dimanche 31 juillet 2011

The Murderer, la Corée s'enfonce un peu plus dans le noir...

Il y a quelques années, enfoncé dans le fauteuil d’une salle parisienne qui a échappé à ma mémoire, je prenais ma première claque coréenne. C’était le premier film de Park Chan-Wook à sortir au cinéma en France, Sympathy for Mister Vengeance. A l’époque, je m’en souviens, je m’attendais à voir un polar classique avec des gentils, des méchants, du suspense, un dénouement, peut-être même un happy end. Mais en lieu et place, j’ai découvert un polar social s’intéressant au moins autant à la société coréenne et ses tracas qu’au suspense.

Cette même surprise m’a de nouveau étreint il y a quelques jours grâce à The Murderer. Pourtant il y a deux ans, The Chaser, le premier film de Na Hong-Jin, figurait parmi mes longs-métrages favoris de l’année, et révélait le talent d’un nouveau cinéaste coréen. C’était un polar, sinon social, du moins conscient de certains maux inhérents à son pays. Mais c’était surtout une course haletante et exaltante, une maestria de mise en scène qui se sublimait dans un Seoul baigné de nuit.

Avec The Murderer, et après le succès considérable et inattendu de The Chaser (en Corée), je ne m’attendais pas à ce que Na Hong-Jin plonge encore plus loin dans la noirceur humaine. Il aurait pu profiter de sa nouvelle notoriété pour viser un public plus large, pour mettre un peu d’eau dans son vin. Il n’en est rien. Et au lieu de polar, nous naviguons ici clairement dans le drame social. Gu-nam est un Joseon-jok, un coréen de Chine habitant (misérablement) au-dessus de la Corée du Nord. Endetté, au pied du mur, il accepte la proposition d’un type louche mais charismatique : aller tuer un type pour lui à Seoul, en échange d’une somme d’argent suffisante pour éponger ses dettes et reprendre sa vie en main. Ce premier acte dépeint un univers brut et désenchanté. Une vie sans lumière à la photo grise, aux mines sales, aux cœurs amers.

Puis le deal de Gu-nam dérape, sa mission ne se déroule pas comme prévu, et le voici en panique, suspect numéro 1 d’un crime qu’il n’a pas commis, recherché par les flics, pourchassé par la Mafia. Une course folle, contre la culpabilité, contre la mort, pour la vérité s’engage alors. Elle aura pour point d’orgue une des poursuites cinématographiques les plus longues, haletantes et brutales qui soit, à la fois parfaitement incroyable et étrangement réaliste. Un tel degré de maitrise de l’espace dévoile, ou plutôt confirme quel cinéaste Na Hong-Jin est en passe de devenir.

D’autant qu’au plus fort de l’action, le réalisateur ne délaisse jamais ses personnages à l’âme grise et à l’horizon funeste. Kim Yoon-Seok, en manipulateur increvable, impose un charisme machiavélique et hérite du rôle du bad guy après avoir personnifier l’anti-héros de The Chaser, à l’inverse de Han Jung-Woo auquel la rage effacée sied bien comme le calme du psychopathe lui collait à la peau dans The Chaser. Le dénouement vers lequel convergent les personnages, noueux et cherchant plus à nous bousculer qu’à nous éclairer simplement, n’est pas de ceux qui prévalent sur le chemin parcouru. Un chemin sinueux, sûrement trop long, élagué à coups de haches et de couteaux, des armes tranchantes qui deviendraient presque indissociables du film noir coréen.
Après J’ai rencontré le Diable, le cinéma coréen est décidément sanglant et désespéré ces jours-ci.

samedi 23 juillet 2011

Submarine, un coup de coeur avant les vacances

Jeudi soir j’ai continué à courir. Courir pour voir ce que je voulais voir, trop de films pour mon temps compté sur Paris. Les courses sont parfois assez vaines comme celle de la veille au milieu des religieux. Mais en un claquement de doigt, la course suivante peut s’avérer lumineuse et inespérée. Comme celle de jeudi. J’ai couru jusqu’au cinquième rang de la salle 13 de l’UGC Ciné Cité Les Halles. J’ai couru pour ne pas être trop mal placé à cette séance complète. Sur le chemin de ma course, j’ai croisé John Lasseter, qui signait quelques autographes devant le Pied de Cochon, un restaurant du quartier.

J’ai couru jusqu’à ce que le temps s’arrête devant Submarine, une bulle de bonheur cinématographique venue de chez nos voisins les britanniques par le biais de Richard Ayoade. Qui est-il ce jeune cinéaste pour venir ainsi perturber l’idée selon laquelle les meilleurs réalisateurs d’outre-manche sont soit vieux soit installés aux États-Unis ? J’ai dû courir trop vite car voici que je me suis empalé tout entier sur ce film qui n’a de petit que l’apparence et qui cache en son sein un admirateur certain, au choix d’Hal Ashby ou de Wes Anderson, certainement des deux, et donc quelqu’un qui a du goût, pas qu’un peu.

J’ai couru en rythme avec Oliver Tate, un adolescent unique qui rêve de se fondre dans la masse. Un gamin solitaire qui se voit un peu plus beau et bon que ce qu’il est. Un jeune homme en quête d’amour, de sexe, de connaissances et de quiétude familiale. Il veut faire craquer Jordana, cette fille mystérieuse qui est dans sa classe, mais il désire tout autant que le couple que forment ses parents demeure malgré la zone de turbulence qu’ils traversent.

J’ai couru avec Oliver comme je cours avec les héros de Wes Anderson. J’ai couru pour attraper cette émotion, cette mélancolie, ces obsessions humaines irrépressibles rythmées par la pop mélodieuse d’Alex Turner (sans les Arctic Monkeys). J’ai couru vers le film et en suis sorti apaisé et flottant par ce mélange si doux d’amertume et de bonheur à l’humour électrisant. Je m’y suis vu, un peu, parfois même beaucoup. Je ne suis pas venu une heure à l’avance pour être bien placé comme Oliver le fait dans le film. Pas cette fois. Mais je le ferai peut-être pour le prochain film de Richard Ayoade.
J’ai tellement couru que je vais prendre quelques jours de vacances, heureux d’avoir vu une perle avant de partir.

jeudi 21 juillet 2011

Journée pieuse au ciné entre la robe de bure de Vincent Cassel et la croix de templier de James Purefoy

Au fond de moi, je sais que je finirais bien par m’en remettre, de rater quelques films en plein été, mais rien n’y fait, à quelques jours de quitter Paris pour les vacances, j’essaie d’en voir un maximum entre les derniers préparatifs. Mercredi, j’ai trouvé le temps de voir deux films, et la coordination programmatrice a fait que j’ai enchaîné deux films ayant à des degrés divers la religion pour toile de fonds.

