dimanche 27 novembre 2011

2h37 en Anatolie entre dérangements, piaillements et perplexité

Je me demande si je serais vraiment allé voir Il était une fois en Anatolie si je n’avais pas vu Café Noir le mois dernier au Festival Franco-Coréen duFilm 2011. L’idée me serait venue, certainement, je me serais persuadé que j’allais finir par y aller, sans doute, mais en fin de compte, j’aurais fini par le rater, à coup sûr, en m’en voulant un peu pendant quelques jours, puis finalement en m’en remettant très bien. La perspective d’un austère film turc de 2h37 m’aurait inconsciemment fait flancher, malgré le Grand Prix reçu à Cannes en mai dernier. Après tout, ce n’est pas la première fois que le cinéaste Nuri Bilge Ceylan se voit ainsi récompensé sur la Croisette, et jusqu’ici, je n’avais jamais fini par aller voir ses films.

Pourtant ça y est, je l’ai vu, le fameux Il était une fois en Anatolie. Et je pense que traverser Café Noir, ce drame amoureux contemplatif de 3h18 m’a endurci  face aux films d’auteur lancinants  de plus de 2h30. « Si j’ai tenu et même aimé l’expérience coréenne de 3h18, comment avoir peur d’un film turc de 2h37 qui paraitra certainement un court-métrage à côté ! » Par contre s’il y a une chose que les années m’ont enseigné, c’est que lorsqu’il s’agit de passer plus de 2h30 assis devant un film, autant choisir une salle confortable, pour le bien-être du corps et, ne nous voilons pas la face, la tranquillité du sommeil si d’aventure il devait m’arriver de m’endormir. Écarté d’emblée donc le MK2 Beaubourg ! En revanche, en quatrième semaine, Il était une fois en Anatolie tenait toujours l’affiche au Balzac à côté des Champs-Élysées, un bel exemple de confort, d’autant que le film était projeté en salle 3, cette fameuse petite salle de luxe que j’avais testé pour City of life and death il y a quelques mois.

Arrivé au galop, sur le fil alors que la séance commençait tout juste, j’ai été surpris de trouver une salle pas loin d’être pleine. Comme je l’avais décrite l’année dernière, la salle est barrée en son centre d’une travée centrale, et c’est au deuxième rang, sur cette travée centrale, que je me suis posé pour être tranquille (la taille de l’écran et le rythme reposant annoncé du film ne risquaient de toute façon pas de déclencher une crise d’épilepsie…). C’est alors, en retirant mon manteau et en jetant un œil par-dessus mon épaule, que je constatai que je me trouvais dans une salle de vieux, moyenne d’âge 75 printemps bien tassés. Pour un film comme Il était une fois en Anatolie, annoncé calme et silencieux, j’ai soudain eu peur que les bavardages des personnes âgées encombrent quelque peu la projection… voire des ronflements (ce n’est pas rare !). Lorsque la salle s’est éteinte et que le générique d’ouverture du film de Nuri Bilge Ceylan a commencé, une cacophonie de discussions et commentaires régnaient dans la salle, dont le jeune homme d’au moins 80 ans placé juste derrière moi qui se vantait bien fort auprès de sa compagne de pouvoir enfin profiter de quelques jours de vacances.

J’étais déjà prêt à lancer un bon gros « CHHHHHHHHUT !!! » bien placé lorsqu’un autre spectateur s’en est chargé pour moi, deux fois de suite car à l’évidence la première tentative n’avait pas atteint les oreilles de tout le monde. Confortablement installé dans ces grands fauteuils de cuir, seul sur mon rang de ce côté de la travée, je me suis rapidement trouvé plongé dans le film, face à ces trois hommes buvant et riant derrière une vitre, face à ce train traversant ce bout de civilisation désolé, face à ces phares de voitures éclairant un jour plus que déclinant dans la campagne. Mais alors que le film était commencé depuis cinq bonnes minutes, un couple est arrivé en retard et a bien sûr choisi de s’installer de mon côté. Non contents de me déranger pour aller s’asseoir au milieu de ma moitié de rangée, ils se sont tournés vers moi quelques instants après s’être assis pour me demander si je pouvais bouger mes affaires, qui étaient placées sur le fauteuil à côté de moi afin qu’ils se rapprochent un peu plus du centre de l’écran.

NAN MAIS JE RÊVE OU QUOI ?! Apparemment ce monsieur et cette dame n’ont aucune connaissance des règles du savoir-vivre dans une salle de cinéma, et précisément de celle-ci : quand on arrive en retard au cinéma, et que l’on entre dans la salle alors que le film est commencé, on se pose là où il y a de la place sans déranger les spectateurs qui eux sont arrivés à l’heure et sont déjà absorbés par le film. Si les places libres sont au premier rang, on opte pour le premier rang. Si c’est complètement sur un côté, on se met complètement sur un côté. Si cela ne nous plait pas, on se barre et on reprogramme une autre séance où l’on arrivera à l’heure. Mais en aucun cas on cherche à se placer au mieux aux dépens de l’attention et de la projection de ceux qui sont déjà plongés dans l’histoire qui leur est racontée. Il faut assumer et respecter le confort d’autrui.
Comme je n’avais pas envie de faire un esclandre en plein film et ainsi déranger les autres spectateurs qui n’avaient rien demandé eux non plus, j’ai attrapé mes affaires en leur lâchant un mot de mécontentement évident. J’ai horreur d’être sorti d’un film, même s’il n’a commencé que quelques minutes plus tôt.

