dimanche 14 février 2010

De l'eau, du rugby, et Jim Carrey

Le temps s’est arrêté. Non, il s’est étiré. Les minutes ont semblé heures. Les jours, semaines. Peu de cinéma. Pas d’écriture. Une forte envie de ne pas se retrouver chez soi. C’est ce que peut causer un dégât des eaux, en tout cas c’est l’effet que celui que j’ai vécu a eu sur moi. Outre le bruit de pluie qui résonne dans l’appartement, pas franchement agréable, il y a cette odeur très incommodante qui règne en permanence, forçant à ouvrir les fenêtres, et en ce mois de février frisquet, c’est vite désagréable.

En un rien de temps, voilà que retranscrire les émotions cinéma du moment, bonnes ou mauvaises, devient un exercice ardu. L’humour cérébral des frères Coen s’est vu passé sous silence. Les états d’âme aériens de George Clooney se sont évanouis. Le Gainsbourg rêvé de Joann Sfar, perdu dans les méandres de ma lutte aquatique en intérieur.
Bien sûr il y a les films dont je n’aurais de toute façon pas forcément parlé, ou si peu. Aurais-je eu beaucoup à dire d’Une exécution ordinaire autrement qu’en quelques platitudes de l’ordre du « intéressant mais longuet », ou « La vache, il est pas mal Dussollier en Staline ! » ? Aurais-je longuement épilogué sur le Brothers de Jim Sheridan, au trio d’acteurs sexy et capable, mais à la qualité finalement si passable et attendue, me laissant croire que le cinéaste irlandais est décidément dans un creux (Get rich or die trying ?!) ?

Aurais-je enfin voulu consacrer un billet tout entier au Lion d’Or vénitien Lebanon, drame israélien déjà largement soutenu par la presse, mais qui personnellement m’a laissé dubitatif sur l’intérêt d’un film se déroulant entièrement dans un tank ? Le temps y semble bien long…

Heureusement il y eût tout de même quelques films dont, faute d’eau visiteuse, j’aurais probablement aimé parler. Comme ce Sherlock Holmes version Guy Ritchie, aussi agréable et haletant qu’inoffensif. Encore plus certainement, j’aurais aimé parlé d’Anvil ! The story of Anvil, documentaire doux et enthousiasmant sur les affres du business musical, la passion dévorante, et l’inusable beauté de l’amitié. Si je n’en ai pas parlé, je souffle de soulagement que d’autres en ont bien parlé par ailleurs.

Alors que me reste-t-il de ces derniers jours ? Il me reste I love you Phillip Morris, la comédie du moment interprétée par Jim Carrey, produite par Luc Besson et présentée à Cannes, qui a semble-t-il fait grincer des dents dans les couloirs d’Hollywood. Pourtant pas de doute, le comédien élastique, génie comique des temps modernes, n’avait pas été aussi enthousiasmant dans son art comique depuis belle lurette (et c’est un fan de Yes man qui parle). Le film est drôle et culotté, on le craint trop doux mais il sait retomber sur ses pattes, mais c’est bien l’ami Jim, ce canadien aux grimaces extraterrestres, qui porte le film à bout de bras et le tire puissamment vers le haut.

Évidemment on est fan de Carrey ou on ne l’est pas. C’est comme Clint Eastwood. En fait non, cela n’a rien à voir. Tout le monde peut aimer Clint. Tout le monde devrait. C’est ce que je me dis à chacun de ses films, et Invictus a beau ne pas être Gran Torino (comprendre, le film de l’année), c’est une fois de plus un rendez-vous avec du beau cinéma. Un rendez-vous qui a tardé pour moi, puisque voilà plus de cinq semaines que le film était sorti lorsqu’enfin j’ai pu le voir, ce beau film. Bien sûr, je serai le premier à me montrer sceptique sur le dernier acte du film, ou plutôt sur son climax, à savoir la fameuse finale de la Coupe du Monde de Rugby 1995, censée être le point d’orgue du film, mais s’étirant bien trop à mon goût, et où le grand Clint se montre particulièrement mal avisé dans la mise en scène, abusant à foison des ralentis, qui comme chacun le sait sont une aberration cinématographique (dans 99% des cas).

Mais qu’importe finalement ce manque d’inspiration d’Eastwood, tant le reste tient de l’admirable. En maître d’œuvre parfaitement rodé à l’art cinématographique, Eastwood excelle dans un autre art, celui de faire s’entremêler petite et grande histoire, et par là même de faire naître l’émotion, de la petite étincelle au pinacle étincelant. Son film est un hymne humaniste qu’il est difficile de ne pas embrasser, tant il exprime énormément sur la société actuelle en mettant en lumière la personnalité de Mandela, et l’admiration qu’il lui voue sans doute.

Invictus est un film qui crie la joie que l’humanité peut trouver lorsqu’elle se donne la peine de s’unir et de défier les viles attentes. C’est un film qui affirme le besoin de l’être humain de ne pas se laisser guider par la haine ou la violence. C’est un film qui dit que les plus grandes forces de l’esprit naissent à l’échelle humaine, dans chacun de nous, aussi ordinaire que nous soyons. C’est surtout un film qui dit tout cela avec l’œil et la main sûre d’un maître comme Eastwood, qui s’il se montre peu judicieux dans sa façon de filmer un match de rugby, sait nouer un récit, et nous précipiter en son sein. A mes oreilles résonnent encore les chants africains, et la voix de Morgan Freeman : « I am the master of my fate. I am the captain of my soul ».

