En Corée, lorsque vous achetez
votre place de cinéma à la caisse, vous avez la possibilité de choisir votre emplacement exact dans la
salle. Quel rang, quel fauteuil, tout devant, dans le fond, sur le côté, vous
précisez, et le ticket qu’on vous édite vous placera précisément. A première
vue, cela pourrait sembler une solution magnifique à un problème auquel un
maniaque comme moi pense dès qu’il met les pieds dans un cinéma : être idéalement
placé. Avec ce système, nul besoin de venir faire la queue une heure en avance
devant la salle pour être sûr d’entrer parmi les premiers et avoir LE fauteuil
convoité. Mais ça, c’est à première vue seulement.
Parce que quand on y réfléchit
bien, choisir sa place à l’avance entraîne un inconvénient majeur : si
l’on est situé juste à côté d’un emmerdeur, d’un bavard, d’un excité du smart
phone ou d’une bande d’ados qui s’intéressent à tout sauf au film, on est
coincé. J’y ai pensé il y a quelques jours à peine lorsque je suis allé voir
« L’enfer des armes » de Tsui Hark au Festival Paris Cinéma. Ce jour-là j’avais commencé par aller voir
le jubilatoire « Vulgaria » de Pang Ho-Cheung, chronique délirante
d’un producteur de séries B à Hong Kong, rendez-vous immanquable pour qui a vu
l’excellent « Dream Home »
du même réalisateur. Après cet étalage d’humour gras, corrosif et sacrément
malin, j’ai enchaîné avec l’éminemment sympathique bien que terriblement mineur
« Starbuck », qui m’a permis de ne pas poireauter deux heures en
attendant la séance du Tsui Hark. Mais les deux films s’enchaînaient de manière
trop juste, et lorsque j’entrai en salle pour « L’enfer des Armes »,
le film commençait tout juste. Je me suis donc faufilé dans le premier rang qui
venait et me suis installé.
Étant moi-même un peu en
retard, je pensais être tranquille sur mon bout de rang. Mais c’est là qu’il
est arrivé. Lui. Le psychopathe (bon d’accord le terme est exagéré, mais quand
on tue une projection, on est un peu psychopathe quand même non ?).
Casquette vissée sur le crâne, imper qu’il ne quittera pas du film, il est
arrivé cinq bonnes minutes en retard et s’est posé à l’entrée de mon rang, à
deux fauteuils de moi. Entre lui et moi, un seul siège vide. A le voir comme
ça, il ressemblait à un spectateur anonyme, la cinquantaine, très vite plongé
comme moi dans le film, la Director’s Cut du fameux film de Tsui Hark, une
version pas loin d’être épouvantable, un DVD alternant séquences de qualité DVD
et séquences de qualité VHS. Très moche à voir, mais le film de Tsui Hark est
suffisamment puissant pour dépasser le désagrément. D’autant qu’en fait de
désagrément, la qualité de l’image s’est vite avérée superficielle, quand je me
suis rendu compte que le bonhomme qui s’était installé à côté de moi était un
spectateur très… comment dire… démonstratif. « Trop » serait le
superlatif le plus approprié.
Les murmures qu’il a vite
commencé à exprimer ne m’ont pas préparé à la déferlante qui suivit pendant le
film, une déferlante redéfinissant complètement l’idée que l’on peut se faire
d’un spectateur qui se croit seul, ou chez lui, bien que je le soupçonne de
n’avoir à aucun moment proférer ses commentaires à mauvais escient. Je pourrais
tricoter des paragraphes durant sur ce que nous a réservé ce spectateur hors du
commun pendant la projection. Mais rien ne sera plus parlant qu’une
retranscription – aussi fidèle que possible – de ses saillies verbales les plus
mémorables. Il ne s’est pas passé une minute, au cours du film, sans que l’on
ait eu droit à l’expression orale de ce qui lui passait par la tête. Je dis
« on » parce qu’il ne murmurait pas ses interjections, il les parlait
le plus naturellement du monde, quand il n’était pas à quelques décibels de les
crier. Je suis loin d’être le seul à en avoir profité, et il est temps que vous
aussi vous en profitiez. Décidément, après "The Killer" et "Guilty of Romance", les séances sont mouvementées à Paris Cinéma... Voici donc un florilège loin d’être exhaustif (il en a
tant dit, j’ai oublié la plupart) des commentaires entendus à tout bout de
champ pendant « L’enfer des armes », la plupart du temps adressés aux
personnages du film, parfois à lui-même :
« Vas-y,
cours ! »
« Allez,
sauve-toi ! »
« Oh l’enculé !! »
« Bill Gates ! Bill Gates !! Bill
Gates !! Bill Gates !!!” (de plus en plus
fort, en voyant apparaître un acteur américain à l’écran, je n’ai toujours pas
compris cette saillie… est-ce le nom de l’acteur ou celui-ci lui rappelait-il
le fameux entrepreneur ?)
« C’est quoi, c’est du
formol ?....... Ah non, c’est de l’acide !!! »
« Elle ressemble à
Virginie Ledoyen c’est marrant ! » (parlant de l’actrice principale du film)
Et ma saillie préférée, sortie
de nulle part, hurlée lors d’une scène où deux personnages se bastonnaient à l’écran :
« Vas-y frappe dur Ben Hur !!! ».
