Certains films sont propices à la tension entre
spectateurs. Leur karma est plein d’électricité, les vibrations qu’ils émettent
rendent ceux qui les voient à fleur de peau. On voudrait croire que quoiqu’il
arrive, un spectateur devrait savoir se tenir, rester calme, attentif et plongé
dans le récit qui lui est conté. C’est ainsi que l’on imagine le spectateur
idéal, un spectateur dans sa bulle, qui se coupe du monde qui l’entoure pour se
consacrer pleinement et exclusivement au film qui se déroule sous ses yeux. Il
n’y a plus rien qui compte que l’écran, on ne fait plus qu’un avec lui. Mais le
spectateur idéal est rare, et l’être humain ne contrôle pas si facilement ses
instincts, gestes et réflexes. Et certains films, donc, semblent rendre les
spectateurs plus sensibles à leur environnement.
Dans l’une des grandes salles du MK2 Bibliothèque, le Festival Paris Cinéma proposait jeudi
dernier une projection en avant-première de « Guilty of Romance » de
Sono Sion. En fait d’avant-première, il s’agissait plutôt d’un évènement
particulier puisque ce soir-là, le « Guilty of romance » auquel nous
avions droit n’était pas la version destinée à sortir en salles en France à la
fin du mois. Le distributeur du film, présent, nous expliqua en effet que pour
des raisons de droit, le montage japonais était plus long pour donner un temps
de présence à l’écran égal pour les trois actrices principales du film, et que
c’était donc ce montage, présenté à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes en
2011, que nous allions découvrir ce soir. La version destinée aux salles
françaises sera plus courte de près d’une demi-heure.
« Guilty of Romance » a prouvé jeudi soir qu’il
était de ces films qui exacerbent les émotions. Combien de temps s’était écoulé
lorsque l’incident se produisit ? Vingt minutes ? Trente peut-être.
Alors que j’étais déjà happé par le film de Sono Sion, un ramdam se fit
entendre au 2ème rang de la salle. Un homme corpulent d’une
quarantaine ou cinquantaine d’années (difficile à déterminer d’où j’étais) et
une jeune femme, séparés par deux ou trois fauteuils vides, haussèrent le ton.
L’homme semblait dérangé par le comportement de la fille. Était-ce qu’elle
jouait avec son téléphone, se remuait sur ces fauteuils particulièrement sensibles
du MK2 Bibliothèque, ou tout simplement qu’elle parlait, je ne saurais dire.
Après un échange inaudible mais visiblement peu amical, les noms d’oiseaux
commencèrent à fuser et l’homme se leva en direction de la jeune femme, qui se
mit à crier « MAIS IL M’AGRESSE !! IL ME FRAPPE !!! » avant
que l’homme aille se rasseoir. Que s’est-il précisément passé, je n’ai pas
vraiment compris. La fille se leva alors, choquée et quitta la salle en
répétant à haute voix « Mais c’est pas croyable ! ». Étonnamment,
le garçon qui était assis avec elle ne bougea pas. Une dizaine de minutes plus
tard, elle revint et s’installa sur un côté de la salle, où son ami finit par
la rejoindre. Et la salle retrouva son calme, alors que lorsque la
confrontation eut lieu, certains appelaient au silence…
Aurait-on eu droit à la même scène devant un autre film
que « Guilty of Romance » ? Peut-être. Après tout, la dernière
fois que j’avais assisté à une « baston » dans une salle de cinéma,
c’était devant Arrietty, pas tout à
fait le genre de film à pousser les sens vers leurs extrêmes (mais par contre, déjà un film japonais...). Mais il y a
quelque chose dans le film de Sono Sion qui interpelle ces sens. Une plongée
dans la vie d’une femme au foyer qui va décider de sortir de sa cage dorée et
se trouver du même coup entraînée dans une spirale de débauche dans laquelle
elle ne se serait jamais imaginée jusqu’ici. Sa rencontre avec une professeure
d’université qui se prostitue et sa découverte du quartier des love hotels qui
vont lui devenir familiers… Et encadrant cette lente descente humaine, l’enquête
d’une femme flic chargée d’identifier un cadavre en sale état et de trouver son
assassin.
