La critique cinématographique a certainement perdu de l’influence qu’elle pouvait avoir sur le public il y a quelques décennies, voire quelques années seulement. Celle-ci n’a certes jamais pu empêcher un naveton indigne de devenir un grand succès au box-office si les spectateurs décidaient de s’emparer d’un long-métrage, et elle ne peut à l’évidence toujours pas l’empêcher (pour le plus grand plaisir de Michael Bay). Mais le rôle primordial de la critique n’a jamais tant été de nous détourner des mauvais films (la culture du nanar, ça existe aussi) que de nous aiguiller vers les meilleurs, aussi confidentiels soient-il. Eviter l’ombre à ceux qui risqueraient de passer inaperçus sans un soutien écrit. Sur ce terrain-là, la critique a laissé son mojo se rabougrir quelque peu, tant le constat est indéniable qu’il est aujourd’hui plus difficile pour le cinéma d’auteur de devenir par les chiffres un cinéma populaire. La durée de vie des films n’est plus la même, et l’échelle d’un succès art & essai se regarde plus à la loupe que par le passé.
Cependant l’heure n’est pas à la capitulation. Chaque succès, chacun à son échelle, permet de reprendre confiance dans l’influence de la critique, dans la capacité des petits films à percer, ceux ne pouvant compter sur aucune surexposition médiatique, aucune star hollywoodienne en promo pour le porter vers un public plus large qu’une poignée de spectateurs parisiens. L’année dernière, il y a eu les 890.000 entrées de La guerre est déclarée ou les 975.000 spectateurs d’Une séparation. Certes il ne s’agissait pas là seulement de l’influence de la critique, les films ayant été remarqués, voire récompensés, aux Festival de Cannes et Berlin. Mais la corrélation est tout de même indéniable.
Si les critiques m’empêchent rarement d’aller un voir un film qui était sur mes tablettes, une critique unanime dans l’enthousiasme pourra toujours me pousser vers un film qui aurait justement pu me passer sous le nez sans que j’y fasse attention. Pas sûr que l’année dernière je serais allé voir Senna, ou Pater, ou Sweetgrass s’ils n’avaient pas ainsi été portés par la critique. Si je me mets à écrire ces lignes aujourd’hui, c’est parce que j’ai fait ce même saut dans le vide sur la foi de la passion que j’ai aperçu dans la presse, à l’époque de Cannes l’année dernière où il avait fait ses débuts, et à l’heure où Oslo, 31 août sort en salles, ces jours-ci. Et j’ai constaté que je n’avais pas été le seul à le faire en jetant un œil au box-office de la semaine où le film de Joachim Trier est sorti : un peu plus de 38.000 entrées dans seulement 38 salles, un record pour un film norvégien en France, qui lui permettait d’afficher le second meilleur taux de remplissage de la semaine, devancé seulement par Les Infidèles.
Soyez sûrs que si la critique française dans son intégralité, de Télérama à Première en passant par Libé, Les Inrocks, Le Monde, 20 minutes, Studio Ciné Live, Le Nouvel Obs ou Les Cahiers du Cinéma, si tous n’avaient pas loué, voire encensé, Oslo 31 août, les 38 salles dans lesquelles le long-métrage étaient diffusé n’auraient pas été aussi pleines. Bien sûr, le film ne deviendra pas un phénomène à la Une séparation, mais attirer près de 40.000 spectateurs en une semaine est déjà une victoire pour le cinéma norvégien en France.
La cerise sur le gâteau, c’est que la critique a raison. Ces vingt-quatre heures passées dans la vie d’un ancien junkie revenant à Oslo après une cure de désintox est une douce mélodie cinématographique. Des premières minutes empruntant au documentaire où l’on écoute des habitants de la capitale norvégienne parler de leur ville à ce dénouement aussi doux qu’il est terrible, Oslo 31 août nous entraîne dans les pas de cet homme cherchant à renouer avec son passé pour mieux l’abandonner. Un personnage sombre qui imprime une mélancolie splendide à la pellicule, observé avec patience et langueur, entre tristesse et sensualité.
Oui, il y a bien de la grâce dans Oslo 31 août, un voyage cinématographique qui se grave en nous à mesure qu’on le découvre et qui nous laisse en plein vague à l’âme radieux. Je me souviendrai longtemps de la traversée d’Oslo à l’aube, en vélo, enfumé par le gaz d’un extincteur… Oui, il y aura toujours de la place pour la critique cinématographique tant qu’elle parviendra à orienter ses lecteurs vers ces moments de cinéma suspendus dans un écrin, quelle que soit la langue, quel que soit le nombre de salles. En seconde semaine, Oslo 31 août gagnait des salles supplémentaires. Et si vous regardiez s’il ne passe pas dans votre quartier ?
