Il y a des films comme ça… Le commun des mortels ne les
connaissent pas. Les cinéphiles qui ne jurent que par l’excellence et le bon
goût non plus, ou du moins s’ils en ont entendu parler ne les regardent qu’avec
dédain. Des incongruités cinématographiques qui dans un monde parfait
n’auraient peut-être pas lieu d’être et qui aux yeux de certains ne sont peut-être
que des monstres. Mais il existe des amateurs de cinéma pour lesquels la
perfection n’existe pas, pour lesquels le bon goût n’est pas obligatoire, pour
lesquels le génie peut aussi se cacher dans l’erreur, dans le raté, dans
l’impossible. Parce que le spectre cinématographique va d’une extrémité à une
autre et que certains d’entre nous y prennent plaisir à chaque degré possible.
Et au royaume de ces films de l’ombre, il est des films
qui règnent avec des réputations de Citizen Kane du nanar. Des films devenus des trésors et leurs cinéastes des stars
parce qu’ils dépassent l’entendement. Voici le rendez-vous qui était le nôtre
le samedi 16 février 2013. Une date marquée du sceau de l’Histoire pour tout
cinéphile complet qui se respecte, pour tout dévoreur de nanar qui se délecte
de la possibilité de voir ces vilains petits canards sur grand écran. Car en ce
jour, Panic ! Cinéma nous a offert rien moins que la Première Française de
« The Room » de Tommy Wiseau. Hein ! What ?? Quoi !!!
Le connaisseur résidant en province est fou de jalousie et se dit qu’on a de la
chance à Paris ! Le non-averti se demande « The quoi ? » de
Tommy qui ? C’est quoi ce film ? J’espère bien qu’à la fin de ce
billet, ceux qui n’en ont jamais entendu parler le noteront sur leur liste des
films à voir à tout prix avant de mourir.
Moi, le film figurait sur ma liste depuis quelques
années, mais il était désespérément invisible sur les écrans français. J’aurais
pu le trouver par d’autres moyens facilement, mais vous me connaissez
(peut-être). Le jour où « The Room » est apparu sur le programme de
Panic ! Cinéma, je crois que j’ai crié un puissant
« Alléluia !! » qui a réveillé mes voisins. Quelques semaines
plus tard j’ai hurlé un énorme « NOOOOOOOON » lorsque j’ai voulu
réserver ma place sur Internet et que la séance était déjà complète. Mais sous
le nombre croissant de cris désespérés de spectateurs avertis qui comme moi se
sont retrouvés sur le carreau, les gars et les filles de Panic !, ainsi
que le Nouveau Latina qui accueille leurs folies tous les samedis soirs, ont
décidé exceptionnellement de rajouter une séance à 19h30 à la sacro-sainte
séance de 22h. Et quand les réservations pour la séance de 19h30 se sont
envolées en quelques heures elles aussi, ils en ont même rajouté une à 17h (ils
sont comme ça à Panic).
Et ainsi en un claquement de doigts magique, « The
Room » s’est retrouvé programmé pour trois projections exceptionnelles le
samedi 16 février 2013. J’ai entendu dire que Plastic Man était à la première des trois séances, toujours fidèle
à la programmation de Panic ! Cinéma. Moi j’étais à celle de 19h30. Au
moment d’entrer en salle, l’équipe de Panic distribuait des petites
cuillères en plastique et un « Guide du spectateur » pour nous donner
quelques instructions pour vivre au mieux cette séance participative. Pour ceux
qui n’ont jamais vécu une séance participative, il s’agit là d’encourager le public à interagir avec l’écran
et l’œuvre qui y est projetée. D’où les petites cuillères, car dans « The
Room », les héros ont des photos de petites cuillères encadrées sur leurs
tables, et à chaque fois que celles-ci apparaissaient à l’écran, le mot d’ordre
était de lancer une petite cuillère dans la salle en criant
« SPOON !! ».
Mais il n’y avait pas que les petites cuillères à lancer.
Il y avait aussi les cris à exprimer en fonction de ce qui se passait à
l’écran. Mais je vais trop vite. Avant
de parler de cela, il s’agit de dire un mot sur le film, pour mieux comprendre
les interactions. « The Room », premier (et à ce jour unique)
long-métrage écrit, produit, réalisé et interprété par Tommy Wiseau, suit un
triangle amoureux. Johnny vit avec Lisa et doit l’épouser dans quelques
semaines. Il l’aime, et est heureux. Son meilleur ami se nomme Mark. Tout va
pour le mieux. Jusqu’à ce que Lisa séduise Mark et qu’une liaison naisse entre
les deux à quelques jours du mariage. Il y a aussi Denny, le voisin étudiant qui
est comme un fils pour Johnny ; Michelle, la copine de Lisa qui passe chez
Johnny et Lisa quand ils ne sont pas là pour fricoter avec son mec ; ou
Claudette, la mère de Lisa qui sermonne sa fille lorsque celle-ci lui révèle
qu’elle n’aime plus Johnny, parce que comme Claudette lui rappelle, Johnny a
une bonne situation et peut l’entretenir alors pourquoi diable aller voir
ailleurs. Alors que ce pauvre Johnny lui ne se doute de rien et compte les
jours avant le mariage.
