samedi 28 novembre 2009

Roland Emerich fait-il du cinéma d'auteur, ou comment de drôles d'idées peuvent traverser l'esprit à 1 heure du matin...


Moi qui pensais passer une partie de ma soirée à la laverie automatique, me retrouver à 1 heure du matin sur le point de débattre avec moi-même de la possibilité que Roland Emmerich cache derrière son cinéma gros sabot une âme d’auteur est étrange. Oui car en fait d’expédition linge sale, c’est au cinéma que je me suis laissé entraîné ce vendredi soir pour aller découvrir (il était temps) la nouvelle fantaisie gigantesque du cinéaste allemand.

Ce sont M et C qui m’ont appelé pour me proposer de me joindre à eux pour aller voir 2012 au Gaumont Parnasse en leur compagnie. Si vous lisez régulièrement ce blog, vous saurez que je suis détenteur d’une carte illimitée et non d’un pass Gaumont, mais ce cher M a proposé de me passer une place (que je compte bien lui rendre un de ces quatre) me permettant de ne pas dépenser 10€ pour aller voir le film (mais pourquoi je donne tant de détails !?).

Cela devait bien faire dix ans que je n’étais pas entré dans une salle du Gaumont Parnasse (mon dernier souvenir mémorable, Las Vegas Parano de Gilliam à l’été 98 avec mon père et ma tante réunionnaise, partis avant la fin, écœurés). Le maniaque du confort offert par une salle que je suis ne peut s’empêcher de noter que dans cette salle 3 du complexe de Montparnasse, on se serait cru dans une fournaise tant il faisait chaud. Quant aux sièges, il leur manquait un peu de rembourrage dans la partie supérieure, si je n’avais pas calé mon écharpe sous ma nuque, j’aurais eu la tête inclinée à 45° pendant 2h40. Rien à redire à la qualité de l’écran courbe en revanche, impeccable (non, sans déconner, pourquoi tant de détails !?).

Mais revenons à nos moutons. Notre mouton. Un mouton de plus de 2h30 donc, placé sous le signe de l’Apocalypse. Emmerich y plonge notre bonne vieille Terre dans un chaos monstre. La fameuse prophétie Maya annonçant la fin du monde pour l’an 2012 s’y vérifie, mettant l’espèce humaine (et par là comprenons une poignée d’américains) en proie à divers séismes, éruptions volcaniques, tsunamis et autres cataclysmes dévastateurs.

2012, vous l’aurez compris, ne fait à priori pas dans la dentelle. La situation est très vite posée, les scientifiques d’emblée paniqués, les politiciens rapidement alarmés, et monsieur tout-le-monde vite dépassé. Emmerich, ses scénaristes et ses responsables des effets visuels, s’en donnent à cœur joie. Petit avion se faufilant dans les airs entre les tours de Los Angeles qui s’écroulent, super volcan du Parc de Yellowstone se réveillant, montagnes de l’Himalaya submergées par les eaux… Le désir fou de super destruction du réalisateur n’a ici pas de limite.

Est-ce un gros blockbuster hollywoodien ayant coûté 200 millions de dollars et offrant ses leçons de bravoure et d’humanité, ses moments de suspense et d’émotion ? Oui. On pourrait même y voir une certaine forme ultime du film catastrophe, tant tout est déchaîné dans 2012. Un peu de Deep Impact par-ci, un peu de l’Aventure du Poséidon par-là…
Pourtant on aurait sûrement trop vite fait de ranger Roland Emmerich dans la catégorie des faiseurs au service du système ne cherchant que l’adrénaline à offrir sur un plateau aux spectateurs.

Petit rappel pour ceux ne s’étant jamais penché sur la carrière du bonhomme, Emmerich, allemand attiré par les sirènes hollywoodiennes voilà de nombreuses années maintenant, s’est fait connaître du public du cinéma d’action avec Universal Soldiers en 1992. Mais c’est Stargate, puis surtout Independence Day en 1996 qui en ont fait un véritable « über director ».

Godzilla, Patriot, Le Jour d’après et 10,000 ont façonné les dix dernières années de sa carrière. Y a-t-il un enseignement à tirer autre que le simple constat que sa filmographie est à moitié composée de films peu (voire pas) recommandables ? Peut-être bien. Car derrière ses blockbusters « en veux-tu en voilà », il semble se dégager une véritable obsession chez Emmerich. Celle de confronter l’être humain à une situation extraordinaire, et d’observer comment ce changement de contexte va affecter son caractère et sa destinée. L’humanité face à une invasion extraterrestre. L’humanité face au réchauffement climatique. L’humanité face à l’Apocalypse. Cela fait beaucoup d’humanité, mais Roland aime voir grand, donc pourquoi se contenter de peu… ?

C’est vraiment con à dire, et à la vue du résultat global de ses œuvres, on ne peut pas dire que cette obsession tire forcément Emmerich vers le haut qualitativement parlant. Néanmoins Emmerich insiste, revisite son obsession comme un grand (façon de parler) et mine de rien affine sa vision et densifie son propos de film en film (si on enlève ses daubes intitulées Godzilla ou 10.000, et oui même Patriot allez). Independence Day était une ode au dépassement de soi certes, mais c’était tout de même un bon gros film patriotique dans lequel la bannière étoile flottait à tout bout de champ et le Président des États-Unis concourait à sauver l’humanité.

Dans Le Jour d’après, l’air de rien, le changement de ton était presque radical : le président était tué par la catastrophe, les américains étaient réduits à tenter de franchir illégalement la frontière mexicaine dans l’espoir de survivre… Dans 2012, Emmerich creuse le sillon. La bureaucratie gouvernementale américaine, symbolisée par le personnage incarné par Oliver Platt, symbolise l’hypocrisie et l’arrivisme dans toute sa splendeur, glissant à travers lui un message s’adressant à la population : ne vous fiez pas aux politiques, jusqu’au bout ils essaieront de vous entuber. Mieux vaut encore écouter les marginaux !

Toujours adepte de symboles forts, Emmerich, qui avait fait de l’Amérique latine le lieu salvateur dans Le jour d’après, s’amuse à faire de l’Afrique, le continent malaimé par excellence, en proie aux plus grands maux de la planète, l’espoir de l’humanité.

Bien sûr, il est tout de même difficile de voir en 2012 un brûlot tout à fait couillu, car les ficelles du film catastrophe sont souvent connues, et les bons sentiments familiaux inhérents au genre ne sont pas laissés de côté, loin de là. Mais rendons à Emmerich ce qui lui appartient : cette volonté de tirer la langue à l’establishment à travers son énorme blockbuster. On serait bien en peine d’en dire autant de certains autres réalisateurs de blockbusters hollywoodiens… D’autant qu’Emmerich a la bonne idée de réunir devant sa caméra des comédiens de la trempe de John Cusack, Chiwetel Ejiofor, Danny Glover ou Oliver Platt.

Le cinéma de Roland Emmerich est-il du cinéma d’auteur ? Faut pas pousser, mais enfin, après tout…

jeudi 26 novembre 2009

Séances de rattrapage : la compétition cannoise investit les salles

Une semaine après la fin du Festival Franco-Coréen du Film - quinze jours de films et peu de sommeil - il est temps de reprendre le rythme cinéphile de croisière. Ce qui n’est pas rien en cette période automnale où les films attirant se succèdent, à défaut d’être tous palpitant. Mon ardoise de films vus depuis tout ce temps est bien remplie… Commençons par une recollections d’instants cannois…

Un ruban blanc. Il aura suffi de ce si simple objet pour nier à un cinéaste français la Palme d’Or pour la deuxième année consécutive. Si l’exploration fascinante du milieu carcéral par Jacques Audiard dans Un prophète a dû « se contenter » du Grand Prix cannois, c’est au bénéfice du Ruban Blanc de l’autrichien Michael Haneke.

Il me faut confesser que j’ai tardé à aller voir la Palme 2009 (un mois après sa sortie), et qu’il est fort probable que s’il n’avait pas glané la suprême récompense je n’eusse jamais eu le courage de m’installer 2h30 durant devant Le Ruban Blanc. Il faut dire que le cinéma de Michael Haneke, à la base, ce n’est pas franchement ma tasse de thé… Ce qui se rapproche le plus d’un film m’ayant plu, dans sa filmographie, est sans doute Caché, malgré son dénouement décevant à souhait.

Le Ruban Blanc est un ambitieux film plongeant dans une Allemagne sur le point de déclencher les premières hostilités de 14-18. Dans un petit village campagnard, une série d’accidents perturbe la sérénité locale. S’il est vite évident que ces chères petites têtes blondes apparemment si innocentes n’y sont pas étrangères, ce qui intéresse Haneke n’est pas d’expliquer ces accidents, mais plutôt de montrer, à travers le comportement des adultes d’un côté et des enfants de l’autre, comment un peuple a pu, deux décennies plus tard, être amené à suivre avec conviction un petit leader moustachu aux idées nauséabondes.

