En quelle année ai-je commencé à faire le Top de mes
films préférés de l’année écoulée ? Je ne saurais le dire avec certitude,
même si je sais qu’à peu de choses près, cela remonte à la fin des années 90.
Toutes les années n’ont pas été de grands crus depuis, mais à chaud, 2014
semble avoir été une belle année cinématographique.
J’ai d’ailleurs bien du mal à faire mon choix sur mes
films préférés de l’année. Car je les aime tous tellement qu’il m’est
proprement impossible cette année de m’arrêter à un Top 10 comme j’ai su m’y
contraindre ces dernières années. Probablement aussi parce que j’ai peu écrit
sur le blog en 2014, j’ai peu partagé mes coups de cœur, et ce Top m’en donne
l’occasion. Alors pourquoi se limiter à 10 ?
J’élargis donc mon Top… et voici quels sont mes films
préférés de 2014.
Mon histoire d’amour avec le cinéma de Wes Anderson est
née un jour d’automne 1999 lorsque j’ai découvert « Rushmore » au
cinéma. Elle s’est ancrée définitivement avec son film suivant, « La
famille Tenenbaum ». Anderson fait partie de ces cinéastes au style unique
et reconnaissable entre tous, qui séduit ou agace. Voilà quinze ans qu’il me
séduit, et peut-être plus que jamais avec « The Grand Budapest
Hotel », une œuvre folle qui allie humour et mélancolie avec une finesse
rare. Le film m’a transporté dans son monde qui derrière son côté
fantasmagorique cache une véritable conscience historique. Il m’a réjoui et ému
par cette douce folie que j’aime tant chez Anderson. Le cinéaste semble avoir créé
un monde parallèle où coexistent ses films au ton si unique. Et ce monde
parallèle, une fois que le réalisateur m’y plonge, je n’ai plus envie de le
quitter.
La première fois que j’ai vu “A Cappella”, c’était sur un
écran de télé, en screener de mauvaise qualité que j’avais reçu pour préparer
le Festival du Film Coréen à Paris. Moi qui suis un obsédé des salles obscures,
le découvrir dans ces conditions ne m’a pas empêché de me prendre un coup de
poing en plein estomac. Le film m’a frappé et m’a laissé K.O. C’est un film que
l’on regarde absorbé, fasciné, craintif, qui nous met mal à l’aise et nous
retourne. Un film qui préfère l’audace à la facilité et vous laisse à fleur de
peau. Un vrai choc cinématographique, qui aurait mérité de mieux rencontrer son
public en salles. Moi il m’a bouleversé.
Il n’y a pas eu de cinéaste plus ambitieux et audacieux
que Richard Linklater cette année. Son projet même en fait l’un des films les
plus importants de ces dernières années : réaliser un film en douze ans.
Tourner chaque année des séquences de son scénario couvrant douze années de la
vie d’un garçon, de son enfance à ses premiers pas dans l’âge adulte. Avec les
mêmes comédiens de bout en bout. Et en tisser le portrait d’une vie, avec une simplicité
désarmante qui sert un récit juste. Ce sont douze années d’une vie qui se
déroulent sous nos yeux, et douze années de notre vie par extension. Un film
unique que j’ai attendu pendant douze ans. J’ai rarement attendu aussi
longtemps.
Frederick
Wiseman fait de grands films. Cette année deux de ses documentaires sont
sortis en salles en France, un « court » de 2h50 (« National
Gallery »), et « At Berkeley ». Une plongée de quatre heures sur
le campus de l’Université de Berkeley en Californie, une observation
minutieuse, dense, foisonnante, fascinante de Berkeley, de ceux qui y
travaillent, ceux qui y étudient, ceux qui font tourner l’université et ceux
qui y réfléchissent sur l’état et le devenir du monde. Wiseman, observateur
silencieux et quasi omniscient, livre une œuvre cinématographique passionnante
et un travail sociologique remarquable. Quatre heures de cinéma total.
