Si j’aime à retrouver chaque année L’Étrange Festival au
Forum des Images, il est un autre rendez-vous cinéphile qu’offre le Forum et
dont je rate rarement une édition, c’est « Un état du monde… et du cinéma »,
un festival aux accents politiques, sociaux et sociétaux qui tente de dresser
chaque année un portrait de l’époque à travers des films. Cette année, si la
rétrospective Brillante Mendoza a fait briller mes yeux de désir, une
avant-première a particulièrement retenu mon attention, celle de « The
Land of Hope » de Sono Sion.
Bon, Sono Sion et moi, c’est une histoire assez récente,
parce que le premier film de lui que j’ai vu, c’est « Cold Fish » l’année dernière, un film qui a eu le
malheur de ne pas me plaire du tout. C’est « Guilty of Romance » l’été dernier, entre fièvre et poésie, qui m’a réconcilié avec le cinéaste
japonais. Comme je ne m’étais pas trop
penché sur « The Land of Hope » avant de le voir, je pensais qu’il s’agissait
d’un film consacré à la catastrophe de Fukushima. Or c’est bien plus
intéressant que cela. Sono Sion préfère s’intéresser à l’héritage de Fukushima,
et cette ombre que porte la tragédie nucléaire sur le Japon, et plus
globalement sur notre époque.
Mais ce n’est pas tant au drame que s’attache le
cinéaste. Il préfère pousser son exploration plus loin en inscrivant son récit
dans un Japon où Fukushima a effectivement déjà eu lieu, dans un Japon qui va
de nouveau être frappé par une catastrophe similaire. L’espoir du titre semble
pouvoir renvoyer à beaucoup de choses, et il est possible de s’interroger sur
la nature de cet espoir. Qu’est-ce que l’espoir dans une zone qui a été frappé
par une telle catastrophe ? Est-ce la vie qui continue et résiste vaille
que vaille ? Est-ce le questionnement, l’affrontement idéologique, la
remise en question que l’on va trouver chez certains citoyens qui refusent de
suivre le troupeau ? Ou serait-ce justement l’illusion que la vie peut
reprendre son cours comme avant, en somme un espoir naïf, voire vain ?
Quelle que soit la réponse à la question de l’espoir,
Sono Sion prend le parti de bousculer ses concitoyens. Je me souviens à l’époque
de Fukushima avoir lu, entendu, pensé même que le peuple japonais affrontait ce
drame avec une rigueur héroïque, montrant au monde par leur comportement un
courage exemplaire. Sono Sion plonge donc une poignée de personnages,
principalement une famille, dans un scénario similaire, une petite ville
mitoyenne d’une centrale nucléaire frappée par un tremblement de terre puis un
tsunami. Et si courage et humanisme il y a chez Sono Sion, on trouve également
cet agacement face à l’autorité qui ne remplit pas son devoir de transparence à
l’égard du peuple, et en parallèle un agacement face à ce peuple qui ne remplit
pas son devoir de mise en doute de la parole de l’autorité, et qui donne ainsi un autre sens à cette rigueur aperçue d'un oeil étranger.
Le Japon traumatisé de Sono Sion est le portrait d’un
pays qui se cherche encore dans son rapport à l’autorité, comme s’il n’avait
pas encore tué le père. Le réalisateur bouscule ses personnages en leur
intimant de cesser d’attendre la parole de la figure paternelle pour s’exprimer
en tant qu’individu, sortir de la masse et oser aller à contrecourant. « The
Land of Hope », s’il est un drame fort, est surtout un film contestataire
qui semble vouloir ouvrir les yeux des japonais, et par extension, des hommes
et femmes de par le monde n’ayant pas encore cassé l’illusion des jours
meilleurs. La radioactivité n’est dès lors presque plus le cœur du film, qui
questionne en réalité plus globalement sur la possibilité d’être heureux malgré
le danger, malgré l’incertitude, malgré le drame.
Pour éclairer un peu plus le public sur la question du
nucléaire, le festival « Un état du monde et du cinéma » avait invité
Albert Jacquard, éminent scientifique et fervent opposant au nucléaire, à
découvrir le film de Sono Sion en notre compagnie et à en discuter après la
projection. Et pendant que des spectateurs à bonnet (par la chaleur régnant
dans la salle 500 du Forum, c’est courageux) quittaient la salle avant la
rencontre, un vrai sketch s’est joué devant les spectateurs. Un doux bonbon, excusez-moi monsieur Jacquard, magnifiquement
poilant.
En effet alors que l’on installait table et chaises pour
Albert Jacquard et le responsable du festival, ce dernier nous apprit que l’appareil
auditif de monsieur Jacquard s’était déréglé et qu’il allait falloir patienter
quelques instants pour qu’il soit réparé. Ce qui a donné lieu à une scène
savoureuse où le responsable du festival essayait de réparer le sonotone d’Albert
Jacquard sous les instructions de ce dernier qui ne semblait pas convaincu par
la procédure : « Ça n’a pas l’air de marcher, ça doit pas être les bonnes
pièces », à quoi il se voyait répondre : « Mais si c’est
forcément les bonnes c’est votre appareil ! ». Au bout de quelques
instants, l’homme du festival annonça que c’était bon, que cela semblait
réparé. Jacquard a alors enfilé son sonotone, et le responsable s’est lancé
dans la discussion… devant un Jacquard ne réagissant pas du tout… avant de dire
au micro « Je ne sais pas si c’est normal mais je n’entends rien du tout ! ».
Monsieur Jacquard (excusez-moi encore) est sourd comme un pot, et son sonotone
ne fonctionnait toujours pas. Il a alors commencé à parler de lui-même, sans s’entendre,
sur la question du nucléaire.
Pressé par le temps, je ne suis pas resté plus longtemps…
Mais je n’aurai pas raté une miette de ce petit sketch inattendu et
involontaire. Le sonotone a-t-il fini par fonctionner ? C’est un mystère
que m’a laissé « Un état du monde et du cinéma »…
2 commentaires:
Le "petit sketch" est formidable. Je me suis tout bonnement poilé.
Et notre Megumi Kagurazaka ? Comment se porte-t-elle dans ce "The Land Of Hope" ?
Tant mieux si tu t'es poilé ID ;)
Megumi, aaah, Megumi^^ Malheureusement son potentiel physique que nous apprécions tant n'est pas mis à contribution dans celui-ci, mais en même temps, cela aurait été déplacé dans "The Land of Hope", non ?
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