mercredi 31 décembre 2014

Pourquoi j'ai aimé le cinéma en 2014

Et voilà, c’est déjà l’heure de ce billet. Une des traditions immuables du blog. Bien sûr, je publierai sous peu la liste de mes films préférés de 2014, mais il est bien difficile de résumer en quelques films toute une année cinéma. Les émotions, les rires, les déceptions, les rencontres, les surprises qu’elles soient bonnes ou mauvaises. Ces images qui resteront gravées, ces moments de cinéma qui se sont imprimés pour longtemps sur nos rétines avides d’images. Des films, j’en ai encore vu beaucoup cette année. Des petits, des grands, des verts, des rouges, des drôles et des tristes. Mais pourquoi, au fond, ai-je aimé le cinéma en 2014 ?

Parce que Ben Stiller m’a donné envie de faire le tour du monde.

Parce qu’un des films les plus irrévérencieux de l’année était également l’un des plus drôles. Merci Riad Sattouf de m’avoir emmené au Royaume des filles.


Parce que Bernard Menez est un bon acteur.

Parce qu’Amy Adams est belle à se damner dans « American Bluff ».

Parce que ma mère était excitée comme une ado quand je l’ai emmenée voir « Hipotesis » en avant-première et qu’elle s’est rendue compte que Ricardo Darin, un de ses acteurs préférés, était assis juste derrière nous, pendant tout le film.

Parce que Michel Vuillermoz parle aussi bien portugais que moi finnois, et que ça n’en rend la balade suisse vers la révolution des œillets que plus savoureuse.

Parce que les vampires de Jim Jarmusch sont électrisants.

Parce que je n’ai pas reconnu Bill Murray dans « Dumb & Dumber De ». En même temps avec la combinaison, c’était dur.

Parce que Matthew McConaughey est un grand acteur.

Parce que le film le plus déchirant que j’ai vu cette année sur grand écran datait de 1948, « Lettre d’une inconnue ».

Parce que les bruits de Recife sont hypnotiques.

Parce qu’il ne faut pas faire chier Liam Neeson, qu’il soit flic en Lego ou en avion.

Parce qu’Eva Green a beaucoup donné de sa personne, même si, malheureusement, c’était surtout dans de mauvais films.

Parce que monsieur Gustave est incarné par Ralph Fiennes.


Parce que j’ai vu Kevin Costner deux fois sur grand écran, malheureusement pour deux films dispensables (décidément).

Parce que ça vaut le coup d’attendre Spike Jonze quelques années.

Parce que Keanu Reeves est encore capable d’envoyer sévère dans des séries B fun. Et est assez cool en vrai.

Parce qu’on a eu droit à deux films de Xavier Dolan cette année.

Parce que je n’ai pas honte de dire que je me suis éclaté devant « Babysitting ». Mais par contre devant « Barbecue », pas du tout (mais pourquoi je suis allé voir ça moi, d’abord ?).

Parce que ça me fait toujours bizarre de voir un film avec Feodor Atkine, j’ai l’impression que je suis en train de voir un film étranger en VF. Mais non, le beau « Dans la cour » est bien en version originale française. Avec la voix de Jafar.

Parce que Nicolas Cage a fait un bon film cette année.

Parce que les trente premières minutes de « Godzilla » sont démentes. Celles qui suivent, moins.

Parce que le Quicksilver des X-Men est tellement cool que l’on sait déjà que celui des Avengers fera pâle figure à côté.

Parce que j’ai vu trois films absolument « WHAT THE FUCK ??!! » cette année. « Adieu au langage » de Godard, « Moebius » de Kim Ki-duk, et « Tusk » de Kevin Smith. Un Top 3 de films barrés.

Parce que le mec qui a pondu « Gangs of Wasseypur » a remis ça avec « Ugly ».

Parce que Hollywood est encore capable de produire un film comme « Edge of Tomorrow ».

Parce que je suis à peu près sûr qu’en fait, Maurice est un vrai Orang-Outan. Nan mais franchement, c’est pas possible, c’est un vrai singe celui-là !!!


Parce qu’en écoutant la BO de « Tristesse Club » sans le film, on croirait un film d’épouvante. Même avec le film, en fait.

Parce que « Bird People » a changé ma perception des moineaux.

Parce que j’ai vu Brie Larson en chair et en os.

Parce qu’on ne sort pas facilement de « Under the Skin ». Et moi je n’y suis pas entré facilement non plus, remarquez…

Parce que je suis parti à la recherche de Vivian Maier.

Parce que la magie du cinéma fait qu’une réalisatrice qui a réalisé « Cookie » avec Virginie Efira peut quelques années plus tard réaliser un film d’une belle mélancolie comme « Maestro ».

Parce que j’ai attendu « Boyhood » pendant douze ans. Et que cela valait chaque minute d’attente.

Parce qu’on ne sort pas de la voiture de Locke pendant 1h30.

Parce que contre toute attente, pour le moment, moi aussi j’aurais donné la Palme à « Winter Sleep ». J’en suis vraiment le premier surpris.

Parce que Denis Villeneuve a remis le couvert avec Jake Gyllenhaal. Qui a définitivement confirmé cette année qu’il est l’un des plus talentueux acteurs de sa génération.

Parce qu’au 22 Jump Street, on s’éclate autant qu’au 21.

Parce que je ne me lasse pas de la chanson « Party Girl » qui clôture le film du même titre.

Parce que « The Spectacular Now » est l’un des meilleurs teen movies apparus dans le cinéma américain ces derniers temps.

Parce que « Gemma Bovery » m’a rappelé que je suis amoureux de Gemma Arterton.

Parce que la caméra de « L’institutrice » n’est pas invisible.

Parce que le cœur de Benoît Poelvoorde balance entre Charlotte Gainsbourg et Chiara Mastroianni.

Parce que ce sont les mêmes mecs qui ont réalisé « La Grande Aventure Lego » et « 22 Jump Street », Phil Lord et Chris Miller. Et qu’il y a plus de séquences drôles dans ces deux films que dans tout le reste de l’année cinéma réunie (j’exagère, mais à peine).


Parce que je ne suis pas allé voir le 3ème « Hunger Games ».

Parce que j’ai vu « I Origins » sans savoir de quoi parlait le film.

Parce que « Still the Water » et « Timbuktu » auraient quand même mérité un prix à Cannes.

Parce qu’on a eu droit à un film avec Tyler Perry sur grand écran. C’était déjà arrivé ?

Parce que je suis retourné à la Géode.

Parce que l’affiche américaine de John Wick est superbe. Pourquoi le distributeur français a-t-il changé pour un visuel bien moindre ?!

Parce que je suis resté plusieurs minutes assis sur un banc des Champs-Élysées à discuter avec le réalisateur du drôle de thriller coréen « Intruders » alors qu’il ne parlait pas anglais et que mon coréen est… oui, il est ce qu’il est, hein.

Parce que je suis allé voir « Interstellar » deux fois.

Parce que le cinéma d’animation français est capable d’un film aussi inattendu que « Minuscule ».

Parce que le directeur adjoint du Publicis m’a poussé à aller voir « La fièvre des particules ». Et qu’il avait raison.

Parce que l’amour est étrange.

Parce qu’une lycéenne nommée Han Gong-ju m’a touché en plein cœur.

Parce que je n’ai vu aucun des « Hercule » sortis cette année. Mais je me demande quand même si y a eu des courageux (masos ?) qui sont allés voir les deux.

Parce que grâce à Mia Hansen-Love, j’écoute en boucle depuis un mois « Within » et « Veridis Quo » des Daft Punk.

Parce que les gens de la manif pour tous devraient tous voir « In the family ».