Évidemment, avec Le Moine de Dominik Moll, le contraire eut été pour le moins étonnant. La déception de ne pas voir le film sélectionné à Cannes, une bande-annonce peu excitante, des critiques souvent à peine tièdes et un bouche-à-oreille peu enthousiaste n’ont pas entamé mon envie de voir Vincent Cassel en homme d’église (le film faisait partie de mes plus attendus de l’année 2011). Rétrospectivement, je me dis tout de même que les signes étaient pourtant clairs. Rien ne m’aurait détourné de mon envie, mais il faut bien avouer qu’au final, le film tant attendu a fait un joli petit pschhhhit tout dégonflé.

Dans cette Espagne très croyante, dans ce monastère au milieu de rien, ce prédicateur nommé Ambrosio interprété par Vincent Cassel aurait pu être l’anti-héros d’un film sombre, inquiétant, vibrant, fou et fascinant. Pourtant l’œuvre de Matthew Lewis n’a pas donné lieu à une adaptation filmée très motivante. Il y a des semblants d’atmosphère, des débuts de fièvre, les prémices d’une folie… mais tout cela reste bien trop sage. Malgré le jeu fin et tout en retenue de Cassel, ou peut-être à son image, finalement, même si au niveau du jeu ce n’est pas un reproche. Moll aurait pu nous traîner hors des sentiers battus, vers l’inattendu, or il se contente de se balader dans des zones d’ombre trop éclairées, trop visibles, trop prévisibles. Seul le dernier acte, court, ose s’aventurer, trop tard et sans que cela soit vraiment raccord avec le reste du long-métrage. Résultat mon état de somnolence a été constant pendant le film… dommage pour un film tant espéré.

En sortant de cette séance désespérément somnifère, la perspective de voir Le sang des templiers (Ironclad en VO) paraissait indécise, entre la crainte de retomber dans un cadre costumé et empreint de religion, et l’espoir d’être remué et réveillé par de l’action moyenâgeuse vivifiante. Ce que je n’ai pas vu venir, c’est le fil ténu qui pouvait séparer le film du nanar, sûrement à cause de la présence en haut de l’affiche de Paul Giamatti, qui s’il a eu droit à son lot dans le genre (le nanar) ne s’y frotte plus depuis quelques années.

Pourtant il y a bien un petit côté nanar dans Le sang des Templiers, qui finalement n’est pas visible immédiatement. Le film commence sérieusement, au temps des croisés, dans l’Angleterre du 13ème siècle, alors que le Roi Jean, frère du défunt Richard Cœur de Lion, tente de reconquérir par le sang son pays après avoir signé une charte donnant plus de liberté au peuple, une signature qu’il regrette amèrement. Jean veut retrouver son plein pouvoir et est prêt à écraser les rebelles pour l’occasion. Les rebelles ne sont pas nombreux, menés par un Baron ayant fait signé la Charte par le Roi et un Templier fatigué. Avec quelques hommes prêts à les suivre jusqu’au bout, les rebelles prennent un Château que convoite le Roi, décidé à faire le siège des mois durant pour le récupérer.

En fait certains l’auront deviné, Le sang des templiers, ça ressemble à une suite officieuse du Robin des Bois de Ridley Scott avec un Templier campé par James Purefoy en guise de Robin, le tout avec beaucoup plus de tranchant que dans le film de Scott. Les scènes d’action sont sanglantes, à coups de bras tranchés, de blessures profondes et visibles faites à la hache et d’autres petits plaisirs que savait si bien procurer le Moyen-âge. Ces séquences semblent finalement plus intéresser le réalisateur que tout le potentiel contextuel du film, la guerre civile anglaise, le déchirement de l’Église, l’ambigüité des Templiers. Tout cela est traité, mais trop en surface et au second plan pour que l’on prenne franchement le film au sérieux. En même temps en jetant un œil sur la filmo de Jonathan English, le réalisateur, on remarque que son précédent film s’intitulait Minotaur et avait de gros airs de nanar. Et arrivé à la moitié du film, on se rend compte que la romance improbable, un peu nunuche et ratée entre le Templier et la poupée bien roulée d’un vieux bourge homosexuel campé par Derek Jacobi, prend presque le pas sur le reste du film, à la grande joie de certains spectateurs dans la salle que toutes les scènes entre James Purefoy et Kate Mara (le templier et sa dulcinée adultère) faisaient bien rire. Et franchement je ne peux pas vraiment leur en vouloir.

En regardant le film, je me disais justement que James Purefoy faisait partie de ces acteurs abonnés aux rôles en costumes, si possible avec des chevaliers et des combats dans lesquels il peut faire les ténébreux mystérieux. Sérieusement, ce mec fait-il parfois autre chose au cinéma ? La dernière fois que je l’avais vu, c’était pour le même rôle ou presque dans Solomon Kane (oui, je suis allé voir ça au cinéma…). Mais il est ici entouré de quelques excellents acteurs et l’on se prend soudain à croire que le film est peut-être plus qu’une série B, mais non, Brian Cox, Derek Jacobi et Paul Giamatti n’y font rien, pas plus que le joli minois de Kate Mara (qui lui n’empêche jamais le statut de série B).

Maintenant ne vous méprenez pas, j’aime les séries B, j’aime les nanars, et malgré les violons des scènes romantiques entre le templier indestructible et la mariée vierge très fashion, Le sang des templiers a de la gueule, suffisamment pour être appréciable, et derrière les bâillements du Moine, les révoltes anglaises moyenâgeuses s’avèrent revigorantes. D’autant que l’on y retrouve Vladimir Kulich, cette montagne tchèque repérée et appréciée il y a douze ans dans Le 13ème guerrier et dont je me demandais de temps à autres ce qu’il était devenu… C’est fou ce que l’esprit peut s’égarer parfois.

mercredi 20 juillet 2011

Kevin Costner, entre Superman et Quentin Tarantino

Kevin Costner est un héros de mon enfance. A l’âge où je commençais à fréquenter les salles obscures, l’acteur américain était la star montante, puis la star incontournable du cinéma Hollywoodien. J’ai grandi en le voyant combattre la Mafia dans Les Incorruptibles, chasser le bison dans Danse avec les loups, tirer à l’arc dans Robin des Bois, Prince des voleurs, secourir une star en détresse dans Bodyguard. Pour moi, Kevin Costner incarnait le héros américain par excellence. Il faisait la couverture de tous les magazines, il était jeune, il était beau, il était courageux. Il était l’homme que je voulais être et l’homme que les filles désiraient. A la fois un acteur à midinettes et un acteur s’engageant sur des films encensés dans la presse. Il était même, grâce à Danse avec les loups, un cinéaste oscarisé.

Depuis sa lente mise à l’écart de la A-List hollywoodienne, depuis Wyatt Earp, Waterworld et The Postman, Costner n’a plus que partiellement recouvert sa gloire passée, le temps de quelques petits succès, de quelques films remarqués voire remarquables (Open Range). Et finalement, depuis quelques années, l’acteur qui a été ce premier rôle indéniable s’est révélé à son meilleur en laissant à d’autres le soin d’occuper le devant de la scène. Kevin Costner s’est depuis quelques films affirmé comme un second rôle de choix sachant s’affirmer en scene-stealer pour le bien d’un film. Ses performances dans Les bienfaits de la colère ou il y a peu The Company Men l’ont amplement prouvé. Voici maintenant l’année 2012 qui pointe son nez, et avec elle la promesse d’une année riche pour Costner le second couteau.

