très obscure. Pour ces D2D, je vais attendre le ffc. En cas de non programmation, j'irai voir le dvd dans une bonne installation home cinema :)
S'ils savaient qu'on est loin du cinéma estonien des années 40... qui est peut-être formidable, remarque ;)
En tout cas je serais surpris que Quick ou Far Away atterrissent au FFCP (puisque c'est son nouveau nom) cet automne. En général, les films qu'ils passent sont des inédits, je ne me souviens pas qu'ils aient passé un film déjà édité depuis plusieurs mois en DVD, hors rétros...
Vu que l'on parle cinoche coréen. Un p'tit texte fort sympathique et intéressant sur le cinéma des années 80 qui prenait place sous la dictature de Chun Doo-hwan. On y comprend notamment la présence accrue de titre érotique voire porno dans les salles obscures sudco à l'époque. (merci à Martin pour le partage)
http://view.koreaherald.com/kh/view.php?ud=20120708000172&cpv=0#
Merci du lien ID, intéressant en effet ^_^
Euh, I.D. doit parler d'un autre Martin :)
Merci, David, pour ce mini-cycle coréen. J'ai appris pas mal de choses... reste à les retenir pour donner sa chance à ce cinéma un peu plus souvent que je ne le fais. Il faut admettre que les occasions sont rares et les direct-to-DVD parfois un peu chers (ou trop planqués) pour que j'y prête attention...
Je crois que le film dont tu parles ici a beaucoup pour me plaire et à la fois beaucoup pour me repousser. M'enfin, je regarde bien des blockbusters américains, pourquoi pas en voir un ou deux venus de Corée ? Cela n'aurait rien d'indécent.
C'est aussi bien d'avoir une vision non-américaine de la seconde guerre mondiale. Les Américains tendent parfois à banaliser le conflit ou à ne le considérer qu'au travers de leur propre regard. C'est parfois bien vu, mais ça limite aussi la perspective.
Bref... Corée... cinéma... je vais tâcher d'améliorer mon score :)
ID parle d'un autre Martin oui ;)
Je ne doute pas que si tu es client des blockbusters américains, tu pourras trouver à ton goût "Far Away". Rien d'indécent là-dedans en effet ! Je sens que tu es sur la voie pour améliorer tes connaissances en cinéma coréen ;)
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