L’examen est plus qu’intéressant, et le noir et blanc pour lequel a opté le cinéaste est splendide. Le Ruban Blanc demeure tout de même à mes yeux un objet bien long, bien austère, et bien maniéré. Mais il ne fait aucun doute qu’il marque la rétine bien après la sortie de la salle. La Palme n’est absolument pas scandaleuse, même si elle n’aurait pas dépareillé dans les mains de Jacques Audiard…

Au moment du palmarès cannois justement, de nombreuses voix se sont élevées lorsque le Jury présidé par Isabelle Huppert a décerné un Prix Exceptionnel à Alain Resnais et ses Herbes Folles. « Quoi ? Mais c’est quoi ce faux prix ?! Pfff, ils n’ont pas osé lui offrir la Palme alors qu’il la méritait !! ».

Lors de sa sortie en salles il y a quelques semaines, rebelote, presse dithyrambique louant la vivacité du film du vétéran du cinéma français. J’y suis allé convaincu que le pâle Cœurs, son précédent, n’aura donc été qu’un faux pas après cette décennie merveilleuse qui l’avait vu réaliser les grandioses Smoking / No Smoking, On connaît la chanson ou Pas sur la bouche (ce dernier étant mineur mais fort sympathique).

La vision des Herbes Folles m’a, contre toute attente, plongé dans une incompréhension totale. J’ai peiné, pendant toute la durée de l’œuvre, à y voir un grand film. A y voir un bon film. A y voir un film regardable. L’excitation a vite laissé la place à l’atterrement. Où se trouvaient la folie, l’inventivité, le tonus tant annoncés ? Oui Alain Resnais sait tenir sa caméra, il l’a toujours su et le saura jusqu’au dernier souffle. Mais venant d’un tel cinéaste, j’attends plus que quelques beaux plans.

J’attends une richesse scénaristique. J’attends des personnages palpables, dessinés de manière à ce qu’on ait envie de se plonger dans l’écran. J’attends que l’écriture soit au diapason de la réputation du cinéaste, et de ses qualités de metteur en scène. Or Les Herbes Folles n’apporte rien de tout ça. C’est un film maîtrisé visuellement, mais n’ayant aucune consistance. Les personnages sont plats, sans queue ni tête. Le scénario trace des ébauches d’intrigues et de traits qui ne vont jamais nulle part. Jamais, jamais, jamais je ne me suis intéressé à un seul personnage. Ils sont fades, comme écrits sur un coin de table, prétextes à une course dans tous les sens aboutissant au néant le plus total.

Si Resnais a voulu divertir, c’est raté. S’il a voulu raconter quelque chose, c’est raté. S’il a voulu dresser un quelconque portrait de son époque, c’est également raté. La déception fût le seul apport de ces Herbes Folles.

L’un des films reparti sans prix de la Croisette et qui a plus certainement souffert d’injustice s’intitule A l’origine. Bien sûr il est difficile de juger puisque la version sortie en salle en novembre est différente de celle présentée à Cannes en mai (le film a entre temps été raccourci). Néanmoins, il ne fait aucun doute que François Cluzet n’aurait pas volé un Prix d’interprétation, tant sa composition est saisissante. Le comédien incarne un escroc montant une arnaque dans une commune du nord de la France. Il fait croire à la communauté que la construction de l’autoroute qui avait été interrompue quelques années plus tôt va bientôt reprendre. Au départ, il pense seulement empocher des pots de vin de contractants locaux. Mais peu à peu, l’escroc se prend au jeu et met vraiment en branle les travaux.

Xavier Giannoli semblait se chercher jusqu’ici (Les corps impatients, Quand j’étais chanteur, bof), mais avec A l’origine, l’homme s’est trouvé un sujet lui offrant une carrure de cinéaste impressionnant. Son film fascine par ses deux points de vue. Le premier c’est celui de l’arnaqueur, un mec un peu paumé attirant à la fois la pitié et la sympathie, une figure de bandit un peu minable dont le cinéma aime tant s’amouracher. Le second c’est celui de la communauté, cette petite ville frappée de plein fouet par les maux sociaux actuels, vivotant, attendant le messie pour les sortir de leur marasme quotidien.

Le messie, c’est donc cet escroc, ce mec encore plus paumé qu’eux, en qui ils voient un leader. A l’origine peut se lire comme une parabole religieuse autant que politique, comme l’adoption d’un messie ou d’un leader presque charismatique. L’histoire que nous conte Giannoli, au plus près des visages et des corps, les mains et les yeux dans la boue, en alchimie parfaite avec cette frange de la société, c’est celle d’une population en proie à une situation de crise prête à confier ses vies au premier venu, du moment que celui-ci a une bonne tête et un beau discours. Tout comme Giannoli parvient à nous attirer et nous fasciner de bout en bout, nous contant un récit tellement énorme et pourtant terriblement réaliste.

Il y a parvient car devant sa caméra, homme fatigué et avide, dépassé et ambitieux, pathétique et obsessionnel, il a un comédien en adéquation parfaite avec son personnage, lui donnant corps avec une conviction absolue, François Cluzet. L’acteur nous avait déjà gratifiés il y a deux mois d’une performance remarquable dans Le dernier pour la route. La différence c’est qu’ici, c’est au service d’un film à la hauteur de son talent, et de tous ceux, formidables, qui l’entourent.

samedi 21 novembre 2009

Bruce Willis et son clone pour s'éloigner de l'Asie...

Après une cure de films coréens, plusieurs envies m’assaillent. Si faire des nuits plus longues que cinq heures est sans hésitation l’une d’entre elles, rattraper ce qui est sorti pendant ma parenthèse enchantée demeure incontournable. Pendant ces deux semaines au cours desquelles je n’ai parlé que de films coréens, je suis tout de même allé voir quelques films, dont je ferai très bientôt un petit compte-rendu.

En attendant, juste avant le début du festival, j’étais allé voir le Clones de Jonathan Mostow avec quelques attentes. A la vision du film, une question m’a assailli : peut-on raconter une telle histoire en 1h30 ? A n’en pas douter, cette durée sied parfaitement au genre comique, à l’animation, ou aux films très chiants devant lesquels on n’a pas envie de traîner plus de deux heures. Il ne suffit pourtant pas à tous les films de 90 minutes pour exploiter tout leur potentiel. Les polars futuristes sont rarement aussi courts. Cela ne semble pas avoir inquiéter les mains et cerveaux se cachant derrière Clones… à tort.

Bruce Willis y incarne un agent du FBI dans un présent différent du nôtre. L’être humain ne sort presque plus de chez lui, et vit à travers un clone modelé à sa convenance, relié à lui par une technologie révolutionnaire. Le clone est un deuxième corps, plus beau, plus résistant. Ce nouveau système de fonctionnement a considérablement réduit la criminalité, et ne trouve qu’une poignée d’opposants vivant à l’écart des autres, sans machines pour vivre à leur place. Dans ce climat où le clone est réputé sans danger pour son utilisateur, l’agent Greer (Bruce, donc), se voit confier l’enquête sur un meurtre étrange. Alors que la mort d’un clone n’entraîne généralement pas la mort de son utilisateur, voilà que deux personnes sont mortes en même temps que leurs avatars.

Si je détaille autant le résumé, c’est pour vous montrer à quel point le film avait sur le papier un certain potentiel, avec un sujet à enjeux forts (le clonage, l’intrusion dominante du virtuel dans le réel) et à ramifications multiples (la résistance, les complots, l’enquête…). Or la possible densité narrative de Clones n’est jamais vraiment mise en valeur. Jamais totalement exploitée. Au lieu de cela, on nous offre sur un plateau un thriller tendance SF proposant de l’action et un chouïa de réflexion, mais se contentant du minimum syndical, ni plus ni moins.

Le pire c’est que l’on pressent qu’à l’origine, les ambitions étaient plus grandes. Est-ce le studio Disney, distributeur, qui a demandé à Jonathan Mostow (réalisateur des solides Breakdown, U571 et Terminator 3) de couper et ne pas faire traîner l’intrigue ? Car des coups de ciseaux ont forcément été donnés, tant les raccourcis sont nombreux, les personnages peu épais, et les explications expéditives. Tout cela sent la bride, et c’est bien dommage. Avec de l’audace et au moins une bobine de plus, Clones aurait pu ressembler à un bon thriller futuriste, ce à quoi, en l’état, il ne peut absolument pas prétendre.

En 2010, Willis sera à l’affiche d’une autre adaptation de comic book (oui, Clones en est une) que l’on espère autrement plus réussie. Le tournage de Red est imminent, et la distribution fait déjà rêver : autour de l’ami Bruce en ancien agent de la CIA obligé de sortir de sa retraite paisible pour contrer un dangereux assassin, on trouvera Morgan Freeman, Helen Mirren, Brian Cox, John C. Reilly, Mary-Louise Parker, Richard Dreyfuss, Ernest Borgnine et Julian McMahon. Rendez-vous dans un an.

jeudi 19 novembre 2009

Le rideau se baisse sur le Festival Franco-Coréen du Film…

Toutes les bonnes choses ont une fin, et celle du Festival Franco-Coréen du film a résonné hier soir dans la grande salle de l’Action Christine. Après ces quinze jours vécus à l’heure cinématographique coréenne, et alors que le manque de sommeil rattrape ceux qui comme moi ont été présents quotidiennement sur la manifestation, c’est l’heure du bilan et de la question « Que retenir du Festival ? ».

