A Paris, chaque semaine, en
plus de devoir faire de délicats choix parmi les nouveaux films sortant en
salles, il en est d’autres datant de quelques décennies qui se voient offrir
une nouvelle vie sur grand écran, en copies neuves ou en version restaurée. La
plupart du temps, ce sont de vieux films Hollywoodiens. Souvent, des classiques
français. De temps en temps, des films européens rares. Très occasionnellement,
des films japonais ou chinois. Jamais des films coréens. Alors lorsqu’un jour
on en voit un apparaître dans le calendrier des ressorties, le cœur ne fait
qu’un bond. « La servante » ! LE classique du cinéma
coréen ! Restauré ! Flambant neuf ! Envahissant les salles
obscures françaises cet été ! Bon d’accord, je m’emballe un peu là, et
j’exagère peut-être. « Envahissant », j’y vais un peu fort, le terme
n’est peut-être pas tout à fait approprié, mais à l’échelle des ressorties,
quand on dépasse les trois salles diffusant le film, on frise le statut de blockbuster.
Je sais, je sais, « blockbuster » pour désigner un film coréen en
noir et blanc des années 60, ce n’est pas approprié non plus. Après tout,
combien de spectateurs, même parmi les cinéphiles avertis, auront déjà entendu
parler du film de Kim Ki-Young ? Peut-être pas tant que cela.
Je crois que l’on peut donc
dire que la sortie en version restaurée de « La servante » est un
véritable évènement cinéphile en cette fin d’été, que l’on soit adepte ou non
de cinéma coréen. Le cinéma coréen, j’ai beau être tombé dedans depuis quelques années maintenant, je
sais que j’ai encore des lacunes à combler, et le film de Kim Ki-Young était
l’une d’elles. Et il n’y a pas de meilleure manière de découvrir un film
qu’avec une belle copie sur grand écran. Le grand écran en question, c’était
celui de la salle bleue de la Filmothèque du Quartier Latin, un des cinémas
incontournables de la cinéphilie parisienne pour voir des reprises. Cela
faisait quelques mois que je n’y étais pas allé, et en découvrant que la salle
bleue se nommait désormais « Salle Audrey » (en référence à Audrey
Hepburn), je me suis demandé depuis combien de temps il en était ainsi. A moins
que je n’ai jamais fait attention ? Non, quand même…
Je l’aime bien la salle bleue
de la Filmothèque, plus que la plus grande salle rouge, pardon, la salle
Marilyn. L’écran est courbe, de belle taille pour une petite salle, et à peine
entré en salle, je me cale directement sur la droite, sous l’escalier, à
l’écart des autres spectateurs (c’est fou ce que le public peut être bavard
dans les salles du Quartier Latin). Une salle idéale pour découvrir un film
tant attendu. Bon, c’est vrai que j’aurais tout de même préféré qu’il n’y ait pas
quelques spectateurs en retard qui me passent sous le nez, et je me serais
également bien passé des passages intempestifs vers les toilettes, toujours
sous mon nez, en empruntant cette porte qui semblait prendre un malin plaisir à
grincer longuement (facilement 30 secondes, et croyez-moi, cela peut sembler
long 30 secondes) en se refermant. Mais bon, ce sont des détails, n’est-ce
pas ?
Juste avant d’aller voir
« La servante », deux personnes (dont je tairai l’identité pour
garantir leur sécurité) m’avaient dévoilé à quel point le film leur avait tapé
sur les nerfs, l’une avait quitté la salle avant la fin du film, l’autre était
restée mais aurait voulu faire de même. Mais non. Le huis clos intense narrant
l’arrivée d’une domestique dans une famille aisée, une arrivée qui va
bouleverser la vie de la maisonnée à mesure que la servante va se mettre en
tête de séduire le maître de maison, ne m’a pas tapé sur les nerfs. Il m’a plus
d’une fois mis mal à l’aise, c’est certain. Kim Ki-Young tisse une véritable
toile de moiteur, de tension et de torture psychologique qui met bien souvent à
mal l’image que l’on pourrait se faire du cinéma coréen des années 60, si tant
est que l’on en est une image.
