Voir un documentaire consacré à Woody Allen, c’est un peu
comme faire un saut dans le temps pour se pencher sur ce qui a contribué à
faire de soi le cinéphile que l’on ose se dire aujourd’hui. J’ai eu la chance
de grandir avec Woody Allen. Il vous dira le contraire, que je suis trop jeune
pour avoir vécu à Brooklyn dans les années 40, mais lui, sans le savoir, a vécu
en banlieue parisienne dans les années 90. Le fait qu’aussi loin que je me
souvienne, le cinéaste new-yorkais par excellence ait réalisé un film par an
l’inscrit irrémédiablement dans le paysage de mes souvenirs de spectateur. Bien
sûr à l’époque ma mère m’entraînait au ciné avec elle pour voir tout ce que
Télérama lui avait recommandé, mais pour Woody (il fait partie de ces cinéastes
que l’on a envie d’appeler par son prénom, comme s’il faisait partie de la
famille), c’était différent. Une mauvaise critique ne l’a jamais empêché de se
déplacer pour un de ses films.
J’aimerais pouvoir affirmer que « Meurtre Mystérieux
à Manhattan » est le premier Woody Allen que j’ai vu au cinéma, mais je
suis loin d’en être sûr alors que je me souviens distinctement y avoir vu
« Coups de feu sur Broadway », que je me dois donc de considérer
officiellement comme mon premier Woody sur grand écran. Avec son rendement de
métronome, le réalisateur a appris au cinéphile en herbe que j’étais dans les
années 90 qu’il est des rendez-vous qui ne se manquent pas et bercent le rythme
régulier des saisons cinématographiques. Dans « Woody Allen : a
documentary » de Robert B. Weide, Woody Allen dit que s’il s’évertue à
réaliser un film par an, c’est parce que plus il en fait, plus il a de chances
d’en concocter un bon de temps en temps. Même si l’on peut penser qu’en faisant
cela, il agrandit plutôt ses chances d’en faire des dispensables… Sa modestie
transparaît à l’écran, autant que ses doutes dans ses capacités à faire de
grands films. Il parle même comme s’il n’en avait jamais réalisé.
Dans le documentaire, un de ses collaborateurs dit que
même dans ses films les moins réussis, il y a quelque chose, une patte qui justifie
toujours le déplacement. A l’évidence, celui-là n’a jamais vu « Anything
Else » pour oser affirmer cela. « Woody Allen : a
documentary » ressemble parfois trop à une hagiographie du cinéaste, se
contentant souvent de faire intervenir des acteurs ayant travaillé pour lui et
venant dire à tour de rôle, face caméra, à quel point Woody Allen est un
réalisateur exceeeeptionnel, un directeur d’acteurs hors pair, un génie comique
i-né-ga-lable… On aimerait que le documentaire ose frayer plus hors de ces
violons intempestifs, mais il remplit au moins une fonction essentielle :
celle de donner envie de replonger dans les films de Woody.
Les souvenirs remontent, les sensations procurées par
certains films refont surface. Pour tout un pan du public, Woody Allen n’est
peut-être qu’un intellectuel new-yorkais réalisant des films bavards. Pourtant
à mesure que les souvenirs remontent, la fantaisie que peuvent opérer certaines
de ses œuvres revient. Qu’on se le dise, Woody Allen est un magicien capable de
procurer des bonheurs simples et intenses.
Je me souviens du nuage sur lequel je planais en sortant
de « Tout le monde dit I love you » lorsque j’avais 15 ans. Je me
souviens de la découverte d’ « Annie Hall » un soir sur Arte, de
cette joie et cette mélancolie, de cet art du verbe enthousiasmant. Je me
souviens du bonheur intense éprouvé à la vision de « Minuit à Paris ». Je me souviens des rires de
« Bananas », des délires de « Tout ce que vous avez toujours
voulu savoir sur le sexe sans jamais oser le demander », des rêves de
« La rose pourpre du Caire »
et de l’écrin inattendu de « Match Point ». La carrière de Woody
Allen a contribué à l’ossature de mon parcours de cinéphile. Il m’a accompagné
avec ses hauts et ses bas. Et dans quelques jours, c’est déjà l’heure du cru
2012, « To Rome with Love ».
Alors non Woody, je n’ai pas grandi dans le Brooklyn des
années 40, mais quelque part, toi et moi, on a grandi ensemble, parfois pour le
meilleur, d’autres pour le pire, mais avec suffisamment de bonheur le long du
chemin pour que je reste fidèle, vaille que vaille.
9 commentaires:
Tout à fait d'accord avec toi...Ma mère étant une fan de la première heure, j'ai grandi avec les films de Woody Allen. Cependant ses derniers films me laissent perplexe...
Ceux qui me laissent perplexes sont ceux qu'il a fait entre "Tout le monde dit I love you" et "Match Point" (ces deux-là n'était pas inclus dans la perplexité bien sûr !). Mais depuis Match Point, malgré quelques déceptions, on retrouve du Woody enthousiasmants de temps en temps.
Ouais, Woody il fait partie du patrimoine on va dire. Tellement prolifique, tellement bavard, tellement brouillon. Mais c'est ce qui fait son charme !
Mes préférés sont de loin Annie Hall,Manhattan et Match Point.Et il a tort de minimiser son oeuvre, il a fait des petits bijoux !
Annie Hall et Match Point sont assurément dans mon Top 3 de Woody... je suis plus hésitant pour élire le troisième...
C'est fou parce qu'en y réfléchissant bien, je n'ai jamais vu de film de lui au cinoche ! Ce serait presque un motif pour avoir honte de soi.
Sans ça mon dernier Woody remonte un peu puisque c'était pour "Match Point". Très bon film par ailleurs. Faudrait que je m'y remette. On ne peut pas dire qu'il emballe à chaque fois mais il y a indubitablement un truc chez lui.
Sinon je pense également retenir les titres que vous citez Lalalère et David comme le meilleur de son travail. Malheureusement, certains de ses films restent pour moi aujourd'hui de vague souvenir...
Whaaaaaaat ? Jamais jamais ID ? Comment as-tu pu passer 30 ans sans jamais te dire "Tiens le Woody Allen a l'air bien, si j'allais le voir au ciné ce week-end ?". Ralala.
Si tu aimes Match Point, tu pars sur de bonnes bases en tout cas. Note ceux que j'ai indiqué, et au boulot ;)
Il minimise son oeuvre. Il ne devrait pas se comparer à Kurosawa (rashomon, le chateau de l'araignée,...) et bergman (The Seventh Seal)
Ce n'est pas du tout le même registre. Il a une patte à lui. Dans son style, il a fait des chefs d'oeuvre.
Il se minimise complètement. Tu as tout à fait raison, il a réalisé de grands films lui aussi.
J’adore ce cinéaste ! Ses films ont toujours eu un charme particulier…
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