Parce que je suis à peu près sûr d’avoir plus ri que n’importe quel enfant devant « Astérix : le domaine des Dieux ».

Parce que dans « Les Pingouins de Madagascar », non seulement Werner Herzog prête sa voix à un réalisateur de documentaires animaliers, mais les scénaristes ont également eu cette folle et réjouissante idée de faire des jeux de mots avec les noms de Nicolas Cage, Drew Barrymore, Kevin Bacon, Hugh Jackman et quelques autres stars. Par contre en VF je me demande ce que ça donne.

Parce que l’été est encore plus court quand il s’achève sous les yeux de Koji Fukada.

Parce que j’ai fait une soirée « Sharknado » au Max Linder Panorama et que des requins nous tombaient dessus en plein film. Littéralement (bon, d’accord, des requins en plastique, mais quand même !).

Parce que je suis allé voir des films au ciné en Corée cette année.

Parce que j’ai pu voir « Anchorman 2 : légendes vivantes » d’Adam McKay et « Drug War » de Johnnie To sur grand écran, alors que tout le monde n’a pas eu cette chance.

Parce que « Tokyo Tribe » de Sono Sion m’a collé un sacré mal de crâne, mais que ça valait le coup.

Parce que « L’île du Docteur Moreau » de John Frankenheimer est un nanar, mais un nanar à l’histoire si incroyable qu’il a accouché d’un documentaire fascinant, « Lost Soul ».

Parce que j’ai vu sur grand écran des films d’Alfred Hitchcock, Ingmar Bergman, John McTiernan, Samuel Fueller, Billy Wilder, Jacques Tati, John Ford, Joseph Losey…

Parce que j’ai eu trois conversations avec Plastic Man (désormais un fidèle du Festival du Film Coréen à Paris). Si si, de vraies conversations, où il s’adressait à moi.

Parce que Everything is Awesome ! Everything is cool when you’re part of a team !

Parce que « L’homme qui tua Liberty Valance » m’a fait redécouvrir John Ford.


Parce que le solo de batterie de Miles Teller face au regard enragé et conquis de J.K. Simmons m’a mis en transe.

Parce que We are Groot.

Parce que “Bleak Night” est enfin sorti en salles en France, même si ça s’appelait « La Frappe ».

Parce qu’on a eu droit à un court-métrage et un long-métrage de Frederick Wiseman cette année. Le court durait 2h50. Le long, 4h. Et que dans les deux cas il n’y avait pas une minute en trop.

Parce que Vincent Lacoste a enchaîné « Jacky au Royaume des Filles », « Hippocrate » et « Eden ».

Parce que Don Johnson est terriblement cool.

Parce que le Hong Sang-soo annuel était délicieux.

Parce que Vincent Macaigne a enchaîné « Tonnerre », « Tristesse Club » et « Eden ».

Parce que je me suis retrouvé sur la scène du Publicis avec Kim Yun-seok. Oui oui, l’ex-flic devenu proxénète de « The Chaser ». A côté de moi. Sur scène.

Parce que j’ai déjà vu « Haemoo », « Hard Day » et « It Follows », et que je compte bien les revoir quand ils sortiront en salles en 2015.

Parce que les cinéastes français offrent de plus en plus de rôles à Pascal Demolon. En même temps c’est normal il est toujours formidable. Ils devraient tous lui en offrir.

Parce que l’Orient-Express me manquera, malgré la tuyauterie bruyante, le RER et les souris.

Parce que si j’ai une fois de plus manqué l’occasion de voir Gong Li en chair et en os, j’ai au moins pu la voir sur grand écran. Dans un bon film en plus.


Parce que c’était peut-être la dernière fois que je voyais un nouveau film de Hayao Miyazaki sur grand écran.

Parce que « Braddock America » n’était pas un film sur Chuck Norris. Quoi qu’en fait, j’aurais encore plus aimé le cinéma en 2014 si ça avait été le cas.

Parce que 22 Jump Street a l’un des meilleurs génériques de fin de l’histoire des génériques de fin.

Parce que si je n’ai pas fait le tour du monde, j’ai vu cette année des films espagnols, coréens, argentins, japonais, anglais, danois, chiliens, polonais, suisses, brésiliens, chinois, italiens, canadiens, belges, taïwanais, suédois, australiens, indiens, turques, israéliens, norvégiens, indonésiens, allemands, vénézuéliens, irlandais, russes, mauritaniens, hongrois, français et américains. J’ai oublié quelqu’un ?

mardi 23 décembre 2014

« Au revoir l’été » : ne cachez pas ce beau film que nous voulons tant voir !

Cette année les billets se sont faits rares dans ces pages, et je n’ai pas pu aborder tous les films qui me sont allés droit au cœur. Mais je ne pouvais passer sous silence « Au revoir l’été », parce que le film le mérite trop, et (peut-être plus important encore) parce que les personnes qui devraient être les premières à défendre le film, les exploitants, ne semblent pas franchement décidées à le faire.

« Au revoir l’été » est sorti il y a quelques jours, le 17 décembre dernier. C’est un film d’auteur japonais, passé et récompensé par moult festivals, appuyé par d’élogieuses critiques, et – pour ce qui est de la capitale – programmé dans quelques cinémas majeurs de la cinéphilie parisienne : l’Arlequin, l’Escurial, le MK2 Beaubourg, le Saint-André-des-Arts et le Majestic Bastille. Sur le papier, un tel film semble avoir ce qu’il faut pour se faire un nom dans les salles Art & Essai de Paris et trouver son public. Les salles de cinéma que j’ai citées offrent chaque semaine une belle programmation, avec pour habitude de défendre les films qu’ils choisissent.

Quelle ne fut donc pas la surprise des cinéphiles mercredi dernier, le jour de la sortie d’ « Au Revoir l’été », lorsque nous (je m’inclue dedans) avons découvert que les exploitants proposant le film à Paris semblaient s’être passé le mot pour écraser le potentiel du film à son strict minimum, et offrir aux spectateurs parisiens désirant le voir (un désir légitime étant donnée la réputation du film) le minimum syndical au niveau des possibilités de séances. Des cinq cinémas que j’ai cités plus haut programmant le film à Paris, un seul (!), oui un seul, lui a réservé des séances toute la journée. Le Saint-André-des-Arts, à Saint-Michel. Séances à 14h, 16h20 et 20h35.

Les quatre autres cinémas ? L’Arlequin, séances uniquement le samedi et le dimanche à 11h10. C’est tout. L’Escurial ? Jeudi à 11h25, Vendredi, Samedi et Lundi à 11h. Le Majestic Bastille ? Vendredi à 11h10, Samedi, Dimanche et Lundi à 11h. Le MK2 Beaubourg ? Tous les jours à 11h30 et 18h40. Bon, ce dernier offre un peu plus de possibilités, mais contrairement aux autres ce cinéma possède six salles.

Par quel malheureux hasard quasiment tous les cinémas projetant « Au revoir l’été » ont-ils choisi d’offrir si peu de séances aux spectateurs, dès la première semaine d’exploitation du film ? Celui qui se retrouve lésé dans l’affaire, en plus du film lui-même, bien sûr, et de son distributeur qui j’en suis sûr espérait de meilleurs horaires pour son film de la part de tels cinémas, c’est le spectateur. Vous et moi qui guettions la sortie du film ou nous sommes laissés tenter au hasard de la lecture d’une critique du film (toutes excellentes), et avons donc ouvert notre Pariscope ou consulter Allociné pour voir où et à quelle heure nous pourrions voir le film.