Ce qui fascine dans le film de
Kim Ki-Young, comme dans tous les films que l’on voit des années après qu’ils
aient été faits, c’est tout ce que l’on peut tirer de l’époque à travers
l’œuvre. Si « La servante » est un drame familial confiné, c’est
surtout un film riche en sous-texte, du moins le semble-t-il, sur la Corée de
l’époque. Les ouvrières surveillées, l’adultère condamné, les rêves
d’émancipation (d’une puissance plus grande ?)… à partir d’une histoire
d’apparence simple, Kim Ki-Young en dit beaucoup plus que la bienséance ne
l’aurait certainement accepté. D’autant qu’il se dégage du film une sensualité
omniprésente, avec la sexualité au cœur des relations entre les personnages,
ces corps qui se cherchent constamment, se frôlent, se touchent. Sans rien
montrer d’ostensiblement provocant, le réalisateur bombarde son film d’érotisme
latent. Ceux qui auront vu le remake,
passé par Cannes il y a deux ans, « The Housemaid », se souviendront
qu’il n’y avait rien de latent dans l’érotisme filmé par Im Sang-Soo. Mais ici,
comme tous les sous-entendus politiques du film, l’érotisme se fait discret
mais évident.
Entre deux personnes se levant
pour aller aux toilettes en faisant grincer la porte, le film n’a pas cessé
d’accaparer mon attention. Et cette pirouette finale tranchant avec le
fatalisme attendu, toute en ironie, a même parvenu, contre toute attente, à me
faire sortir avec le sourire aux lèvres. Qu’elle est délicieuse cette sensation
d’arriver là où l’on ne s’attend pas… Maintenant, si je pouvais trouver le
temps d’enfin attraper la ressortie du film d’Hou Hsiao Hsien avant qu’il ne
disparaisse…
11 commentaires:
Je ne connaissais pas, mais, à te lire, j'ai repensé au remake et donc ça m'a laissé penser que j'en avais déjà entendu parler. Intéressant.
Et merci pour cette découverte !
Je t'en prie Martin !
Bonjour David T, pas encore chroniqué mais vu dans la salle rouge "Marilyn", la semaine de la salle dans une salle pleine mais pas comble (un dimanche après-midi). Ayant le remake, ce film original est assez différent car autant la servante du remake est une vraie victime, autant là, la servante fait peur. On aurait envie de lui rendre le mal qu'elle fait. C'est une personne dangereuse qui n'a aucun état d'âme (à mon avis, elle a un grain). La fin tragi-comique est surprenante. Les spectateurs n'ont pas l'air d'avoir été tous emballés. Je suis mitigée mais j'ai été contente de l'avoir vu. Merci aux mécènes qui sont bien mentionnés au début du générique. Quant à la 8ème bobine (une des deux restaurées), on voit qu'elle a souffert. Bonne après-midi.
Salut Dasola,
Je suis bien content de l'avoir vu en salle Audrey ;) Tout le monde n'accroche pas au film c'est visible. Je crois que cela m'a donné envie de revoir le remake, qui est effectivement très différent ce qui est un bon point pour lui.
Tu as raison de noter qu'une bobine est nettement plus endommagée que les autres, malgré le beau travail de restauration.
Pourrions-nous clarifier toutes ces histoires de remake pour savoir de quel remake nous parlons ici ? Je ne veux pas faire mon rabat-joie pédant mais il en existe plusieurs des remakes de ce film. Kim Ki-young a lui même réalisé des remakes (catalogués de variations) de son propre film.
La clarification est écrite noir sur blanc dans mon billet ID : le remake d'Im Sang Soo datant de 2010 ;)
J'ai apprécié le film (vu à l’Élysée Lincoln. Il y'a beaucoup moins de monde par rapport à la filmothèque)
Certaines transitions sont superbes (Notamment, travelling entre la chambre et la salle de musique). Néanmoins, on ressent trop l'influence de Hitchcock (rien que dans la musique très "herrmannienne") et je trouve cela un peu dommage (Je m'attendais à plus pour un film "récent". N'est pas "Samuel Fuller" qui veut)
Très bien mais je causais des com' et non ton billet qui pour moi n'était pas une évidence en soit ! Sachez-le !
Oui je sais qu'il y a généralement moins de monde au Lincoln qu'à la Filmo, mais que veux-tu, c'est plus près du boulot ;)
J'aime ton utilisation des guillemets Nyal ^_^ Au niveau de la mise en scène c'est assez costaud quand même "La Servante", mais c'est certain que l'on sent l'influence de certains cinéastes majeurs, mais je ne m'en plaint pas vraiment.
@ID : Mais les com' sont le prolongement du billet ;)
Et parce que c'est un prolongement, les choses devraient être nommées correctement. Non pas comme une pseudo-évidence mais comme un échange concret qui ne fasse pas perdre le fil au lecteur dont ce dernier espère (peut-être de) voir dans ce prolongement une ouverture vers de nouvelle connaissance ! :p
Mais quel emmerdeur celui-là ;)
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