Alors qu’à un moment, il a
perdu le fil de ce qui se passait à l’écran, il s’est même tourné vers moi pour
me parler : « Excusez-moi, ils ont tué l’Amerloque là ?? ».
Je ne pus que hocher la tête, bouche bée. Tout ceci n’est qu’un petit fragment,
le plus mémorable, de ce que mon voisin a balancé tout au long du film. Il a
également régulièrement essayé de répéter certaines répliques en cantonais,
phonétiquement, ce qui avait l’air de l’amuser. J’aurais aimé me souvenir de
plus, mais il y en avait tant, dont un grand nombre étaient inintelligibles. Et
le pire, c’est que je ne lui en voulais même pas franchement. Pas autant que si
cela avait été un couple inattentif discutant d’autre chose que du film, ou un
ado envoyant des SMS à tout bout de champ, ou un mec prenant mon fauteuil pour
son paillasson. Lui, c’était à l’évidence un cinémaniaque, un vrai, et c’est sa passion qui s’exprimait si bruyamment,
aussi inconvenant cela puisse-t-il paraître. C’est incontrôlable. Qui suis-je
pour lui dire que son amour incontrôlable des films n’est pas convenable. Il ne
comprendrait pas. Il ne changerait pas. Il prendrait peut-être même mon
intervention pour une incitation au dialogue…
Je me contenterai donc
d’espérer tomber le moins souvent possible sur lui… En France, on a le luxe de
pouvoir choisir sa place directement dans la salle, contrairement à la Corée,
qui a le luxe de ne pas faire la queue. A chaque luxe ses avantages et ses
inconvénients.
7 commentaires:
sacré spécimen !
Spécimen qui me fait penser énormément au mien ! ^^ Comme je te le disais David, le gars que j'avais à ma séance de "The Raid" était fait du même bois. Le même genre de réaction, entre exaltation dans le propos, voix portée ou inaudible. Ce jour-là, il l'avait en plus son fascicule Paris Cinéma commentant pour lui même ce qu'il allait voir durant cet évènement. C'était avant que "The Raid" ne commence. J'ai vite compris par la suite ce qui en allait être durant le film indonésien du britannique. Une spéciale pour la scène où le héros combat avec son frangin l'un des bras droit du boss. Il y est allé de ses insultes le lascar ! :D
Sans ça, "L'Enfer des Armes", c'est l'édition que HK Vidéo avait réussi à monter à l'époque pour sortir le DVD dans leur collection. On remerciera le gus qui a l'époque avait fait une copie de la première version. Il eu ce jour-là un sacré coup de génie. Il me semble que même Tsui Hark n'en avait jamais gardé une copie de cette version... les hongkongais étaient sans pitié avec leur film ! ;)
@Léo : un spécimen que j'espère tu ne croiseras pas de ton côté !
@ID : Je suis sûr qu'effectivement celui que j'ai croisé a des semblables dans les salles obscures parisiennes, ton anecdote ne m'étonne pas ;)
Oui j'avais appris d'où venait ce format de "L'enfer des Armes", au moins il y a toujours cette version qui existe, aussi laide soit-elle au niveau de la qualité.
Oh bon sang t'as croisé le dingo qui voit des ressemblances partout !!!!
Il m'a un jour poursuivie au Forum des images voulant absolument me persuader qu'un figurant du roman porno ressemblait à s'y méprendre à Laurent Deutsch !! Impossible de m'en dépêtrer à moins de partir en courant, ce que je fis sans aucune honte.
Le pire est qu'il rode partout, et qu'il est parfois fort insultant pour les gens qui posent gentiment des questions lorsque les réals sont présents. Mais toujours plus au moins en causant à sa casquette...
Causons d'autre chose : au premier rang pour Tsui ! mazette, t'as du t'en prendre plein la tronche (j'étais au 6ème, le grand écran ça a une autre gueule qu'en DVD y a pas à dire ^^) :D
Oh, le dingo qui voit des ressemblances partout ? Je connaissais pas, c'est la première fois que je le croisais. Mais à l'évidence ça doit être lui, qui cause à sa casquette^^. Étrange personnage...
Par contre soit je me suis mal exprimé soit tu m'as mal compris (hum hum... ;)), mais j'étais pas assis au premier rang. Je me suis faufilé dans le premier rang qui venait, et si tu vois la configuration de la salle 12 du MK2 Bibli, et je sais que tu la vois, le premier rang qui vient ça doit être le 4ème ou le 5ème. Donc en fait si t'étais au 6ème, on devait pas être loin l'un de l'autre ! Tu l'as pas entendu le commentateur à la casquette ? T'as pas entendu son "Frappe dur Ben-Hur !!" ?^^
Diable oui je crois que les salles 11 et 12 n'ont plus aucun secret pour moi ^^
Mais je n'ai rien entendu, happée comme je l'étais par le film comme cela m'est souvent arrivé lors de ce festiv'
Par contre j'ai bien failli lui taper dessus lors du débat qui a suivi Our homeland :)
Ah, il devait être loin de moi pendant le débat "Our homeland", je ne l'ai pas entendu !
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