mercredi 26 novembre 2014

« A Cappella », le cinéma coréen frappe dans l’ombre

C’était un jour de février 2014. A neuf mois du lancement du Festival du Film Coréen à Paris, je visionnais le tout premier film d’une longue série, afin de sélectionner les films qui seraient projetés au Publicis en octobre. Si je suis amené à aller fréquenter d’autres festivals ici ou ailleurs pour découvrir certains films coréens, la plupart des films que j’ai regardé pour le FFCP cette année, je les ai vus en screener envoyé par les distributeurs, sur petit écran.

Ce fut le cas d’ « A Cappella » en ce jour de février 2014. Le film n’avait pas encore ce titre français et était uniquement connu comme « Han Gong-ju », le film qui quelques semaines plus tôt s’était vu remettre des mains de Martin Scorsese lui-même l’Étoile d’Or du Meilleur Film au Festival International du Film de Marrakech, le cinéaste américain présidant le jury étant tombé amoureux du film. Ma motivation n’en fut que plus grande de glisser le DVD dans le lecteur pour découvrir le film.

Neuf mois plus tard, je me souviens encore de l’état dans lequel m’a laissé le film. Des pensées qui m’ont traversé. L’une des premières d’entre elles fut que j’avais probablement vu là, dès mon premier visionnage, le meilleur film coréen que j’aurais à voir en 2014 pour préparer le festival. C’est un drôle de sentiment, de savoir que l’on jugera malgré soi 120 films qui suivront à l’aune de ce tout premier qui a mis la barre si haut. Heureusement parmi les quelque 120 films qui suivirent, nous avons trouvé d’autres pépites.

Mais il a suffi d’un premier film pour quasiment réserver d’emblée une place parmi la sélection pour un film découvert en février. Et ce film, que nous avons donc projeté au Publicis dans le cadre du festival, en présence de son réalisateur Lee Sujin, il y a presque un mois maintenant, vient de sortir en salles en France, grâce à Dissidenz, qui déjà au printemps dernier avait donné sa chance dans les cinémas français à deux films passés par d’autres éditions du FFCP, « Suneung » (ou « Pluto ») et « La Frappe » (ou « Bleak Night »). Si vous n’avez pu voir ces deux-là en salles, rattrapez-vous en DVD, ils valent le détour.

A tous ceux qui, ces jours-ci, me demandent ce qu’il faut aller voir en salles, je n’ai pas besoin de réfléchir pour les orienter vers « A Cappella ». Parce que je suis fier qu’on l’ait passé au festival, parce qu’il faut soutenir tout film coréen qui parvient à sortir en salles en France tant ils sont devenus rares, et tout simplement parce que cet « A Cappella » est l’un des films les plus forts de l’année. Je ne m’épancherai pas trop dans ces lignes sur le sujet du film, car il s’agit bien là d’un film dont l’impact est plus fort si l’on s’y plonge en en sachant le moins possible. Tout juste puis-je vous dire qu’il s’agit d’une lycéenne, Han Gong-ju donc, qui change de lycée en cours d’année. Elle s’installe dans un nouveau quartier, une nouvelle maison, une nouvelle école, loin de tumultes connus dans le précédent.

« Han Gong-ju » a été pour moi un coup de poing déchirant, similaire à celui que m’avait flanqué « Breathless » il y a quelques années. Un film bouleversant sur la lâcheté ordinaire, le malaise et le silence qui pèsent lourd quand il s’agit d’affronter un drame que la société coréenne semble avoir du mal à appréhender. A l’aide d’un scénario méticuleux qui fait monter l’angoisse à la manière d’un thriller, « A Cappella » pose un regard noir et amer sur une Corée dans laquelle personne ne semble capable d’aller à contrecourant de ce que la société écrasée de convention attend d’eux.

Pour un premier long-métrage, « A Cappella » fait preuve d’une maîtrise et d’une intelligence cinématographiques qui augurent du meilleur pour l’avenir du cinéaste Lee Sujin. Et pour le spectateur, il s’agit là d’un film dont il est difficile de se détacher. Un film qui vous colle à la peau longtemps après l’avoir vu. Les salles à le projeter sont rares (je suis retourné le voir au Reflet Médicis à Paris). Ne perdez pas l’occasion de le voir sur grand écran.

mardi 18 novembre 2014

J’ai voyagé vers les étoiles sur grand écran

J’ai longtemps pensé que j’étais allergique à la science. « Longtemps » et « allergique » étant deux termes tout à fait relatifs. Disons que mes années lycée ont créé une distance certaine entre mes goûts personnels et la science, alors qu’enfant je rêvais des étoiles avec un planisphère stellaire phosphorescent accroché au mur de ma chambre.

