mardi 31 août 2010

Poetry peut-il séduire les spectateurs français ?

Si j’ai pensé un moment que le cinéma coréen tenait peut-être avec Poetry un possible succès public en France, je n’en suis désormais plus sûr du tout. Je pensais qu’un prix à Cannes, celui du Meilleur scénario, et une presse à peu près unanimement enthousiaste suffirait à porter le film vers un résultat sortant le film de la confidentialité cinéphile. Bien sûr je ne pensais pas le film capable d’aller titiller le million d’entrées, mais après tout, 200 ou 250.000 entrées ne semblait pas si irréalistes que cela.

Si la sortie du film a finalement fait chanceler mon espoir, ce n’est pas tant les premiers chiffres du box-office que les réactions de mon entourage après avoir vu le film de Lee Chang-Dong qui en sont la cause. Nous étions sept à être allés voir ensemble Poetry, et à la sortie, seuls deux d’entre nous étions sous le charme, emportés par la conviction d’avoir vu là un beau film. Les cinq autres étaient amplement déçus, un ratio peu encourageant pour la carrière du film.

Je n’ai pas toujours aimé le cinéma de Lee Chang Dong. Peppermint Candy, son second long-métrage, est l’un des tous premiers films coréens que j’ai vu en salles, il y a plus de huit ans, et je me souviens clairement en être ressorti déçu. Ennuyé par un film au ton si étrange, au rythme cassé, qui ne seyait pas du tout au spectateur que j’étais alors. Mon aversion pour Peppermint Candy m’a tenu à l’écart d’Oasis, le film suivant de Lee Chang-Dong, malgré les nombreux prix collectés à l’époque par le long-métrage à la Mostra de Venise. Mais les goûts évoluent, ils sont en mouvement perpétuel.

Il a fallu que je tombe plus globalement amoureux du cinéma coréen (en 2004) pour repartir sur de nouvelles bases avec Lee Chang Dong. Il a fallu que je voie Secret Sunshine en 2007, le déchirant drame du cinéaste auréolé du Prix d’interprétation féminine à Cannes, pour comprendre que j’étais enfin prêt pour son cinéma, prêt à voir Oasis que j’attrapai lors d’un festival coréen à la Filmothèque du Quartier Latin.

Et aujourd’hui Poetry. Je suis entré en salles avec plus de conviction et d’envie que huit ans plus tôt. Je suis entré en connaissant Lee Chang Dong, son cinéma, son sens du récit à la fois mesuré dans son rythme et puissant dans son discours. J’y suis entré en sachant que ce ne serait pas un film simple et conventionnel. Je ne peux en vouloir à mes amis de ne pas avoir adhéré à Poetry comme moi j’y ai adhéré. Je suis moi aussi passé par là avec Lee Chang Dong, passé par l’ennui et l’incompréhension. Peut-être changeront-ils d’avis un jour.

Peut-être trouveront-ils ce que j’ai trouvé dans le film de Lee Chang Dong. Un regard acerbe et amer sur la société coréenne à travers le destin de cette grand-mère devant affronter les prémices d’Alzheimer sur un front, et les conséquences de la participation du petit-fils qu’elle élève seul à une série de viols sur une collégienne sur un autre front. Et c’est dans la poésie, dans l’aspiration à savoir écrire quelques vers, que Mija, la grand-mère, va trouver les ressources pour tenir debout.

La recherche de la poésie est la lumière qui guide l’héroïne, ce qui la pousse et l’élève au-dessus de la mêlée. Au-dessus d’une société machiste qui cherche la solution la plus rapide aux problèmes, la solution la moins gênante et encombrante. Dans Poetry, Lee Chang Dong dépeint des pères se souciant plus de l’honneur de leur famille et de l’avenir de leur fils que de l’horreur qu’ils ont pu commettre. Un directeur de collège craignant plus la possible atteinte à la réputation de son établissement que la tragédie réelle qui s’est déroulée au nez et à la barbe de tous. Des adolescents reprenant facilement le cours de leur existence faite de télé et de jeux vidéos après avoir commis un acte révoltant. Des hommes passant outre le malheur d’autrui pour mieux s’occuper de leur propre confort.

Et au milieu il y a cette grand-mère, errante, confuse, un mélange de honte et d’insouciance lui collant à la peau, ayant bien du mal à comprendre ce que l’on attend d’elle. Lee Chang Dong brosse le portrait de cette femme avec patience et finesse, le portant à maturation au travers de ses rencontres, avec les pères désespérant, avec cette mère portant le poids de sa famille et de ses morts sur les épaules, avec ce flic droit et déconneur trouvant dans la poésie ce qu’elle cherche désespérément.