Il y a quelques mois déjà, l’acteur d’Un monde parfait de Clint Eastwood était engagé sur Man of Steel, le reboot de la saga Superman orchestrée par Zach Snyder dans laquelle il interprétera Jonathan Kent, le père adoptif de Clark. Un américain moyen plein d’affection pour son fils de Krypton qui incarnera au mieux la figure paternelle pour Superman, un rôle qui semble taillé pour cette figure américaine qu’est Costner lui-même.

Mais voici maintenant qu’en plus de ce rôle emblématique, le web bruisse de cette nouvelle qui fait son chemin : Kevin Costner devrait figurer au générique du prochain film écrit et réalisé par Quentin Tarantino, Django Unchained. Les aventures en pleine Guerre de Sécession d’un esclave affranchi dans le Sud des États-Unis qui, avec l’aide d’un chasseur de primes allemand qui l’a pris sous son aile, va affronter le terrible propriétaire terrien Calvin Candie qui tient sa femme sous son joug.

Si l’annonce il y a quelques semaines de l’arrivée de Jamie Foxx sous les traits du héros, Django, ne fut pas la news la plus excitante du projet, les autres noms attachés au film de Tarantino compensent amplement. Après Christoph Waltz, qui campera le chasseur de primes allemand, et Leonardo DiCaprio, qui jouera le grand méchant du film, Calvin Candie, esclavagiste en chef (en soi déjà un évènement intrigant et excitant), Kevin Costner devrait ainsi s’ajouter au projet du côté des bad guys. Il interprèterait un des rares rôles sombres de sa carrière en incarnant l’homme de main de Calvin Candie, Ace Woody, que l’on annonce bien sadique. Un pari audacieux pour Costner et Tarantino, mais assurément un pari qui pourrait payer tant on connait la capacité de Tarantino à ressusciter les carrières des acteurs les plus sous-estimés, d’un Travolta englué dans les Allô maman ici bébé au Christoph Waltz cantonné aux séries télé allemandes dignes d’un mardi après-midi sur France 3.

Kevin Costner, ce héros de mon enfance, n’est certes plus Eliot Ness, Robin des Bois ou Jim Garrison. Mais la mue de ces dernières années a beau lui avoir retiré du pouvoir à Hollywood, elle n’a en rien amoindri ses capacités d’acteur. Superman et Tarantino se chargeront de l’illustrer en 2012.

lundi 18 juillet 2011

I’m still here, l'art du faux

Un beau jour de l’hiver 2009, j’étais comme beaucoup d’autres scotché par cette nouvelle qui faisait lever le sourcil de la planète cinéma : barbu et hirsute, Joaquin Phoenix annonçait sa retraite des plateaux de cinéma au profit d’une carrière dans le hip hop. L’acteur fétiche de James Gray, nommé aux Oscars pour Walk the Line, pétait-il les plombs ? Quelques semaines plus tard, il apparaissait caché derrière des lunettes noires, marmonnant et mâchouillant un chewing-gum sur le canapé de David Letterman, laissant le présentateur ahuri. Dès lors, Phoenix devint un sujet de moquerie dans le showbiz, Ben Stiller le parodiant aux Oscars et des vidéos de ses performances de rappeur circulant sur Youtube, loin de le mettre à son avantage. Phoenix, dans un état semblant second, se ramassait par terre ou se battait avec un membre du public.

Pendant des mois, le petit monde d’Hollywood, et tout ce qui gravite autour, presse, télé, web, s’est demandé se qui avait piqué Phoenix, d’autant que l’acteur avait annoncé que son beau-frère Casey Affleck allait le suivre caméra au poing pour filmer sa reconversion. Mais c’est quoi cette histoire ? Le monde a crié à la folie. Le monde a crié au canular. Le monde est resté perplexe (oui je sais je pousse un peu en disant « le monde », mais la démesure sied à ce film). Dans l’attente de voir Phoenix capituler, ou percer (non, personne ne s’est jamais vraiment attendu à ce qu’il perce dans le hip hop après avoir vu les vidéos circulant sur You Tube, c’est sûr…). Dans l’attente du film de Casey Affleck qui offrirait les coulisses de toute cette histoire, son fin mot.

I’m still here est enfin arrivé, plus de deux ans après cette préretraite annoncée étrange. Entre temps, Casey Affleck avait confirmé que la reconversion de Joaquin et le documentaire la retraçant était un canular. Quel devient donc l’intérêt d’un tel film ? Il est plus qu’une simple curiosité de revoir ces séquences aperçues sur Internet dans un contexte plus large, de voir Phoenix avant et après son entrée sur le plateau de Letterman, le voir négocier pour chanter dans une boîte de nuit branchée de Miami… Il est aussi dans ce doute que l’on a quant à l’implication des personnes que l’on voit dans le film. P. Diddy, alias Sean Combs, que Joaquin Phoenix vient chercher pour produire son album, savait-il ?Avec ses yeux montant au ciel quand il entend les chansons de Joaquin, le doute est permis. Ben Stiller, quand il vient proposer à Joaquin de jouer à ses côtés dans Greenberg, sait-il ce qui se passe ? Et Edward James Olmos, c’est quoi cette histoire de goutte des montagnes ? Il a fumé celui-là ? Non, pas possible, il était de mèche. Ce semi-doute est savoureux.

Si la plongée totale dans le trash qu’ose Joaquin Phoenix et Casey Affleck fait clairement penser qu’il s’agit effectivement d’un jeu (la coke, les escort-girls et le scato, pour résumer), il y a surtout, en filigrane, la vérité qui se cache derrière le mensonge. Ce que l’on devine de la personnalité de Phoenix, derrière l’excentricité d’un projet qui le montre sous un visage supposément faux. Mais l’est-il vraiment, faux, ce Joaquin ? Cet homme un peu paumé, un peu mélancolique, un peu solitaire. Il est too much pour être vrai, mais il y a quelque chose d’indicible en lui. Une absence. Un désordre affectif. Peut-être que tout cela n’est vraiment qu’un jeu après tout, de la première à la dernière seconde. Ou peut-être y a-t-il tout de même une part de vérité dans ce faux documentaire, dans ce faux Joaquin. C’est ce doute qui fait le sel de I’m still here.