Bien sûr, je me doute déjà de ce que vont répondre les exploitants. Trop de films sortent chaque semaine (et il est vrai que la semaine du 17 décembre, première des vacances de Noël, est particulièrement féconde en films), et afin d’offrir une fenêtre à chacun des films qu’ils souhaitent passer, impossible de tous les passer toute la journée. Mais que quasi toutes les salles programmant CE film en particulier aient décidé de lui réserver le même sort, à savoir presque uniquement des séances matinales, alors qu’il s’agissait peu ou prou de celui bénéficiant des meilleures critiques (à juste titre), cela envoie un mauvais message aux yeux des spectateurs. Un mauvais message à propos du film, qui ne mériterait donc pas mieux, et un mauvais message quant à l’implication du cinéma.

A l’Arlequin où j’ai vu le film le weekend dernier, alors donc que le film était une nouveauté de la semaine, RIEN ne signalait la présence du film dans ce cinéma. Aucun signe extérieur qui indiquerait au spectateur potentiel flânant devant le cinéma que ce beau film japonais récompensé en festivals et loué par la presse, « Au Revoir l’été », était visible dans cette salle. Pas d’affiche. Pas de mise en avant dans les vitrines où tous les autres films à l’affiche sont mis en avant. Rien. Ah si pardon. Sur l’une des feuilles épinglée dans l’une des vitrines du cinéma, dans un coin de page, cette mention « Films de matinée », suivi du titre des trois ou quatre films projetés uniquement le matin avec les horaires. Et parmi ces titres, très anonymement, apparaissait enfin « Au Revoir l’été », sans rien d’autre que ce titre et ses horaires. Prenez votre loupe pour remarquer cette mention.

Résultat, en ce dimanche matin, les gens étaient un peu perdus sur le trottoir de la rue de Rennes, ne voyant nulle mention du film qu’ils étaient venus voir. J’entendais autour de moi les gens s’interroger « C’est pas ici qu’ils passent « Au revoir l’été » ? », « « Pourquoi ce n’est pas indiqué qu’ils passent le film japonais ? Tu es sûr que c’est là ? », « Ah si tiens regarde, tout en bas de la feuille là, ils l’ont écrit. Mais c’est pas cette semaine qu’il est sorti le film ? On dirait pas… ».

La salle, au bout du compte, n’était (heureusement !) pas loin d’afficher complet (merci les critiques). Et le film nous a donc embarqués vers une petite ville japonaise de bord de mer, un jour de la fin d’été. Sakuko et sa tante Mikie viennent y passer quelques jours, la première pour réviser avant son entrée à la fac, la seconde pour finir son travail de traduction. Mikie a passé sa jeunesse ici, et elle va faire découvrir le coin à sa nièce. Le charme d’ « Au revoir l’été » opère rapidement, offrant le visage d’une douce chronique provinciale à l’heure où les citadins sont repartis et où le calme retombe, alors que les beaux jours persistent.

Le réalisateur Koji Fukada observe, suit, écoute ces moments de creux de la vie où se dessine la mélancolie du présent, pris entre un passé dont on ne veut plus parler et un avenir trop incertain. Le film est fait de cette simplicité qui parvient à nouer des sentiments profonds, où la langueur quotidienne est riche et où les personnages prennent vie de façon éclatante. J’en suis sorti dans cet état de flou duquel on émerge lorsque l’on retourne à sa propre réalité après avoir découvert un film qui vous a emporté dans sa douce poésie. J’ai voulu en sortant du cinéma jeter un œil en arrière, vers l’affiche du film, pour retrouver un instant le si doux visage de Sakuko (l’actrice Fumi Nikaido, remarquée dans « Why don’t you play in Hell ? » de Sono Sion) et ces quelques jours que j’ai passés en sa compagnie, racontés en deux heures. Et je me suis souvenu que l’affiche n’était pas là. L’au revoir au film était imparfait, mais « Au revoir l’été », lui, restera.

P.S. : le sort du film ne sera pas meilleur dans les salles parisiennes dans les jours qui viennent, puisqu’au MK2 Beaubourg les séances passent à 9h25 et 21h25 en deuxième semaine, et qu’à l’Escurial et au Majestic Bastille, le film ne passera plus respectivement qu’à 11h du matin lundi et mardi matin prochains. A l’Arlequin et au Saint-André-des-Arts, les séances restent sensiblement les mêmes. Dépêchez-vous !

jeudi 11 décembre 2014

« Les ascensions de Werner Herzog » : deux escalades la mort en face

Il va falloir que je profite de la rétrospective consacrée à Werner Herzog au Grand Action pour améliorer mes connaissances de ses longs-métrages de fiction, car en regardant sa filmographie, je me rends compte que j’ai plus consacré mon temps à voir ses documentaires. Ils sont rares les cinéastes à être capables de nous offrir des films importants dans la fiction comme dans le documentaire, mais Herzog en fait partie.

Ces jours-ci vient de sortir en salles « Les ascensions de Werner Herzog », titre sous lequel on trouve deux documentaires du cinéaste allemand d’une quarantaine de minutes chacun, l’un réalisé en 1977, l’autre en 1984, avec pour cadre commun la montagne et couplés pour l’occasion d’une sortie en salles. Le premier, « La Soufrière », voit Herzog filmer le volcan guadeloupéen en 1976, alors qu’une éruption menace et que la ville adjacente de Basse-Terre a été évacuée devant le danger imminent. Herzog lui, trompe-la-mort devant l’éternel, se balade sur les flancs du volcan suintant de gaz à la rencontre d’une poignée d’hommes ayant choisi de ne pas quitter la montagne et d’affronter ce qui adviendra.

Le second film, « Gasherbrum, la montagne lumineuse », tourné huit ans plus tard, voit cette fois le réalisateur filmer deux alpinistes européens (italien et allemand) escalader deux sommets himalayens, les Gasherbrum. La possibilité de découvrir ces deux périples en hauteur sur le bel écran de la salle Langlois du Grand Action a eu raison de mon hésitation (tellement de films à voir, il faut faire des choix).

La Grand Action semble aimer faire commencer ses films à des horaires simples à retenir pour ses spectateurs, à savoir les heures et les demi-heures, et les séances des « Ascensions de Werner Herzog » en sont la preuve, puisque malgré une durée d’1h15 des deux documentaires, et une séance (bandes-annonces + publicités) affichant 15 minutes, soit au total 1h30 exactement entre le film projeté et les pubs, les séances étaient cette semaine… toutes les 1h30. 14h, 15h30, 17h… Des séances enfilées les unes derrières les autres à un rythme qui pourrait faire pâlir de jalousie le directeur de l’UGC Ciné Cité Les Halles. Mais au Grand Action il s’agit plus de proposer les séances à des horaires reconnaissables que de maximiser la rentabilité de la journée, contrairement aux Halles (même si l’inconfort qui en résulte est le même).

En conséquence nous sommes entrés en salles à 17h05 pour une séance à 17h (hum…). Mais finalement ce qui m’a le plus inquiété, c’était ce spectateur assis juste dans mon dos, qui avait traîné avec lui dans la salle un immense sac à dos et un carton vide et déplié. Ce n’est pas tant ce qu’il avait avec lui qui m’inquiétait que sa propension, pendant les bandes-annonces et publicités, à maugréer avec insistance dans sa barbe inexistante. Quand parmi ses borborygmes inintelligibles, je capte enfin un « Mais qu’est-ce que ça peut te foutre ? », j’imagine un petit Syndrome de La Tourette… mais finalement une fois l’ascension de La Soufrière commencée, je ne l’ai plus entendu. Peut-être ne faisait-il que s’adresser à moi, ayant détecté avec ses antennes que mes oreilles étaient tournées vers lui…

Toujours est-il qu’il s’est tu, et c’est peut-être grâce à cette même fascination qui s’est vite emparée de moi à la vision du film de Werner Herzog, qui l’aura rendu silencieux comme moi j’étais absorbé. Absorbé par ces escalades à haut risque, non pas tant par une curiosité morbide qui peut pousser l’être humain à attendre qu’un de ses congénères soit emporté dans une catastrophe, mais absorbé par le regard et le discours de Herzog, comme c’est souvent le cas dans les documentaires de l’allemand. Absorbé par le questionnement de ce qui peut pousser l’homme à mettre sa vie en danger, plus que par le danger lui-même. Que ce soit en 1976 ou en 1984, en Guadeloupe ou dans le Nord du Pakistan, que l’on vive sur le flanc d’une montagne ou que l’on se contente d’y passer quelques jours pour se dépasser et toucher la mort du doigt.