9 commentaires:
Ohlala, ça fait deux semaines qu'il est sur ma liste et j'arrivais pas à me motiver. Ma motivation vient donc de faire un grand bond en avant (comme John Carter^^) grâce à toi !
Aaaaaaaaah, cool Michael^^ Tu m'en diras des nouvelles ;)
Présenté comme ça, c'est tentant, en effet. Je suis le premier à défendre l'apport de la critique dans le sens où tu l'évoques: ton message me parait donc particulièrement bien vu en ces temps de grand relativisme. Cela dit, dans l'autre sens, je déteste la critique quand elle se contente de dénigrer. Je n'ai jamais vraiment compris pourquoi il pouvait paraître intéressant d'écrire long sur un truc déplaisant. Sinon pour faire ce que j'appelle "s'écouter écrire".
C'est bien qu'un film norvégien conquiert un public plus large que prévu. Si ça pouvait donner aux distributeurs l'idée de s'aventurer un peu plus loin et un peu plus souvent que vers les films du monde entier... ce serait cool !
C'est ce que je déplore beaucoup, moi, en province: cette faiblesse de la programmation étrangère, en dehors des pays-sentiers battus.
voilà un article qui fait plaisir... je crois qu'oslo 31 aout est ma plus belle découverte de 2012 pour l'instant... je ne savais pas que le film marchait et suis ravi de l'apprendre... faut dire qu'il a été pas mal "sponsorisé" par les mk2 à paris... à voir s'il marche aussi bien en province ?
j'ai découvert le week end dernier le 1er film de ce trier-là, et lui aussi vaut vraiment le coup d'oeil ! :)
@Martin : Mais si on ne le dit pas aux réalisateurs quand ils font de mauvais films, comment font-ils pour prendre bonne note et faire mieux la prochaine fois ? ;)
SI les succès pouvaient être plus fréquent pour des films originaires d'ailleurs que de France et des Etats-Unis, c'est vrai que cela boosterait la distribution des autres cinématographies !
@Phil : Le film marche manifestement bien aussi en province, puisque comme je le dis dans mon billet, sur la France, il réalisait en 1ère le deuxième meilleur taux de remplissage derrière Les Infidèles. Ca me donne envie de découvrir son premier en tout cas !
Bien sûr qu'il faut (leur) dire ! Ce que je n'aime pas, ce sont les critiques qui alignent les phrases bien tournées pour dire en gros "c'est de la m..., n'y allez pas !" et restent silencieuses sur tout ce qui est technique et/ou scénaristique. Je n'ai pas besoin de directeurs de pensées ! J'attends autre chose de gens censés mieux connaître le cinéma que moi !
J'ai lu un jour une critique qui se permettait de parler d'entrée de jeu de la fin du film, complétant son texte d'une simple phrase du genre: "voilà, tout le pseudo-intérêt du film est contenu dans sa conclusion à la gomme, vous savez à quoi vous en tenir, pas la peine de vous déplacer". J'ai failli écrire au gars pour lui dire ma façon de penser :)
Tu trouves pas que ça va trop loin dans la descente en flammes, des fois ?
J'ai horreur des critiques qui spoilent sans prévenir Martin, donc dans ces cas-là, je te suis complètement.
Et il y a certaines critiques qui peuvent aller trop dans la méchanceté je te l'accorde. Mais parfois c'est mérité ;)
J'ai été le voir avec bullhead le lendemain. Je pense que j'ai fait une overdose ;)
Les deux films possèdent des qualités indéniables (photo, scores, jeu des acteurs,...). Néanmoins, j'ai eu du mal à rentrer dans Oslo. Je n'ai pas réussi à aimer ce personnage. Pourquoi ? Difficile à dire. J'ai du mal à croire qu'il puisse aller aussi mal. On a du mal à identifier son mal. Pour bullhead, c'est la durée. J'ai trouvé qu'il y'a un peu de longueur.
Il va être temps d'aller voir des films où l'on peut débrancher son cerveau :D
Les deux m'ont soufflé, Nyal. Oslo pour son amère mélancolie et sa respiration poétique, Bullhead pour son âpreté explosive.
Mais c'est vrai qu'après ces deux-là, un peu de futilité ferait du bien ;)
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