lundi 29 novembre 2010

Quand le spectacle est autant dans la salle qu'à l'écran...

Drôle de journée au cinéma. Lorsque je me suis réveillé samedi matin, le seul plan du jour était d’aller voir le nouvel Harry Potter avec des amis à la séance de midi, histoire d’éviter la foule. J’étais loin de penser que j’allais m’embarquer pour un petit marathon de trois films qui auraient tous pour point commun d’être projetés dans une salle agitée de soubresauts qui en énerveraient plus d’un. Mais depuis que je tiens ce blog, j’arrive à prendre les désagréments avec le sourire en me disant « Au moins, ça fera un billet marrant à écrire sur l’IBC ». Samedi je me suis trouvé dans trois salles où le spectacle était autant dans la salle qu’à l’écran. Et je vais me faire un plaisir de vous raconter ce qui s’est passé.

La journée cinéma a donc commencé avec le 7ème film adapté de la saga littéraire écrite par J.K. Rowling, Harry Potter et les reliques de la mort, 1ère partie, réalisé par le même David Yates qui avait signé les deux précédents opus. Je ne suis pas un fan inconditionnel des Harry Potter, et y vais avec plaisir sans l’impatience excitée des toqués du sorcier à la cicatrice. Mais je sais bien qu’en se rendant aux nouvelles aventures d'Harry Potter en première semaine d’exploitation, on se retrouve avec une salle risquant de rassembler beaucoup d’ados. Hors en faisant fi de ce facteur, je sais que je m’expose aux spectateurs que j’abhorre le plus en ce bas monde. Il n’y a pas de pires spectateurs que ces boutonneux évoluant en meutes pour lesquelles les sorties ciné sont une occasion pour les garçons de faire les kékés devant les filles, pour les filles de s’éclater entre copines, et tant d’autres combinaisons que c’en est flippant. Pire que les vieux qui parlent ou les gamins qui posent des questions, les ados.

Et ceux-ci étaient bien au rendez-vous samedi midi à l’UGC Ciné Cité Bercy. En quelques instants, mes amis et moi étions encerclés. Devant nous, cinq ou six copines partageant un seau de pop corn qui ne sera définitivement vidé qu’à 20 minutes de la fin du film. A ma droite, un couple d’ados avec un autre seau de pop corn. Et derrière ? Encore cinq ou six adolescentes, celles-ci sans pop corn mais avec un gros potentiel pour se faire remarquer comme j’allais le constater au cours du film. En même temps il faut bien avouer que si ce septième Harry Potter avait fait partie des bons crus, j’aurais moins entendu les filles de derrière.

Mais voilà, la première partie des Reliques de la mort est un tout petit Potter, au scénario bâclé et mal rythmé qui ne laisse aucune chance au film. Les ellipses servant à tourner plus rapidement les pages du bouquin évitent ce qui pourrait être de vraies bonnes séquences (une bataille aérienne de sorciers !!) pour se concentrer sur un mollasson triangle Harry/Hermione/Ron courant seul pendant les deux tiers du film, sans personnages secondaires forts qui caractérisent habituellement les films Harry Potter. La galerie de personnages n’est pas exploitée, préférant balader le trio de jeunes sorciers de forêts en forêts avec une intrigue bien mince (alors il faut trouver un médaillon, une fois celui-ci trouvé il faut trouver un moyen de le détruire, et une fois le moyen trouvé il faut trouver l’instrument qui permettra cette destruction… pfff). Il semblerait qu’avoir scindé la dernière adaptation en deux films n’était qu’un prétexte à ramasser plus de fric et à ne pas tuer tout de suite la poule Potter aux œufs d’or, car le doute n’est pas permis : il n’y avait pas de quoi faire un épisode de 2h25 avec ce film. Ce qui déçoit cruellement après la qualité étonnante du sixième volet.

On tombe même bien bas avec une scène de danse absolument ridicule entre Harry et Hermione, sous une tente, dans la forêt. Une scène si ridicule que la salle en a ri aux éclats (ou était-ce parce que les autres la trouvaient véritablement drôle ??), et que l’adolescente placée derrière moi s’est tout à coup crue dans son salon et s’est mise à commenter la séquence pour ses copines. « Ah nan mais ils sont trop ridicules là ! Ils dansent pas en rythme c’est n’importe quoi ! Nan mais ils dansent trop vite ! ». Un petit quart d’heure plus tard (ou était-ce une heure ? j’ai perdu la notion du temps dans ce film…), Harry doit plonger dans un lac gelé pour récupérer une épée. Et allez, on enlève le froc et le haut, et voilà notre Harry en caleçon devant une salle médusée et grondant d’excitation (souvenez-vous, majorité d’adolescentes). Un mec à poil dans la forêt pour des gamines excitées, non nous ne sommes pas dans Twilight, mais on s’y croirait presque. Ma voisine de derrière s’est pour l’occasion de nouveau lancée dans une série de commentaires de salon : « Naaaan, il va pas y aller ! Il est fou moi j’irais pas ça doit être glacé ce truc ! [Harry plong dans l’eau] Naaaaaan il le fait !!!!! ». Au moment où je m’apprête à lui lancer un petit « Ta gueule » bien placé, elle se tait, me coupant dans mon élan.