Voilà, le cadre est posé. Oui, toi au fond à droite qui a
dit « Mais en fait The Room c’est un peu Les Feux de l’amour en
long-métrage non ? », tu as un peu raison. D’autant que le film de
Tommy Wiseau n’a de cinématographique que la durée, car pour ce qui est du
reste, un épisode des Feux de l’Amour a peut-être plus de qualités que
« The Room ». Sauf que voilà, c’est là tout ce qui fait le plaisir
immense que procure le film de Tommy Wiseau. C’est un vaste n’importe quoi qui
peut se targuer d’afficher tous les défauts du monde. Mauvais acteurs, check
(Tommy Wiseau en tête, si mauvais qu’il rend chacune de ses scènes grandiose).
Mauvais dialogues, check. Mauvais sens du récit, check. Photographie horrible,
check. Plans de coupes sans intérêt, check. Scènes de cul ridicules, check. Je
vais m’arrêter là sinon mon billet ne serait qu’une suite de défauts énumérés.
Mais c’est bien cela qu’est « The Room », cela même qui le rend si
génial : un foutoir laid, mal écrit, mal joué et mal réalisé. Et c’est
cela que l’on a célébré au Nouveau Latina samedi soir. Nous avons célébré en
communion la médiocrité divine d’une œuvre à laquelle la France n’avait
jusqu’ici, dix ans après sa réalisation, jamais eu droit.
Dans notre petit « guide du spectateur », nous
fûmes donc encouragés à crier « Oh Hi ! » à chaque fois que le
bon bougre Johnny (Tommy Wiseau, donc) disait bonjour à un autre personnage,
par politesse. A crier « Oh mais c’est San Francisco ! » à
chaque fois que l’un des nombreux plans montrant la ville apparaissait à
l’écran. A crier « Au revoir Denny ! » à chaque fois que le
petit Denny quittait une scène (faut dire que le gamin - 18 ans sonnés quand
même - essayait de s’incruster dans les parties de jambes en l’air de Johnny et
Lisa, faut pas pousser quand même). A crier « Sestostérone !! »
à chaque fois que le beau Greg Sestero, interprète de Mark, prenait une pose
virile à l’écran (et il y en avait pas mal…).
Voilà, vous avez désormais une idée de l’ambiance pendant
les projections de « The Room ». Les petites cuillères en plastiques
fusaient, les bons mots aussi (bravo à celui qui a crié "C'est déjà demain ?"), même si les quatre mecs assis derrière moi
en faisaient un peu trop (c’était les mêmes que pour « Clash of the Ninjas » ou quoi ?!), commentant
tout, tout, TOUT, absolument TOUT, et discutant allègrement entre eux bien fort
en essayant (sans succès) de faire rire la salle (en même temps confondre les
termes « Marcadet » et « Marcassin » n’a pas aidé) en ne
restant jamais plus de trois secondes sans parler. Encore quelques-uns qui
n’ont pas compris le principe d’une séance participative, des vannes qui
claquent et fusent plutôt qu’un brouhaha continu. Mais bon, le film était trop
bon (façon de parler) pour que cela le gâche réellement. Les personnages qui
s’assoient n’importe où dans le cadre, par terre derrière un fauteuil plutôt
que sur le fauteuil, les mecs qui s’envoient leur ballon de foot sans que le
cadreur ne prenne pas la peine de tous les inclure dans le cadre….
Mais le summum, outre ce « Lisa, tu peux
nettoyer ? » après que Johnny et Mark se soient bastonnés et aient
mis un beau bordel dans l’appart, grand moment de machisme, ce sont les scènes
d’amour entre Lisa et Johnny ou entre Lisa et Mark (oui, elle a été traité de
tous les noms par le public la Lisa). Des scènes dignes d’un téléfilm érotique
des années 90 sur M6 avec chanson kitsch, fessier de Tommy Wiseau en action et
des petits « Oh oui » orgasmiques absolument magiques. En plus chaque
scène du genre dure quatre ou cinq minutes, plus qu’il n’en faut pour nous
éclater.