Depuis, après trois ans sans tourner, Joaquin Phoenix est sorti de sa fausse retraite pour The Master, le nouveau Paul Thomas Anderson, dans lequel Philip Seymour Hoffman interprète un gourou inspiré de L. Ron Hubbard et sa scientologie. Phoenix sera l’homme de confiance du Master. « I’m still here », chantait-il dans une boîte de nuit de Miami. Les mois ont passé, le contexte est différent, et le retour sera assurément vivement commenté. Mais c’est sûr. He’s still here.

dimanche 17 juillet 2011

Les français ont rencontré le Diable

Une durée de 2h20, une interdiction aux moins de 16 ans, un peu de torture et de boucherie psychopathe à l’écran, et des dialogues en coréen. J’ai rencontré le Diable ne réunissait pas spécialement les traits d’un succès au box-office français. Avec de tels attributs, le film de Kim Jee-Woon aurait vraiment pu passer inaperçu, pas de doute. Pourtant les chiffres sont éloquents. Avec près de 11.200 entrées en première semaine dans seulement 11 salles en France, J’ai rencontré le Diable affichait la semaine dernière la deuxième meilleure moyenne de spectateurs par salle, derrière Case départ mais devant toutes les autres nouveautés de la semaine, ainsi que les poids lourds toujours à l'affiche comme Transformers 3. A Paris, le film enregistrait même plus de 2.000 spectateurs par salle. Au Publicis où je l’ai vu, les rangs n’étaient pas loin d’être pleins, les connaisseurs de la salle comprendront.

Kim Jee-Woon a peu de chances de faire aussi bien que Poetry au box-office, mais c’est déjà plus que les attentes optimistes. Guettons si ce n’était pas seulement l’affaire d’une bonne première semaine… Fin de la petite pointe d’enthousiasme pour un petit succès coréen en France…

vendredi 15 juillet 2011

Spike Lee, entre les sous de TF1 et le remake de Oldboy

Alors qu’il y a quelques jours sortait en DVD Miracle à Santa Anna, Spike Lee continue à faire la Une de l’actu ciné du moment. Pour un cinéaste dont on n’a pas vu de long-métrage en salles en France depuis avril 2006 et l’excellent Inside Man, ça surprend. On n’a plus franchement l’habitude, mais Lee a signé suffisamment de films emblématiques pour que son retour sur le devant de la scène fasse plaisir.

Bien sûr Spike n’est pas resté cloîtré chez lui toutes ces années – il ne faudrait pas croire - réalisant quelques documentaires engagés ayant fait parlé d’eux, dont un sur l’ouragan Katrina et ses ravages ayant fait du bruit aux États-Unis. Ensuite il a donc signé ce fameux Miracle à Santa Anna, dont nous n’avons jamais vu les couleurs dans les salles de l’Hexagone mais qui vaut aujourd’hui à Spike Lee de voir son nom s’étaler dans la presse.

Petit flashback. En 2008, Miracle à Santa Anna passe par le Festival du Film Américain de Deauville, un récit des combattants afro-africains durant la Seconde Guerre Mondiale sur le front italien. Le projet était cher à Spike Lee, mais après un échec au box-office américain, TF1, qui devait sortir le film en France sous l’égide de sa filiale distribution cinéma TFM, préfère finalement laisser le film sur une étagère. Colère de Spike, car TF1 n’a pas seulement la responsabilité de la distribution du film en France, la société française détient les droits de distribution du film dans presque tous les territoires en dehors des États-Unis.

Selon TF1, le film qui lui a été livré n’est pas celui pour lequel l’entreprise audiovisuelle avait signé en 2007. Argent promis non versé, attaques en règle au tribunal, les mois passent, les deux camps luttent pour faire payer l’autre. Et nous voici à l’été 2011 et en ces jours de juillet, alors que le Tribunal de Grande Instance de Paris vient finalement de condamner TF1 Droits Audiovisuels à payer 32 millions d’euros, répartis entre les producteurs, financiers, réalisateur et scénariste de Miracle à Santa Anna. Ca ferait presque un p’tit coup de pub pour la sortie du film en DVD ça !

Mais si le nom de Spike Lee remue fortement le web ces jours-ci, ça n’a rien à voir avec ces histoires de fric que TF1 va devoir allonger. C’est une toute autre histoire qui lorgne du côté de la Corée du Sud et de son cinéma qui excite nos papilles cinéphiles mais gonfle l’appétit d’Hollywood. Car voici qu’après quelques années de bruissements et rumeurs, il semblerait que le remake américain de Oldboy, cet uppercut qui nous a envoyé au tapis en 2004, soit enfin lancé pour de bon, avec Spike Lee aux commandes.

Ca y est, le cauchemar prend donc forme. Voilà quelques années qu’Hollywood avait acheté les droits de remake du film et nous faisait horriblement miroiter un remake auquel au fil des ans de nombreux noms s’étaient associés, les plus prestigieux (mais pas forcément idéaux) étant Steven Spielberg et Will Smith, deux personnes que j’avais bien du mal à imaginer dans l’univers poisseux, sombre et nihiliste de Oldboy. Et encore, c’est le haut du panier des noms qui se sont trouvés un jour associés au projet.

Une nouvelle peu réjouissante ne venant jamais seule, il se trouve que le scénario du remake a été écrit par Mark Protosevich, qui nous a par le passé commis ceux du remake Poseidon et de la transposition ratée de Je suis une légende. Sur le papier, savoir Protosevich associé au projet n’annonce rien de bon. L’arrivée de Spike Lee derrière la caméra est elle plus intrigante. Le cinéaste new-yorkais n’a pas fait de films jusqu’ici laissant supposer qu’il soit apte à mettre en scène un long-métrage comme Oldboy, d’autant qu’il s’offusque lorsque Tarantino écrit trop souvent le mot « nègre » dans ses scénarios… Difficile alors d’imaginer ce qu’il peut au fond penser d’une histoire comme celle d’Oldboy qui est plus noire que noire (bien qu’il ne s’agisse aucunement de racisme !)…

Cela faisait tellement d’années qu’Hollywood nous menaçait avec son projet d’américaniser Oldboy qu’on avait fini par se dire qu’en fin de compte, ils ne se jetteraient jamais à l’eau, trop frileux de se frotter à un objet si amoral et violent, encore plus selon les normes puritaines d’Hollywood. Oseront-il aller jusqu’au bout et ne pas édulcorer le film de Park Chan-Wook ? Spike Lee a-t-il en lui ce qu’il faut pour accoucher d’un bon remake d’Oldboy ? Il paraît inconcevable qu’un remake US arrive à la cheville de la claque coréenne auréolée en 2004 d’un Grand Prix au Festival de Cannes. On ne peut rien faire pour les empêcher de s’y coller, alors attendons, et observons.

La nouvelle rumeur du moment, c’est que les producteurs veulent Josh Brolin pour reprendre le rôle d’Oh Dae-Su campé par Choi Min-Sik dans l’original. J’aime bien Josh Brolin, et tout son potentiel n’a certainement pas encore été exploité malgré son revival impressionnant ces trois / quatre dernières années, mais de là à l'imaginer sur les traces de Choi Min-Sik, je ne sais pas. Je me demande ce qu’en pense Park Chan-Wook, à l’heure où il prépare de son côté son premier film américain

mercredi 13 juillet 2011

Cronos, à la source du cinéma de Guillermo Del Toro (bye bye Paris Cinéma...)