La première chose qui me vient à l’esprit, c’est la bonne ambiance. L’humeur amicale générale, l’envie ressentie par tous d’en découvrir le plus possible de ces films coréens, et de le faire au milieu de cinéphiles plus passionnés, abordables et cool les uns que les autres. Pas de place pour le formalisme, mais une ouverture et une motivation qui pousse chaque jour à enchaîner les films avec plaisir.

Le second point, c’est la diversité qui a régné pendant le festival. Une sélection officielle partagée équitablement entre courts et longs métrages, et elle-même ouverte à tous les genres : fiction, documentaire, animation, polar, drame, comédie, sport… il y en avait pour tous les goûts. Parallèlement, les Regards Croisés entre courts français et coréens sur la thématique de l’homosexualité, l’instauration d’une section de films classiques (pour la première édition sous le signe du film de propagande), ou l’hommage rendu au cinéaste Lee Myung Se (je reste sceptique sur le choix de ce réalisateur, mais ses films furent pour le moins… instructifs) attestent de la richesse de l’offre proposée cette année.

C’est ce ressenti global qui a également rendu savoureuse la soirée de clôture. Le Jury Étudiant (autre nouveauté cette année) a choisi de récompenser, dans la section courts-métrages, le déstabilisant Too Bitter to Love. Pour avoir assisté à leurs délibérations, je peux vous assurer que les débats furent âpres pour attribuer le Prix 2009 à l’intéressant long-métrage Potato Symphony, qui doit cette récompense à l’acharnement avec lequel les garçons du jury ont défendu le film de Jeon Taek. Les filles poussaient de leur côté le décevant My Friend and His Wife, ce qui lui a finalement valu une mention spéciale.

Excellente initiative des organisateurs, les jurés avaient chacun préparé une question pour les cinéastes vainqueurs, qui ont été contactés quelques heures avant la cérémonie pour y répondre par téléphone, réponses écoutées et traduites dans la salle.

La soirée officielle s’est finalement conclue par la projection du grand classique coréen de l’animation Robot Taekwon V. Je vous rassure, classique en Corée du Sud, mais plutôt inconnu en France. Le film, dans une version restauré de belle qualité, nous a offert un beau moment de comédie. A l’évidence influencé par Goldorak, Robot Taekwon V s’intéresse à un robot géant, piloté par un champion de taekwondo, qui défend la Terre des méchants robots lancés par un vilain scientifique tout petit à la grosse tête (littéralement).

La saveur comique du film est irrésistible, dans sa propension éhontée et hilarante à exacerber le sentiment patriotique par touches amusantes : les méchants arborent une étoile rouge très… communiste, les gentils coréens sont beaux, alors que les étrangers sont plus laids les uns que les autres (mention spéciale au japonais au nez crochu et dents proéminentes !)... C’est kitsch et souvent jubilatoire, belle manière de baisser le rideau sur le Festival.

Un Festival qui certes n’aura pas su m’offrir ailleurs qu’en ouverture, avec Breathless, un vrai film coup de cœur m’ayant retourné, d’autant que celui-ci m’avait déjà retourné en juillet dernier. Mais la manifestation a montré suffisamment de bons films, proposé assez de rencontres stimulantes, et offert un visage suffisamment humain pour qu’une hâte m’assaille : remettre ça l’année prochaine.


mardi 17 novembre 2009

Norwegian Woods : fuyez si vous tenez à votre foie !!

Lundi, avant-dernier jour du Festival Franco-Coréen du Film, un psychopathe a été aperçu se baladant dans les travées de l’Action Christine. Enfin, bon… d’accord… c’était à l’écran. Dernier film de la sélection officielle que je n’avais pas vu, Norwegian Woods hésitait niveau réputation entre la petite perle comico-gore et le film d’horreur sans prétention vite oubliable.

Lorsque j’ai pour la première fois entendu parler du film, je me suis demandé s’il avait à voir avec le roman du japonais Haruki Murakami (paru en France sous le titre « La ballade de l’impossible »), dont je savais qu’une adaptation était déjà en cours par le cinéaste Tran Anh Hung. Or il est clair que le film du coréen No Zin-soo est tout à fait étranger à l’œuvre nipponne.

Ici, point d’amour impossible et de suicides adolescents, mais une montagne où différents groupes de personnages se trouvent, chacun vaquant à des occupations différentes : des hommes de main cherchant à enterrer un cadavre, des étudiants venus se défoncer et un couple adultère s’adonnant à leurs ébats. Chaque groupe va bientôt se rendre compte qu’un étrange randonneur arpente lui aussi les bois, armé d’une faucille et éventrant à tout va.

Certes amusant, Norwegian Woods ne laisse pas un souvenir impérissable, pas plus qu’il n’empêche de dormir la nuit. Sur un ton effectivement décalé lorgnant plus vers Evil Dead que The Descent, le long-métrage s’apparente à un divertissement fauché ponctué de gags faisant sourire, et de personnages suffisamment gratinés et appuyés pour se prendre au jeu, sans pour autant, toutefois, voir dans ces « bois norvégiens » autre chose qu’un petit nanar sympathique.

L’arrachage de foie et autres empalements ne nous sont pas épargnés, mais sont filmés de façon à faire rire plutôt que frémir, ce qui est une bonne chose. Mais les évolutions scénaristiques et les réactions ineptes de certains personnages rabaissent les qualités que l’on peut trouver au film (franchement, la tentative de fuite à travers les portières de la voiture plutôt qu’en la contournant rapidement est digne d’un scénariste de 12 ans). Le festival aura offert pire, mais surtout meilleur tout de même que cette farce mineure.

Ce soir, le festival se clôt avec le palmarès et en clôture le film d’animation entièrement restauré Robot Taekwon V datant des années 70…

lundi 16 novembre 2009

Quand les résistants à l’invasion communiste succèdent aux caïds de campagne, c'est toujours le Festival Franco-Coréen du Film

A l’approche de la fin du Festival Franco-Coréen du Film (snif), le désir d’en profiter au maximum ne s’éteint pas. Dimanche donc, malgré la fatigue, le programme s’est dédoublé, enchaînant l’avant dernier film de la sélection officielle avec un vieux film de propagande d’Im Kwon-Taek. Une programmation pour le moins variée et agréable.

Les jours qui ont suivi sa première projection mercredi dernier, Potato Symphony fut accompagné d’une réputation flatteuse lui allant plutôt bien. Prenant pour cadre une petite ville de province, le réalisateur Jeon Taek s’y attache à un groupe d’amis approchant de la quarantaine. Semblant tous mécontents de la façon dont leur vie a tourné après les années lycée, ils voient d’un œil ravi le retour en ville après des années de disparition de Baek, l’ancien chef de leur bande. Dans leur jeunesse, ils s’étaient ensemble frottés à Jin-Han et sa clique, qui les avait battus et a depuis pris le contrôle de la ville comme un caïd. Avec le retour de Baek, les amis entrevoient la possibilité de corriger les injustices du passé.

Amitiés masculines, vieilles rancœurs, gangs rivaux, les thématiques abordées par Potato Symphony ne sont pas étrangères à certaines obsessions du cinéma asiatique, pour ne pas dire coréen. Mais en fait de déjà vu, on trouve dans le film de Jeon Taek un je-ne-sais-quoi de séduisant qui parvient à le hisser au-dessus du tout va. Moins que les personnages, c’est le cadre dans lequel ils s’inscrivent qui fait la force de Potato Symphony.

Ce cadre c’est celui d’une Corée du Sud provinciale, campagnarde, vivant au ralenti, à moitié figée dans un passé qu’elle ne parvient pas à dépasser. Tout le petit monde dépeint vit selon une hiérarchisation de sa société établie quelques années plus tôt et dans laquelle il semble empêtré. Le pouvoir montré dans le film, la vision de la « mafia », est loin de cette organisation huilée qui peut être si souvent traitée sur grand écran.

Il en découle des personnages, au choix losers ou petits maîtres manquant vite d’envergure, formant une combinaison qui étonne. Du coup le film a beau souffrir de longueurs et d’embrouilles scénaristiques, il laisse une impression séduisante qui tient dans ce regard intéressant sur une certaine Corée bloquée dans le passé.

L’enchaînement avec Testimony de Im Kwon-Taek n’en est que plus amusant. L’un des quatre films de propagande datant de la dictature de l’ère Park Chung-Hee (en l’occurrence ici 1973), le long-métrage aborde le conflit coréen, et plus particulièrement, en 1950, l’invasion de Seoul par les Nord-Coréens. Le film s’attache tout particulièrement à Soon-ha, la fiancée d’un officier de l’armée Sud-Coréenne, qui cherche désespérément à fuir la capitale pour rejoindre Daegu, en province.

Après Six Daughters qui cherchait à vanter à tout prix les vertus de l’industrie et des valeurs sud-coréennes dans l’après-guerre, Testimony s’atèle lui à se poser en brûlot anti-communiste. Il ne fait pas bon être fervent défenseur du régime nord-coréen et de l’endoctrinement communiste devant la caméra d’Im Kwon-Taek, face à la bravoure et au sens du sacrifice de l’armée sud-coréenne.

