Quand l’heure d’enchaîner plusieurs films dans une même
journée a sonné, trouver la bonne combinaison ne saurait forcément être laissé
au hasard. Depuis que je suis « tombé » dans le cinéma, dans cette passion et cette obsession qui me poussent
chaque semaine à guetter les sorties et à aller voir chaque film qui me tente
sous peine de grosse déprime, j’en ai enchaîné, des films. J’en ai vécu, des
journées où j’alignais deux, trois, quatre films. Et j’ai appris qu’il y a une
certaine alchimie d’émotions et de sensations auxquelles il est parfois
nécessaire de penser lorsqu’il s’agit de choisir les longs-métrages à faire se
succéder.
Enchaîner des divertissements à la pelle, ce n’est pas si
difficile, mais dès lors que l’on touche à des genres plus sérieux, des sujets
plus délicats, des œuvres plus fortes, il n’est pas aisé de les voir les uns à
la suite des autres comme s’ils n’avaient aucun impact sur nous. Combien de
fois ai-je abandonné l’idée d’enchaîner un second film lorsque le premier
m’avait bouleversé, ému, déstabilisé et que je ne me sentais pas en état de
pénétrer dans un nouvel univers cinématographique si vite alors que tout ce que
je souhaitais, c’était laisser le premier film infuser en moi.
Si les exceptions sont bien sûr nombreuses (pas évident
de faire la fine bouche en festivals et laisser les films trouver leur place en
nous avant d’embrayer sur les autres…), j’ai donc appris à étudier
soigneusement , autant que faire se peut, l’ordre à choisir pour une après-midi
de films, en gardant soigneusement dans un coin de ma tête cette alchimie
potentielle qui ferait qu’en sortant d’un long-métrage, je me dirige sans mal
vers le suivant. Comme ne pas prévoir une
comédie avec Adam Sandler après un film de Terrence Malick, ou un film turc de 2h30 après le Tintin de Spielberg, sous peine de tomber dans les vapes en douze minutes chrono.
Pourtant malgré mon soin du détail, parfois, je ne peux
pas me permettre de chercher à harmoniser l’enchaînement des films, mais sans
le vouloir, l’harmonie vient d’elle-même. Le retard s’est accumulé, je choisis
deux films qui commencent à ne plus avoir beaucoup de salles, je trouve un
moyen de les combiner et d’y ajouter un troisième film étant projeté dans le
quartier et qui s’emboîte bien niveau horaire, et je m’aventure vers un trio
cinématographique, en croisant les doigts pour que la vision de l’un ne coupe
pas mon envie d’aller voir les suivants.
Il y a quelques jours, la journée a commencé avec
« Dans la maison » de François Ozon, la pièce rapportée bonus
s’ajoutant à mes deux films en retard (un risque, de commencer par le film
qu’il n’est pas indispensable de voir maintenant, mais la disponibilité des
deux suivants a dicté ce choix). Cela faisait bien longtemps qu’un film du
cinéaste français n’avait eu droit à une si jolie réputation, une réputation
dont j’ai pu constater toute la validité de mes propres yeux. Ozon y fait
montre d’un art jubilatoire de la mise en abyme à travers ce professeur de
lettres aiguillant l’un de ses élèves dans l’écriture. En plus de nous narrer
une histoire captivante, Ozon prend lui-même un malin plaisir à perdre le
spectateur, à jouer avec son récit pour nous faire constamment douter de ce qui
sépare fiction et réalité.