C’est toujours la même chose. Des mois à l’avance, je guette les miettes d’informations que je peux glaner sur les festivals et manifestations que j’aime fréquenter, je scrute régulièrement les annonces de programmation, je m’enthousiasme lorsque les films projetés sont nommés, je me mets à préparer mon agenda personnel de l’évènement… Et au final, le temps file à toute allure et avant que j’aie eu le temps de dire « ouf », c’en est fini sans que j’aie pu voir la moitié des films que je convoitais. Il y a quelques semaines, la reprise des films de Cannes s’était même soldée par un échec cuisant (Un seul film vu !!!).

Voilà, Paris Cinéma vient de s’achever, et alors que mon programme perso prévisionnel affichait une bonne douzaine de films, je n’en aurai finalement vu… que trois. Trois petits films pour un festival aussi dense et riche, c’est plutôt frustrant. Au moins ai-je pu faire dans la diversité en finissant par Cronos, présenté dans le cadre de la mise en avant du cinéma mexicain, après avoir goûté aux accents 70’s philippins de Cleopatra Wong et à la compétition façon japonaise de Hospitalité. L’honneur est sauf (on se console comme on peu...). D’autant qu’avec ce dernier film, j’en aurai profité pour rattraper cette lacune dans ma connaissance de la filmographie de Guillermo Del Toro, aujourd’hui cinéaste incontournable mais qui faisait alors, au début des années 90, ses premiers pas dans le long-métrage.

Depuis le temps que Cronos m’intriguait, cette occasion-là, au moins, ne m’a pas échappée. Si j’ai découvert le cinéaste mexicain avec Blade II, j’ai appris à aimer son cinéma avec L’échine du Diable, Le labyrinthe de Pan et les deux Hellboy. Des films dans lesquels Del Toro a fait montre d’un talent fascinant de conteur, n’ayant pas son pareil pour créer des univers fantastiques et fantasmagoriques empreints d’une part de réalité et de mélancolie. Avec Cronos je suis revenu aux sources, avec un film qui déjà laissait transparaître toute la créativité de Del Toro, et ce mélange remarquable de douleur et de douceur.

Son film commence au 16ème siècle, lorsqu’un alchimiste met au point un objet qui serait capable de donner la vie éternelle à celui qui saurait s’en servir. A la fin du 20ème siècle, c’est un vieil antiquaire qui se trouve soudain en possession de ce fameux engin tenant dans une main. Alors qu’il l’utilise sans savoir ce qu’il a déclenché, un autre homme, mourant et cherchant à mettre la main dessus depuis des décennies, apprend que l’antiquaire possède le cronos, et va essayer de s’en emparer.

Il ne s’agit pas là d’un affrontement fait d’action. Le film est plutôt statique et presque vu à travers le regard d’une enfant, la petite fille de l’antiquaire s’inquiétant de voir son grand-père ne sachant que faire de cet objet, mais n’ayant pas non plus le courage de s’en séparer. Le grand-père est accro à cet objet lui volant de son sang, et le rendant au passage avide de ce liquide rouge qui coule dans les veines de ses congénères. Avant Blade II, Del Toro signait un film de vampire sans vampire, un conte où le temps, la vie et la mort s’entremêlent pour pointer du doigt le vilain défaut qu’est l’avidité. Déjà, Ron Perlman et Federico Luppi se baladaient devant la caméra de Del Toro. Déjà, l’enfance était confrontée à la peur. Déjà, Guillermo Del Toro racontait une histoire et tissait une oeuvre avec le talent de magicien qu’on lui connaît aujourd’hui.

J’aurais décidément aimé voir le réalisateur mexicain s’atteler à Bilbo le Hobbit comme il en a longtemps été question avant qu’il ne jette l’éponge et rende les rennes du projet à Peter Jackson. La maestria avec laquelle il créé des univers visuels forts et des bestiaires imaginaires fascinants en faisait un candidat excitant. Il se penchera finalement bientôt sur Pacific Rim, un film d’invasion extraterrestre qui devrait également lui permettre de nous faire frissonner, trembler et rêver.

Mais en attendant, j’ai un Étrange Festival qui se profile en septembre, et les premiers noms et titres évoqués au programme – encore officieux – me laissent pantois d’excitation. Hobo with a shotgun ? Sono Sion ? Super ? Chouette, je ferai bien attention à ne pas me frustrer en septembre…

mardi 12 juillet 2011

L'hospitalité japonaise mise à l'épreuve à Paris Cinéma par Koji Fukada

Alors que le Festival Paris Cinéma a rendu son verdict et largement consacré, sans grande surprise apparemment, La guerre est déclarée de Valérie Donzelli, déjà remarqué à Cannes, il est temps que j’y aille de mon billet sur le seul film de la compétition sur lequel j’ai posé mes yeux au cours des dix jours qu’a duré la manifestation. Hospitalité, le film japonais de la compétition, un peu en souvenir de la belle édition 2010 qui s’était amplement penchée sur le cinéma nippon.

Les jours ont passé, mais c’est en fait le lendemain de la projection de Cleopatra Wong que j’ai vu le long-métrage de Koji Fukada, au centre névralgique du Festival, le MK2 Bibliothèque. En arrivant dans le cinéma du 13ème arrondissement parisien, l’ambiance festival était palpable. Et même plus que cela. Tandis qu’une queue se formait dans le hall principal pour l’avant-première des Hommes libres, et que je croisais Mathieu Demy et Gilles Marchand, tous deux membres du jury pro, en train de discuter entre deux projections, une scène étrange, certains diraient hallucinogènes, se déroulait au niveau inférieur. Tandis que j’attendais l’ouverture de la salle d’Hospitalité, une marée humaine est sortie d’une autre salle, des dizaines de personnages s’agglutinant autour de quelqu’un qui avait plusieurs caméras et appareils photos braquées sur lui.

« Tiens, y a de la star ce soir » me suis-je dit. Sur la pointe des pieds, j’essayais de distinguer entre les têtes qui donc serrait ainsi des mains par dizaines et souriait aux caméras. Charlotte Rampling ? Gael Garcia Bernal ? Pas du tout. En fait, c’était Manuel Valls, venu lancer dans une salle du multiplexe parisien sa campagne pour les primaires du Parti Socialiste. Ah… bon. Une scène pour le moins étonnante, en plein festival de films.

Finalement je me remets tranquillement dans la queue pour attendre l’ouverture de la salle où va être projeté Hospitalité. Alors que je discute avec les rédacteurs de Made in Asie, décidément à l’affût eux aussi ces jours-ci, une tête connue est aperçue à côté de la file d’attente. Non, pas une star. Enfin, pas tout à fait. Il s’agit du jeune japonais qui s’était fait l’interprète de quelques cinéastes lors de Paris Cinéma 2010, alors que les films nippons étaient nombreux. Un interprète inoubliable tant sa fébrilité au micro était drôle et touchante. Alors comme ça, c’est lui qui va se charger de faire l’interprète ce soir encore… Une perspective qui colle tout de suite le sourire aux lèvres.