Comme d’habitude pour ce genre de film, le recul venant avec les années transforme souvent un tel discours en farce comique, accentuée par un jeu très (trop) appuyé des comédien, desservis par des dialogues spécifiquement écrits pour abonder dans le sens du discours général (et déclenchant facilement les rires eux aussi, demandez à l’amie coréenne qui m’accompagnait au film).

Pourtant Testimony a la qualité incontestable d’être réalisé par le grand maître du cinéma sud-coréen, qui malgré la propagande ne se départit pas de sa capacité à manier la caméra, offrant au passage de beaux moments de mise en scène dans ce film de guerre daté. Ca valait le coup de rester tard au Festival.

dimanche 15 novembre 2009

Triangle amoureux mal inspiré au Festival Franco-Coréen du Film


Même les soirs de match de l’équipe de France, les amoureux du cinéma coréen répondent présents. Samedi soir, alors qu’une bonne partie de la France avait les yeux rivés sur l’Irlande, nous étions aussi nombreux que les autres soirs pour découvrir My Friend and His Wife de Shin Dong-il à l’Action Christine (pas moins en tout cas).

A trois jours de la fin du festival, je suis toujours à la recherche d’un grand coup de cœur parmi les films de la sélection officielle. Il y a eu de bons films, mais il me manque encore un film qui domine largement les autres à mes yeux (comme a pu le faire Breathless hors compétition). J’attends donc beaucoup de Norwegian Woods lundi soir, et surtout de Potato Sympahony tout à l’heure, dont on m’a vanté particulièrement les mérites.

Car je ne peux que constater que My friend and his wife n’a pas fait chavirer mon cœur samedi soir. J’irai même jusqu’à dire « loin de là ». Pourtant l’entame du film était assez séduisante. Un couple populaire mais heureux attend un enfant. Le meilleur ami du mari trader roule quasiment sur l’or. Le triangle trouve un juste équilibre jusqu’à la naissance de l’enfant, lorsque les relations se délitent un peu. Le couple perd de l’argent, le meilleur ami n’a pas beaucoup de temps à consacrer à son ami.

On ne sait pas trop où le réalisateur veut nous embarquer, mais il créé des personnages dans la justesse, sans effets. Un portrait qui se dessine de l’époque, avec crise économique en profil et rapport difficile à l’argent (l’ami trader a un passé d’activiste de gauche).

Mais un rebondissement fait basculer le récit. Tout à coup, à la fin de la première demi-heure, l’enfant du couple décède dans des conditions particulières qui vont bouleverser les rapports entre les trois personnages. Et embarquer le film dans un triangle amoureux étrange, où les travers des protagonistes se montrent évidents, où la surprise n’a pas de véritable place, et où le récit traîne la patte.

La mise en scène manque elle de la délicatesse qui marquait la première partie du film. Tout semble basculer dans une sorte d’amorphie plombant l’ambiance et le film. S’il n’y avait eu une audacieuse mise en avant des corps des comédiens Hong So-hee, Park Hee-soon et Jang Hyeon-seong, comme dans aucun des films vus depuis le début du festival, la projection aurait pu tourner à la léthargie. Il faut tout de même contrebalancer cet avis en précisant qu’un problème technique lors de la projection, au niveau du sous-titrage, a souvent rendu difficile l’implication en tant que spectateur.
Mais même sans cette difficulté de compréhension, je ne pense pas que la différence aurait été grande pour ce qui est de l’appréciation globale de My Friend and his wife.

vendredi 13 novembre 2009

Changement de sexe et femme cougar sous le 38ème parallèle

En ce neuvième jour de Festival Franco-Coréen du Film, le sexe était au cœur des débats, sous deux formes très différentes. La première, un documentaire sur la transsexualité, la seconde une comédie sur l’histoire d’amour entre un trentenaire et une quinquagénaire. Deux thèmes universels vus sous un angle coréen...

Le titre 3XFTM m’avait semblé bien énigmatique lorsqu’il y a quelques semaines, je découvrai le programme du FFCF. Non, il ne s’agit pas d’un remake coréen de THX1138 de George Lucas, mais bien du portrait croisé de trois femmes devenues hommes, en anglais « female to male », ou FTM.

Le sujet est assurément délicat mais non moins intéressant. Surtout au sein d’une société coréenne réputée pour être machiste. Comment donc sont acceptés les transsexuels là-bas ? La motivation de leur changement de sexe tient-elle aux mœurs qui caractérisent leur nation ? A travers ces trois personnes s’esquisse la difficulté d’insertion de ces hommes nés femmes. Des hommes qui vivent dans l’angoisse permanente d’être démasqués et rejetés, alors que le but même de leur opération est de se sentir enfin bien dans leur peau.

Un paradoxe qui montre le cheminement à parcourir pour eux, cheminement que se propose de suivre la réalisatrice. Elle le fait avec rigueur et liberté, et signe un documentaire au sujet fort. Pourtant il semble manquer quelque chose à 3XFTM. Si le thème est bien cerné, et les trois protagonistes suivis avec attention, un sentiment de répétition se fait vite jour. Le documentaire est long (près de deux heures), et semble souvent tourner quelque peu en boucle. La problématique est bien posée, les personnalités des hommes observés également, mais trop souvent le film paraît être une superposition de discours et situations se répétant. Il semble manquer un mouvement continuel, un véritable moteur qui permettrait d’aller plus loin encore dans la rencontre avec les trois protagonistes, et dans l’observation de la société qui en découlerait. Mais cela n’enlève rien à l’intérêt évident du sujet.

Le second film de la journée s’intitulait Viva ! Love. Un film qui annonce la couleur dans le titre : légèreté et amour se devinent, et se confirment vite. On ne peut pas dire que j’allais voir ce film de Oh Jeom Kyun avec de grandes espérances, peut-être en partie du fait de l’avis de mes amis de Made in Asie.
Force est pourtant de constater que j’ai pris un vrai plaisir à voir Viva ! Love. La protagoniste en est une quinquagénaire vivant avec son mari et sa fille, louant des chambres à des étudiants et gérant un nolaebang (le karaoké coréen) avec son époux. Lorsque sa fille laisse son fiancé sur le carreau et part sans crier gare, notre héroïne tombe peu à peu amoureuse de son ex-futur gendre, qui tombe lui aussi sous le charme de belle-maman. Lorsqu’elle tombe enceinte, le scandale se profile dans le quartier…

Non, Viva ! Love ne sera pas, en fin de festival, le petit bijou immanquable. Non, Viva ! Love ne fera pas non plus partie des grands films coréens dont je me souviendrai en priorité à la fin de l’année. Pourtant il y a quelque chose d’absolument charmant dans ce film. Il y a un cadre, cette vie de quartier conçue avec soin, avec ses personnages truculents et attachants auprès desquels on se sent vite bien. Il y a une mise en scène juste, qui n’en fait pas des tonnes dans sa mise en avant de l’humour et sait simplement le souligner avec sobriété.

Il y a surtout en toile de fond de vraies touches de sujets de société parvenant à poser la comédie dans un environnement moderne. Une époque où le chômage s’invite facilement à la fête, où les femmes osent chercher le bonheur pour elles-mêmes et ne se contentent pas de fermer les yeux sur le comportement adultère de leurs époux. Où celles-ci se mettent même à fricoter avec des hommes ayant quasiment l’âge d’être leur fils, ce fameux phénomène de la « femme cougar » dont la presse, les séries et les films aiment à s’emparer.

La réussite de Viva ! Love tient aussi dans la volonté du cinéaste de faire baigner son film dans une atmosphère quelque peu surréaliste, surtout à mesure que le scénario progresse. On peut même dire que le film choisit la fantasmagorie dans son épilogue. Un ton audacieux qui sied parfaitement à l’œuvre.
On en sort avec le sourire aux lèvres, ce même sourire qui ne nous a pas quittés tout au long du film. Un signe qui ne trompe pas.

jeudi 12 novembre 2009

La Corée fait la sourde oreille et court en tous sens

Le Festival Franco-Coréen du Film entame sa deuxième semaine à l’Action Christine. Si les années précédentes, les séances s’étalaient toute la journée pendant une semaine seulement, la 4ème édition fait sa petite révolution en concentrant les projections en fin de journée et en doublant la durée de la manifestation. On ne s’en plaint pas, il est ainsi bien plus facile d’en profiter…

Mercredi j’ai donc entamé cette nouvelle semaine par un long-métrage de fiction de la sélection officielle, suivi de l’un des programmes de courts-métrages coréens.
Je suis allé voir le long, intitulé A.U.D.I.T.I.O.N., après avoir lu et entendu des avis peu emballés. J’en suis ressorti assez agréablement surpris. Le film, réalisé par le duo Kim Seong-Jun et Lee Je-Cheol, narre la rencontre entre Hyun-Ji et Won Joon. Elle est malentendante et vit seule avec son père depuis la mort de sa mère. Il danse dans un groupe de B-Boys qui rêve de percer grâce à une audition importante, et se trouve fasciné par le langage des signes grâce auquel Hyun-Ji communique.

