Kevin Smith est-il en voie de retomber dans l’anonymat ? A
une époque golden boy du cinéma indépendant américain, Silent Bob rame de plus
en plus pour réaliser ses films et les (faire) distribuer. L’envie lui serait
même passé selon ses propres dires, et s’il parvient enfin un jour à monter son
film de hockey qui lui tient tant à cœur (« Hit Somebody »), ce
pourrait bien être son dernier passage derrière la caméra. L’ex-enfant de
l’écurie Weinstein, qui avait épaté son monde il y a 18 ans avec sa comédie
fauchée Clerks, semble désormais préférer parler ciné aux quatre coins
des Etats-Unis plutôt qu’en être un artisan. Les amateurs de « Méprise
multiple » et « Dogma » dont je fais partie en auront
certainement un pincement au cœur si cela s’avère vrai, mais en France, on ne
peut que tristement constater que Kevin Smith n’est plus en odeur de sainteté
depuis un petit moment, s’il l’a jamais été.
Si sa comédie policière oubliable avec Bruce Willis,
« Top Cops », a eu sans difficulté les honneurs d’une sortie en
salles (because Bruce Willis, sans doute…), ses deux autres films les plus
récents ne peuvent s’en vanter. « Zack et Miri font un porno » avait
un beau jour directement débarqué sur Canal +, quand le tout dernier film
estampillé Smith, « Red State », va se retrouver dans les rayonnages
à DVD des magasins spécialisés dans quelques semaines sans être passé par la
case ciné. Pour un film à la réputation flatteuse et qui se trouvait parmi les
préférés de Quentin Tarantino l’année dernière, c’est frustrant… même si depuis
que Tarantino a annoncé qu’il considérait « Anything Else » de Woody
Allen comme l’un de ses dix films préférés des années 2000, on se pose des
questions sur les goûts du réalisateur de « Pulp Fiction »…
Heureusement, il s’est trouvé qu’une opportunité de voir ce
fameux dernier film de Kevin Smith, Red State, s’est présentée à Paris.
Ce sont les mecs de « Panic Cinéma ! », rarement à court de
bonnes idées, qui ont décidé de programmer le film un samedi soir de mai, et la
copie avait beau ne pas avoir l’air 100% officielle, découvrir un Kevin Smith
sur grand écran est suffisamment rare en France ces dernières années pour se
jeter sur une telle occasion. Parce que qu’est-ce que « Red
State » ? Une plongée dans l’Amérique redneck comme on les aime de
temps en temps. Trois lycéens d’un bled du sud des Etats-Unis qui se lancent
dans une virée nocturne dans la perspective d’une partie à quatre avec une
cougar en roulotte et qui se retrouvent malgré eux les otages sur le point
d’être sacrifiés d’une secte religieuse extrémiste. Le genre qui aime envoyer
elle-même au Diable les déviants sexuels.
Pour ceux qui connaissent le cinéma de Kevin Smith - qui se
résume en général génialement à des dialogues denses et ancrés dans la contre-culture
geek proférés par de jeunes glandeurs professionnels - la perspective de
« Red State » équivaut presque à un saut dans l’inconnu pour le
réalisateur de « Jay et Bob contre-attaquent ». Et l’énorme qualité
du film, c’est bien qu’il est aussi imprévisible qu’un délire lynchéen.
J’exagère, mais franchement à peine. Est-ce dû au noviciat de Kevin Smith dans
le genre ou à son imagination féconde et fébrile, toujours est-il que Red
State emprunte rarement les chemins que l’on attend de lui, changeant
plusieurs fois de point de vue narratif en cours de film, zigouillant sans
vergogne ses protagonistes, balançant des zestes de fantastique avant de les
faire tanguer, avant de terminer par une séquence d’autant plus lynchéenne
qu’elle emprunte un acteur de « Mulholland Drive ».
Red State est-il pour autant une bombe ? Pas évident. A
force de changer d’angle et de brouiller les pistes, Kevin Smith finit par
apparaître comme fébrile, et l’on en vient à se demander si le réalisateur sait
vraiment ce qu’il fait avec son film. Sera-ce un film d’horreur… non. Un
survival… non plus. Un thriller dans le milieu des sectes… non, pas
franchement. Il ne faut surtout pas essayer de faire entrer « Red
Sate » dans une case, car cela ne pourrait que lui nuire. Non, il faut
prendre le film de Smith pour ce qu’il est. Une fantaisie survitaminée,
surréaliste et un peu folle sur les bords. Une bonne soirée Panic Cinéma !
en somme. Et comme rien ne dit que « Hit Somebody » verra bien le
jour, c’est agréable de pouvoir se dire « J’ai vu le dernier film de Kevin
Smith sur grand écran ». En espérant tout de même le suivant.
2 commentaires:
Ha ! Ha ! C'est marrant l'élan de pessimisme au sujet de la carrière cinématographique de Kevin Smith qui contamine ton billet. En tout cas, tu le ponctues avec une once de fatalité et d'espoir tout en même temps.
Voilà un sacré personnage tout de même. Je ne suis pas bien sûr d'ailleurs qu'il ait intéressé à un moment donné le public français. Une petite portion sans doute qui porte certains de ses films au hall of fame des films dit "cultes". Pour les autres... Sinon, je dois avouer avoir été conquis à un moment donné par son cinéma. Mais plus ça va... et plus je remets en cause son réel talent de cinéaste. J'ai l'impression que c'est le mec qui a eu une bonne idée ou deux. Ces derniers temps, il ne parvient à réellement se renouveler ou à persévérer sur cette voie. Encore faut-il voir la liberté en tant qu'artiste qu'il a sur ses récents films. Il se peut que le système ait la main mise faisant de lui qu'un tâcheron surfant sur son propre nom. Passons.
Le pitch de "Red State" est pas mal sinon. Maintenant, je prends un peu de recul à la lecture de ton avis mais également de la cinématographie en phase descente du bonhomme.
Petite aparté concernent Tarantino. Ce mec n'est franchement pas sérieux. Il a beaucoup perdu en crédibilité en ce qui me concerne alors préférons nous amuser de ses délires. ;) Il ne doit pas vivre sur la même planète-cinéma que nous. :)
Il faut dire que Smith n'est lui-même pas franchement optimiste quant à l'avenir de sa carrière cinématographique, alors forcément... ;) Il n'a jamais été époustouflant avec une caméra, mais il a su manier une certaine verve dans l'écriture souvent enthousiasmante.
Tarantino, il cultive une étrangeté latente dans ses goûts, mais bon c'est aussi ce qui fait le fun du bonhomme, sans doute.
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