La cerise sur le gâteau, c’est que Tommy Wiseau et Greg
« Sestostérone » Sestero étaient présents pour introduire le film
puis en fin de séance pour répondre aux questions. Réponses furtives et
laconiques, mais leur présence a prouvé une chose. Si Wiseau a pu à l’époque réaliser
son film au premier degré et espérer qu’il se fasse remarquer pour ses qualités
(hum…), sa présence a bien prouvé que
l’acteur/réalisateur/producteur/scénariste a compris qu’il avait plus à gagner
à accepter et embrasser le nanar dont il a accouché plutôt que s’en défendre.
Car quoi que l’on puisse en penser, il n’est pas donner à tout le monde de
réaliser une œuvre aussi sublimement grotesque que celle dont Tommy Wiseau est
le créateur. Il a manifestement appris à en jouer et à devenir cette rock star
du nanar, passant entre les rangs pour toper les spectateurs en transe derrière
ses lunettes noires et faisant la démonstration de son rire inimitable.
Je n’avais jamais vu « The Room », LE nanar des
années 2000. Je me doutais que c’était mauvais au point d’en être savoureux.
C’était encore mieux que ça. Quand la médiocrité confine au génie.
10 commentaires:
> "Nous avons célébré en communion la médiocrité divine d’une œuvre à laquelle la France n’avait jusqu’ici, dix ans après sa réalisation, jamais eu droit."
Précise au cinéma parce que la France a eu droit à pas mal d'extraits sur YT. Je n'ai jamais été voir si le film était en entier. A dire vrai, je n'en avais pas l'envie. Mais il y a pas mal de séquences, scènes, répliques, etc... qui étaient cultes sur la Toile. C'est ainsi que j'ai découvert ce Tommy Wiseau sans savoir qui il était, pensant même que c'était de la parodie (si, si) et c'est pour cela que je me suis refusé à le voir en entier. N'empêche très sympa cette séance. Te lire m'a rappelé le WTF ?! de nullité de ce nanar.
Bien sûr, au cinéma, mais en même temps, Internet n'a pas de frontières, donc c'était implicite qu'il s'agissait là d'une première française en salles.
Du coup je ne peux que te conseiller d'y jeter un oeil dans son intégralité ID, c'est du gros WTF ?! pendant 1h40 qui ne tord de rire. Un must au rayon des nanars.
https://www.youtube.com/watch?v=ISXiFJS9D5A
T'es un comique David ! ^^ Dans son intégralité ? :D
https://www.youtube.com/watch?v=Yhrd1R8-dBg
Nan merci. Je préfère compiler les 1h40 en 5 minutes.
https://www.youtube.com/watch?v=xaVf6sxBSYk
Le spectacle est déjà dur à ingurgiter. On ne peut le voir que dans le contexte de projection à Panic !
D'ailleurs, je ne cesserai jamais de m'étonner de la façon que certains films marquent les esprits alors qu'ils n'avaient rien pour eux. La magie du cinéma, sans doute...
Là-dessus, je ne peux qu'aller dans ton sens, je suis bien d'accord que le plaisir d'un film pareil ne prend corps que dans le cadre d'une séance comme celle vécue à Panic ! Cinéma. Tout seul devant son écran, ce n'est pas la même chose.
Et il faut croire qu'à défaut de faire un bon film, il vaut mieux exceller dans la médiocrité que se contenter de l'effleurer, pour faire son trou dans les mémoires ;)
Je crois tout simplement que les gens n'aiment pas la tiédeur. Ou en tout cas pas autant que la passion.
Je l'ai souvent remarqué avec mon propre blog. Mes amis me demandent souvent d'écrire des choses plus tranchées, "j'adore" ou "je déteste" plutôt que "voilà pourquoi on peut aimer".
Tomber sur un nanar cosmique, c'est la perspective d'attirer le chaland après l'avoir chroniqué ;-) Tu peux en témoigner, David, puisque tes deux dernières chroniques évoquent à la fois un truc ridicule et une superbe expérience de vie.
Chouette(s) chronique(s), d'ailleurs.
Merci Martin ;)
Et dire que j'ai raté ce chef d'oeuvre cinématographique ;), c'est triste ça. On va vite y remédié et faire un petite partie à la maison.
mistergoodmovies.net
du coup, tu m'as donné envie de voir ce film ^^
@film : Un grand moment de cinéma que tu as raté là, oui...
@pinnie : j'ai atteint mon but alors ;)
Bon ben merci, je ne l'ai pas vu mais ça donne envie de le voir..
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