Ce qui séduit dans A.U.D.I.T.I.O.N., c’est sa recherche de simplicité. Certes le film n’exploite pas le fonds social d’un tel sujet, que ce soit ces jeunes qui rêvent de musique ou ces pères élevant seuls leur enfant. Il y avait bien sûr matière à plus approfondir le contexte. Mais du coup, les réalisateurs brossent ces deux jeunes gens avec touché, lui fort en gueule et cachant son bon fond, elle curieuse mais craintive du monde extérieur.

Ce qui séduit c’est cet aspect humain assez universel qui parvient longtemps à éviter l’écueil du mélo. Malheureusement il n’y parvient pas tout du long, et se jette trop facilement dedans dans le dernier acte. C’est un trait récurrent du cinéma coréen que de parfois verser trop facilement dans la recherche facile de l’émotion, on peut donc pardonner au film ce défaut dont il ne s’exempt pas. D’autant que le regard posé sur les rapports humains d’une personne sourde et muette (particulièrement en Corée du Sud) n’est pas inintéressante, ces coups d’œil en biais, cette méfiance, cette mise à l’écart assez naturelle.

Après une pause au cours de laquelle j’ai vraiment eu l’impression qu’effectivement, mon opinion sur A.U.D.I.T.I.O.N. est loin d’être majoritaire, retour en salle pour une sélection de court-métrages (la sélection numéro 1) dans l’ensemble d’assez bonne tenue. Les deux meilleurs s’intitulent Stop et Hybrid.

Stop, un film d’animation très court (6 minutes), se déroule en voiture, sur un pont. Un homme conduit sa mère, lorsqu’un camion roulant sur la mauvaise file entraîne un accident au cours duquel tout à coup, le temps s’arrête autour de l’homme conduisant sa mère. C’est cette montre à son poignée. Elle s’est déréglée, et dès qu’il pose la main dessus, il évolue dans un monde en mode pause. Cela tombe bien car sa mère et la voiture sont en train de basculer dans le vide.
La qualité première de Stop est d’être drôle et ludique. Le trait est basique et en noir et blanc, mais le personnage y est croqué avec une bonhomie communicative.

L’autre excellent court de ce programme s’intitule Hybrid. Un français y semble un peu égaré en pleine campagne coréenne. Faisant du stop, il est pris par un étrange camionneur peu bavard et passant son temps à se désaltérer et pisser dans des bouteilles en plastique. Visuellement soigné, Hybrid convainc par son ton totalement décalé et d’un rocambolesque sobre. Le seul personnage qui parle, c’est le français, en français, pour lui-même puisque l’autre ne comprend pas et ne répond pas. Ce qui donne au court un côté presque burlesque, surtout lorsque l’on découvre l’utilisation qui est faite de l’urine du camionneur. En 15 minutes, le réalisateur créé un mini univers qui fonctionne et qui séduit.

Les trois autres courts sont un ton en dessous. Fish, qui ouvrait le bal, se montre le plus long et ambitieux sur le papier, en mettant en parallèle le travail d’une lycéenne dans un PC bang et la découverte d’un cadavre dans une petite rivière à l’extérieur de la ville. L’idée était intéressante, mais on comprend si vite que le cadavre retrouvé est celui de notre lycéenne que l’on se demande où veut en venir le réalisateur en 30 minutes. Car il n’en vient pas à la résolution de l’énigme « comment finit-elle dans la rivière, et par l’impulsion de qui ? ». Cette énigme reste totale. Le film aurait été beaucoup plus intéressant si le cinéaste s’était concentré sur la partie de la découverte du corps par ce vieux pêcheur et pris en charge par ces deux flics attendant des collègues qui n’arrivent pas. Dommage.

Le programme réservait également deux petits films « choc ». Cold blood voit un automobiliste se livrer à une vraie petite guerre avec une jeune cycliste ayant failli causer un accident. Intéressant au premier abord, le film lasse assez vite, se révélant une course poursuite sans réelle finalité, puisque lorsque l’on croit que le film va être une métaphore de la violence de la société et des difficiles rapports intergénérationnels, il tourne en eau de boudin, flanchant au dernier moment dans une conclusion mollassonne. Mais après tout, peut-être cela fait-il partie de la métaphore…

Le dernier court-métrage projeté fut Too bitter to love, commençant avec légèreté et pudeur, montrant un couple de lycéens se retrouvant en secret pour faire l’amour pour la première fois. Le film change de ton et devient dérangeant lorsque le garçon s’absentant faire une course, la fille est violée par un voisin débarquant sans prévenir. Le film met mal à l’aise sans pour autant provoquer la réflexion.

A noter que le programme de court-métrages a attiré plus de spectateurs que la plupart des autres séances du festival jusqu’ici. Serait-ce donc à chaque fois qu’un membre de l’équipe du film est invité, puisqu’ici le comédien français de Hybrid (et également compositeur du film) Christophe Ruggi était présent, comme avant lui Lee Myeong Se et Yang Ik-June ? Ou les parisiens s’intéressent-ils simplement de plus en plus au cinéma coréen ?

mercredi 11 novembre 2009

Punch Lady, quand la ménagère coréenne battue monte sur le ring


La première semaine du Festival Franco-Coréen du Film s’est conclue mardi soir, avec notamment la projection d’une comédie dramatique féministe dans le milieu de la boxe. On connaissait le film de boxe, de Raging Bull à Rocky. On connaissait aussi le film féministe. Mais la boxe féministe, ça, il faut avouer que le thème est rare sur grand écran, et c’est bien ce que propose Punch Lady.

Il est toujours rafraichissant de découvrir, entre vieux films de propagande, documentaires dépouillés et films de Lee Myung Se (sans commentaire) un film sachant se montrer léger sur un sujet assez inattendu.
L’héroïne se prénomme Euh-Na (Do Ji-Won) et est l’épouse d’un boxeur professionnel qui ne se contente pas de frapper sur le ring. Euh-na fait malheureusement les frais de la violence de son mari au quotidien, terrifiée. Mais lorsque le boxeur se met aussi à frapper leur fille, et qu’il tue en match officiel l’un de ses adversaires, notre docile femme au foyer battue n’en peut plus. Elle répond à un défi de son mari devant les caméras, acceptant sous le coup de l’émotion un duel sur le ring face à son bourreau. Avec seulement trois mois pour se préparer.

Même si le sujet de la violence faite aux femmes, ou du moins la difficulté pour certaines d’entre elles de s’affirmer au sein de la société coréenne, est sérieux, Punch Lady est une comédie. Dramatique certes, mais une comédie avant tout. Et il est suffisamment rare d’en voir (d’origine coréenne) sur les écrans français pour ne pas prendre un plaisir certain à en voir une.

Il est évident toutefois que Punch Lady n’est pas le film du siècle. Loin de là. C’est le parfait exemple d’un bon sujet exploité maladroitement. Si la question de la violence faite aux femmes est un sujet fort, et si le cinéaste parvient par-delà ce sujet à effleurer celui de la représentation de la violence au cinéma, la mise en scène n’est pas à la hauteur du potentiel. D’autant qu’il y a quelques jours le festival nous avait offert Breathless, qui lui aussi se penchait sur le sujet de la violence et de la place des femmes en Corée, mais le faisait avec brio.

Non que le visage comique de Punch Lady soit déplacé, au contraire. C’est même sûrement son aspect le plus réussi, notamment grâce au personnage du professeur de math s’improvisant entraîneur de boxe par appât du gain et plus si affinité. Non, la maladresse du film se situe ailleurs. Elle se situe dans la volonté du réalisateur de préférer la carte de l’émotion et des effets artificiels pour la susciter. Ralentis, musique, tout concorde dans le dernier quart du film pour nous faire rire non plus grâce aux qualités comiques du film, mais à cause de ce manque flagrant de subtilité.

Ce que l’on ne peut que regretter, car il y avait vraiment matière à tisser un film plus fort en jouant plus la carte du réalisme, en limitant les effets de style qui s’épanchent à mesure que le film progresse. Mais l’ensemble reste tout de même une œuvre sympathique, croisement en mode mineur et féminin de The Foul King et Breathless. Pas de quoi bouleverser, mais assez pour divertir deux heures durant.

mardi 10 novembre 2009

Parents en goguette à travers la glorieuse nation coréenne !

Festival Franco-Coréen du Film, sixième jour. La quatrième édition de la manifestation met les petits plats dans les grands, s’ouvrant plus que les autres années à différents pans du cinéma coréen. Cette année, le cinéma d’antan est mis à l’honneur lui aussi, avec une thématique sur la propagande des années 60 et 70, sous le régime plus qu’autoritaire de Park Chung-Hee. Assurément l’occasion de voir quelques curiosités.

La première de ces curiosités s’intitule Six Daughters. Réalisé par un certain Bae Seok-In en 1967, le long-métrage est un road-movie prenant pour protagonistes un couple de sexagénaires originaire de Seoul. Ceux-ci décident de rendre visite à chacune de leurs filles, qui toutes habitent une région différente du pays. En bus, en train ou en avion, ils partent à la découverte de leur pays.