Les deux documentaires d’Herzog ont beau avoir trente et quasi quarante ans d’existence, ils sont hors du temps.

mercredi 26 novembre 2014

« A Cappella », le cinéma coréen frappe dans l’ombre

C’était un jour de février 2014. A neuf mois du lancement du Festival du Film Coréen à Paris, je visionnais le tout premier film d’une longue série, afin de sélectionner les films qui seraient projetés au Publicis en octobre. Si je suis amené à aller fréquenter d’autres festivals ici ou ailleurs pour découvrir certains films coréens, la plupart des films que j’ai regardé pour le FFCP cette année, je les ai vus en screener envoyé par les distributeurs, sur petit écran.

Ce fut le cas d’ « A Cappella » en ce jour de février 2014. Le film n’avait pas encore ce titre français et était uniquement connu comme « Han Gong-ju », le film qui quelques semaines plus tôt s’était vu remettre des mains de Martin Scorsese lui-même l’Étoile d’Or du Meilleur Film au Festival International du Film de Marrakech, le cinéaste américain présidant le jury étant tombé amoureux du film. Ma motivation n’en fut que plus grande de glisser le DVD dans le lecteur pour découvrir le film.

Neuf mois plus tard, je me souviens encore de l’état dans lequel m’a laissé le film. Des pensées qui m’ont traversé. L’une des premières d’entre elles fut que j’avais probablement vu là, dès mon premier visionnage, le meilleur film coréen que j’aurais à voir en 2014 pour préparer le festival. C’est un drôle de sentiment, de savoir que l’on jugera malgré soi 120 films qui suivront à l’aune de ce tout premier qui a mis la barre si haut. Heureusement parmi les quelque 120 films qui suivirent, nous avons trouvé d’autres pépites.

Mais il a suffi d’un premier film pour quasiment réserver d’emblée une place parmi la sélection pour un film découvert en février. Et ce film, que nous avons donc projeté au Publicis dans le cadre du festival, en présence de son réalisateur Lee Sujin, il y a presque un mois maintenant, vient de sortir en salles en France, grâce à Dissidenz, qui déjà au printemps dernier avait donné sa chance dans les cinémas français à deux films passés par d’autres éditions du FFCP, « Suneung » (ou « Pluto ») et « La Frappe » (ou « Bleak Night »). Si vous n’avez pu voir ces deux-là en salles, rattrapez-vous en DVD, ils valent le détour.

A tous ceux qui, ces jours-ci, me demandent ce qu’il faut aller voir en salles, je n’ai pas besoin de réfléchir pour les orienter vers « A Cappella ». Parce que je suis fier qu’on l’ait passé au festival, parce qu’il faut soutenir tout film coréen qui parvient à sortir en salles en France tant ils sont devenus rares, et tout simplement parce que cet « A Cappella » est l’un des films les plus forts de l’année. Je ne m’épancherai pas trop dans ces lignes sur le sujet du film, car il s’agit bien là d’un film dont l’impact est plus fort si l’on s’y plonge en en sachant le moins possible. Tout juste puis-je vous dire qu’il s’agit d’une lycéenne, Han Gong-ju donc, qui change de lycée en cours d’année. Elle s’installe dans un nouveau quartier, une nouvelle maison, une nouvelle école, loin de tumultes connus dans le précédent.

« Han Gong-ju » a été pour moi un coup de poing déchirant, similaire à celui que m’avait flanqué « Breathless » il y a quelques années. Un film bouleversant sur la lâcheté ordinaire, le malaise et le silence qui pèsent lourd quand il s’agit d’affronter un drame que la société coréenne semble avoir du mal à appréhender. A l’aide d’un scénario méticuleux qui fait monter l’angoisse à la manière d’un thriller, « A Cappella » pose un regard noir et amer sur une Corée dans laquelle personne ne semble capable d’aller à contrecourant de ce que la société écrasée de convention attend d’eux.

Pour un premier long-métrage, « A Cappella » fait preuve d’une maîtrise et d’une intelligence cinématographiques qui augurent du meilleur pour l’avenir du cinéaste Lee Sujin. Et pour le spectateur, il s’agit là d’un film dont il est difficile de se détacher. Un film qui vous colle à la peau longtemps après l’avoir vu. Les salles à le projeter sont rares (je suis retourné le voir au Reflet Médicis à Paris). Ne perdez pas l’occasion de le voir sur grand écran.

mardi 18 novembre 2014

J’ai voyagé vers les étoiles sur grand écran

J’ai longtemps pensé que j’étais allergique à la science. « Longtemps » et « allergique » étant deux termes tout à fait relatifs. Disons que mes années lycée ont créé une distance certaine entre mes goûts personnels et la science, alors qu’enfant je rêvais des étoiles avec un planisphère stellaire phosphorescent accroché au mur de ma chambre.

Pourtant si mon intérêt pour la science s’est indubitablement étiolé, une part de curiosité et de fascination est demeurée. Une fascination entretenue par ces ciels nocturnes dégagés, hors de la ville, où la tête levée vers les étoiles nous confronte à l’immensité spatiale, mais une fascination également entretenue par le cinéma, et mon amour de la science-fiction. Si je me sens très bien les pieds sur terre, l’espace est un terrain de jeu cinématographique grisant qui m’appelle inlassablement, et dès qu’un film prend l’infini spatial pour cadre, j’y suis irrémédiablement attiré. Au fil du temps, c’est donc aussi les aventures SF sur grand écran qui m’ont peu à peu réconcilié avec les sciences, par le biais de l’astronomie, l’astrophysique, et toutes ces sciences se projetant là-haut.

Et voici qu’en l’espace de dix jours à peine, trois films m’ont envoyé en l’air, chacun à sa façon, et chacun avec brio. Deux d’entre eux sont des documentaires. Le premier, je l’ai vécu en Imax, à la Géode, un sombre soir où il n’y avait pas foule dans la salle de La Villette, et où j’ai presque littéralement plongé dans « Hidden Universe », ce documentaire s’intéressant aux télescopes géants du désert d’Atacama au Chili, qui scrutent les confins de l’univers. Avec lui je me suis senti partir à des millions d’années-lumière, retrouvant par lui mes sensations d’enfant découvrant le pouvoir d’une salle Imax, et mes rêves de gosses avec ce ciel phosphorescent plaqué sur mon mur.

Puis ce fut au tour du Publicis de me faire voyager vers les étoiles, avec « La fièvre des particules » (Particle Fever), un fascinant documentaire sur le LCH du CERN, ce centre de recherche européen situé en Suisse où des milliers d’hommes et de femmes ont construit cette anneau géant de 27 kilomètres permettant de faire s’entrechoquer les particules pour recréer les conditions du Big Bang et analyser les particules qui composent l’univers. Une observation de plusieurs années pour voir ces scientifiques tenter de mettre à jour le fameux Boson de Higgs. Deux documentaires qui parviennent, entre les mailles de la science, à faire naître une certaine forme d’émotion en nous mettant face à cet infiniment grand qui nous englobe.