Le film lui-même ne manque pas de nous coller un sourire au visage. Hospitalité se déroule dans un quartier résidentiel de Tokyo. Nos héros, une famille recomposée tenant chez eux une petite imprimerie, voient leur vie chamboulé par l’irruption d’un étranger dans leur maison. En fait d’étranger, il s’agit d’une vieille connaissance du père, qui l’embauche et le loge, alors qu’il a déjà sous son toit une fille, une femme plus jeune que lui et une sœur divorcée.

Très vite le nouveau venu dans la maison n’a pas l’air franc du collier. S’il fait tout pour plaire à la famille en apparence, on sent bien qu’il joue un jeu. Peu à peu, tout le monde se méfie de lui et de l’étranger qu’il est. Il incarne clairement un danger sourd qui peut faire basculer le film à tout moment. C’est ce que l’on attend, ce que l’on sent poindre. A un moment, il va faire basculer le film, vers quoi c’est impossible à le deviner, mais un déclic va se produire. Pourtant les minutes s’égrènent, la jovialité s’installe en même temps que les doutes. Fukada tisse un film sur la peur de l’étranger, cette peur présente au Japon qui sous sa caméra prend un caractère franchement universel. Si la rupture de ton attendue ne survient pas tout à fait, le film s’installe dans ce constat social et sociétal que la peur de l’étranger est un mal inhérent à notre époque.

Hospitalité intrigue, pas mal, traîne, un peu, et finit, alors que l’on attend un pétage de plomb qui semble inéluctable, dans une fiesta pleine de cœur criant à l’union des peuples. C’est finalement pour le moins inattendu, à défaut d’être tout à fait enthousiasmant.

Lorsque la lumière se rallume, le réalisateur Koji Fukada, l’actrice/productrice Kiki Sugino et le fameux interprète qui nous avait laissé un souvenir mémorable l’année dernière sont présents pour répondre aux questions des spectateurs. S’en sortira-t-il mieux que l’an passé derrière le micro ? Au début on le croit, et puis rapidement, les doutes l’assaillent, les bégaiements et hésitations se font entendre, et de grands moments de solitude s’enchaînent pour lui. Un blanc est comblé par un spectateur japonais, ce qui met mal à l’aise pour le sympathique interprète. Heureusement, une vieille japonaise lui vole quelques instants la vedette en posant une question en français, puis en traduisant directement en japonais pour le réalisateur. La version japonaise de sa question semble n’en plus finir, et la membre du staff du festival qui gère le questions/réponses semble alors lui demander d’aller plus vite, ce à quoi la japonaise se tourne vers elle furieuse et criant « Mais je suis en train de lui poser une question en japonais, ne m’interrompez pas ce n’est pas poli !!! ». Rires dans la salle bien sûr.

En fin de soirée, alors que tout le monde se dirige vers la sortie, I.D. de Made in Asie me propose qu’on se fasse prendre en photo avec le Fukada et la jolie Kiki. Pour Kiki, ce n’est pas difficile, mais Fukada est justement retenu en otage par la japonaise ayant vitupéré plus tôt. En attendant, à son grand étonnement, on se fait prendre en photo avec notre interprète vedette qui nous a régalés une fois encore. Il a beau s’emmêler les pinceaux, j’espère que ce n’était pas la dernière fois qu’il faisait l’interprète pour Paris Cinéma.

lundi 11 juillet 2011

J'ai rencontré le Diable. C'est lui. C'est vous. C'est moi.

Il y a eu l’attente. Quelques mois, presque un an avant de voir arriver le nouveau film de Kim Jee-Woon, cet insaisissable cinéaste sud-coréen un peu rapidement déprécié à l’ombre des Bong Joon-Ho et Park Chan-Wook. L’homme est un touche-à-tout et c’est peut-être ce qu’on lui reproche, de passer de la comédie sociale de The Foul King au fantastique familial de Deux Sœurs, du noir stylisée de A bittersweet life au western déjanté de Le bon, la brute et le cinglé. L’homme est difficile à mettre dans une case, mais aussi à inscrire dans un sillon cinématographique puissant.

L’attente a duré, au fil d’une polémique en Corée qui a failli empêcher la sortie du film, qui s’est finalement faite sans la grande effusion que l’on aurait pu attendre. Les mois ont passé, l’année s’est écoulée, et J’ai rencontré le Diable est enfin visible sur nos écrans, quelques uns, même pas quinze sur tout le territoire. Après l’attente, la rencontre a donc pu se faire. La rencontre du titre mais aussi celle du spectateur que nous sommes avec une œuvre brutale, sanglante, dévastatrice, une œuvre ne laissant pas celui qui la regarde impassible.

On a parlé et l’on parlera de la violence du film de Kim Jee-Woon. Les scènes de torture, l’acharnement, la douleur infligée, les membres sectionnés. Le risque de ce genre de film, c’est de se faire taxer de gratuité dans sa représentation graphique. De n’être qu’un déchainement futile et poseur de violence ne cherchant pas à gratter assez loin ce que celle-ci peut représenter. Un écran de fumée cachant le néant. Derrière la fumée de J’ai rencontré le Diable (merci à ARP d’avoir choisi un titre français plutôt que se contenter du titre anglais international comme c’est trop souvent le cas lorsqu’il s’agit de cinéma coréen), j’ai pourtant aperçu bien trop de choses pour me contenter d’y constater une quelconque gratuité.

Choi Min-Sik, le fameux interprète du Oldboy de Park Chan-Wook, incarne Kyung-Chul, un tueur en série particulièrement violent envers ses victimes, des jeunes femmes attrapées la nuit tombée alors qu’elles sont seules. Sa dernière victime en date est la fille d’un chef de la police, et surtout la fiancée de Soo-hyun, un agent secret entraîné à l'espionnage et au combat (interprété par Lee Byung-Hun). Ce dernier n’a pas l’intention d’attendre que la police fasse son boulot et part lui-même sur les traces de Kyung- Chul, décidé à venger sa fiancée en faisant souffrir son tueur au centuple. Le film devient un jeu du chat et de la souris entre le fiancé vengeur et le tueur froid. Il ne s’agit pas simplement pour Soohyun de trouver et tuer Kyung-Chul. Il l’attrape, le torture un peu, et le relâche pour mieux le rattraper plus tard, et le faire souffrir encore plus. Sa croisade est celle d’un homme mu par le désespoir, c’est le cri de douleur d’un homme à qui l’on a arraché la vie. Il chasse pour ne pas avoir à affronter son deuil. Il inflige la douleur pour ne pas avoir à affronter la sienne. Il prolonge la violence car elle est ce qui le relie encore à sa défunte fiancée. S’il arrête de courir, s’il arrête de frapper, il se retrouvera face à sa perte.