« Dans la maison » est de ces films qui donnent
un coup de fouet curieux et nous donne envie de cinéma, et de nous replonger
vers un autre film, pour être de nouveau manipuler. Parfait lorsque l’on a
prévu d’enchaîner quelques films, n’est-ce pas ? Ce fut d’autant plus
parfait que j’enchaînai avec « Elle s’appelle Ruby », le nouveau film
du duo Jonathan Dayton et Valerie Faris, dont on guettait le retour depuis
« Little Miss Sunshine » en 2006. Le hasard, ou presque, a donc voulu
que l’enchaînement soit idéal entre ces deux premiers films de la journée, le
film indépendant américain traitant lui aussi de l’écriture, de la création, de
la confusion entre réel et imaginaire. Le film va moins loin que son homologue
français, il ne procure pas le même plaisir, mais on trouve dans « Elle
s’appelle Ruby » une légèreté, une douceur qui au milieu d’une après-midi
cinéma se ressentent comme une douce brise d’air frais. Après « For
Ellen » un mois plus tôt, Paul Dano a décidément l’art de se trouver dans
de jolis films ces derniers temps (ça a toujours été le cas, non ?)… Et en
l’occurrence, un film dont on sort assez heureux, et prêt à s’aventurer plus
loin dans l’offre cinématographique.
Ce « plus loin » sera très loin, à des
années-lumière de la fraîcheur agréable de « Elle s’appelle Ruby ».
Les circonstances l’ont voulu ainsi, mais finalement, ce fut très bien de voir
« Después de Lucía » en fin de journée, avec le temps nécessaire
derrière pour laisser le film être digéré. Car j’en suis sorti hébété, de ce
récit d’une adolescente qui débarque à Mexico après le décès de sa mère et va
voir son quotidien écrasé par le comportement de ses nouveau camarades à son
égard, lorsqu’ils vont sans crier gare la traiter comme une carpette que l’on
piétine et tord en tous sens.
La tension qui m’a habité à la vision du film, cette
nervosité qui ne m’a pas lâché, cet énervement même, dans cette capacité à nous
plonger dans la peau d’un personnage et son mal-être, m’a rappelé l’état dans
lequel m’avait plongé Compliance de
Craig Zobel quelques semaines plus tôt. On s’y sent perdre pied, suffoquer,
s’agacer tout en ayant la sensation d’avoir affaire à une œuvre forte. Une
œuvre qui ne cherche pas à prendre le spectateur dans le sens du poil mais à le
malmener en même temps qu’elle malmène ses personnages. Ce n’est pas la
première fois que le cinéma mexicain nous propose un tel défi
cinématographique, et j’espère bien que ce ne sera pas la dernière. En dehors
de la salle, quelques minutes après l’avoir quittée, j’ai eu du mal à retrouver
mes repères, mais j’étais bien content de ne pas avoir à retourner dans une
salle découvrir un autre film. Après « Después de Lucía », j’avais
besoin de retrouver mon souffle et de repenser à ce à quoi je venais
d’assister.
Et cette sensation, même s’il arrive qu’elle me prive
d’autres films tant je veux la conserver dès qu’elle me frappe, je la chéris lorsqu’elle me
trouve.
12 commentaires:
Pinaise, David, avec toi, c'est tous les jours la Fête du cinéma ! ;-)
Je n'arrive pas, comme toi, à enchaîner trois films dans la même journée. En raison même du phénomène que tu décris: il me faut du temps pour digérer les films. Ou pour m'en imprégner quand je les ai aimés.
Je n'ai pas vu "Despues de Lucia". Ce serait sympa, ça me permettrait d'attacher un nouveau petit drapeau sur ma page "Cinéma du monde". Bref. J'ai vu les deux autres, mais je les classe dans l'ordre inverse par rapport à toi. J'ai beaucoup aimé la fraîcheur de "Elle s'appelle Ruby" et, si Ozon a su m'intéresser avec "Dans la maison", j'ai fini par trouver son film un peu... lassant, peut-être. Je n'ai pas totalement accroché. J'ai trouvé que ça tournait un peu en rond sur des idées, certes justes, mais un peu réac quand même. Un peu intello. Même si j'en partage une partie ;-)
En tout cas, chapeau pour ton trio ! Et merci de nous en parler !
Je suis un petit ET j'aime parfois enchainer les films et des totalement différents de préférences. Genre action/romance/drame. Ca dépend de mon état d'esprit et besoin d'évasion ce jour là.
