vendredi 18 novembre 2011

Y a-t-il de la place au box-office dans l'ombre d'Intouchables ?

Le mercredi 16 novembre a vu sortir plus de films qui m’attirent que mon emploi du temps ne me permettrait raisonnablement de voir. Huit, exactement, quand j’ai toujours quelques films des semaines précédentes à rattraper (je vais bientôt finir par être le seul français à ne pas avoir vu Intouchables à ce rythme-là !). C’est trop, mais je ne devrais pas avoir un grand nombre de sacrifices à faire au bout du compte (pour répondre à la jeune fille au troisième rang, non, le quatrième chapitre de Twilight, Révélation, ne fait pas partie des huit).

Jeudi j’avais envie d’aller au ciné. Le plan A était d’aller au Festival Kinotayo à la Maison de la Culture du Japon pour voir When I kill myself, un drame au pitch explosif s’inscrivant dans la lignée de Battle Royale. Les échos peu flatteurs et la flemme de me déplacer jusqu’à Bir-Hakeim m’ont fait caresser un plan B consistant en Le Trésor de la Sierra Madre de John Huston au Grand Action, un film que je ne me souviens pas avoir vu. Cette fois ce sont des problèmes de transports qui m’ont finalement rabattu vers un plan C plus tardif. Me faufilant entre les parisiens célébrant sur les trottoirs l’arrivée du Beaujolais nouveau, je me suis donc finalement engouffré devant Les Neiges du Kilimandjaro de Robert Guédiguian.

Quelques heures plus tôt, je découvrais avec effarement les chiffres des démarrages des nouveautés de la veille. Si bien sûr Robert Pattinson et Taylor Lautner ont tiré à eux la première place haut la main, le reste des films du 16 novembre semble resté sur la ligne de départ. Notamment Le Stratège de Bennett Miller, mais bon, un film de plus de deux heures prenant pour cadre le base-ball est difficile à vendre à un public français étranger à ce sport, même si Brad Pitt en est la tête d’affiche. Surtout, le gadin de la semaine est à mettre au crédit de L’ordre et la morale de Mathieu Kassovitz, qui n’a totalisé pour son jour de lancement que 4.500 entrées sur Paris et sa périphérie, 12.000 en tout sur la France. Douze mille spectateurs pour la première journée de sortie du nouveau film de Kassovitz, à la bande-annonce alléchante, aux critiques plutôt élogieuses, au bouche-à-oreille éloquent. Douze mille petites entrées qui se traduiront vraisemblablement par une première semaine sous la barre des 100.000 spectateurs, alors que le long-métrage est à l’affiche de 300 salles.

Le film de Robert Guédiguian fait deux fois plus d’entrées que L’ordre et la morale alors qu’il est distribué dans un peu plus de 200 salles seulement. Sur Paris, L’ordre et la Morale fait moins d’entrées mercredi, son jour de sortie, que Polisse, qui en est lui à son cinquième mercredi ! Suis-je donc le seul à avoir les yeux qui pétillent d’envie chaque fois que je vois la bande-annonce du film de Kasso ? Sommes-nous donc si peu nombreux en France à vouloir retrouver le cinéaste conscient, percutant, humain et talentueux qu’était Kassovitz dans les années 90, et que ce nouveau film semble nous permettre de retrouver ? C’est décevant, et inquiétant.

Bien sûr, il est toujours possible de se dire qu’il s’agit là de l’effet Intouchables. Un revers de la médaille. En attirant 5,3 millions spectateurs en deux semaines seulement, le film de Tolédano et Nakache aspire à lui seul 50% des entrées en France, un chiffre énorme. Et étant donné son chiffre réalisé mercredi, soit encore 49.000 entrées sur Paris, tout indique que le phénomène va garder à peu près le même rythme en cette troisième semaine d’exploitation. J’ai beau ne pas l’avoir encore vu, je ne peux que trouver cela formidable, même si cela peut se faire au détriment d’autres films, Mon pire cauchemar, Toutes nos envies, ou donc cette semaine L’ordre et la morale, qui ne rencontreront pas le succès escompté de leur côté, trop occupés que sont les français à aller s’enthousiasmer pour le duo François Cluzet / Omar Sy.