Il n’est pas question pour Soo-hyun de se transformer lui-même en monstre comme ceux après qui il court. Il parvient un temps à entretenir sa flamme d’humanité, à sauver la veuve et l’orphelin sur le chemin de sa vengeance. Mais son adversaire le force à repousser toujours plus loin ses limites. Kyung-chul le tueur a beau avoir des traits de caractère de bouffon qui confine parfois au rire (pour désamorcer ou parodier ?), il est d’une froideur et d’une cruauté qui n’a pas de limite. Or pour atteindre le tueur, le fiancé veut le faire souffrir comme lui a souffert, ce qui va le pousser à une cruauté similaire à celle de celui qui a fracassé son existence. A devenir lui aussi ce Diable.

Il y a un Diable en chacun de nous est ce que semble dire naturellement Kim Jee-Woon avec J’ai rencontré le Diable. Une scène hallucinante dans un taxi illustre ce propos à merveille. Mais derrière cet écran de fumée qui ne souffre d’aucune ambigüité, le désespoir, l’amertume et l’abandon se révèlent à l’état brut. Elle offre son visage humain au film, sa vérité profonde. L’arrogance de la violence est poussée à son paroxysme pour la rendre dérangée et dérangeante. La route est longue, plus de deux heures, mais foisonnante, floutant avec audace les lignes de la morale, jouant avec la bonne conscience, et bouillonnant au final d’une force implacable. Et s’il était temps de réévaluer Kim Jee-Woon ?

jeudi 7 juillet 2011

Cleopatra Wong distribue les baffes à Paris Cinéma, et elle en rit !

Je me souviens de ce jour d’été 2005 où j’ai revu La Porte du Paradis de Michael Cimino. Le cinéaste américain était présent pour l’occasion dans la salle, ainsi qu’Isabelle Huppert qui partageait l’affiche du film avec Kris Kristofferson et Christopher Walken. Je m’étais retrouvé assis juste derrière l’atrice française pendant les trois heures de projection, et voir à l’écran cette Huppert de la fin des années 70 alors que celle de 2005 se trouvait sous mes yeux était une chose étrange. Le Festival Paris Cinéma m’a permis cette année de vivre une expérience similaire avec une actrice moins célèbre, mais non moins culte, Marrie Lee.

Après avoir minutieusement étudié le programme de l’édition 2011 de la manifestation parisienne, le premier film sur lequel j’ai jeté mon dévolu fut They call her Cleopatra Wong, un film d’exploitation fauché produit entre Singapour et les Philippines pour une bouchée de pain à la fin des seventies. C’est dans la petite salle 100 du Forum des Images que le film de Bobby Suarez (crédité sous le pseudo George Richardson à la réalisation) était projeté. Sur le papier, la projection d’une vieille série B asiatique. Dans les faits, un petit évènement rare, les projections de Cleopatra Wong sur grand écran n’étant pas légion, celle-ci se faisant carrément en présence de son actrice principale, Marrie Lee. Cette dernière a beau n’avoir jamais vraiment eu de carrière au-delà de son personnage de Cleopatra Wong, celui-ci devint culte en Asie et au-delà auprès des amateurs du genre, au point parait-il d’avoir tapé dans l’œil de Quentin Tarantino qui serait fan de la miss Wong jusqu’à en avoir une fresque sur un mur de sa maison et d’avoir un peu lorgné sur elle (entre autres) pour créer le personnage de The Bride aka Black Mamba dans Kill Bill.

Je m’attendais à voir Cleopatra Wong programmé dans l’une des deux grandes salles du Forum, mais finalement la salle 100 aura permis au film d’afficher quasi complet et d’offrir à Marrie Lee une salle comble à saluer. Au premier rang, l’homme aux sacs plastiques était là, égal à lui-même, avec cet air affairé et perdu qui lui est propre alors que de tous il est certainement, toujours, le moins perdu. Après une courte introduction au cours de laquelle elle nous assura qu’elle serait présente en fin de projection pour nous raconter souvenirs et anecdotes et répondre à nos questions, elle se glissa donc sur un siège du rang devant le mien, pile devant mes camarades de Made in Asie qui en étaient aussi contents que moi.

Cleopatra Wong, c’est du cinéma d’exploitation franchement fauché , tourné d’après Marrie Lee pour 75.000 dollars, ce qui ne l’empêche pas de nous emmener à Manille, Singapour et Hong Kong, au côté de la fameuse miss Wong, agent d’Interpol qui va partir sur les traces d’un gang de faux-monnayeurs qui cachent leurs billets dans… de la confiture fabriquée dans un monastère. Non rassurez-vous ce ne sont pas les nonnes qui trempent là-dedans, celles-ci ont été prises d’assaut et séquestrées dans le sous-sol pendant que les trafiquants leur ont piqué les soutanes, en prenant le temps tout de même de cacher leurs flingues en dessous. A Cleopatra de mettre son nez dans cette sale histoire et d'aller distribuer les coups de tatane entre deux parties de jambes en l'air à 4 heures du mat' dans un hôtel de Manille !

Vous l’aurez compris, le scénario est bien fumeux comme on les aime dans les bonnes vieilles séries B d’exploitation (ou dans leur récent hommage Black Dynamite !), et visuellement, tout est réuni pour que le charme soit rehaussé par un doux n’importe quoi jubilatoire, des accents américains improbables des personnages asiatiques qui parlent tous bien anglais aux bruitages forcés absolument délicieux, des dialogues branlants tellement pas drôles qu’ils le deviennent à ces acrobaties parfois proprement ahurissantes (tiens, je vais sauter par-dessus le mur de quatre mètres de haut – sans élan ! – pour échapper aux méchants ! Facile !). Et qu’on ne s’y trompe pas, Marrie Lee riait tout autant que les spectateurs devant le spectacle souvent réjouissant, il est vrai pas gâté par un format vidéo tronquant l’image et donnant l’impression que le cadreur était bourré lors du tournage.

Après ce petit moment de joie, Cleopatra Wong herself se présentait donc devant nous pour nous raconter ses souvenirs d’aventures, ses cascades mortelles, et sans oublier au passage faire un peu de promo pour Singapour, à venir visiter absolument selon elle.

En fin de soirée, elle nous annonçait son projet de produire une nouvelle version de Cleopatra Wong, cherchant pour l’occasion des partenaires en Occident avant de partir à la recherche de celle qui pourrait incarner la Cleopatra Wong du 21ème siècle. Lorsque c’était elle qui, à peine plus âgée qu’une adolescente, s’était présentée à l’audition pour le rôle qui allait la rendre célèbre, elle l’avait fait après avoir lu une annonce demandant une jeune femme sexy, séductrice et intelligente. Elle avait 17 ans et avait décroché le rôle. Si vous répondez à ces critères, qui sait, peut-être pourriez-vous être la future Cleopatra Wong ? Moi j’aurais beau faire tous les efforts du monde, je crois que je n’aurai aucune chance. Snif.

mardi 5 juillet 2011

Chaw : un sanglier tueur attaque en DVD !