Tout a probablement été dit sur Interstellar, que ce soit
en bien, en mal, ou entre les deux. Je suis le premier à reconnaître des
défauts au film. Mais Christopher Nolan nous offre du cinéma avec un C majuscule, tellement grand
que les défauts du film ne prennent pas le pas sur ses immenses qualités. Le doux rêveur que je suis s’est laissé prendre
par la main et a décollé aux confins de l’univers pour accompagner Matthew
McConaughey. Interstellar est un grand film de science-fiction, mais également
un film sur le courage, sur l’humanité (avec un petit « h ») et bien
sûr sur le temps. Une odyssée spatiale et humaine qui m’a fait frissonner de
joie, d’intensité et d’émotion.
Faire un film autour d’une marque de jouets, c’est
forcément casse-gueule. Et plutôt que de crier l’inventivité, cela aurait pu vite
tourner à la publicité géante. La motivation peut être ce qu’elle est, l’œuvre
cinématographique qui en a résulté est une évidence : un long-métrage
ébouriffant où dix gags nous tordent à la minute. Un film malin et virevoltant
où les aventures sont trépidantes à souhait. Et ce qui le propulse si haut, une
réflexion intelligente sur la liberté d’expression via une mise en abyme aussi
étonnante qu’elle est inattendue. Une grande aventure, ça c’est sûr. Également
en 2014, les mêmes réalisateurs Phil Lord et Chris Miller ont concocté un « 22
Jump Street » presque aussi irrésistible que le précédent. Ces deux-là ont
un incroyable sens de la comédie.
Au bord du monde, c’est là que se tiennent ceux qui ne
sont plus considérés comme des citoyens par la société. Les sans-abris qui
peuplent nos villes dans l’invisibilité. Claus Drexel profite des nuits
parisiennes pour aller à leur rencontre et discuter avec eux. De ces rencontres
nait un documentaire beau et fort, où il n’est pas tant question des
circonstances qui poussent un homme ou une femme à vivre dehors, que de
discuter avec eux de la société et de la façon dont ils perçoivent celle-ci.
Qui s’avère bien plus nette et réfléchie que celle de beaucoup de ceux qui ont
un toit sur la tête. Une balade nocturne splendide, une série de rencontres
déchirantes qui reste encore accrochée à moi, presque un an après l’avoir vu.
Comme nombre d’amoureux du cinéma, je suis tombé dedans
en rêvant que je plongeais à l’intérieur de l’écran pour vivre moi aussi des
aventures extraordinaires aux quatre coins du monde et de l’espace. J’ai grandi
et si aujourd’hui, le cinéma m’apporte encore plus que l’excitation que j’en
tirais enfant, « Les Gardiens de la Galaxie » m’a fait de nouveau
ressentir cette excitation pure, joyeuse et grisante que j’éprouvais enfant.
James Gunn est parvenu à s’extraire du cahier des charges Marvel pour livrer un
cinéma décomplexé de plaisir total, qui m’a propulsé dans les étoiles et m’a
fait vibrer, rire et trembler comme je le faisais enfant.
Certains films ont du mal à trouver leur chemin jusqu’aux
salles obscures françaises, mais y parviennent malgré tout avec un peu de retard. Deux films remarquables ont mis
plus de trois ans et sont sortis dans une poignée de salles. « In the
family » de Patrick Wang, et « La Frappe » de Yoon Sung-hyun. Ce
dernier est l’autre grand film coréen auquel nous avons eu droit cette année en
France. Comme « A Cappella », un film qui explore un drame lycéen
avec une force incroyable, sans jamais non plus tomber dans le pathos ou le
misérabilisme. C’est un drame poignant, une histoire d’amitié qui dérape,
auscultée avec finesse, tout en non-dits et en puissance. Un des beaux films passés
malheureusement inaperçus cette année.
Il y a tant de choses à voir, entendre, percevoir,
ressentir dans « Her »que j’en suis sorti dans un état de joie et de
plénitude étrangement inachevé. Je voulais le revoir pour me l’approprier
totalement. « Her » n’est pas que l’histoire d’amour étrange entre un
homme et un système informatique, comme on pourrait trop vite le résumer. C’est
un film sur notre époque (comme tous les bons films futuristes), un film sur la
solitude des êtres retranchés sur le virtuel parce que la confusion des
sentiments nous éloigne de nos congénères. Un film sur notre dépendance à ce
qui nous simplifie, au détriment de ce que l’on doit affronter et regarder dans
les yeux : l’autre. « Her », avec ses problématiques, ses
questions, ses métaphores, nous entraîne bien loin, dans un voyage poétique,
mélancolique et introspectif.