L’émotion berce également le troisième film que j’ai vu ces jours-ci et qui m’a permis lui aussi de concilier ma vieille histoire avec les étoiles et mon actuelle histoire avec le cinéma. « Interstellar », de Christopher Nolan. Évidemment. Le réalisateur britannique s’est taillé au fil de ses films une image de cinéaste ambitieux et appliqué, à la mise en scène impressionnante, mais où l’émotion n’était que circonstancielle, pour ne pas dire absente. Il la prend ici à bras le corps.

« Interstellar » se veut à la fois une odyssée humaine épique s’interrogeant sur le courage et le rapport de l’homme à sa mortalité, sur sa capacité et son besoin de repousser ses limites, et sur notre rapport à la nature. Mais c’est également une exploration bien plus intime des relations filiales, et plus particulièrement des rapports père/fille. Et l’émotion devient prégnante dès lors que l’odyssée épique et l’exploration de l’intime s’entrechoquent.

Le film de Nolan a des défauts évidents. Il est parcouru de quelques raccourcis scénaristiques qui risquent plusieurs fois de le faire dérailler. Paradoxalement, « Interstellar » est le film le plus ambitieux, le plus courageux de Nolan, mais également l’un des plus bancals. Et pourtant, peut-être son meilleur.

L’une des grandes réussites du film, malgré quelques faux-pas, est ce jeu sur la temporalité, un jeu qui n’en est pas un puisque le temps est ici, en fait, le cœur du récit d’où découle la dramaturgie. Nolan s’en sert pour nous mettre face à l’un des grands fantasmes humains, traverser le temps, tout en nous confrontant à l’une de nos plus grandes peurs, la solitude.

Il y a tant de choses qui s’entremêlent  dans « Interstellar », le romanesque et le scientifique, le courage et la peur, l’exaltation et l’émotion. Il y a tant d’envie que l’ambition et la puissance du film prennent le pas sur les maladresses du scénario. Nolan vient nous prouver, un peu malgré lui certes, que l’imperfection n’empêche pas la grandeur.
Voilà de nombreuses années que j’ai compris que je n’étais pas un scientifique, mais il suffit d’être un rêveur pour se laisser emporter dans les étoiles avec « Hidden Universe », « La Fièvre des Particules » et « Interstellar ».

jeudi 31 juillet 2014

Boyhood réinvente le temps qui passe sur grand écran

« Boyhood » aurait pu s’intituler « Life ». Richard Linklater aurait probablement trouvé cela trop prétentieux, pourtant jamais auparavant un film n’a semblé s’approcher autant de la description la plus juste qui soit du temps qui passe. « Boyhood » aurait pu n’être qu’un film concept, une idée incroyable n’aboutissant pas à un film à la hauteur. Ce n’est pas le cas. Avec une simplicité désarmante et un savoir-faire remarquable, Linklater tisse douze ans d’une vie comme on n’a pas l’habitude d’en voir sur grand écran.

Je me souviens de l’annonce du projet « Boyhood ». Une annonce qui avait plus des allures de rumeur tant il semblait improbable qu’une telle entreprise cinématographique indépendante puisse arriver à son terme. Un film dont le tournage s’étalerait sur plusieurs années, à raison de quelques jours de prises de vue par an, pour filmer au mieux le temps qui passe et les personnages qui vieillissent.

C’était au tout début du siècle que l’on a entendu parler du projet de Linklater, alors que l’Amérique était tout juste en deuil du World Trade Center. Cela semble encore si proche, et pourtant déjà si loin. Ethan Hawke venait d’être nommé aux Oscars pour « Training Day », et Patricia Arquette sortait du premier long-métrage réalisé par Michel Gondry, « Human Nature ». Je me souviens que régulièrement au cours des douze dernières années, je me suis demandé si Linklater n’avait pas abandonné son projet, où il en était du tournage… Des années au cours desquelles j’ai attendu. Espéré, patient.

Jusqu’au jour où enfin, le film s’est matérialisé. A la fin de l’année 2013, « Boyhood » a été annoncé à Sundance et à Berlin, où il a remporté l’Ours d’Argent du Meilleur Réalisateur. Ça y était. Enfin. Douze années à attendre un film qui n’est pas réalisé par Terrence Malick, habituellement champion des films se faisant désirer. Douze années mettant une pression terrible sur le film. Si jamais le film n’avait pas été à la hauteur de ce projet au long cours, quel impact cela aurait-il eu sur Richard Linklater et sa motivation de cinéaste ? Cette question, nous n’avons heureusement pas à la poser. Car le réalisateur, qui avait déjà superbement expérimenté sur l’art de suivre des personnages grandissant et vieillissant au même rythme que ses comédiens avec sa trilogie « Before » (comme Truffaut avec son Antoine Doinel ou la série de documentaires « Up » de Michael Apted), a magnifiquement utilisé ces douze années.

Pas évident sur le papier de réaliser un film sur douze ans, par petits bouts de-ci de-là, tout en lui imprimant une cohérence, une vision et une sincérité aussi forte que celles qui parcourent « Boyhood ». On y suit Mason de ses six ans à ses dix-huit ans. Du petit garçon au jeune homme. Boyhood est l’histoire d’une vie, de vies, celle d’un garçon grandissant, mais aussi celle d’une famille, celle d’une mère célibataire élevant ses deux enfants, celle d’un père absent qui cherche à se rapprocher de ses enfants. Le temps passe, les gens grandissent, vieillissent, les sentiments naissent ou s’étiolent, les rêves germent ou s’évanouissent, les routes se font droites ou sinueuses, mais quoi qu’il arrive, le temps s’écoule et la vie se déroule sous nos yeux.

« Vie » est un terme crucial, car Richard Linklater a su insuffler à son film un caractère vivant, parsemant le récit d’indices sociétaux, culturels, politiques qui à l’époque où il les a filmés n’étaient que l’actualité du moment, mais qui aujourd’hui se regardent et s’écoutent comme les marqueurs de temps d’une époque, des marqueurs qui s’insèrent avec une évidence due à la nature même du film, tourné « en temps réel », à chaque instant de ces moments dépeints.

Pendant 2h45, on se sent revivre ces douze années écoulées, on se sent impliqué dans le film, dans ces personnages, dans ce qu’ils traversent. C’est leur vie qui se déroule sous nos yeux, et c’est notre vie que l’on ressent en écho. J’ai attendu douze ans que Richard Linklater mène à bien son projet. J’ai grandi, vieilli, vécu plus d’une décennie en guettant son film. Et l’espace de deux heures et quarante-cinq minutes, j’ai oublié que j’ai attendu ce film pendant presque un tiers de ma vie. J’ai vécu une vie de plus. Et j’en suis sorti différent.

mercredi 23 juillet 2014

La 4D existe déjà dans les salles de cinéma parisiennes (il suffit de s’asseoir devant le bon spectateur)

Le même weekend au cours duquel « Under the Skin » s’est dérobé à moi une première fois, mes nerfs ont été mis à rude épreuve devant un autre film. L’adage « L’enfer, c’est les autres » est rarement aussi vrai que dans une salle de cinéma où la qualité de l’expérience est également dépendante de la qualité humaine des spectateurs qui nous entourent.

Le problème du comportement des êtres humains devant une projection cinématographique peut souvent s’avérer fatal car nombre d’entre eux se croient dans leur salon lorsqu’ils s’assoient dans une salle de cinéma. Le film leur appartiendrait à eux seuls, et ils pourraient s’y comporter comme bon leur semble puisqu’après tout lorsqu’ils regardent un film chez eux, ils bougent, ils parlent, et personne ne s’en plaint. Alors pourquoi quelqu’un s’en plaindrait-il lorsqu’ils se trouvent au cinéma, qui n’est manifestement à leurs yeux qu’une version géante de leur salon.

