Lorsque l’on passe l’année dans les salles obscures
parisiennes par passion, partir en vacances signifie aussi couper les ponts
avec le cinéma. Ne plus guetter chaque news annonçant des projets de longs-métrages,
ne plus guetter les sorties de films chaque mercredi matin, et plus que tout,
passer quelques jours, quelques semaines, loin des grands écrans blancs.
Pourtant il n’y a rien à faire, il m’est difficile de tenir mes distances avec
les salles obscures.
Lorsque je suis en vacances à l’étranger je me délecte
d’aller voir à quoi ressemblent les cinémas hors de nos frontières à Séoul, Dublin ou Bruxelles. A
San Francisco en 2005, j’étais allé six fois au cinéma en l’espace de douze
jours, ne perdant finalement rien de mon rythme cinéphile parisien, pour des films
pour la plupart restés inédits en France (je me souviens d’un film avec Nick
Nolte et Tim Roth produit par Terrence Malick). Mais il ne faudrait pas croire que seules les salles étrangères
éveillent ma curiosité à l’heure de l’oisiveté vacancière, qui plus est
estivale.
Car il est un charme particulier que j’attache aux
cinémas de province. Peut-être est-ce parce que j’ai passé les premières années
de ma vie dans une ville de Seine-et-Marne où le cinéma local, le défunt
Colysée de Villeparisis, s’apparentait à un cinéma de province. Je revois
encore les fauteuils en skaï et les publicités locales affichées sur le rideau
cachant l’écran. Je revois encore les vieilles publicités pour le pop-corn Baff
et les photos mises en vitrines à l’entrée du cinéma. Pendant des années, les
photos d’une comédie nanaresque ont orné les vitrines du Colysée alors que le
cinéma était devenu un vestige local, laissé là, à l’abandon, et qu’il a fallu
se rabattre sur le Concorde de Mitry-le-Neuf ou le Jacques Tati de
Tremblay-en-France pour continuer à aller au cinéma.
Le charme du cinéma en station balnéaire, c’est
finalement un peu cela. Un retour vers l’enfance, et ces sorties le soir après
avoir passé une partie de la journée à la plage, quand les parents nous
emmenaient manger une crêpe et aller voir un film. Une bouffée de nostalgie qui
remonte à la surface et où sont convoqués les lieux de vacances de l’enfance et
ces cinémas de province qui furent le temple de souvenirs cinématographiques
forcément mémorables par leur simple contexte de divertissements de temps
festifs.
Ils se bousculent en masse, ces souvenirs. Je me souviens
de l’entracte mal placé de « Robin des Bois, Prince des voleurs » au
cinéma de Canet-Plage en 1991. Je me souviens de la file d’attente sous la
pluie pour « Quatre mariages et un enterrement » à Barneville-Carteret
en 1994. Je me souviens de l’excitation de découvrir « The Rock » en
avant-première en juillet 1996, dans la grande salle du Sélect de Granville. Je
me souviens de la patte de « Godzilla » écrasant le fossile de T-Rex
dans le teaser projeté avant "Men in Black" en août 1997 au Castillet de
Perpignan. Je me souviens des frissons qui m’ont parcouru à la découverte de la
bande-annonce d’ « Il faut sauver le soldat Ryan », et de
l’excitation de découvrir des bandes annonces de films de l’automne dès
juillet, lorsque nous allions au cinéma à Granville. Je me souviens d’avoir vu
« Matrix » pour la troisième fois dans un cinéma de Saint-Denis de La
Réunion avec mon oncle, ma tante, et le fils d’un de leurs couples d’amis, et
d’avoir passé deux heures à refaire le film avec eux après.
J’avais tout cela en tête lorsqu’enfin, après des années
sans avoir mis les pieds dans un cinéma de bord de mer en été, j’ai décidé
d’aller mettre les pieds au cinéma de Fréjus, le Vox. J’étais même prêt à aller
voir une ineptie hollywoodienne en VF pour le simple plaisir d’explorer le
cinéma, pour cet amusement enfantin de découvrir les publicités locales et pour
voir les bandes annonces qu’ils avaient à proposer, et vérifier si les cinémas
de province proposent toujours les bandes annonces plus en amont qu’à Paris, où
celles-ci se font malheureusement trop rares (surtout aux Halles).
Finalement je n’ai même pas eu à aller voir « Les
Schtroumpfs 2 » pour satisfaire mon envie de cinéma local, car comme
beaucoup de ces petits cinémas de province, entre quelques blockbusters il fut
possible de trouver un film art & essai que je n’avais pas vu sur Paris,
« Le Quatuor », comme j’avais pu découvrir à La Réunion en août 1999
« Les amants du cercle polaire » de Julio Medem. Arrivé une bonne
demi-heure en avance au cinéma, je dus prendre mon mal en patience et attendre
dans le hall que les portes de la salle 2 veuillent bien s'ouvrir. Lorsqu’enfin le
caissier nous fit signe que nous pouvions monter, je profitais que le générique
de fin du film précédent n’était pas terminé pour aller zyeuter la grande salle
1 où était projeté « Lone Ranger », histoire de voir à quoi celle-ci ressemblait.
Je retournai ensuite salle 2, où les spectateurs des
« Schtroumpfs 2 » avaient déjà déserté la salle, mais le générique de
fin n’était lui toujours pas terminé. Je pris place au sixième rang après avoir
nettement hésité avec le cinquième (évidemment), et je pus même profiter d’une
scène post-générique avec Gargamel et son chat Azrael qui me fit presque
regretter de ne pas avoir opté plutôt pour les Schtroumpfs (je plaisante, même si...). Au
moment où les bandes annonces commencèrent, nous n’étions que deux dans la
salle de 111 places (oui j’ai compté), mais le nombre tripla lorsque le film
commença.
En guise de mise en bouche, nous eûmes droit à une
bande-annonce VF de « Jobs » (moi qui n’avais pas entendu Ashton
Kutcher en VF depuis « That 70’s Show », mon sang n’a fait qu’un tour
de n’avoir pas entendu la voix de Kelso), une autre de RED 2, et plus
intéressant, une de « La Princesse des Neiges » (le Disney de Noël) qui
n’était pas encore visible sur Internet lorsque mes vacances avaient commencé.
Pendant 1h45, je me plongeai ensuite dans l’inégal « Quatuor », dans
lequel les irréprochables Philip Seymour Hoffman, Christopher Walken et
Catherine Keener ne sauvent pas toujours l’excès de pathos et de surdose
dramaturgique. Pendant 1h45, j’oubliais presque que j’étais en vacances.
3 commentaires:
Je n'ai guère qu'une chose à dire: c'est une bien jolie chronique.
Merci Martin !
Martin a bien raison. Mais je me souviens aussi des "cinés plein air" en êté, la nuit, avec un verre ou un sandwich...
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