Pourtant si mon intérêt pour la science s’est indubitablement étiolé, une part de curiosité et de fascination est demeurée. Une fascination entretenue par ces ciels nocturnes dégagés, hors de la ville, où la tête levée vers les étoiles nous confronte à l’immensité spatiale, mais une fascination également entretenue par le cinéma, et mon amour de la science-fiction. Si je me sens très bien les pieds sur terre, l’espace est un terrain de jeu cinématographique grisant qui m’appelle inlassablement, et dès qu’un film prend l’infini spatial pour cadre, j’y suis irrémédiablement attiré. Au fil du temps, c’est donc aussi les aventures SF sur grand écran qui m’ont peu à peu réconcilié avec les sciences, par le biais de l’astronomie, l’astrophysique, et toutes ces sciences se projetant là-haut.

Et voici qu’en l’espace de dix jours à peine, trois films m’ont envoyé en l’air, chacun à sa façon, et chacun avec brio. Deux d’entre eux sont des documentaires. Le premier, je l’ai vécu en Imax, à la Géode, un sombre soir où il n’y avait pas foule dans la salle de La Villette, et où j’ai presque littéralement plongé dans « Hidden Universe », ce documentaire s’intéressant aux télescopes géants du désert d’Atacama au Chili, qui scrutent les confins de l’univers. Avec lui je me suis senti partir à des millions d’années-lumière, retrouvant par lui mes sensations d’enfant découvrant le pouvoir d’une salle Imax, et mes rêves de gosses avec ce ciel phosphorescent plaqué sur mon mur.

Puis ce fut au tour du Publicis de me faire voyager vers les étoiles, avec « La fièvre des particules » (Particle Fever), un fascinant documentaire sur le LCH du CERN, ce centre de recherche européen situé en Suisse où des milliers d’hommes et de femmes ont construit cette anneau géant de 27 kilomètres permettant de faire s’entrechoquer les particules pour recréer les conditions du Big Bang et analyser les particules qui composent l’univers. Une observation de plusieurs années pour voir ces scientifiques tenter de mettre à jour le fameux Boson de Higgs. Deux documentaires qui parviennent, entre les mailles de la science, à faire naître une certaine forme d’émotion en nous mettant face à cet infiniment grand qui nous englobe.

L’émotion berce également le troisième film que j’ai vu ces jours-ci et qui m’a permis lui aussi de concilier ma vieille histoire avec les étoiles et mon actuelle histoire avec le cinéma. « Interstellar », de Christopher Nolan. Évidemment. Le réalisateur britannique s’est taillé au fil de ses films une image de cinéaste ambitieux et appliqué, à la mise en scène impressionnante, mais où l’émotion n’était que circonstancielle, pour ne pas dire absente. Il la prend ici à bras le corps.

« Interstellar » se veut à la fois une odyssée humaine épique s’interrogeant sur le courage et le rapport de l’homme à sa mortalité, sur sa capacité et son besoin de repousser ses limites, et sur notre rapport à la nature. Mais c’est également une exploration bien plus intime des relations filiales, et plus particulièrement des rapports père/fille. Et l’émotion devient prégnante dès lors que l’odyssée épique et l’exploration de l’intime s’entrechoquent.

Le film de Nolan a des défauts évidents. Il est parcouru de quelques raccourcis scénaristiques qui risquent plusieurs fois de le faire dérailler. Paradoxalement, « Interstellar » est le film le plus ambitieux, le plus courageux de Nolan, mais également l’un des plus bancals. Et pourtant, peut-être son meilleur.

L’une des grandes réussites du film, malgré quelques faux-pas, est ce jeu sur la temporalité, un jeu qui n’en est pas un puisque le temps est ici, en fait, le cœur du récit d’où découle la dramaturgie. Nolan s’en sert pour nous mettre face à l’un des grands fantasmes humains, traverser le temps, tout en nous confrontant à l’une de nos plus grandes peurs, la solitude.

Il y a tant de choses qui s’entremêlent  dans « Interstellar », le romanesque et le scientifique, le courage et la peur, l’exaltation et l’émotion. Il y a tant d’envie que l’ambition et la puissance du film prennent le pas sur les maladresses du scénario. Nolan vient nous prouver, un peu malgré lui certes, que l’imperfection n’empêche pas la grandeur.
Voilà de nombreuses années que j’ai compris que je n’étais pas un scientifique, mais il suffit d’être un rêveur pour se laisser emporter dans les étoiles avec « Hidden Universe », « La Fièvre des Particules » et « Interstellar ».
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