Combien de fois ai-je dû demander à un voisin de salle de ne pas commenter le film ? Combien de fois ai-je dû me retourner pour demander au spectateur assis derrière moi de ne pas s’appuyer sur mon siège comme s’il était un repose-pied ? Si j’avais dû compter j’aurais probablement déjà pu publier un roman sur ces spectateurs égocentriques. Je me suis même déjà vu accusé d’égocentrisme moi-même car je ne respectais pas la façon de ces spectateurs de vivre un film au cinéma. Cela m’a fait gentiment sourire.

Je ne reprocherai jamais à un spectateur de pleurer bruyamment ou de rire trop fort devant un film, mais il y a certaines choses que personne ne devrait laisser passer. Ce weekend devant « Jersey Boys » de Clint Eastwood, j’ai rencontré un de ces individus pour qui les spectateurs qui l’entourent dans une salle de cinéma sont des figurants comblant les fauteuils mais n’ayant pas grand-chose à redire à la façon dont il se comporte. Le film étant sorti depuis quasi un mois sans grand succès, la salle était petite, une soixantaine de places tout au plus, et elle s’est donc retrouvée pleine.

Le spectateur en question n’était même pas assis directement derrière moi, mais derrière mon amie qui avait choisi ce fauteuil pour être plus tranquille sur la travée. Raté. Dès les publicités, les jambes du spectateur assis derrière elle remuaient son fauteuil dans tous les sens. Le film était commencé depuis quelques minutes à peine que déjà je me retournais pour lui lancer le regard noir que je réserve à ces situations (si si). Sans effet.

Le film de Clint Eastwood dure 2h15, et cela peut sembler bien long lorsque le mec de derrière colle ses jambes à votre fauteuil et les bouge constamment pendant tout le film. Je pense que cette séance rentre dans le Top 3 du nombre de fois où je me suis retourné pour, hum, manifester mon mécontentement envers un autre spectateur. Je ne me retourne pas dès qu’un spectateur donne un coup dans mon fauteuil, avec le temps j’ai appris à reconnaître un coup involontaire dans le fauteuil, ce qui peut arriver à tout le monde, surtout aux grands, d’un coup ressenti parce que la personne installée dans mon dos choisit d’utiliser mon fauteuil (ou celui de la personne assise à côté de moi) comme un repose-pied ou un repose-jambe.

Et pour le fameux spectateur de « Jersey Boys », le fauteuil de mon amie était le prolongement évident de son propre fauteuil, et il lui appartenait naturellement. J’ai eu beau me retourner et lui demander d’abord diplomatiquement s’il pouvait arrêter de s’appuyer sur le fauteuil et d’y donner des coups, aucune réaction, aucun mot. Plus tard j’ai dû recommencer en me redressant et en agitant mon bras dans son champ de vision, le hélant d’un « Hé ho ! Hé ho je vous parle !! » pour l’obliger à regarder vers moi et à me confronter, mais il continuait à faire comme si je n’étais pas là, alors que le spectateur assis à côté de lui, qui ne l’accompagnait pas, voyait bien lui le problème.

C’est après ces nombreuses tentatives ne produisant aucun effet que j’ai commencé à jouer des coudes. Puisqu’il ignorait mes gestes et mes mots, j’ai décidé de tester s’il ignorerait mes coups de coudes. L’espace entre mon fauteuil et celui de mon amie laissait largement passer mon coude, et j’ai donc commencé, à chaque fois qu’il labourait nos fauteuils avec ses jambes, de lui envoyer des coups de coudes dans les tibias (en prenant bien soin de ne pas me tromper de voisin). J’ai dû lui décocher six ou sept coups de coudes, mais évidemment, aucune réaction.

Les spectateurs robots existeraient donc ? Non je pense qu’un robot aurait plus de réaction. Mais c’est alors que je n’en attendais plus de lui qu’il a enfin daigné ouvrir la bouche et confirmer qu’il n’était donc ni sourd, ni aveugle. Alors que je me penchais vers lui pour lui demander « Mais rassurez-moi, on ne vous dérange pas, au moins ? », il a finalement daigné répondre en posant ses yeux vers moi (pour la première fois en deux heures) : « Ah non non, ça va ». « Ah bon ? J’avais un doute pourtant depuis le début » lui ai-je répondu à mon tour. A quoi il a conclu par un second « Non non » avant de reporter son regard sur l’écran.

Connard. Ah non pardon. MONSIEUR Connard. Des connards j’en ai croisé dans les salles de cinéma, mais lui cherchait à concourir dans la catégorie supérieure, alors il mérite bien un Monsieur devant son « connard ».  Le film à peine terminé je me suis tourné vers lui, prêt à faire exploser ma rage, mais Monsieur Connard avait déjà décampé. J’ai à peine eu le temps de l’indiquer du doigt à mon amie qui voulait savoir qui était l’empaffé qui avait remué son fauteuil pendant 2h15 comme si elle était en train de regarder Transformers en 4D dans une salle high-tech asiatique. Mais ce n’étaient pas des robots géants chevauchant des dinosaures. Ce n’était que les Four Seasons et leurs tubes à la pelle. Et si Clint avait choisi d’utiliser leur « Beggin’ » dans le film, Monsieur Connard aurait-il été plus enclin à répondre à mes suppliques ?

mercredi 16 juillet 2014

« Under the Skin », voyage en deux fois avec Scarlett Johansson

Gaumont Parnasse, salle 9, 16h30. On est vendredi et je presse le pas pour ne pas rater le début de la séance de « Under the Skin » de Jonathan Glazer. Depuis un certain jour d’avril 2000 et l’apparition de la carte UGC Illimitée, il y a quatorze ans déjà, je ne fréquente plus beaucoup les salles Gaumont. Mais j’aime trop naviguer d’une salle de cinéma à une autre pour ne pas de temps à autre m’aventurer hors des salles « illimitées ». Il m’arrive de m’engouffrer dans une salle Gaumont ou Pathé, comme l’année dernière lorsque j’ai testé le Pathé Beaugrenelle pour voir la deuxième partie du Hobbit en Dolby Atmos (une petite déception d’autant qu’il faut y choisir sa place à la caisse, une problématique qui m’a rappelé les salles de ciné coréennes).

Quand je discute qualité de salles avec un adepte de la carte Gaumont/Pathé, celui-ci (ou celle-ci) me vante en général la qualité technique accrue dans ces salles en comparaison des salles UGC. C’était donc une occasion de vérifier s’ils avaient raison. D’autant que je suis un spectateur, hum, un peu maniaque, qui voudrais que chaque projection se déroule parfaitement, sans accroc, sans mauvaise surprise. Que rien ne me sorte du film que je suis venu voir. Ni bavardage, ni bagarre, et si les spectateurs sont la plupart du temps ceux qui risquent le plus de gâcher un film, ni problème technique non plus.

Lorsque je suis entré dans la salle 9 du Gaumont Parnasse pour « Under the Skin », j’ai senti une salle agitée devant les publicités qui avaient déjà commencé. Pas une agitation de spectateurs turbulents, mais plutôt de spectateurs déconcertés par ce qu’ils voyaient à l’écran. En entrant dans la salle, j’étais passé devant deux employés du Gaumont, dont l’une disait à l’autre : « Qu’est-ce que je fais alors pour la 9 ? », et en jetant un œil à l’écran après m’être posé au 3ème rang, je compris d’où venaient l’agitation et le questionnement de l’employé. Tout un coin de l’écran était dans l’ombre, comme si le projectionniste avait accroché sa veste à un bord du projecteur. Mais à l’évidence, le problème n’était pas aussi simple.