Je ne pense néanmoins pas que je me serais beaucoup plus passionné pour Il était une fois en Anatolie si je n’avais pas ainsi été dérangé d’entrée de jeu. La vérité, c’est que cette errance nocturne de quelques flics et d’un procureur, à travers la nuit campagnarde turque et à la recherche d’un cadavre, a beau être forte visuellement, elle s’avère redondante et assez opaque sur le fond. La moitié du film consiste en une ronde répétitive au cours de laquelle le criminel indique un endroit aux autorités, qui fouillent et ne trouvent rien, reprenant alors la route jusqu’au prochain point que leur indiquera le criminel. Quelques discussions et saynètes émaillent le récit. Comme souvent avec ce genre de films contemplatifs, il y a quelque chose de fascinant qui se compose à l’écran, au-delà d’un sens du cadre remarquable et d’une photographie tout en finesse.

Il y a une certaine capacité du cinéaste à parler de son pays à travers le prisme réduit d’une poignée de personnages déboussolés et errant dans un quasi no man’s land. Mais le réalisateur fait commencer un deuxième film dans le film, en plein jour, en ville (aussi peu impressionnante soit-elle), une seconde partie qui est le prolongement logique de l’errance nocturne mais qui dans le même temps offre une nouvelle perspective et ne se dévoile que par suggestion et non-dits. Plus encore que dans la nuit de la première partie, le film est fait de regards et de gestes qui sont sensées en dire plus que les paroles… alors que tout reste trop flou, malgré deux performances d’acteur (le médecin et le procureur) dont la retenue n’a d’égale que la puissance. L’impression laissée est mitigée, entre la fascination hésitante et l’ennui évident, mais avec cette insaisissable certitude qu’Il était une fois en Anatolie est de ces films qui s’enracinent en vous malgré la lassitude que l’on peut ressentir à leur vision.

Lorsque le film s’est (enfin) terminé, la salle était plus que perplexe. Mes voisins retardataires se sont levés en disant « Pas besoin de regarder le générique c’est en turc » (ils étaient décidément charmants)… Sur ma gauche, une septuagénaire pousse un bruit entre la lassitude et le soulagement, un « Pfffffffff » qui en disait long, d’autant plus qu’elle a vite ajouté à l’adresse de son compagnon « J’ai trouvé le temps long. Mieux vaut voir Intouchables que ça », à quoi le compagnon tout aussi septuagénaire a confirmé par « Oh oui alors ! Plutôt deux fois qu’une !! ». Mais parmi les réactions que j’entendais à ma droite et à ma gauche, celle que j’ai préféré est venue de mon voisin de derrière (oui oui, celui qui était bien content de prendre des jours de vacances du haut de ses 80 ans au moins), que je suivais dans le couloir vers la sortie et qui m’a appris dans quel genre se classait le film contemplatif de 2h37 à travers la campagne turque que nous venions de voir : « Alors y a des trucs que j’ai pas vraiment compris… enfin, deux ou trois choses que je n’ai pas du tout compris… Mais bon ça me fait ça moi les films policiers ». 

Il était une fois en Anatolie, film policier ? Des flics, un procureur, un meurtrier penaud, et un cadavre à trouver font-ils un film policier ? Au fond, comment détermine-t-on le genre d’un film ? Est-ce la trame ? L’atmosphère ? La nature des personnages ? Non on ne va pas se lancer dans une telle réflexion maintenant… On va juste se dire qu’on en entend vraiment de bonnes dans une salle obscure (peuplée de personnes âgées ?)…  

4 commentaires:

I.D. a dit…

Ah nos anciens ! Ah le 3ème étage ! On l'aime autant qu'on le déteste ! ^^ Le plus drôle c'est qu'ils ont été nous et nous serons eux ! :D

Ces gens qui arrivent en retard et qui font chier alors que la salle est à moitié ou au 3/4 vide ! Combien de fois cela m'est arrivé ? Ca te passe devant, ça vient te coller et y a des places libres partout !

Ce qui me fait rire (jaune) avec ce genre d'anecdote c'est que ces mêmes anciens, ce seront eux qui viendront se plaindre du comportement des "jeunes" d'un point de vue général. Merci le recul sur sa personne et l'auto-critique qui va avec hein ?

David Tredler a dit…

Là la salle était loin d'être vide, comme je le précise. Mais le double premier rang était vide, et j'étais seul sur ma rangée. Il y avait largement de quoi ne pas me déranger alors que le film était déjà largement commencé...
Tu as certainement raison sur le comportement, où ils viendront se plaindre qu'on leur manque de respect alors que le leur peut s'avérer tout à fait contestable...

My Little Discoveries a dit…

Tu connais mon avis sur ce film, mais le coup du "film policier" m'a bien fait rire!!! ;o)

David Tredler a dit…

Oui le coup du "film policier", c'est savoureux !

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