J'aime continuer l'immersion dans une salle de cinéma, tout mélanger, tout plonger. Même si certains films me donnent un mal fou comme Sous la ville. (oups retard de chronique...) 2H30 oppressante et bouleversante, besoin d'une pause.
Ton trio est superbe même si j'aurai pas tenté le Ozon :)
"Dans ma maison" est un bon film mais inégal. Le départ de l'épouse à la fin reste peu cohérente, trop brusque voir invraisemblable... 2/4
"Elle s'appelle Ruby" est un joli film mais on a la douloureuse sensation qu'elle (La peite Kazan) ne savait pas vraiment comment faire évoluer son histoire... 2/4
"Despues de lucia" Un film choc à la Haneke. Un bémol pour la fin, trop ouverte, quitte à finir de cette façon il aurait fallu laisser la place à l'imaginaire du spectateur tandis que tel quelle, la liberté se résume à 2-3 possibilité qui n'offre que frustration... 2/4
L'année dernière, j'avais enchaîné "Un Heureux évènement" et "We need to talk about Kevin".
Depuis, je déteste les enfants.^^
@Martin : Pas toujours évident de voir les films les uns à la suite des autres c'est sûr. Mais si je veux voir tout ce qui m'intéresse, parfois je n'ai pas le choix ! ;)
@moopy : Je n'ai pas (encore ?) vu "Sous la ville" ! J'ai du mal à le caler, et il est mal distribué... C'est trèèèès bien ?
@selenie : Pas franchement emballé par aucun des films, alors...
@Michael : Ohlàlà, ne m'en parle pas ^_^ Bon je les ai pas enchaînés, mais si je l'avais fait, j'aurais juré de ne jamais avoir d'enfants !
Et bien voilà la chronique de trois films qui me tentent beaucoup !
Par contre comme toi je ne suis pas adepte d'enchainer les films ... Mme si les deux premiers ont le mm thème.
Bises et bon WE au chaud dans une salle de cinéma.
Amicalement blog
Je ne vais pouvoir parler que "Dans la maison". (je n'ai pas vu les deux autres. En ce moment je suis en mode "charlot/chaplin" au cinéma. Merci mk2)
J'ai assez aimé "Dans la maison". Un score monolithique sous différentes variantes (à la fin, on a la bien le thème en tête c'est certain :) Sinon en terme d'histoire, c'est assez original mais on sent qu'il a le cul entre deux chaises. Il aurait dû aller plus loin ; basculer dans un genre différent de films, que le spectateur soit scotché. (C'est un peu le problème du cinéma, on ne peut mélanger les genres sans risquer de perdre son public)
Avant d'aller voir les autres, je vais faire "into abyss" avant. Sinon David, je te conseille "César doit mourir" si tu ne l'as pas vu. C'est très bien dosé, le film est sur un fil(m) (bon j'adore ce livre de William. Je ne suis peut être pas très objectif)
Merci Didi !
Mais ne crois pas que je ne suis pas adepte de l'enchaînement de films, mais il y a certaines conditions que les films et les circonstances doivent remplir pour que je profite pleinement de l'enchaînement... ;)
Nyal, les films de Chaplin en MK2 me font de l'oeil en ce moment, si j'ai le temps je me laisserai tenter. Ce weekend j'ai vu "Le gouffre aux chimères" de Billy Wilder au Grand Action, un régal !
Quant à "Into the Abyss" et "César doit mourir", ils sont sur mes tablettes !
J'ai été voir aussi le Billy Wilder. C'est troublant de réalisme. Kirk douglas joue à merveille.
Douglas est remarquable oui. Un film très fort.
@Tred sous la ville est lumineux. Les ténèbres ont leur lumière. Il donne une étincelle d'espoir dans l'humanité tout en montrant son visage ignoble.
Je le conseille. Faut juste prévoir de souffler après.
Avis chez moi ;) (oui j'ai mis du temps mais j'ai posé mes mots dessus)
Je ne sais pas si j'aurai le temps de voir "Sous la ville" malheureusement, moopy... mais j'irai lire ce que tu en dis ;)
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