Un spectateur assis sur le même rang que moi faisait des allers retours hors de la salle, probablement pour signaler ce problème manifestement déjà connu de l’équipe du cinéma étant donné la phrase que j’avais attrapée avant d’entrer dans la salle. Au début je ne m’inquiétais pas trop. Après tout, on me vante régulièrement les qualités des salles Gaumont, et à vue de nez le problème ne semblait pas insurmontable. J’ai cependant commencé à douter lorsque la même jeune femme que j’avais entendu questionner son collègue est entrée dans la salle alors que les pubs n’étaient pas encore terminées, pour annoncer peu ou prou qu’ils étaient au courant du problème technique rencontré et qu’ils mettaient tout en œuvre pour qu’il soit réglé avant que le film commence.

Le film commença moins de cinq minutes plus tard… et évidemment, la même ombre accrochait l’écran, dans sa partie gauche (comme symbolisé ci-contre). Aïe. Des mois que j’attends le film de Jonathan Glazer, j’en retenais mon souffle lorsque la salle s’est éteinte, et voir ce problème technique se dresser sur le chemin a très vite mis à mal mon humeur. Il m’en faut peu pour que je m’énerve au cinéma, et là on était loin du « peu ». A mesure que le film commençait et que les séquences s’enchaînaient, l’ombre persistait. Deux personnes du staff du cinéma se sont succédé dans la salle pour constater le problème à l’écran. Deux minutes, cinq minutes, neuf minutes, treize minutes, mais aucun arrangement en vue, et aucune intervention de quelqu’un du cinéma pour nous informer d’un éventuel règlement du problème.

Inutile de préciser que pendant ce premier quart d’heure pendant lequel je laissais une chance au cinéma, il m’était quasi impossible de me concentrer sur le film. La seule chose que je voyais, c’était cette ombre qui agissait comme un aimant pour mes yeux, qui ne voyaient rien d’autre que ces 2m² qui m’obsédaient et me gâchaient « mon » film.

Et puis j’ai craqué, j’ai attrapé mes affaires et je suis sorti de la salle. Je suis tombé sur l’une des personnes qui étaient passées dans la salle pendant les dix premières minutes, je lui ai demandé avec la mâchoire crispée s’il était possible de se faire rembourser sa place pour « Under the Skin », à quoi elle a promptement répondu par l’affirmative en se confondant en excuses, affirmant sans grande assurance que le problème serait réglé pour la prochaine séance. Mais c’était mon seul créneau du jour pour voir un film, et leur problème technique insoluble venait de le gâcher. En plus du remboursement de ma place, j’ai eu droit à une place gratuite supplémentaire à utiliser au même Gaumont Parnasse d’ici la fin de l’année.

Je me demande combien de spectateurs sont partis après moi. Le personnel du cinéma semblait mal à l’aise face au problème technique, mais il me paraît tout à fait incongru que la projection ait eu lieu malgré ce problème technique, en toute connaissance de cause de la part des responsables du cinéma. J’espère que chaque spectateur se sera vu offrir une place gratuite à la sortie.

Finalement j’ai pu voir « Under the Skin » deux jours plus tard dans des conditions optimales, sans aucune zone sombre barrant une partie de l’écran et m’empêchant de plonger dans cet étrange voyage cinématographique, unique et fascinante plongée dans la découverte d’une humanité, plus symbolique que démonstrative.
Non, je me satisfais décidément parfaitement d’avoir une carte UGC plutôt que Gaumont.

mercredi 25 juin 2014

« Drug War » : Johnnie To frappe fort mais revient en France par la petite porte

Où est passé Johnnie To ? Combien d’amateurs de cinéma hongkongais (et de cinéma tout court) se sont posé la question ces derniers temps ? Il y a tellement de films à voir chaque jour, qui plus est à Paris, que les mois peuvent filer avant que l’on se rende compte qu’un cinéaste aussi prolifique que Johnnie To n’est plus à la mode auprès des distributeurs français. Plus autant, tout du moins.

Souvenez-vous des années 2000, époque bénie si récente où nous avions droit à notre Johnnie To annuel en salles. « The Mission », « Breaking News », « Election », « Exilé »… C’était devenu un rendez-vous incontournable qui revenait tous les douze mois au même titre qu’un Woody Allen ou un Hong Sang-soo (dans des genres diamétralement opposés bien sûr), et le cinéaste était tellement ancré dans le paysage cinématographique contemporain, ses films s’arrêtant au passage par les compétitions cannoise ou vénitienne, que l’on aurait pu croire que les choses continueraient ainsi pour longtemps encore.

Et puis un jour, on se réveille en se rendant compte que les films de To se font moins présents dans les salles, menaçant de rester tout simplement absents des grands écrans hexagonaux. Depuis Vengeance au printemps 2009, il y a donc cinq ans, seul un film du réalisateur a eu droit à un passage sur grand écran en France, « La vie sans principes », il y a deux ans.

Johnnie To n’a pourtant pas arrêté de tourner, il suffit de jeter un œil sur IMDb pour confirmer qu’il tourne toujours un ou deux longs-métrages chaque année. Il continue et l’an dernier l’un de ses récentsfilms, « Drug War », est allé remporter le Grand Prix au Festival du Film Policier de Beaune, si bien qu’il a même été question un temps que celui-ci sorte en salles en France. Jusqu’à ce que son distributeur Metropolitan se ravise et décide finalement, à la tristesse cinéphile générale, de sortir le film directement en DVD il y a quelques jours. Cependant je suis un privilégié puisque quelques projections ont été organisées sur grand écran, et j’ai eu la chance d’assister à l’une d’entre elles.

L’opportunité de revoir enfin un film de Johnnie To en salle obscure était irrésistible, qui plus est le bien réputé « Drug War ». Le cinéaste hongkongais y suit un inspecteur des stups chinois tentant de mettre la main sur un gros trafiquant, en utilisant un des hommes de main de celui-ci qui s’est fait arrêter et risque la peine de mort. Sun Honglei et Louis Koo prêtent respectivement leurs traits au flic et au prisonnier collabo pour un film vient rappeler pourquoi on aime le cinéma de Johnnie To. Du cinéma puissant, à l’intrigue alambiquée et pourtant limpide qui laisse la part belle à la mise en scène. Avec comme point d’orgue un gunfight en pleine rue (avec une utilisation des voitures réjouissantes), où le jusqu’auboutisme des coups de feu échangés et des cadavres empilés confine au comique, alors qu’en permanence la maîtrise de l’espace dans le cadre de To nous explose à la figure.

Décidément, vivement le prochain Johnnie To sur grand écran…

jeudi 5 juin 2014

Whiplash : ça claque à la reprise des films de Cannes !

Il est un rendez-vous cinéphile parisien que je ne manque sous aucun prétexte chaque année, c’est celui de la reprise des films de la Quinzaine des Réalisateurs, d’Un Certain Regard et de la Semaine de la critique, quelques jours après leur découverte au Festival de Cannes. C’est dans ce cadre-là que j’avais vu « The Host » de Bong Joon-ho au printemps 2006, et d’année en année, je viens y chercher les nouvelles pépites de Cannes.

Voilà, nous sommes en plein dedans, alors qu’au Reflet Médicis, la reprise d’Un Certain Regard vient de s’achever, celle de la Quinzaine au Forum des Images bat son plein tandis que celle de la Semaine de la Critique démarre à la Cinémathèque Française. Au Reflet, je me suis faufilé devant « Jauja », le film argentin de Lisandro Alonso qui plonge Viggo Mortensen dans la Patagonie du 19ème siècle à la recherche de sa fille échappée. Un film lancinant et hypnotique qui tend vers le fantastique, quelque chose de Bergmanien au pays du maté.