Il est certain que voir Six Daughters en 1968 ou 1969 n’aurait pas fait le même effet qu’en 2009. A l’époque, nul doute que le film aurait laissé un sentiment étrange à celui qui l’aurait vu. Car pendant 1h50, Six Daughters est un large message vantant les mérites de la société coréenne développée par le gouvernement de l’époque. Une ode à la grandeur du pays, à l’efficacité de son industrie et aux valeurs de son système. Un discours et une vision de la société coréenne qui avait de quoi choquer le public occidental de l’époque (pas qu’occidental d’ailleurs).

Mais ce que nous offre cette vision différée, c’est un recul de quatre décennies éclairant sur la réalité, et faisant passer cet instrument de propagande à la gloire de l’irréprochable nation coréenne pour une farce. Il faut le voir, ce vieux couple de Seoul, allant de ville en ville rendre visite à sa famille et au passage explorant toutes les usines que compte le pays, écoutant avec une passion hilarante les discours vantant toutes les qualités de chacune. Et ces statues ! Et ces paysages ! Tout concourt pour faire passer le message d’une Corée du Sud puissante, moderne, grande.

Ces moments de pure propagande sont tellement irrésistibles que lorsque le réalisateur s’attarde un peu trop sur autre chose, les tracas des personnages par exemple, on trouve un peu le temps long. Malgré le trait tout aussi savoureux de gendres semblant tous vénérer leurs beaux-parents qui met le sourire aux lèvres (vous en connaissez beaucoup, en France, des gendres accueillant leur belle-famille à bras si grand ouverts ?).

Car au-delà de l’apologie du système industriel coréen, il s’agit également dans Six Daughters de prôner les valeurs essentielles, et en particulier celles de la famille. Allant de paire avec le discours de propagande, la famille doit être unie et ambitieuse, visant le confort et la richesse comme idéal de vie. Il y a un étrange moment au cours du film où l’on pense que finalement, un certain esprit frondeur se dessine, lorsque les parents rendent visite à leur dernière fille, vivant pauvrement avec son mari pêcheur. Malgré sa triste condition, celle-ci semble avoir la préférence des parents car elle et son mari ont le cœur bon, ce qui est paraît-il essentiel.

Ah bon ? Finalement, faire fructifier l’économie du pays et aspirer au confort ne serait donc pas essentiel ? Rassurez-vous, dans la dernière scène, la fille pauvre et son époux se présentent aux parents avec l’annonce de l’achat d’un bateau qui va les mettre sur la voie de l’opulence, comme le reste de la famille. Les parents ne laissent plus alors transparaître leur goût pour les valeurs du cœur, ils explosent de joie et le père se réjouit de ne plus être accueilli à l’avenir par un alcool coupé d’eau pour économiser de l’argent.

Ah qu’il était bon d’être sud-coréen sous Park Chung-Hee ! Ah qu’il est bon d’être spectateur aujourd’hui pour se régaler de ce Six daughters s’apparentant désormais à une comédie satirique !

lundi 9 novembre 2009

Hommage à Lee Myeong Se et montagne en peinture au Festival Franco-Coréen

Personne ne pourra me reprocher de ne pas lui avoir donné sa chance. Le cinquième jour du Festival Franco-Coréen du Film fut marqué par la venue, comme la veille, du cinéaste Lee Myeong Se, pour présenter Their Last Love Affair d’abord, puis surtout M, son film le plus récent, le troisième présenté à l’occasion du coup de projecteur mis sur le cinéaste coréen au FFCF. Si vous avez lu mes récents billets sur le festival, vous aurez noté à quel point j’ai du mal à apprécier le cinéma de monsieur Lee.

M, c’était donc un peu le film de la dernière chance pour me convaincre de l’importance du réalisateur dans le paysage cinématographique coréen moderne… Il semble que nous étions nombreux à vouloir nous laisser convaincre, ou bien la simple présence annoncée du cinéaste à la projection a-t-elle fait son œuvre, toujours est-il que la grande salle de l’Action Christine n’avait pas connu telle affluence au cours du festival depuis la soirée d’ouverture mercredi dernier. Et quoique l’on pense de Lee Myeong Se, cela faisait plaisir à voir pour la manifestation.

Et alors, au final ? M est-il enfin le film capable de me réconcilier avec le metteur en scène coréen ? J’aurais aimé répondre oui. Vraiment. Mais en toute sincérité, M serait plutôt le film qui enfonce le clou… Cette fois je ne peux même pas dire « Et pourtant cela ne commençait pas mal », car au contraire le film m’a perdu d’entrée. Si vous me demandiez de vous résumer l’intrigue des 45 premières minutes du film, j’ai bien peur que j’en serais incapable.

Tout juste puis-je vous dire qu’il y est question d’un écrivain à succès qui a rendez-vous avec un éditeur pour parler de sa prochaine œuvre qu’il semble n’avoir pas encore commencé. Il y est également question d’une jeune femme qui suit cette écrivain, mais celui-ci ne semble pouvoir la voir, physiquement. C’est bien confus. Est-elle vivante, est-elle morte ? Est-il bon ou mauvais ? Ce mec à la canne, c’est qui ? Et ce bar, le « Lupin », au fond d’une ruelle étrange, d’où sort-il ??!

Les amateurs de Lee Myeong Se arguent que l’homme est un cinéaste de l’image, qui aime travailler les plans et leur composition plus que tout. Que c’est la recherche visuelle qui prime sur tout chez lui. Certes, cela semble indéniable. Mais lorsque cela ne sert aucun propos sinon un charivari incompréhensible, l’esthétique semble vaine.
Le problème chez Lee Myeong-Se, c’est que non seulement son intérêt pour l’aspect graphique de son film sonne creux, mais en plus cela ne semble être qu’une énième répétition de ce qu’il nous a déjà montré dans la partie antérieure de son œuvre. Certes le réalisateur a plus de moyens et bénéficie d’une technologie plus avancée, mais fondamentalement, M n’innove presque pas pour ce qui est de son style. Et pour un cinéaste porté la dessus, le bât blesse.

Du coup on repère en chaque « trouvaille » visuelle quelque chose de l’un de ses précédents films. L’irruption du noir et blanc. Le montage d’une séquence sous la forme d’une succession de photographies. L’accélération d’un personnage au sein d’un plan. La liste serait trop longue à énumérer…

Pourtant M présente deux séquences, du moins deux moments, au cours desquels Lee Myeong Se parvient à faire avancer son intrigue et à développer ses personnages. Deux moments, pas plus. Deux moments pendant lesquels M ressemble enfin à un long-métrage, et non à une tentative expérimentale ressassant des obsessions esthétiques déjà vues. Ces séquences se suivent quasiment : celle du mariage (qui pourtant commence par une accélération et un passage au noir et blanc !), puis le flash back sur la jeunesse des personnages.

L’intrigue du film, et tout ce qui suit ces séquences, s’articule d’ailleurs autour de ces deux moments clés. Mais tout autour ne règne que l’obscurité. L’obscurité visuelle dont se félicite le cinéaste pour l’esthétique de son film, et l’obscurité d’un scénario prévisible qui a le mauvais goût de se répéter sans cesse et d’utiliser cette vieille combine du rêve pour solutionner ce qui est difficile à expliquer. Les acteurs sont beaux, mais le simple fait de formuler une telle phrase montre à quel point il y a peu de choses positives à dire sur le film.

Le réalisateur était présent en fin de projection pour répondre aux questions, ce qui lui permit de parler de son intérêt pour l’art plastique et son importance dans son œuvre. J’ai préféré ne pas poser de questions, ayant peur d’être incapable de trouver une formulation dans laquelle ne transparaitrait pas mon aversion pour son film. Mais je suis de ceux qui pensent que chaque film enrichit une culture cinématographique, même ceux qui nous déplaisent, donc je suis tout de même heureux d'avoir vu M, et les autres films du cinéaste (mais ne me demandez pas de les revoir !).

Alors que la salle se vida, que l’on discuta dans la rue, devant le cinéma, de cette étrange expérience cinématographique, le nombre de spectateurs se clairsema peu à peu, et nous nous retrouvâmes une quinzaine pour assister à la dernière projection du jour, le documentaire The Mountain in the Front.
Très différent du long-métrage précédent, il fut tout de même intéressant de voir à la suite un film où l’art plastique est au cœur de l’œuvre, dans le portrait de Jin-Kyung, artiste d’une petite ville du Gangwon-do ayant perdu son atelier dans un incendie et cherchant à se reconstruire socialement et artistiquement après cette tragédie.

L’intérêt de ce petit documentaire réside essentiellement en deux points. Le premier, c’est le décor qu’il plante : un village reculé de Corée du Sud, et la difficulté d’y vivre de son art lorsque telle est notre vocation. Le documentaire de Kim Jee-Hyun fait trembler la vision idéaliste du « métier » d’artiste, cette liberté folle qu’on y associe, vivre de ce qu’on aime en toute tranquillité. Ici point de tranquillité mais dettes, troubles de la santé et difficulté à vendre son art, voilà le lot quotidien.

