Vous aurez peut-être remarqué que « Gangs of
Wasseypur » ne faisait pas partie de mes films préférés de 2012. Pourtant, l’épopée indienne est bien l’un des
meilleurs films de l’année écoulée. Alors il est peut-être temps de dire deux
mots de Gangs of Wasseypur, cette saga indienne de plus de cinq heures couvrant
sur plusieurs décennies l’histoire d’une famille, ses luttes de pouvoir et de
violence pour régner sur un quartier de Dhanbad. C’est un conte criminel et
politique qui ose la longueur, ose la violence, ose une telle densité narrative
que l’on s’accroche parfois sévèrement et passionnément pour ne pas en perdre
le fil. Mais pourquoi donc ce film si fort ne figure pas parmi mes préférés de
l’année, vous demandez-vous en vous arrachant les cheveux de curiosité
(non ?) ?!
Avec tout le respect que je dois à Happiness Distribution
d’avoir sorti le film d’Anurag Kashyap en salles en France, la faute en revient
pourtant… au distributeur français. Flash-back. Mai 2012, Festival de Cannes.
Pendant que les festivaliers s’enthousiasment en sélection officielle à propos
d’Amour et Holy Motors, c’est à la Quinzaine des Réalisateurs que l’on trouve
les meilleurs films cette année (excusez cette assertion toute personnelle). « Adieu Berthe »,
« Camille Redouble », « The We and the I »… et « Gangs
of Wasseypur ». Le film fleuve fait parler de lui, récolte de
belles critiques et fait monter le buzz. Le film sortira en salles en France
sous la houlette de Happiness Distribution, en deux parties.
Attention, je ne reproche pas à Happiness Distribution
d’avoir sorti « Gangs of Wasseypur » en deux parties. Étant donné la
durée du film, c’est logique, et c’est d’ailleurs ainsi partout, aussi bien en
Inde qu’en Grande-Bretagne. Le film est conçu pour être coupé en deux, cela ne
gêne pas. Si sortir un film indien de cinq heures semble difficile, le sortir
en deux fois offre même de belles possibilités. Il y a quelques années,
« Nos meilleures années », la saga italienne en deux films de trois
heures chacun, avait rencontré un beau succès au cœur de l’été (plus de 200.000
entrées). Seulement voilà, pour « Gangs of Wasseypur », Happiness
Distribution n’a pas suivi la stratégie de « Nos meilleures années »,
dont les deux films étaient sortis simultanément. Le distributeur a préféré
espacer de cinq mois les sorties des deux films. Première partie en juillet,
seconde partie en décembre.
Il est facile de deviner les raisons d’une telle mise en
place. Capitaliser sur le buzz cannois avec le premier film, laisser passer les
quatre mois réglementaires permettant à cette première partie de sortir en DVD,
puis quelques semaines à peine après, cinq mois donc après la sortie de la 1ère
partie, lancer la 2nde sur grand écran… en espérant que les
spectateurs ayant vu le premier achètent le DVD pour se remettre dans le bain
du film avant la sortie du second, et au passage s’attirer de nouveaux spectateurs
potentiels qui l’auraient raté en salles mais découvert en DVD. Seulement à
l’évidence, cela ne s’est pas passé comme Happiness l’espérait. Si la première
partie, sortie en juillet dans une petite combinaison de salle, a su trouver le
public art & essai et affiché de beaux taux de remplissage dans les salles
qui le diffusaient, la seconde partie, sortie à Noël, a fait son apparition
dans l’indifférence la plus totale. Deux semaines après sa sortie, début
janvier, le film ne bénéficiait plus que de quelques séances par semaine au
Cinéma des Cinéastes, au MK2 Parnasse et à la Clé, pour ce qui est de Paris.
Quelques critiques ont eu beau rappeler aux cinéphiles de voir la seconde
partie de « Gangs of Wasseypur », ceux-ci ne se sont presque pas déplacés.
La raison évidente, c’est que le distributeur ne s’est
pas mis dans la peau du spectateur en préparant la sortie du film. On ne veut
pas avoir à acheter le DVD de la première partie d’un film pour pouvoir voir la
seconde. Un film comme « Gangs of Wasseypur », riche, passionnant et
néanmoins ardu, on veut pouvoir l’affronter d’une traite, ou à défaut, de façon
rapprochée, comme cela avait été le cas avec « Nos meilleures
années ». Les deux parties étaient sorties en même temps, et il était
possible de voir le film en entier en une journée si nous le voulions, ou sur
un weekend, ou avec une semaine d’écart. Mais cinq mois ?? Ont-ils
seulement vu le film, pour se dire que séparer les deux parties de cinq mois ne
gênerait pas les spectateurs plus que cela, ou s’en préoccupaient-ils
seulement ? Une narration si dense, des personnages et des intrigues si
nombreux, qui plus est dans une langue et un cadre où l’on manque de repères,
autant de raisons pour lesquelles il est essentiel d’avoir la possibilité
d’aborder le récit avec le plus d’unité possible.
