dimanche 26 juillet 2009

Public Enemies : Michael Mann en froid

C’est fou ce que les jours peuvent passer vite quand on a un voyage au bout du monde à préparer. En conséquence, moins de temps pour le cinéma, et pour en parler ici. Le fléchissement est dû à la période, et ne saurait être définitif. Il faudra juste attendre fin août pour voir de nouveau les posts fleurir sur L’impossible Blog Ciné. Mais quand ça démange, rien n’y fait, il faut écrire. Et aujourd’hui, Michael Mann me démange. Hier soir, je me suis laissé attirer par son Public Enemies à la dernière séance des Halles, dans une petite salle pleine à craquer.

Mann et moi, c’est une histoire compliquée, faite d’admiration et de déceptions. Admiration parfois totale, pour le souffle épique et aventurier du Dernier des Mohicans, pour le face-à-face déjà mythique de Heat. Admiration partielle, pour sons sens de la mise en scène implacable et sa direction d’acteurs remarquable dans des films tels que Révélations ou Ali.

Depuis trois films, le cinéaste américain fait un emploi systématique de caméras HD numériques pour tourner ses films, délaissant totalement le 35mm. Je fais partie des spectateurs ayant du mal à apprivoiser ce nouveau format qui change totalement l’aspect visuel d’un film. La différence entre Michael Mann et les autres cinéastes utilisant cette technique, c’est que lui parvient à faire coller ses sujets à ce format : la virée nocturne mortelle de l’excellent Collateral, les descentes de flics calibrées de Miami Vice.

Je redoutais au plus au point la HD pour un film tel que Public Enemies. Un film de gangster retraçant les derniers mois de John Dillinger, fameux braqueur de banques, populaire auprès des foules, dans le Chicago des années 30. Le réalisme très moderne découlant de ces prises de vue semblait peu à même de s’adapter avec perfection au sujet.
Pourtant rarement l’Amérique de la Grande Dépression n’avait été dépeinte avec une telle acuité visuelle, avec un tel sens de la reconstitution. Public Enemies, à n’en pas douter, respire l’Amérique années 30 à plein nez. Le discours de Mann sur le cinéma et sur le monde qui découle du film n’en est que plus fort. Ce regard posé sur une société en plein doute, en pleine crise, qui ne sait plus reconnaitre les bons des méchants, qui ne sait plus comment considérer une justice et un ordre encore plus violent que les criminels qu’elle pourchasse.
Le discours en filigrane de Mann est l’un des points forts du film, son regard éminemment moderne sur la société en crise à travers un film de gangsters des années 30 se reflétant magnifiquement dans le miroir du monde présent.

Le point faible majeur, c’est que l’un des aspects prédominant du scénario, l’affrontement entre Dillinger et son poursuivant l’agent Purvis, cette chasse à l’homme, cette course poursuite à travers l’Amérique, est fainéante. Elle devrait être épique et époustouflante alors qu’elle ne s’avère que trop prévisible, et amputée par le fait même que le personnage de Purvis est trop peu écrit et trop en retrait par rapport à Dillinger. Mann se montre finalement plus adroit dans la romance entre Depp et Cotillard, à laquelle il parvient à donner du souffle.
Autour du trio, les personnages passent, presque anonymes, Mann profitant de leur grand nombre pour opérer un défilé d'acteurs pas forcément connus, mais tous d’irréprochables gueules de cinéma que l’on prend toujours plaisir à voir (mention spéciale à Stephen Lang en impressionnant agent fédéral épaulant Bale).

Public Enemies, que Mann le veuille ou non, est une démonstration de cinéma hautement froide. Ses personnages, qui ne sont déjà par leur traitement narratif que des ombres, se voient étrangement désacralisés par la photographie inhérente au numérique, manquant à l’évidence de chatoiement feutrant. Si ce parti pris visuel peut servir d’une certaine façon le propos réflectif sur la société en crise, il creuse le manque de satisfaction que le film inspire.

Comme toutes les œuvres de Mann, Public Enemies est une œuvre virtuose, étalant un talent cinématographique éclatant, mais ne parvenant pas à s’équilibrer, à accrocher et à emporter. Mann est un cinéaste majeur qui trop souvent ne parvient pas à réaliser un film à la hauteur de son talent. Une fois encore avec celui-ci.

10 commentaires:

Bertrand Rocher a dit…

Assez d'accord avec toi, David. Ton avis m'intéresse d'autant plus que Fabien vient de grimper au rideau. Personnellement, près de deux mois après l'avoir vu, il ne me reste RIEN de ce film ; à part le souvenir de quelques morceaux de bravoure (l'évasion initiale, la fusillade du Lodge). C'est non seulement froid mais effectivement l'occasion de se distinguer des autres fresques de gangsters 30's a été ratée. A part J. Depp (toujours aussi flippant de froideur), les autres personnages sont assez mal servies. On aurait voulu plus de Bale, plus de . Cotillard, notamment, est totalement décorative ; hormis sa scène d'interrogatoire. Donc bila : so what ?

Bertrand Rocher a dit…

Mon "plus de Crudup" a sauté.. A quand le grand film sur Edgar Hoover, du reste ?

David Tredler a dit…

Oui, le personnage de Bale est bien trop transparent. On aurait aimé un personnage plus fort pour un face-à-face fascinant, mais il se perd dans la cohue de personnages.
Crudup excelle dans les personnages troubles, comme dans le film d'espionnage de De Niro, mais là son Hoover a 3 pauvres scènes, c'est dommage.
A quand le grand film sur Hoover, t'as bien raison Bertrand.

Pierre a dit…

Rhooo me dit pas que tu peux plus aller au ciné à cause de la corée, je te croirais pas, t'as juste à faire ton sac la veille ^^.

David Tredler a dit…

J'y vais toujours à l'évidence (5 films ce weekend), mais je me laisse un peu de temps pour potasser mon coréen quand même, cher Pierre ;-)

Nat a dit…

C'est marrant, j'étais pratiquement certaine que ce we, t'allais faire un truc sur ...."Brüno"...ben c'est raté !
Sinon d'accord pour ce film: juste qq très beaux moments!
Nat

Pierre a dit…

Mais tu n'as pas besoin, je sais très bien que tu es presque fluent et que c'est toi qui fera le traducteur dans la campagne coréenne ^^.

David Tredler a dit…

Pierre : HAHAHAHAHAHAHAHAHA

I.D. a dit…

Assez d'accord avec toi aussi bien sur le fond que la forme.

Maintenant ce film me pose un gros souci, celui des libertés historiques que Mann se permet. J'étais dans mon adolescence assez fana de cette période historique et de ces bandits de grand chemin qui ont vu le jour à ce moment-là. Dillinger est mort plusieurs mois avant Baby Face Nelson qui ne meurt aucunement dans les circonstances montrées dans le film. Et je ne parle pas de Pretty boy Floyd (mourrant au début du métrage) lequel meurt seulement un mois avant Nelson. Après, certains diront que ce n'est pas important, là n'est pas l'essentiel parce que le cinéaste n'avait aucune prétention à raconter les choses de manière juste ou encore que ces libertés, bah c'est pas nouveau mais quand même. Cela m'a pas mal agacé voire irrité en regardant le film.

Quant à Cotillon, je ne peux plus la voir ! C'est dit ! :)

David Tredler a dit…

Je t'avoue ID que j'étais assez peu familier de la chronologie de la vie de Dillinger et sa bande, donc cela ne m'a pas choqué...

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