A ce fond social s’ajoute un portrait d’artiste souvent savoureux, Jin-Kyung ayant la particularité, pour une artiste que l’on voit tout de même plus souvent galérer que connaître le succès, de se montrer étonnamment capricieuse et imbue de sa personne. S’étonnant ainsi de sa difficulté à vendre ses toiles, ou leur associant des prix assez exorbitants lorsqu’elle fait son expo dans son petit village reculé (5000 dollars la toile, vraiment ?).
C’est cette personnalité curieuse, et son cadre social, qui offrent à The Mountain in the Front ce visage plaisant bien qu’assez mineur. Quoiqu’après M, n’importe quel film m’aurait sans doute semblé plaisant…

samedi 7 novembre 2009

Famille éclatée et étranges aléas amoureux au Festival Franco-Coréen

Après un vendredi blanc, retour samedi 7 novembre à l’Action Christine pour le premier week-end de la quinzaine du Festival Franco-Coréen du Film. Débuter la journée ciné par un documentaire d’à peine plus d’une heure plaisait d’emblée à mon mal de crâne, mais la perspective d’enchaîner derrière avec le second film de l’hommage à Lee Myeong-Se, après celui vu jeudi, tempérait le ciel bleu de la programmation. Mais chaque chose en son temps…

Film de la sélection officielle, Portrait de famille est le film documentaire de fin d’études de Kim Young-Jo. Le cinéaste en herbe, qui a notamment étudié à Paris, s’y livre aux retrouvailles avec le père qu’il avait cru mort toute sa vie. Enfant, c’est ce que sa mère lui avait dit, préférant lui cacher que l’homme l’avait mise enceinte alors qu’il était déjà marié, qu’il avait finalement renoncé à être son père et était parti.

Portrait de famille montre donc ce trentenaire prendre contact avec ce distant père pour essayer de comprendre ce qui s’est passé entre lui et sa mère trois décennies plus tôt. En fait de documentaire, il s’agit plus d’un journal intime filmé (dans la veine, toutes proportions gardées, de Tarnation de Jonathan Caouette) dans lequel Kim Young-Jo s’interroge sur ce père qu’il n’a jamais connu, son caractère, les raisons qui ont fait que sa famille s’est brisée avant même qu’il ait été en âge de voir ses parents ensemble.

Sans pudeur et avec un certain aplomb, le réalisateur signe un portrait de famille coréenne éclatée qui révèle toute la complexité des mœurs locales, dans les rapports de couples et les rapports familiaux. Élevé seul par une mère bien entourée, abandonné par un père déjà marié qui s’est finalement remarié avec une troisième femme avec laquelle il a fondé une famille (vous suivez ?), Kim est un individu étrange au regard de la société coréenne, surtout pour un enfant né au début des années 70.

Au-delà de l’intérêt presque ethnographique que l’on peut trouver à Portrait de famille, le film séduit par quelques séquences assez surréalistes de retrouvailles familiales. En particulier une scène de restaurant où le fils réunit pour la première fois en 30 ans son père et sa mère, confrontant ainsi un homme refusant de voir dans son passé un comportement plus que malvenu (si ce n’est à demi mot et avec tout de même une certaine bonhomie), et une femme ayant accumulé des années de ressentiment envers un homme qu’elle estime avoir ruiné sa vie.

Ce sont ces confrontations décalées, ces admissions à demi-mot (la mère révélant à son fils que s’il avait plus ressemblé physiquement à son père, elle ne l’aurait certainement pas aimé comme une mère doit aimer son enfant) qui font le sel de ce court documentaire (à peine 1h10).

Avec 45 minutes de pause avant la présentation de First Love, second film présenté dans le cadre de l’hommage au cinéaste Lee Myeong-Se, les spéculations allèrent bon train sur ce à quoi s’attendre avec cette comédie romantique datant de 1993. Serait-ce la pierre angulaire permettant de regarder la filmographie si étrange de Lee avec un autre œil ? Présent, monsieur Lee nous précisa avant que le film ne commence qu’à l’époque, le film avait été mal reçu. Aïe. Mais après tout, peu importe l’accueil qu’a pu recevoir un film quinze ans plus tôt à l’autre bout du monde. Ce qui compte, c’est aujourd’hui, ici, maintenant.

Aujourd’hui, ici, maintenant, j’ai donc vu First Love de Lee Myeong-Se, et il m’est facile de concéder qu’il s’agit globalement d’un film plus plaisant que Their last love affair. Notamment parce qu’il y règne dans toute la première partie un kitsch évident. L’héroïne est une étudiante de 19 ans, habitant un quartier modeste avec ses parents et sa jeune sœur, allant à l’université où elle ne voit pas ce prétendant qui lui tourne autour en cours de théâtre. Le seul qu’elle voit, c’est justement celui qui leur enseigne l’art dramatique. Ce professeur citadin, fumeur, buveur, rustre au premier abord, sous le charme duquel elle tombe finalement très vite.

L’intérêt de First Love réside, si j’ose dire, dans sa faiblesse évidente. Lee Myeong-se fait parcourir son film de symbolismes outrageusement forcés, ce qui fait tourner ce portrait d’étudiante à la farce. Était-ce intentionnel de la part du cinéaste ? En partie peut-être, autant sûrement pas. Il force tellement les traits, les clins d’œil, les effets saugrenus, que le rire se fait plus souvent aux dépens du film qu’avec lui.
Comme à son habitude, le metteur en scène abuse des tics visuels, gros plans sur une boisson que l’on verse dans un verre, défilé de photos pour figurer une scène… Les fautes de goût sont là. Pourtant force est de constater que pendant la première heure, on trouve un certain charme au film, de par ses défauts mêmes (est-ce l’amateur de nanars en moi qui parle ici ?).

Ce qui est dommage, en fin de compte, c’est que le réalisateur n’ait pas gardé ce ton comme ligne directrice intégrale. Certes cette vision globale aurait accouché d’un objet très étrange et ridicule, mais assurément drôle tout du long. Au lieu de cela, dans son dernier tiers, First Love est soudain dénudé de cette touche kitsch qui faisait son unicité. Tout à coup, le film se prend bien trop au sérieux, chose qu’il avait la bonne idée de ne pas faire jusqu’ici. Ne reste plus qu’une succession de scènes manquant cruellement de vie, apathiques, qui ne sauraient clore le film assez vite.

En fin de projection fut improvisée une courte séance de questions / réponses avec le cinéaste qui n’étant pas prévue se dut d’être rapide, afin de rester dans le tempo du festival. Demain, M, son film le plus récent, sera projeté et suivi d’un débat plus long. Peut-être l’occasion de percer le mystère de ce cinéaste bien étrange ?

vendredi 6 novembre 2009

Acteurs en action et drôle de liaison au Festival franco-coréen

Cette fois c’est parti. Après la mise en bouche cérémoniale et coup de poing de la veille, jeudi marquait l’entrée en matière avec les premiers films de la sélection officielle du FFCF, quatrième du nom. Deux des trois films présentés ce jour sont passés sous mes rétines attentives, avec un effet très différent de l’un à l’autre.

Rough Cut, en sélection officielle, est le premier film de Jang Hoon, ancien assistant de Kim Ki-Duk, lequel agit ici en tant que co-scénariste et co-producteur. On y suit deux personnages, l’un acteur, Soo-ta, l’autre gangster, Kang-pae. L’acteur a une fâcheuse tendance à envoyer ses partenaires à l’hôpital à force de cogner trop fort, tandis que le gangster s’est toujours rêvé acteur. Lorsqu’il ne se trouve plus de partenaire acceptant de lui donner réplique, Soo-Ta (Kang Ji-Hwan) offre le rôle de son adversaire à Kang-pae (So Ji-Sub), qui accepte à condition de laisser la simulation de côté et de frapper sans retenue.

Après un premier quart d’heure confus qui laisse craindre que le jeune cinéaste se soit emballé un peu vite, les personnages prennent forme et révèlent la vraie qualité du film : l’effet de miroir entre les deux protagonistes. Le cinéaste s’attache à deux hommes qui sont chacun un reflet légèrement déformé de la même personne. Le ton prédominant aurait pu être celui de la comédie, tant la confrontation sur un plateau de cinéma entre une star imbue et un gangster calme et menaçant aurait pu donner lieu à des gags à foison.

Jang Hoon a l’intelligence de plaquer au portrait croisé des deux hommes un fil dramatique bien nourri au fil du récit. Par bien des aspects, l’acteur ressemble plus à un gangster que le vrai, et inversement. Des deux, c’est le hors-la-loi qui très vite se montre le personnage le plus intéressant. Un homme charismatique, tiraillé entre celui qu’il est conditionné à être, un petit boss mafieux, et celui qu’il aurait aspiré à devenir, un joueur, un acteur, un protecteur.

Pour autant le réalisateur n’idéalise jamais Kang-pae. Au contraire, il semble s’attacher à démythifier la figure du gangster, en le faisant vivre dans un appartement certes confortable mais pas tape-à-l’œil, à l’intérieur duquel on le voit faire sa lessive et étendre son linge comme un individu lambda. De même l’acteur n’est pas une star admirable, mais un type facilement minable qui ne voit sa petite amie que tard dans sa voiture, en cachette, pour tirer son coup, et qui se prend des œufs au visage et galère pour trouver des partenaires à l’écran.

Il ne s’agit pas pour autant d’un tour de force, le récit étant parfois trop facilement découpé entre les deux personnages et la mise en scène manquant parfois d’impact. Mais Rough Cut est un bon film, plus ambitieux que le pitch pourrait le laisser deviner. D’autant qu’il est drôle et bien interprété. Une belle entrée en matière dans la sélection officielle.

