mardi 13 octobre 2009

The Box : appuierez-vous sur le bouton imaginé par Richard Kelly ?

Voir The Box un mois avant sa sortie en salles (américaines et françaises) est un privilège ayant fait suer d’impatience une poignée de cinéphiles lundi soir à l’UGC Ciné Cité Les Halles. D’autant que son réalisateur prodige Richard Kelly était là pour lancer le film. Et quel film… Quiconque a déjà vu au moins l’un des deux précédents travaux de Kelly, Donnie Darko et Southland Tales, sait que le cinéaste promet toujours un voyage dans l’étrange. The Box ne déroge pas à la règle.

Les films comme The Box sont ceux dont on aime débattre pendant des heures avec ceux l’ayant vu, en sortant de la salle, mais qu’il est bien difficile de retranscrire pour des yeux vierges du film. Les risques de spoiler sont grands et c’est bien pour ma part la dernière chose que je souhaite accomplir, déflorer cette boîte. Je me restreindrai donc au maximum pour ce qui est des éclaircissements scénaristiques, et resterai en marge.

La projection de lundi soir aux Halles était sans doute une des premières projections publiques du film, tous pays confondus, comme semblait le laisser deviner la nervosité de Kelly lorsqu’il a présenté son film en début de séance. L’angoisse d’un jeune cinéaste ayant enchaîné deux bides (bien que cultes) se dessinait dans son discours lorsqu’il nous annonçait souhaiter que l’on apprécie son film car selon ses propres paroles, « I could really use a hit ». Lorsque la lumière s’est éteinte pour laisser place au film, Kelly semblait peu enclin à vouloir quitter la salle - comme semblaient l’avoir prévu les organisateurs. Le cinéaste aurait vraisemblablement aimé rester avec le public pour percevoir sa réaction, et sembla donc errer discrètement dans les hauteurs de la salle pendant quelques minutes au moins (plus ?).

Richard Kelly a beau avoir besoin d’un succès au box-office, j’ai peur de ne pas trop m’avancer en devinant que ce n’est pas avec The Box que le cinéaste américain cartonnera au box-office. Certes le pitch pourrait le laisser croire : En Virginie, en 1976, les Lewis, un couple respirant bon l’Amérique avec une belle maison, un coupé sportif sexy et un enfant, se voient offrir un paquet par un mystérieux personnage : un vieil homme à qui il manque une partie du visage leur fait don d’un « bloc contact ». Une boîte, ornementée d’un bouton. S’ils décident d’appuyer sur ce bouton, une personne qui leur est inconnue, quelque part, mourra. Mais peu après, une valise contenant un million de dollars en liquide leur sera livrée.

Le film choisit à ce moment-là une direction audacieuse. En fait non. Cette direction audacieuse, le film la prend dès les premiers plans. Le film ne choisit en fait jamais de dévier de cette direction pour tomber dans les travers modernes du film hollywoodien. Cette direction, c’est une atmosphère. Un style cinématographique apposé au film, choisi consciencieusement par Richard Kelly. Celui du thriller américain des années 70.

Non seulement Richard Kelly choisit de situer son film dans cette décennie, mais il choisit de réaliser son film comme si nous étions en 1976. Imaginez ce pitch, adapté d’une œuvre de l’auteur Richard Matheson (déjà adaptée pour un épisode de « La quatrième dimension ») tournée dans le style d’un Brian De Palma, fer de lance du thriller angoissant dans le paysage américain des années 70. Cette photographie, léchée et étrange. Cette musique, posée et inquiétante (composée par Arcade Fire). Et ajoutez-y le sel du cinéma de Richard Kelly. Ses obsessions. Sa volonté de dépeindre l’American Way of Life et de le contorsionner, le faire souffrir.

Le choix du cinéaste de confier les rôles principaux à Cameron Diaz et James Marsden m’avait surpris, voire déçu, lorsque Kelly avait annoncé le tournage de son film. Deux archétypes de l’imaginaire hollywoodien rarement convaincants. Le film justifie pourtant ce choix. Kelly a choisi son Ken et sa Barbie, cette incarnation parfaite du couple américain, pour les plonger dans le test ultime, celui qui le fascine de film en film. Une course éthique, une interrogation sur la morale, sur ce qui fait la nature humaine (au-delà du choix parfait pour ce que leur physique représente, Marsden s’avère étonnamment bon dans le rôle de l’époux… Diaz en revanche continue à me laisser de marbre).

The Box est un film posé, qui comme ses références 70’s, préfère faire monter la tension, calmement mais sûrement, plutôt que de chercher les effets du film à rebondissements parsemé d’action. Le film se nourrit d’une tension sourde, un malaise palpable, parfaitement incarné par Frank Langella, ce Monsieur Steward qui offre au couple modèle la possibilité d’appuyer sur le bouton. La question de savoir s’ils appuieront ou non sur le bouton n’est pas un mystère, on le sait, on le sens tout de suite, et d’ailleurs, la réponse vient vite. Le cœur du film est ce qui vient après. La conséquence de nos actes. La place de chacune de nos actions dans l’ordre du monde.

Par certains aspects, il sera possible de trouver The Box réac, et surtout misogyne, offrant à la gente féminine cette millénaire image de « celle par qui le péché est commis ». Mais c’est sa portée biblique, au cœur de l’obsession de Kelly, qui pousse le film dans cette voie-là. La religion m’intéresse peu en soi, je suis profondément athée, mais les questions morales que soulève la foi donnent lieu à des enjeux dramatiques des plus forts. Et permettent, par la métaphore ésotérique de la croyance, d’observer avec distance mais profondeur, et lucidité, les questions les plus terre-à-terre qui soient.

The Box n’est assurément pas un film trépidant par l’action. Mais la force de son propos rappelle à quel point il est plus trépidant, et passionnant, de goûter à un film qui ne fera peut-être pas de vagues au box-office, et n’est pas parfait de par son caractère très personnel, mais nous stimule intellectuellement.
Non monsieur Kelly, vous ne tenez sûrement pas avec The Box le film qui fera de vous une star du box-office. Mais en vous obstinant à ne pas sacrifier votre talent sur l’autel du succès, en persistant à explorer un cinéma adulte, tout en vous appuyant sur le film de genre (à la force hautement évocatrice), vous faites assurément grandir votre nom dans l’esprit, et le cœur, de nombreux cinéphiles. Et cela vaut tous les millions de dollars du monde.
over-blog.com