J’aime ces jours où il m’arrive encore d’aller
miraculeusement voir un film américain autour duquel je n’ai vu aucune image ou
lu aucun article, et dont je ne connais même pas l’intrigue. Ce fut le cas
cette année avec « I Origins », et j’en suis bien heureux. Il y a
quelque chose de tout à fait improbable dans ce film, qui raconte l’histoire
d’un scientifique fasciné par les yeux, qui les étudie et va voir ses
convictions remises en question par une rencontre. Oui, il y a véritablement
quelque chose d’improbable qui aurait pu faire basculer le film dans le
ridicule. Or c’est un moment de poésie cinématographique auquel on assiste,
face à cette confrontation entre science et foi. Une histoire hors des
conventions qui accouche d’un petit moment de grâce inattendu.
Un film sur un quadragénaire qui paie un jeune immigré
d’Europe de l’Est pour avoir des relations sexuelles avec lui, ce n’était pas
sur le papier le film qui m’excitait le plus cette année, et j’y suis allé presque
uniquement mu par les critiques élogieuses et les prix récoltés en Festivals.
Bien m’en a pris. Le film de Robin Campillo est aussi brutal qu’il est délicat,
et parvient à dépeindre les luttes de pouvoir entre les hommes à l’échelle
d’une situation inattendue. C’est un film sensible, doux, beau et intelligent.
13. Au revoir l’été
Peut-être me serais-je profondément ennuyé devant le film
de Koji Fukada si je l’avais vu adolescent. Mais peut-être pas. J’ai appris
depuis longtemps maintenant à apprécier ces longs-métrages capables de
retranscrire la langueur et la répétition du quotidien, jusqu’à ce que s’en
dégage un regard magnifique sur la vie. « Au revoir l’été » est de
ces films-là, simples en apparence, mais d’une richesse émouvante lorsqu’on
laisse le réalisateur nous entraîner totalement dans sa balade estivale. Un
charme fou.
Un étudiant en musique décidé à devenir le meilleur dans
sa discipline, la batterie. Un professeur charismatique et tyrannique dirigeant
ses élèves comme des troupes militaires. Un film qui ne cherche pas à brosser
le spectateur dans le sens du poil, mais qui va explorer l’obsession, le
mal-être, la douleur, l’exultation dans ses zones d’ombre, avec une intensité
rarement atteinte cette année, avec un œil puissant pour la mise en scène qui
transperce l’écran. Un film qui divise, mais qui m’a complètement ébloui.
15. Eden
Parfois, un film d’époque n’est pas forcément un film en
costumes. « Eden » n’est peut-être pas un film d’époques au sens où
l’on entend habituellement, mais c’est sans conteste le film d’une époque. Plus
qu’un film sur la fameuse French Touch musicale et ceux qui l’ont faite, c’est
ce sont les émotions et les sentiments, le parcours humain retracé qui font
d’Eden un des beaux films de 2014, voyage tantôt euphorique, tantôt spleen à
travers les années 90 et 2000, un film intime et épique à la fois qui explore
les rêves de la jeunesse, ses désillusions, ses espoirs, ses résignations.
Il y a plusieurs films que j’ai vus deux fois cette année,
et si « Edge of Tomorrow » n’en fait pas partie, c’est faute de
temps, tant j’ai voulu le revoir quasi immédiatement après l’avoir découvert.
Encore un film de science-fiction, un genre généreux en qualité ces temps-ci,
qui ose la boucle temporelle comme schéma narratif. C’est casse-gueule, mais
Doug Liman évite les pièges pour finalement accoucher d’un audacieux film hommage
au Débarquement en Normandie en juin 1944, où les nazis sont remplacés par des
extra-terrestres. Tant que les grands studios californiens produiront des films
comme celui-ci, excitants, audacieux, neufs, il restera une lueur d’espoir à
Hollywood.