Ce qui est assez paradoxal, c’est que si Eastwood n’a probablement pas voté pour Barack Obama, son film est le premier indubitablement estampillé « Made in Obama’s America ». Et s’il ne sait probablement rien du débat sur l’identité national qui est d’actualité en France, Invictus pourrait sans difficulté s’insinuer dans les consciences d’un tel débat.

6 commentaires:

I.D. a dit…

Commençons par quelque chose qui me fâche :

"abusant à foison des ralentis, qui comme chacun le sait sont une aberration cinématographique (dans 99% des cas)."

Je n'ai pas vu Invictus donc impossible pour moi de savoir s'ils sont ou non utilisés à bon escient. Par contre, la deuxième partie m'irrite quelque peu. Comment ça une "aberration cinématographique" ?! et aussi, juste avant : "comme chacun le sait" ? Bah, moi je ne le sais pas. J'aime bien les ralentis dans un film surtout lorsqu'ils sont utilisés encore une fois à bon escient et pas comme de nombreux cinéastes qui tu l'utilises de manière exagéré parce que ça donne un "super effet trop cool".

Le ralenti dans un film peut apporter une certaine tension dans l'intrigue. Souligner un état de fait, etc... Merde, je trouve qu'un Peckinpah, un Scorsese ou encore un John Woo (époque HK) s'en sortent plutôt bien avec... question de sensiblité sans doute.

Pour revenir sur Invictus et son message "humaniste", encore plus avec l'actualité française autour de l'identité nationale à laquelle tu te réfères, je rapprocherais trois oeuvres vues de la cinéaste malaise Yasmin Ahmand (découvre-la David, elle le mérite) qui font échos à tout cela : Sepet, Gubra et Mukshin qui sont de véritable ôde à la tolérance et je me permets de te citer au singulier mais à lire au pluriel : "C’est un film qui dit que les plus grandes forces de l’esprit naissent à l’échelle humaine, dans chacun de nous, aussi ordinaire que nous soyons."

Voir des films de ce calibre font du bien et cela donne espoir et force. Et ceux qui penseraient qu'ils sont trop naïfs (les films) n'ont rien comprit à ce cinéma et à leur message et je m'engage formellement sur ce que je viens d'écrire à l'instant.

Je terminerai juste par le quart d'heure, je lance des fleurs... super ton billet. Parvenir avec une plume aussi fluide et intéressante à raconter ta galère "Lee Kang-shen" et ta difficile passion du cinéma à assouvir, c'est superbe ! Génial ! Je me marre même si je compatis à ta galère. Force !

ps : quelqu'un traduit ce post au-dessus du mien... ;)

David Tredler a dit…

Fâche-toi donc I.D., mais je persiste à affirmer que le ralenti est une technique de stylisation qui dans 99% des cas ne fait que retirer à une séquence sa force potentielle.
Il y a une minuscule poignée de cinéastes qui peuvent se permettre le ralenti, et ceux que tu cites peuvent en faire partie. Mais le ralenti est bel et bien à mon sens utilisé presque syustématiquement maladroitement, et n'a pas lieu d'être. Et dans ce cas-ci, dans Invictus, cela ne fait pas exception, malgré les qualités de cinéaste de monsieur Clint.

J'aurais aimé avoir eu le temps d'aller au cycle malais de Beaubourg, comme j'en avais l'intention à la base... je regrette, mais je retiens les noms que tu me cites I.D. !

Et merci de me lancer des fleurs, c'est toujours agréable ;-)
Quant au message posté avant toi, je sens qu'il va finir à la poubelle...

I.D. a dit…

De ce Cycle au Centre Pompidou c'est véritablement Yasmin Ahmad qui en ressortira. Et c'est pas fini ! Tu peux avoir une séance de rattrapage pour son Mukshin le dimanche 28 février à 17h30 (en toute fin de cycle donc). J'y serais (encore) avec qui tu sais. Et c'est pas loin des halles, tu pourras sortir de l'une de tes projo' à ton QG et venir jusqu'à nous. ;)

David Tredler a dit…

Bon je vais tenter d'attraper Mukshin alors ^_^

I.D. a dit…

Tiens, vu que tu en parles furtivement dans ton billet. Tu en penses quoi du dernier Coen : A Serious Man ?
Moi qui suis fan (enfin, c'est un grand mot), j'avoue être resté sur ma faim. Je vois l'approche, ce qu'ils essaient de mettre en oeuvre mais j'ai du mal à accrocher pour être franc. Après la réal', rien à redire j'adore au même titre que les acteurs (peu connus). Y a des choses intéressantes mais ce film me perturbe, une deuxième vision aura son importance. Tout de même, je ne le considère pas comme un Coen majeur.

David Tredler a dit…

Oui le Coen m'a bien plu, c'est drôle et totalement décalé comme j'aime les Coen, mais celui-ci est assez hermétique. Et la fin m'a laissé assez fasciné mais très dubitatif. Le terme mineur est peut-être fort, mais ce n'est effectivement pas un de mes préférés...

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