J’espère sincèrement qu’Intouchables se hissera vers un score remarquable au box-office français. C’est déjà le cas, mais sa limite semble reculer de jour en jour (les 10 millions sont aujourd’hui une certitude, jusqu’où pourra-t-il aller ?). Ce que j’espère surtout, c’est que parallèlement à ce carton phénoménal qui booste les chiffres d’un cinéma français radieux en cette fin d’année, d’autres films français parviendront à exister au box-office. Peut-être n’est-ce qu’une sanction du public à l’encontre de L’ordre et la morale en particulier, peut-être les français n’ont-ils simplement pas envie du film de Kassovitz (les fous !). Après tout le film de Robert Guédiguian fait lui un score tout à fait correct, correspondant à un caractère lumineux transpirant dans les affiches et la bande-annonce., et qui sied plus à l’humeur et au désir des spectateurs du moment. Pour ce qui est des Neiges du Kilimandjaro, ils auraient tort de s’en priver. Le film est de ceux qui illuminent tout en questionnant. Sa naïveté parfois confondante dans le propos m’a pendant un moment laissé confus, avant que je n’embrasse la volonté du cinéaste de questionner nos valeurs, nos attentes et notre vision de la vie. Le film est de ceux qui provoquent et poussent à la réflexion, sur fonds de douceur et mélancolie. Naïf, mais charmant et fort.

Le cinéma français épate en ce moment, aussi bien artistiquement que numériquement (la semaine dernière, sa part de marché était de 76% au box-office national !). Pourvu que le formidable succès d’Intouchables (au titre prémonitoire ?) se conjugue avec d’autres à venir, et que le mauvais démarrage du film de Mathieu Kassovitz soit un accident isolé (et bien sûr que ses chiffres remontent dans les jours et semaines qui viennent… en attendant l’ambiance se dégageant du visuel de l’affiche correspond étrangement à l’amertume des chiffres décevant au box-office…).

7 commentaires:

I.D. a dit…

Pas facile le retour de Kassovitz. D'un côté, tu as la grosse prod' états-unienne de l'autre le gros succès français.

Est-ce que les français veulent-ils aller voir un film plus difficile d'accès, traitant d'un sujet délicat ? N'était-il pas plus agréable de s'évader soit par l'aventure et le fantastique ou la comédie poignante que de se plonger dans un film qui provoquerait un cas de conscience ? Que recherche le public aujourd'hui ? Beaucoup le disent. En temps difficile, de crise, la comédie a le vent en poupe. Pour le reste...

Et qu'en est-il du polar "Nuit Blanche" avec Sisley ? Il sort dans très peu de salle. Il n'est franchement pas aisé de se faire une place à l'affiche... surtout lorsqu'un film de chez nous marche fort.

David Tredler a dit…

Regarde Polisse ID. Le film a beau avoir de l'humour, ça reste un film sérieux par bien des aspects, et il fait 2 millions de spectateurs. Je pense que le Kasso manquait peut-être d'un pédigré comme Cannes pour plus le crédibiliser aux yeux du public. Dommage que le festival n'en ait pas voulu à l'époque.

Pour ce qui est de "Nuit Blanche", le film est pour ainsi dire une sortie technique sur Paris, avec comme unique salle de diffusion l'Orient Express. A partir de là, il n'y a aucune possibilité de succès...