Une anecdote pour vous montrer que je suis loin d’être le
seul à penser ainsi, et qu’il s’agit d’une des raisons majeures pour lesquelles
la seconde partie de « Gangs of Wasseypur » n’a même pas attiré
10.000 spectateurs en salles. Lorsque j’ai vu le film début janvier au Cinéma
des Cinéastes, dans le hall alors que les portes de la salle n’étaient pas
encore ouvertes, un autre spectateur s’est approché de moi et m’a demandé si
j’avais vu la 1ère partie. Après lui avoir répondu affirmativement
« Quand il est sorti l’été dernier » il m’a répondu qu’il l’avait lui
aussi vu au cinéma cinq mois plus tôt, et qu’il craignait d’avoir du mal à
suivre la 2nde partie, tant elle était sortie il y a de trop
nombreux mois. « Déjà que j’avais parfois du mal à suivre la 1ère
partie tant c’était complexe, mais là, cinq mois après… ». La seconde partie reprend à la minute même où
la première s’était conclue, sans rappel, sans indice. Le spectateur replonge
donc dedans avec hésitation, essayant de se rappeler les liens entre les
personnages, les intrigues et sous-intrigues. J’ai eu du mal, et je suis
persuadé que c’était le cas de presque tous ceux qui comme moi avaient vu la
première partie au cinéma quelques mois plus tôt, et seulement là.
Du coup je n’ai pas pris le même plaisir que lorsque je
m’étais avidement plongé dans le film en juillet. Le choix du distributeur de
sortir le film cinq mois plus tard a tué ma passion pour celui-ci. Il a empêché
le premier film de faire durer la curiosité autour de lui au cœur de l’été
dernier, et empêché le buzz de reprendre lorsque le second film est sorti à
Noël. C’est tellement dommage, quand l’exemple de « Nos meilleures
années » aurait pu aiguiller celui de « Gangs of Wasseypur ».
Nos voisins britanniques seront mieux lotis que nous, puisque « Gangs of
Wasseypur » va sortir fin février, les deux parties à une semaine d’écart
l’une de l’autre. Non, « Gangs of Wasseypur » n’a décidément pas
bénéficié de la sortie qu’il méritait en France.
7 commentaires:
Hum. Je rejoins assez ton point de vue. Les deux parties du film ont été mal exploité et c'est bien dommage. Tiens, je ne me serais même pas déplacé voir le second volet des aventures comme si je l'avais oublié en cette fin d'année. J'espère qu'elles se terminent bien, je déconne. ;) J'aime que les choses finissent mal ! Et pas qu'on gère mal la sortie d'un film surtout lorsqu'il est si "particulier". Les anglais auront plus de chance que nous bien qu'on est eu la chance de le voir sorti par chez nous. On ne fera pas la fine bouche mais quand même quoi.
ILS savaient que l'histoire était complexe. ILS voulaient vendre du DVD à coup sûr aux spectateurs du 1er volet pour qu'ils soient dans le move pour la projo' du deux. C'est presque obligé ! ^^
C'est certain que c'est déjà formidable de l'avoir eu sur grand écran en France, même si son accueil à Cannes rendait sa sortie inévitable. Même en Inde le film est mieux sorti, il n'y a eu qu'à peine plus d'un mois entre la sortie de la 1ère et de la 2nde partie. C'est vraiment dommage de bâcler ainsi la sortie française.
mais meme à sa sortie en juillet le film n'avait pas vraiment affolé les compteur du box office, donc je pense que les distributeurs espéraient vraiment capitaliser sur la sortie dvd comme dernier recours...si je me dis pas de connerie, ils ont pris exemple sur la sortie de jean de florette et manon des sources de claude berri sortis à qq mois d'intervalle...mais là, effectivement c'est un peu moins dur de rentrer dans l'univers de Pagnol que l'univers indien... bonne soirée à toi
Oui Filou, effectivement, la 1ère partie en juillet n'a pas affolé les compteurs, et j'effleure ce point dans le billet, c'est la justement je pense la faute à l'absence de la 2nde partie pour créer une dynamique. Si la 2nde partie était sortie dans la foulée, cela aurait créé une dynamique entre les deux films qui les aurait porté au box-office, potentiellement bien sûr. Comme il n'y avait pas de 2nde partie, le premier film n'a pas pu passer la seconde.
Je n'en avais même pas entendu parler.
je viens de l'ajouter à ma wish list du coup :)
je n'en avais pas entendu parler et pourtant nous avons fait un voyage au Rajasthan et ce qui touche le cinéma indien m'interpelle! et en DVD c'est sorti?
Aldanjah, tu fais bien de l'ajouter à ta wish list ;)
Miriam, la 1ère partie est déjà sortie en DVD, mais la 2nde est sortie au ciné il y a un mois, il faudra donc attendre encore un peu avant qu'il débarque en DVD.
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