Lee Chang Dong n’a pas peur de faire un film long, il n’a pas peur de ne pas s’apitoyer sur le malheur de ses personnages, il ne cherche pas l’empathie à tout prix. Il se contente de bien écrire, de bien décrire, de bien filmer, et d’être lucide sur les hommes, les femmes, les mères, les grands-mères, les enfants de son pays. Son film est autant un hommage à la poésie qu’un froid constat sur ce qui ne tourne pas rond dans la société coréenne.
Il m’a fallu plus d’un film pour apprécier à sa juste valeur le cinéma de Lee Chang Dong. J’espère que les spectateurs français sauront l’apprécier, par ce film ou le prochain, et finiront par embrasser son œuvre.

9 commentaires:

I.D. a dit…

Beau film, en effet.

"Il se contente de bien écrire, de bien décrire, de bien filmer, et d’être lucide sur les hommes, les femmes, les mères, les grands-mères, les enfants de son pays."

selenie a dit…

Excellent article... J'acquiesce entièrement. "Poetry" est un exemple parmi tant d'autre. Lorsque je vais voir un film dans ma salle art et essai je suis très très souvent le plus jeune de la salle. Il me semble que la jeunesse est en maque total de curiosité, la jeunesse est formaté pour Hollywood.

Bref en tous cas superbe blog je vais de suite créer un lien.

a+

David Tredler a dit…

Merci Selenie ! Et bienvenue sur l'IBC !

Xavier C. a dit…

Je ne pense pas que l'on peut aller voir un film comme Poetry ou bientôt Oncle Boonmee comme on irait pique-niquer à 7, dans un parc en été. Oui, je sais, le cinéma c'est du partage, tout ce que tu veux...

A ce tarif, Poetry relève de l'expérience intime. Attention aux opinions rapidement influencées par celle du voisin, qui vous dira que "non, la scène à la 52ème minute est trop lente", "ah, pas faux, je n'avais pas fait si attention que ça, mais maintenant que tu le dis". J'extrapole.

Pas mal de films supportent bien le visionnage en groupe (les séries B décomplexées, les films bourrins, les comédies, etc.), je pense que Poetry, comme Boonmee si tu comptes le voir, est à voir seul, dans son monde. Fais passer le mot à tes 6 autres collègues, ils pourraient l'apprécier...

David Tredler a dit…

C'est l'éternelle question Faut-il aller au cinéma seul ou à plusieurs... Il n'y a pas de réponse fixe à cette question, tout dépend du film, de l'humeur, et surtout des personnes avec qui tu vas aller partager le film.
Je suis d'accord avec toi sur le fait que certains films se voient seuls, mais finalement il y a tout de même toujours du bon à aller voir un film à plusieurs, même pour un film comme "Poetry". Comme échanger nos idées du film, qui aide à renforcer sa propre opinion.

Je compte voir Boonmee, sûrement, même si jusqu'ici le cinéma de Weerasethakul m'ennuie plus qu'il ne m'émeveille.

Par contre il n'est point question d'une sortie tel un pique nique lorsque je vais au ciné avec des amis. Ils savent le maniaque et le passionné que je suis, et n'oseraient venir si ce n'était pas pour le film, et non pour une quelconque sortie ;)

Pierre a dit…

Et je tiens à préciser qu'un des 6 amis a tout de même totalement adoré le film en étant allé le voir 2 fois avec des amis ^^

julien Pelé a dit…

je suis allé voir ce film, sincérement juste parcequ'il ai passé à Cannes et que je voulait découvrir ce cinéaste corréen. Mais en sortant du film je me suis vraiment dit que j'avais été bouleversé par l'histoire et l'humanisme qui en ressort. Aucun de mes amis n'est allé le voir et leur résumer le scénario leur aurait fait peur. J'attend avec impatiente le prochain film de Lee Chan-Dong parceque 'Poetry' est un des plus beaux films (film sur des vrais sentiments) que j'ai pu voir en 2010. N'aurait-il pas mérité plus de succès ? plus de récompenses à Cannes ?

Difficile d'en juger quand on à 17 ans aucun de nos amis ne va voir de film d'auteur corréen, malheuresement !

julien Pelé a dit…

et excusez pour les quelques erreurs d'orthographes ^^ j'ai oublié de me relire !

David Tredler a dit…

Bravo Captain, tu as bien fait d'avoir eu la curiosité de découvrir ce film. Cannes reste un gage de valeur et pousse les spectateurs à voir un film, c'est bien. Moi aussi j'attends avec impatience le prochain Lee Chang-Dong. A mes yeux le film méritait la Palme d'Or à Cannes, mais qu'il soit au Palmarès était déjà une belle récompense.
Jette un oeil sur les précédents fimls du cinéastes maintenant, ils sont eux aussi magnifiques (Oasis et Secret Sunshine surtout^^)

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