A mesure que la ménagère se construit malgré elle une
nouvelle vie et un nouveau visage, Sono Sion nous fait progresser dans un
ébouriffant tourbillon de sexe, de doutes, d’inquiétudes et de violence. Nos
sens sont mis en émoi, de l’angoisse qui se fait régulièrement ressentir et
fait parfois cogner nos cœurs à cent à l’heure au sang qui bout dans nos veines
devant l’érotisme dégagé par Megumi Kagurazaka faite désir et luxure incarnés.
Rares sont les films aussi excitants et déroutants que ce « Guilty of
Romance ». Cela m’a pris de court car lorsque je l’avais découvert l’an
passé à L’Étrange Festival, j’avais détesté le précédent film du cinéaste
japonais, « Cold Fish ».
Dans quelques jours, « Guilty of Romance » sera le tout premier Sono
Sion à sortir en salles en France, ce qui représente en soi un évènement
majeur. Et si je tenais absolument à voir la version longue destinée au Japon,
j’en suis sorti intimement convaincu que la version courte est probablement
encore meilleure. Si elle réduit effectivement l’aspect enquête policière de l’intrigue
pour mieux se focaliser sur la dérive psychologique et sexuelle de la femme au
foyer, le film risque d’en sortir grandi. La version longue s’achève sur la
femme flic, alors que le film doit se conclure avec le cœur névralgique qu’est
le personnage incarné par Megumi Kagurazaka.
Non, je n’avais pas aimé « Cold Fish ». Mais « Guilty
of Romance » est autre. Il a mis mes sens en alerte. Les femmes ont beau
être folles, hystériques ou psychotiques, les hommes ont beau être
manipulateurs, menteurs ou dangereux, l’humanité faible et paumée, Sono Sion
aime ses personnages et les rend palpables. Il parvient à nous hypnotiser quand
d’autres pourraient avec un sujet similaire nous agacer. Il a construit une œuvre
forte, sombre, aguichante et incroyablement poétique. Qui me fait d’autant plus
regretter d’avoir rater Megumi Kagurazaka à Paris il y a quelques mois.
5 commentaires:
Lorsque l'on fera le bilan de ce festival, il n'y a pas que les films de la prog' que nous devront souligner. Il y aura également le spectacle à l'intérieur même des salles ! Spéciale dédicace à celle qui applaudit lors du clip du Festival et aussi ce type qui se met à danser sur la musique seventies des travaux télé de Patrick Tam et aussi... bref, tous les autres ! ^^
Par contre ton anecdote m'interpelle. Et "l'ami" de la fille ? Il n'a pas réagit ? Elle sort seule, reviens et cet "ami" la rejoint et... c'est tout ? Hum... bizarre. L'essentiel c'est qu'ils ne t'ont pas gâché le spectacle qu'offre le film de Sion Sono. Vivement que je le vois ! :)
Bon ce soir, c'est la der des der, je demande aux spectateurs à l'humeur électrique de s'abstenir de se faire remarquer. Merci. ;)
Celle qui applaudit, elle était partout, toujours avec le même entrain !
L'ami de la fille n'a pas réagi non. Il l'a seulement rejoint lorsqu'elle est re-rentré dans la salle. A la sortie, alors que je discutais du film avec Phil Siné, on a croisé le couple justement, et lui disait à sa copine "Mais il t'a pas touché !". Ca devait être sympa l'ambiance à la maison en rentrant...^^
très bon compte rendu de l'atmosphère dans la salle, une nouvelle fois !
mais sous entends-tu qu'il faudrait finalement interdire les films japonais au cinéma ? (apparemment c'est la raison apparente des rixes entre cinéphiles auxquelles tu as assisté... ;)
Les films japonais, non. Sion Sono suffirait Phil ! :D
Merci Phil !
Mais après mûre réflexion, non, même si à terme cela pourrait causer une baston générale dans les salles, il ne faut pas interdire les films japonais des salles. Surtout s'ils sont du calibre de "Guilty of Romance". On les laissera se battre, nous on regardera le film !
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