La première fois que j’ai eu envie de voir Chaw, j’étais en Corée du Sud. En vacances dans la péninsule d’Extrême-Orient, l’affiche du film de Shin Jung-Won s’étalait aux quatre coins du pays, des rues de Seoul à celles de Jeonju et Pusan. Un sanglier aux yeux particulièrement bestiaux fusillait du regard les éventuels spectateurs osant le défier, alors que j’ai finalement pour ma part préféré, cet été là, aller défier le tsunami géant d’Haeundae (sorti en DVD en France l’année dernière sous le titre The Last Day) puis les pentes vertigineuses de Take Off, les deux cartons du box-office coréen en 2009 avec respectivement 11 et 8 millions de spectateurs au compteur.

Il faut dire que je n’avais pas trouvé de salle projetant Chaw avec des sous-titres anglais, contrairement aux deux films qui m’avaient finalement attiré dans leurs filets. Deux ans plus tard, voici que Chaw, contre toute attente, débarque en DVD en France, conservant au passage le titre coréen original qui désigne ce sanglier mangeur d’homme terrorisant une petite bourgade de la province coréenne. Deux flics originaires de Seoul, deux chasseurs expérimentés et une jeune écologiste rêvant de reconnaissance universitaire vont allier leurs forces pour mettre la main sur cette bête étrange qui attaque et dévore les gens du village.

Je ne mentirais pas en écrivant que j’ai pu imaginer que Chaw avait des chances d’être un bon p’tit nanar. Le film a beau avoir fait plus d’un million et demi d’entrées en salles en Corée, un film de sanglier mangeur d’hommes reste un film de sanglier mangeur d’hommes. Il n’est jamais évident de prévoir à l’avance le ton d’un film coréen, tant ceux-ci parviennent souvent à naviguer avec aisance entre le premier et le second degré, et la bonne nouvelle c’est que Chaw joue sans hésitation la carte du second degré. Le film a beau s’atteler soigneusement à son atmosphère de film fantastique tendance « je vais vous sortir un monstre qui va vous foutre les chocottes », il a bien conscience du piège que pourrait constituer un abus de sérieux, et préfère embrasser la légèreté.

Il n’y a qu’à voir les personnages, ce jeune flic se retrouvant au fin fond de la campagne pour n’avoir pas pris son formulaire d’affectation au sérieux et se trimballant sa mère avec lui, ce chasseur encadré par deux finlandais pour taquiner les bébêtes, cette folle aux allures de sorcière se prenant pour une grand-mère, ou ce flic de la ville ne quittant pas ses lunettes de soleil. La galerie de personnages est colorée et place rapidement le film sur le ton de la comédie. Bien sûr un certain Bong Joon-Ho a montré par le passé que l’on pouvait faire du très grand cinéma avec le genre « film de monstre », mais en ne visant pas autre chose que la comédie, voire la parodie, Shin Jung-Won fait de Chaw un petit trip campagnard et faussement horrifique plutôt sympa.

La vision de ce sanglier géant et affamé de chair humaine n’est pas non plus la plus grande réussite visuelle qui soit (la séquence inattendue et étrangement drôle du sanglier de Welcome to Dongmakgol vient à l’esprit), mais en fin de compte, cela contribue à voir Chaw sous l’œil de l’humour, bien servi qu’il est par le jeu forcé adéquat de toutes ces têtes familières du cinéma coréen, notamment Yoon Jae-Moon du drama Iris et l’omniprésente Jung Yu-Mi, vue ces derniers mois dans deux Hong Sang Soo (Like you know it all et Oki’s Movie) et deux films présentés au Festival Franco-Coréen du Film 2010 (le délicieux Oishi Man et l’agaçant The Room Nearby).

J’ai beau préférer la salle au DVD, pour ces films coréens - et asiatiques en général - qui n’ont que peu de chance d’être exposés sur grand écran en France, le plaisir est grand de les voir officiellement à la portée des spectateurs français, même si ce n’est que sur petit écran. Et puis dans les prochains jours, J’ai rencontré le Diable et The Murderer sortent en salles, cela compensera largement. L’été sera au moins un peu coréen !

vendredi 1 juillet 2011

Blue Valentine et Beginners, l'indépendance a belle allure

Le hasard a voulu que Blue Valentine et Beginners sortent le même jour en salles en France. Les circonstances ont fait que je les ai vus l’un à la suite de l’autre un après-midi de juin. De loin, je ne m’attendais pas à trouver un point commun à ces longs-métrages. De près c’est une autre histoire, une histoire qui passe justement par la narration. Chacun des réalisateurs a choisi de ne pas raconter son histoire de façon linéaire, préférant laisser l’émotion chambouler le récit.

Blue Valentine est l’histoire de Dean et Cindy. Mariés depuis quelques années, parents d’une petite fille, leur couple est au bord de l’implosion. Pourtant tout avait si bien commencé entre eux, comme Derek Cianfrance, le réalisateur, va nous le raconter à coup de flashbacks bien dosés, à mesure que leur histoire prend fin sous nos yeux.
Beginners s’attache lui à Oliver, un trentenaire mélancolique qui vient de perdre son père. Ce dernier avait fait son coming out après la mort de sa femme, la mère d’Oliver, cinq ans plus tôt, après avoir tu son homosexualité pendant des décennies. Tandis qu’il rencontre une jeune femme qui le séduit, Oliver se remémore en désordre son enfance auprès de sa mère et les dernières années libérées de son père.

Le vent de liberté qui souffle sur ces deux longs-métrages les rapproche, autant que leur évidente mélancolie. Chez l’un, le couple, sa passion, les espoirs des débuts, les désillusions et les souffrances de la fin. Chez l’autre, les relations filiales, le deuil, la recherche de repères. Blue Valentine nous embarque sur une route amère où les émotions sont fortes, les explosions de joie et d’amertume traversent le film sans pudeur et portées par deux des meilleurs jeunes acteurs du cinéma américain, Michelle Williams et (le canadien) Ryan Gosling. Il est empreint de vérité dans son approche du sujet et son allant sans retenue.

Dans Beginners, la vérité est dans l’ADN, car le réalisateur Mike Mills raconte une histoire largement inspirée de la sienne, celle de ce fils qui apprend que son vieux père est resté dans le placard toute sa vie et en sort à l’approche de la mort. Le personnage central d’Oliver et son rapport à ce père disparu qui le hante encore n’en est que plus vrai. Ewan McGregor, un exemple parfait d’acteur se révélant meilleur de film en film, porte avec délicatesse le spleen du film traversé par ces éclairs de lumière face à Christopher Plummer.

Au sortir de ces deux films, un enseignement pas si éloigné se dégage, où l’on se dit que rien n’est acquis, ni l’amour, ni l’héritage familial. On a beau s’aimer et se ressembler, il arrive un temps où il faut prendre son envol et se définir par soi, et non uniquement par les autres, qu’ils soient vivants ou morts. Ou même canins.
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