L’une des sections les plus appréciées des amateurs de cinéma coréen se déplaçant avec fidélité au Festival Franco-Coréen du Film, c’est le KOFA-FFCF Classiques. Une programmation de film d’archives autour d’un thème ou d’un genre commun. L’an passé, le festival nous avait régalés avec des films de propagande. Pour l’édition 2010, ils ne semblent pas s’y être trompés non plus en choisissant de nous introduire à quelques raretés du cinéma d’action coréen des années 70.
Samedi après-midi, rendez-vous était donc pris en salle 1 de l’Action Christine pour découvrir Returned single-legged man réalisé par Lee Doo Yong en 1974. Attention cependant. Ceux qui pensent trouver là les aventures vengeresses d’un guerrier unijambiste seront déçus, car le film n’a à l’évidence pas été choisi pour refléter ce que l’on trouve dans le film. Non, le héros ne marche pas sur une seule jambe. Ni aucun second rôle. Personne n’a de jambe en moins, écrasée, coupée, tranchée, explosée ou que sais-je encore, de la première à la dernière minute du film. Oui je vous entends huer d’ici « Bouuuuuuh, publicité mensongère, remboursez nos billets ! ». Du calme du calme. Certes les coups de tatane ne sont pas prodigués par un unijambiste dans Returned single-legged man. Mais cela n’empêche pas le film de Lee Doo-Yong d’être un moment d’éclate total, et c’est déjà le plus important, non ?
A défaut de guerrier unijambiste, le héros du film est un tigre. Du moins se fait-il appelé Le Tigre. Coréen, il est le fils adoptif d’un puissant malfrat chinois de Harbin (les sinophiles sauront placer la ville sur une carte au nord-est de la Chine) qui fut un temps une véritable terreur pour ceux qui croisaient son chemin. Mais Le Tigre, alias Yong-Cheol, n’est plus que l’ombre de lui-même. Il passe désormais son temps à écumer les bars en vagabondant. Cependant lorsqu’il apprend que la femme qu’il aime, qu’il avait dû quitter parce que ses activités au sein de la Mafia de Harbin avait conduit à la mort de son beau-frère, a dû épouser de force un vilain japonais du nom de Yamamoto qui a pris le contrôle de la ville, Le Tigre se refait une santé et s’apprête à montrer l’étendue des qualités de son taekwondo.
Returned single-legged man a la saveur des films désuets. On s’y rend pour le plaisir d’un film d’une époque passée où les standards de coolitude au cinéma n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui. En résulte un film d’action devenant avec le recul comédie pour notre plus grand plaisir. Les dialogues surannés et le jeu des acteurs outranciers sont une constante tout au long du film. Et si on ne peut qu’admirer l’agilité du Tigre, qui nous fait une sacrée démonstration de ses capacités à distribuer des coups de pieds d’une amplitude proprement hallucinante, le plaisir du film tient également (surtout ?) dans ses petits détails de la mort qui tuent. Cette petite moustache ornant les lèvres du Tigre. La facilité avec laquelle il prend des poses « sexy » en toutes circonstances. Ses courses qui ne se montrent pas tout le temps très masculines.
Mais s’il y a une chose à retenir de Returned single-legged man, une séquence d’anthologie qui rende le film inoubliable, c’est le combat entre notre héros et son futur beau-frère dans un flash-back jouissif. Les deux s’affrontent car le futur beauf refuse la main de sa sœur au Tigre, qui va donc l’affronter à mort. Bien sûr finalement, le beauf acceptera de changer d’avis devant la force de persuasion et l’agilité du Tigre, mais avant cela, leur combat se montrera absolument délicieux. Oui bien sûr, il y a l’échange de coups de tatanes, les sauts 10 mètres et l’endurance légendaires de ce type de combat, mais ce qui rend celui-ci particulièrement bon, c’est une séquence de combat aquatique. Oui, vous avez bien lu, les deux hommes s’affrontent sous l’eau. Mais comment, vous demandez-vous ?!
Le réalisateur, ingénieux, a mis au point une technique redoutable. Lorsque les deux adversaires se renversent dans une rivière adjacente à leur combat, ils se retrouvent immergés… Mais toujours combattifs. La caméra reste focalisée sur la rivière, tandis que le bruit caractéristique des coups dispensés se fait entendre « Pif ! Paf Bam ! », sans que l’on voit les adversaires. Seule la rivière est filmée, et la caméra se déplace sur elle, comme si elle suivait les déplacements des deux guerriers sous l’eau. Puis au bout de quelques dizaines de secondes de ce combat aquatique invisible, les deux hommes s’éjectent de la rivière et se retrouvent sur le sable.
La séquence est plutôt hallucinante et parfaitement hilarante. Bien sûr le film tire trop en longueur, comme souvent pour ce genre d’œuvre dont le style est quelque peu tombé en désuétude et dont la saveur ne tient pas forcément sur la longueur. Mais cette séquence sous-marine entièrement filmée sur la terre ferme rend Returned single-legged man, le film sans unijambiste malgré le titre, immortel.
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