Nyal a dit…

J'ai vu les "blockbusters" français: The artist, polisse, intouchables.
J'ai trouvé polisse trop "polissé"; avec cette brigade de policiers formidables: ils ont des failles mais ils restent super. Un florilège de cliché: le blanc riche et puissant, le musulman non respectueux des femmes,...
En ce qui concerne intouchables, le film est très sympathique mais j'ai du mal à comprendre un tel succès.
Le film que j'ai préféré est "The Artist" malgré une bande de jeunes qui ont pourri la séance. (Quelle était la probabilité que 20 jeunes se retrouvent à voir The artist au mk2 à 13H un dimanche ? J'ai pas de bol :)
Dans tout les cas, c'est une bonne cuvée. Je vais maintenant aller "Le stratège" (J'aime bien le Baseball et les films sur le sport) et "Laura" (action christine. A ne pas manquer)

I.D. a dit…

Ouais c'est vrai. J'avais zappé Polisse en écrivant mon com'. Je sais pas. Kasso ne fait peut-être plus rêver (si c'était le cas à une époque, pour moi oui). Est-ce que les gens ont encore en tête ses déclarations sur le 11 septembre ? Je ne saurais dire. Le souci peut venir du sujet tout simplement. Un sujet franchement pas facile à digérer. Perso', le genre de sujet qui me fascine pour son cachet "vrai".
Sinon je pense que tu as raison. "Polisse" a jouit d'une présence à Cannes que n'a pas eu "L'ordre et la morale". Maintenant, ce genre de présence ne fait pas tout non plus.

Pour "Nuit Blanche" oui, je me doutais que c'était une sortie technique. Dommage. Quoique. Mais là aussi, sait-on jamais ! Et si les séances dégueulaient de monde David ?! Et si cela incitait d'autres salles ?! Effet boule de neige !!! ^^ Allez, je retourne bosser... ;)

David Tredler a dit…

Nyal, je suis moi aussi assez circonspect sur "Polisse", même si c'est pour des raisons tout à fait différentes, que tu as peut-être lu il y a quelques jours dans mon billet consacré au film.
Pour The Artist, c'est vrai que tu es mal tombée, si les la bande de jeunes s'est montrée dissipée. Mais en même temps c'est la preuve que le film a su élargir son audience potentielle et qu'il est devenu un succès assez large^^
Le base-ball m'indiffère, mais j'ai tout de même très envie de voir "Le stratège" moi aussi...

ID, à mon avis dans 15 jours, Nuit Blanche aura disparu des salles parisiennes... Enfin... de sa salle parisienne^^

Martin K a dit…

Excellente chronique, David ! Je me retrouve pas mal dans ton paragraphe introductif !

La réflexion que tu apportes sur la manière dont les salles sont fréquentées. J'ai l'impression que le grand public a de plus en plus envie d'oeuvres de divertissement. La chance du cinéma français est aussi qu'Intouchables reste également un film "politique", qui sait nous faire rire de nos petits travers et de nos gros renoncements. C'est temporaire, sans doute même un peu vain, mais ça fait du bien, donc pas totalement dénué de sens. Enfin... à mon avis.

Le Kasso tombe mal, dans ce contexte, je trouve. J'ai très envie de le voir aussi, mais, pour reprendre les films cités dans ta chronique et ce que tu expliques, j'ai bien peur de ne pas en avoir le temps, compte tenu des obligations non-cinématographiques qui m'incombent ces prochaines semaines et des envies de ciné plus fortes, et notamment pour "Les neiges du Kilimandjaro".

C'est en te lisant et en allant voir toujours plus de cinéma au cinéma que je me rends compte que la distribution des films en France (et a fortiori en Province) est une vraie grosse problématique dans notre pays. Et je le regrette d'autant plus que quelque chose me dit qu'ailleurs, c'est souvent pire.

Bref, pas facile d'être cinéphile. Il faut faire des choix.

David Tredler a dit…

Merci Martin !
J'ai vu le Kasso hier, je vais essayer d'en parler, même rapidement, dans les jours qui viennent, parce qu'il a manifestement besoin d'être soutenu, et qu'il en vaut vraiment la peine.

Je me doute que c'est frustrant en province de ne pas avoir accès à tous les films qui sortent notamment à Paris, mais on peut malgré tout se dire qu'aussi frustrant que cela soit, c'est probablement toujours mieux que dans la province de n'importe quel autre pays...

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