Il y a des films que l’on s’attend à adorer, et ceux qui
vous prennent par surprise. « Bird People » a fait pour moi partie de
cette seconde catégorie. Étrange, doux et poétique, le film nous glisse vers
ces parenthèses de la vie, ces moments de pause qui parfois se veulent
temporaires et deviennent le quotidien, ou que parfois l’on voudrait voir
s’étendre longtemps pour constater qu’ils n’étaient effectivement qu’une simple
parenthèse. Ces moments brefs de la vie, Pascal Ferran se les approprie pour
confectionner un moment magique de cinéma.
Je serais incapable de dire combien de films suisses j’ai
vu à ce jour. Mais je peux vous assurer que dans de nombreuses années, je me
souviendrai encore du film de Lionel Baier. Le cinéma est parfois une bulle
inattendue où règnent folie, humour, tendresse, politique, Histoire et poésie.
« Les grandes ondes (à l’ouest) » est l’une de ces bulles, road-movie
joliment absurde où un trio de journalistes suisses parcourt les routes
portugaises presque par hasard à l’heure où se déclenche la révolution des
œillets. Avec un rare premier rôle pour le grand Michel Vuillermoz,
irrésistible.
L’un des tout derniers films de 2014 est également l’un
de ses tous meilleurs. Le nom de son réalisateur, J.C. Chandor, est devenu, en
l’espace de trois films, un gage de qualité indéniable dans le cinéma
américain. Il fait des films qui ne ressemblent à aucun autre dans le cinéma
américain actuel. Ou plutôt dans le cas de « A most violent year »,
un film comme Hollywood n’en fait plus. Un film intense, réfléchi, adulte, qui
navigue dans les zones d’ombre du rêve américain et porte un regard gris,
lucide et amer sur la façon dont le monde tourne. Il est aidé en cela par deux des
plus belles performances d’acteurs de l’année, Oscar Isaac en homme épris de
droiture, à l’éloquence charismatique, qui refuse de révéler sa fragilité. Et
face à lui, Jessica Chastain, presque terrifiante en femme prête à tout pour
protéger les intérêts des siens.
L’année dernière, si j’avais élargi mon Top à vingt films
comme cette année, j’y aurais sans l’ombre d’un doute inclus « 2 automnes,
3 hivers », et probablement aussi « La bataille de Solférino »,
deux films desquels se rapproche « Tonnerre », par la génération du
réalisateur, par Vincent Macaigne en tête d’affiche, et parce qu’ils emmènent
le cinéma français dans une direction neuve, dynamique, imprévisible.
« Tonnerre » commence comme un doux retour aux sources, iconoclaste
et attachant, pour doucement basculer dans le film noir, explorant la dérive des
sentiments humains. C’est un film d’une sensibilité folle, à la joie
communicative, teinté d’une délicate mélancolie. Un beau film qui a ouvert une
belle année pour le cinéma français.
Cette année j’ai élargi ce top à 20 films, mais même en l’élargissant ainsi, je laisse de côté des films dont j’aurais voulu, dont j’aurais dû parler cette année, et qui auraient tout aussi bien pu figurer dans ce Top. Alors je les cite tout de même : « In the Family », « The Spectacular Now », « Dans la cour », « Les bruits de Recife », « Ugly », « Under the skin », « La vie rêvée de Walter Mitty », « Only Lovers left alive », « American Bluff », « Les combattants », « Sunhi », « Hippocrate », « 3 cœurs », « Love is strange ».
4 commentaires:
Beaucoup de similarités, mais je n'ai pas eu l'opportunité de voir autant de films !
Mine de rien je crois que Her m'a fait ressentir quelque chose que je n'ai jamais ressenti avant et que mommy et whiplash sont des claques eceptionnelles.
www.cinetrucs.blogspot.com
Il y a beaucoup (trop) de films mentionnés que j'ai voulu voir mais j'en ai pas encore eu l'occasion! Ce classement me pousse encore plus pour une petite séance de rattrapage!
Dans mon top 10, il y a deux films de ton top 20. Si je tiens compte des longs-métrages que tu ajoutes après ton top, j'en trouve trois autres que j'ai inclus dans mes préférences de l'année.
Je nous ai connus plus proches, David. Rendez-vous "chez moi" demain pour comparer ;-)
Merci pour cette sélection, originale, sensible, et poétique...
Sergelie
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