Le film suivant, c’est une autre histoire. Their Last Love Affair est présent au Festival dans le cadre de la mise à l’honneur du cinéaste Lee Myeong-Se. Je dois dire que j’entrais craintif dans la salle du fait que le dernier film que j’avais vu du réalisateur était le très pénible Duelist. Mais après tout, Lee Myeong-Se est peut-être plus un spécialiste de films romantiques que des films d’action en costumes… Eh bien non, il ne semble pas l’être plus.

Their Last Love Affair est un méli mélo très étrange, bien souvent indigeste. Cela commence comme une comédie romantique : un professeur de poésie marié rencontre une jeune journaliste, coup de foudre, chambre d’hôtel, liaison. Puis très vite, à peine dix minutes plus tard, c’est l’hystérie, la légèreté cède la place au drame, les amoureux crient et se déchirent. L’intrigue s’évade alors avec les personnages, vers une maison sur la plage à Pusan, où les amants s’installent quelques semaines en secret.

Dans cette partie, le film offre quelques bons moments. Il y règne parfois une atmosphère qui en ferait presque un pendant coréen à Woody Allen, avec des scènes de couple souvent burlesques bercées par une petite musique jazzy. Mais n’est pas Woody Allen qui veut, et finalement là ne semble pas être l’intention de Lee Myeong-Se. Si quelques séquences délirantes parviennent à séduire, elles sont noyées dans un incessant va-et-vient de « je t’aime moi non plus » à répétition, hystérique, interminable, irritant.

Pire, le film, qui date de 1996, s’épanche de tous côtés sur le plan visuel, ne parvenant à aucune cohérence, tentant tout et rien, des ralentis trop appuyés à la scène filmée en plongée, en passant par un brusque noir et blanc assez laid… le tout accompagné d’une musique souvent sirupeuse. Espérons que les deux autres films de l’hommage au cinéaste soient de meilleure facture…

jeudi 5 novembre 2009

Paris se met à l'heure cinématographique coréenne


L’Action Christine n’est pas seulement ce petit temple du 6ème arrondissement qui ravit les amateurs de vieux films américains à voir ou à revoir. Depuis quelques années, le cinéma se pare pendant quelques jours des couleurs coréennes en accueillant le méconnu Festival Franco-Coréen du Film, une manifestation proposant des inédits récents du cinéma coréen, mais aussi des vieux films et des courts métrages, le tout pendant deux semaines.

Chaque année, les tentations sont fortes pour les amateurs des œuvres du Pays du Matin Calme dont je fais partie. A cette occasion donc, je me ferai un plaisir de fréquenter assidûment l’Action Christine et de rendre compte de tout ce qu’il y a de beau (et de moins beau sûrement) à voir au Festival.
Mercredi soir était la cérémonie d’ouverture, qui a ameuté un trop grand nombre de cinéphiles pour pouvoir satisfaire tout le monde. La queue était bien longue devant le cinéma, mais tous n’ont pas pu rentrer, dès lors que la moitié de la salle était réservée pour les invités.

Le Festival Franco-Coréen du Film (FFCF) est bien loin de ces grands festivals parfaitement huilés et plus grands que nature. Ce qui fait son charme c’est aussi son aspect humain, avec une cérémonie faite de micros ne fonctionnant pas, d’orateurs intimidés par la salle pleine de l’Action Christine, ou de discours à foisons se succédant avec plus ou moins de maîtrise et même un intervenant surprise, directeur d’une compagnie aérienne asiatique qui a eu envie de faire un petit speech alors que cela n’était manifestement pas prévu…

Qu’importe, c’est ce qui fait le sel de ce genre d’évènement, la bricole et l’inattendu, d’autant que dans la salle, tout le monde se connaît plus ou moins, entre la communauté coréenne de Paris et les parisiens amateurs de Corée. Sans oublier que, élément déterminant d’une cérémonie d’ouverture de festival réussie, c’est Breathless de Yang Ik-June qui ouvrait le bal des films.

En juillet dernier, j’avais déjà eu l’occasion de voir ce premier film et chanter ses louanges. Je ne cherche généralement pas à revoir rapidement un film que j’ai beaucoup apprécié, de peur qu’un second visionnage ne détériore l’image que je m’étais faite du film. En déprécie les qualités que j’avais décelées au premier abord.
Breathless n’a en cela pas souffert de cette nouvelle projection. Au contraire. La force de ce premier film fauché n’en a été que renforcée. Il y a bien dans ce coup d’essai remarquable de Yang Ik-June une capacité à marier les sensations d’une mise en scène vive et brutale à un sens du récit empreint de poésie. Comme un petit frère enragé de Lee Chang-Dong, autre cinéaste explorant ses contemporains à travers des personnages cabossés, pas forcément sympathiques, bercés dans une atmosphère entre tragédie et lyrisme.

Après la projection, l’acteur / réalisateur était présent pour répondre aux questions, charmant au passage le public par sa spontanéité (tout en décontenançant les traducteurs), avant de passer tout le temps du cocktail à signer des autographes, poser pour les photos, et discuter avec des jeunes femmes conquises.

Le rideau se tire sur cette première journée... C’est parti pour deux semaines de cinéma coréen.

mercredi 4 novembre 2009

La Mara sur tous les fronts : La Vida Loca ou Sin Nombre ?


Après avoir impatiemment attendu sa sortie, et largement tardé à le voir, j’ai enfin vu La Vida Loca, le documentaire de Christian Poveda sur le gang de la Mara 18. L’assassinat du cinéaste quelques semaines avant la sortie du film, au Salvador, sur les lieux mêmes du documentaire, ont grandement médiatisé la sortie du film qui, coïncidence, a récemment été suivie par la sortie de Sin nombre, une fiction cette fois-ci avec en toile de fond les mêmes gangs d’Amérique Centrale.

Finalement j’aurai vu l’excellent Sin Nombre avant La Vida Loca. Une fiction âpre prenant pour protagoniste un membre de la Mara Trucha, Casper, qui plaque tout lorsque son chef tue sa petite amie. Dans sa fuite qu’il sait sans issue, il croise la route d’une adolescente migrant illégalement vers les États-Unis. La similarité thématique entre La vida loca et Sin nombre est saisissante, et il s’avère que leur complémentarité se pose facilement.

Là où le documentaire de Poveda s’attache à nous faire découvrir de l’intérieur la Mara 18, au plus près de ses membres, la fiction de Cary Fukunaga inscrit le problème des gangs dans un cadre plus large, celui de la violence de l’Amérique Centrale, et du violent désir d’y échapper en fuyant, bien sûr souvent vers les États-Unis et la promesse du rêve américain.
Les deux films se rejoignent dans la volonté de montrer que parmi ces gangs, il y a des espoirs individuels, des jeunes qui ouvrent les yeux pour tenter de s’extraire de ce ghetto moral et social.

La question que je me pose depuis que j’ai vu La Vida Loca, en revanche, c’est « Peut-on reprocher à un documentariste de ne pas montrer ce que l’on s’attend à ce qu’il filme ? ». Car aussi intéressant que soit le sujet, et aussi fort le documentaire ait-il été malheureusement rendu par l’assassinat de Poveda, il manque quelque chose à La Vida Loca. Il manque de la distance. Il manque un œil objectif. Ce dont j’ai peur, ce que j’ai ressenti à la vision du film, et j’en suis le premier désolé, c’est une grande complaisance du cinéaste pour ceux qu’il filme.

Poveda passe beaucoup de temps à nous montrer les membres de la Mara pleurer les siens « tombés au combat », s’écrouler de douleur aux enterrements. Il offre aussi de nombreuses séquences sur leur « réinsertion » par la boulangerie, tout en faisant toujours partie du gang. Sur leurs visites chez le docteur. Sur leurs tentatives de renouer avec leurs familles. C’est bien sûr tout à son honneur de montrer cet aspect de leur personnalité, de montrer leur humanité, évidemment.

Mais où est le contrepoids ? Où sont-elles ces scènes montrant également le mal qu’ils infligent ? Où sont-elles ces scènes où leur part violente est révélée ? Sont-ce simplement ces remarques vengeresses rapides, ces « Ils vont nous le payer » à l’enterrement de l’un des leur ? Sont-ce simplement ces scènes de tatouages où ils marquent leur appartenance à la Mara ? Ne seraient-ils finalement qu’une bande de bons gars certes spéciaux et marginaux, mais finalement plus harcelés et victimes que véritablement malfaisants ? Bien sûr ils sont eux aussi les victimes d’une société latino-américaine gangrénée par les injustices, par la pauvreté et la violence. Bien sûr il est important et remarquable que Christian Poveda ait choisi de le dire et le montrer.

Là où le bat blesse c’est lorsque le cinéaste ne fait qu’esquisser la part sombre de ces hommes et femmes. Cette violence, on ne la ressent vraiment que dans le plan final du film, montrant l’initiation par les coups. Comme si tout à coup le cinéaste disait « Tiens au fait, ils se prennent beaucoup de coups dans la tronche, mais ils en donnent eux aussi ». Un peu tard malheureusement.
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