Je me suis invité devant deux films coréens également, la chronique provinciale « A Girl at my door » (Doheeya) issue d’Un Certain Regard et le thriller « A Hard Day » issu de la Quinzaine des Réalisateurs, mais non, je n’en dirai rien, ma fonction au sein du Festival du Film Coréen à Paris (qui au passage se tiendra du 28 octobre au 4 novembre cette année) me bâillonnant sur le sujet.

Et puis il y a eu « Whiplash ». Salle 300 du Forum des Images, un samedi soir à 20h, après avoir couru depuis le Reflet Médicis pour ne pas en rater le début. Whiplash qui n’a pas fait trop de bruit dans la presse française pendant le festival, mais qui ne manquera pas de faire parler de lui cet hiver quand il sortira en salles, j’en suis sûr. Whiplash, un film qui porte si bien son titre (« coup de fouet ») tant on en sort revigoré, excité, heureux. La simplicité comme mot d’ordre, mais pas une simplicité péjorative. Une clarté si vous préférez, avec assez peu de personnages, peu d’intrigues parallèles, tout est concentré sur Andrew, 19 ans, étudiant en première année dans une prestigieuse école de musique, qui rêve d’être un des plus grands batteurs que le jazz ait connu. C’est pour cela qu’il s’est inscrit dans cette école, et c’est pour cela qu’il veut se faire remarquer par Fletcher, le professeur star de l’école, qui dirige un groupe de jazz que tous les élèves de l’école rêvent d’intégrer.

Le rêve est grand, et la marche à franchir pour l’atteindre est immense, tant Fletcher est aux étudiants ce qu’un sergent-instructeur est aux Marines américains. Ce qui apporte une gouaille jouissive au personnage du professeur, campé à la perfection par J.K. Simmons. L’homme est à la fois irritant et hilarant, et c’est lui qui donne le tempo que doit apporter en face Miles Teller, décidément un jeune acteur prometteur après sa belle interprétation dans « The Spectacular Now » en début d’année.

Tout est affaire de tempo, et d’énergie. « Whiplash », c’est tout l’art cinématographique du climax mis en application. C’est une tension qui va crescendo, une montée en puissance discrète mais indéniable. Et quand on croit que c’est terminé, c’est là que tout à coup la jubilation explose, les sens sont mis à contribution, et le film nous place dans un moment d’euphorie cinématographique incroyable, dix minutes pendant lesquelles le réalisateur nous agrippe avant de nous abandonner d’un claquement de doigt en pleine extase. La sensation est rare, et la ressentir ainsi devant un « petit » film, ressentir cette joie, cette intensité, alors le petit film gagne en grandeur. Non, ce n’est vraiment plus un petit film. Sundance, qui lui a décerné ses prix, a eu raison. La Quinzaine des Réalisateurs, qui l’a invité, a eu raison. Nous avons eu raison, les spectateurs de la salle 300 du Forum des Images, ce samedi soir, d’être allé jeter un œil à ce drôle de petit film où un étudiant joue à la batterie jusqu’au sang devant un prof qui lui hurle dessus. Et ce climax explosif, je connais des films Hollywoodiens qui auraient aimé en fournir ne serait-ce que 15%, d’une intensité pareille, dans leurs derniers actes.

Alors Hollywood, prends-en de la graine. Retenons le nom du réalisateur Damien Chazelle. Et moi, je vais peut-être me mettre à la batterie.

mardi 11 mars 2014

Peut-on parler pendant les pubs ?

J’ai failli perdre mon sang froid. Peut-être l’ai-je un peu perdu. Peut-on parler pendant les publicités au cinéma ? Je me (vous) pose la question, parce que je me suis fait verbalement agressé par un spectateur énervé qui nous a vociférés dessus, un ami  et moi, parce que nous discutions pendant les publicités.

C’était dans la grande salle 10 à l’UGC Ciné Cité Les Halles pour découvrir le réjouissant « The Grand Budapest Hotel » de Wes Anderson. Dans la salle, mon amie et moi étions tombés par hasard sur mon alter-ego cinéphile Michael de Fun Culture Pop que je n’avais pas vu depuis quelques semaines. Comme d’habitude, aux Halles, il n’y avait que quelques secondes d’espacement entre les séances, et du coup, à peine entrés en salle, ce sont les publicités qui commencent (les bandes annonces, ils ne connaissent pas là-bas, hormis celles payées par les distributeurs).

Et voilà, comme la plupart des spectateurs pendant les publicités, Michael et moi nous sommes mis à discuter, d’autant plus facilement que nous sommes tombés l’un sur l’autre par hasard. J’ai beau être moi-même un spectateur maniaque - je ne m’en cache jamais dans ces pages - un spectateur qui ne supporte pas les gens qui parlent pendant un film, je n’ai jamais reproché à un cospectateur de discuter pendant les pubs et bandes annonces. Tant que les gens se tiennent pendant le film, ils peuvent bien parler autant qu’ils veulent avant, d’autant plus facilement le weekend, en après-midi, dans une salle pleine ou presque.

Nous voici donc discutant, probablement des derniers films que nous avions vus, quand tout à coup, telle la foudre s’abattant sans crier gare, le voisin de Michael se met à nous hurler dessus « Mais c’est pas possible, c’est pas bientôt fini, on est au café du commerce quoi ??!!! On peut pas regarder les bandes annonces tranquillement !!?? », le tout avec une férocité prompte à éclater un tympan.
Abasourdi, je restai coi quelques instants, ne comprenant pas vraiment ce qui venait de se passer. Le temps de reprendre mes esprits, je lui répondis. Mon esprit bouillonnait tellement  qu’à vrai dire je ne me souviens plus vraiment de ce que je lui répondis à part que ce n’étaient que les publicités et que nous ne moufterions pas pendant le film si c’était ce qui l’inquiétait, mais comme il ne se calmait pas, je lui lançai qu’il n’avait pas intérêt de son côté à l’ouvrir pendant le film parce que sinon ma réaction fuserait. On s’est envoyé une ou deux répliques sèches avant de finalement se taire pour regarder religieusement le reste des publicités. J’aurais nettement mieux réagi sans l’agression verbale, après tout si quelqu’un tient absolument à voir les pubs sans dérangement, si on me le demande gentiment, mais il n’y avait rien de civil dans la réaction de ce spectateur.
Je ne pus m’empêcher, à la fin de la publicité suivante (pour une voiture) de m’extasier ironiquement et assez fort pour qu’il m’entende « Aaaah ça c’était une belle pub, je suis bien content de l’avoir vue ».


Une heure et quarante minutes plus tard, lorsque le générique de fin de « The Grand Budapest Hotel » commença à défiler, ce cher spectateur n’attendit pas longtemps avant de se tourner vers sa femme pour déblatérer avec elle. L’envie de l’alpaguer fut très forte pour lui faire remarquer que je voulais regarder le générique sans ses commentaires parce que contrairement aux pubs, le générique fait partie du film, mais l’énervement que cela aurait certainement provoqué en moi m’aurait gâché l’euphorie dans laquelle Wes Anderson avait réussi à me plonger. Aussi me suis-je tu. J’ai laissé les aventures du Grand Budapest Hotel et de ses occupants à travers les époques s’insuffler en moi sans que la bêtise humaine ne vienne égratigner cet instant de grâce offert par l’un de mes cinéastes fétiches. Le jeu n’en valait pas la chandelle, pour quelqu’un qui tient en plus haute estime les publicités que le générique de fin.
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