mardi 21 décembre 2010

J'ai vu le tout dernier film de David Carradine

« Le comédien David Carradine est décédé ». Ces mots résonnent à la radio dans les premières secondes de Stretch, le dernier film qu’aura tourné… David Carradine. En juin 2009, l’acteur américain est mort dans la chambre de son hôtel de Bangkok dans des circonstances qui ont fait couler beaucoup d’encre à l’époque. S’il était à Bangkok, c’était pour le tournage de Stretch, le nouveau film de Charles de Meaux. Bien sûr, la disparition soudaine et inattendue de Carradine a quelque peu bouleversé les plans du film, qui s’est retrouvé en deuil de l’une de ses têtes d’affiche.

Difficile de dire quelle était l’importance initiale du rôle tenu par l’acteur dans le scénario de Charles de Meaux, mais ce qui est sûr c’est que les deux scènes qui lui restent dans le montage de Stretch rendent la participation de Carradine quasi anecdotique. Le réalisateur a réécrit le film pour que le scénario ne pâtisse pas trop de sa disparition. Bien sûr tout cela va marquer Stretch, qui sera à jamais le film sur le tournage duquel l’acteur de Kill Bill est décédé, éclipsant probablement le film pour ce qu’il est. J’en joue moi-même en consacrant les premières lignes de ce billet à cet aspect du film.

Pourtant il ne s’agit pas là d’un film anecdotique. Du moins ne faut-il pas prendre le caractère hautement sordide du décès à Bangkok d’un acteur comme Carradine, dont la carrière a plus consisté en des séries B oubliables qu’en de grands films, au cours du tournage d’une production franco-thaïlandaise, pour la marque d’un tout-venant dans lequel on était en droit d’attendre l’acteur ces derniers temps. Non. Stretch n’est pas une série B cheap du bout du monde. C’est un étrange objet cinématographique qui tient beaucoup plus de l’expérimentation que du confort. A la vision du film, impossible de ne pas penser à un moment ou à un autre au cinéma d’Apichatpong Weerasethakul, cinéaste qui a été maintes fois produit par le réalisateur de Stretch, Charles de Meaux. Quel que soit le sens de la filiation entre les deux hommes, il y a quelque chose dans le film de de Meaux qui rappelle le cinéaste thaïlandais.

C’est très étrange car ce n’est pas du tout ce à quoi je m’attendais en allant voir Stretch. Pouvais-je vraiment m’attendre à cela en ne connaissant quasiment pas Charles de Meaux et en lisant le synopsis du film : un jeune jockey français, exclu pour six mois des courses hexagonales pour un contrôle toxicologique positif, part tenter sa chance à Macao, ville de paris et d’argent. Là-bas, son statut de débutant est oublié et il devient vite une star des hippodromes, accumulant les victoires et la notoriété. Mais le jockey n’est pas maître de son destin, et nombreux sont ceux qui veulent une part de son succès.

Avec un pitch pareil, difficile d’imaginer que l’on va se trouver devant un film plus expérimental que classique, pourtant le constat est rapide. Charles de Meaux s’intéresse peu à une intrigue linéaire standard. Ce qui semble le motiver, c’est l’exploration des maux de l’être humain embarqué sur un chemin mettant à mal ses points de repères, le poussant à tester ses limites. Plus que l’intrigue, ce qui intéresse de Meaux, c’est d’observer un homme face à lui-même, face à ses convictions, ses doutes, ses possibilités. Et en chemin, se laisser divaguer, se laisser absorber par l’atmosphère des pistes de courses françaises, des rues lumineuses de Macao. Oui, Stretch est décidément un étrange film. Stylistiquement, le film se balade encore plus. Son image HD et son travail sonore si étrange accentuent l’impression d’errance.

Pourtant Stretch est loin d’emporter mon adhésion. Le film me laisse plus dubitatif qu’admiratif. Déjà parce que le scénario (sur lequel a travaillé l’auteur Douglas « Génération X » Coupland !) semble s’être mal accommodé du décès brutal de David Carradine. Si Terry Gilliam a magnifiquement prouvé l’année dernière avec L’imaginarium du Docteur Parnassus qu’un film peut se relever et puiser une énergie formidable après la perte d’un de ses comédiens, Stretch a du mal à faire le deuil de ce personnage énigmatique que campe Carradine et qui en l’état se révèle finalement vain. Ensuite parce qu’avec toutes ses errances stylistiques, ces textos apparaissant à l’écran, ces voix-off narratives de seconds rôles se faisant entendre sans prévenir, ces ellipses parcourant étrangement l’intrigue, Charles de Meaux nous perd un peu en cours de route. Si le cinéma si particulier d’Apichatpong Weerasethakul ne sied pas au spectateur que je suis, j’y trouve tout de même une cohérence cinématographique de par son épuration formelle et scénaristique. Avec Stretch, Charles de Meaux veut à la fois effleurer ce cinéma contemplatif et réflectif tout en nous emportant dans une intrigue de paris et de corruption dans le monde des courses hippiques. Or ses désirs scénaristiques et son approche stylistique cohabitent sans vraiment fusionner.

La déception est le sentiment qui domine le plus en sortant de Stretch, car si la sauce ne prend pas, on y perçoit une ambition inattendue laissant tout de même la place à quelques beaux instants cinématographiques. Certes le film ne convainc pas, mais il tente, et c’est déjà une belle chose. Fabien Onteniente travaille à un projet de film sur le milieu des courses hippiques lui aussi, et il est facile d’imaginer que ce film-là n’aura même pas le mérite d’essayer d’être une œuvre cinématographique unique. Et je préfère nettement sortir déçu d’un film comme Stretch (qui sort en salles le 12 janvier prochain) qui aura au moins exploré des zones filmiques incongrues plutôt qu’aller voir un film ne promettant que de l’ordinaire.

3 commentaires:

I.D. a dit…

Est-ce que cette merveilleuse ville de Macao est bien filmée ? A la fois sordide, énigmatique, belle et désenchantée...

David Tredler a dit…

Elle aurait pu être mieux filmée je pense, I.D. Ce sont un peu trop souvent les mêmes plans nocturnes qui reviennent, cela manque un peu de personnalité dans l'oeil...

Sashaaaaa a dit…

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