Lorsque le générique surgit à la fin et que les lumières se rallument, ma petite voisine de derrière n’attend pas une seconde pour balancer « J’ai trop kiffé. Je les kiffe tous de toute façon. Je crois que je kifferais tous les films jusqu’à la fin ». Moi ce que je retiendrai surtout de cette spectatrice c’est une chose qui n’a pas semblé gêner ses copines qui n’ont jamais moufté à ma grande surprise. Car moi, pendant tout le film, je n’ai pas arrêté de l’entendre roter. Oui, vous avez bien lu. Oh bien sûr, pas à gorge déployée. C’étaient des éructations contrôlées, bouche scellée avec échos caverneux. Un son inimitable et parfaitement reconnaissable, que la jeune fille n’a cessé d’essayer de retenir tout au long du film. Toutes les 8 ou 9 minutes, ce bruit si étonnant résonnait dans mon dos. Ce serait ça, l’effet Harry Potter sur les adolescentes ?

Sorti de la salle, séparé de mes amis partis voguer vers d’autres eaux, et avec deux heures libres devant moi, j’ai regardé s’il n’y avait pas un film commençant dans le quart d’heure qui pourrait m’intéresser. J’ai décroché le gros lot avec Date Limite, que je n’avais toujours pas vu et qui me promettait une bonne tranche de rire après la déception Potter. La projection de la nouvelle comédie de Todd Phillips, qui a connu un succès inattendu l’an passé avec le délirant Very Bad Trip, fut surtout émaillée de mes rires. Quiconque est déjà allé au cinéma avec moi sait que lorsque l’humour est à mon goût, je peux être… comment dire… très expressif. Et comme j’ai le chic pour rire de choses qui ne font pas forcément rire tout le monde… il arrive que les autres spectateurs soient surpris. Mes voisines de devant en ont fait le constat devant Date Limite. Phillips réussit un nouveau road movie débridé qui reprend parfois un peu trop facilement des ficelles de Very Bad Trip pour le récit et les gags mais s’avère tout de même franchement hilarant à plusieurs reprises. Et j’imagine très bien que les deux ados devant m’ont vite catalogué dans la catégorie « Mec bizarre » lorsqu’elles se sont tournées vers moi alors que j’étais pris de spasmes assez incontrôlables de rire et que je me tapais la tête contre mon siège (non je ne suis pas un monstre).

Mais ce qui m’a fait rire aussi à cette séance de Date Limite, c’est une fuite d’eau qui avait lieu dans la salle. Non non, pas une fuite d’eau inopinée, mais une fuite d’eau qui était déjà en cours avant que la séance ne commence. Un goutte-à-goutte tombait du haut plafond sur un petit groupe de sièges au fond de la salle. Sur le coup, en entrant je n’avais pas remarqué. J’ai tendance à descendre directement vers le 5ème ou 6ème rang, et ce qui se passe au 12ème rang m’importe peu. Mais là, je me suis à un moment tourné pour voir s’il y avait du monde, et j’ai alors vu dans le reflet des lumières des gouttes tomber du plafond sur des sièges couverts de sacs plastiques. Ahurissant. Avec autour, des spectateurs qui s’apprêtaient à passer tout le film avec le bruit du goutte-à-goutte et pour certains, ceux qui se trouvaient derrière la fuite, l’eau traversant l’écran dans leur champ de vision. Si la salle avait été pleine, je les aurais peut-être plaints, mais là, il y avait largement assez de places libres pour qu’ils se redéployent ailleurs, où l’herbe était plus sèche.

Après un repas pour me remettre de ces deux premiers films et une tentative improvisée (et avortée, devant le monde) de voir le Raiponce de Disney au Grand Rex en VO, j’ai terminé ma journée ciné à 22h, devant l’Espace Saint-Michel, à attendre dans le froid que les portes s’ouvrent pour la séance de Destination Himalaya de Jeon Soo-il, réalisateur de La petite fille de la terre noire. A cette heure-là, dans cette salle-là, les spectateurs sont épars. Trois coréens quinquas ayant l’air un peu éméchés s’arrêtent pour regarder l’affiche, s’amusant de voir à l’affiche à Paris ce petit film coréen qu’ils ne connaissent peut-être pas (mais reprennent leur chemin pour remonter le Boulevard Saint-Michel.

Je vous ai gardé le meilleur pour la fin. Mieux que les ados parlant et rotant, mieux que la fuite d’eau pendant le film, j’ai rencontré pour vous, samedi soir, une cinémaniaque vivant un grand moment de solitude. Elle était placée juste devant moi et mon amie. Nous attendons tous que le film commence. Juste derrière nous, un couple de sexagénaires discute en anglais, elle avec un accent new-yorkais, lui un accent français. Tout à coup la lumière s’éteint, le générique de début commence, le couple de derrière continue à parler. Ma cinémaniaque, plus toute jeune elle non plus, décolorée rousse, lance un « CHUT » puissant leur étant clairement destiné. Effet de silence immédiat. Mais quelques instants plus tard, c’est un couple de trentenaires qui entre en salle en parlant (l’entrée se fait juste à côté de l’écran), et à peine ont-ils le temps de mettre un pied dans la salle et de constater que le film commence que notre cinémaniaque qui a clairement pris le contrôle de la salle leur crie « Vous pouvez vous taire s’il-vous-plait ! ». Les deux ne mouftent pas et se calent le rang devant elle, sur la droite.

Le film se déroule alors tranquillement. Un premier acte calme, zen, une déambulation d’un coréen à travers monts et vallées rocailleuses d’Himalaya, en silence. Ca y est, très vite, mon couple de sexagénaire, dans mon dos, perd pied. J’entends monsieur sombrer dans une série de ronflements peu discrets qui me fait me retourner, ce qui le réveille aussitôt. Le film trouve son rythme en confrontant notre héros coréen à une népalaise à laquelle il n’arrive pas à avouer qu’elle est veuve, que ce mari qu’elle attend ne reviendra pas de Seoul où il est mort en tentant d’échapper à la police. C’est Choi Min-Sik, l’acteur de Oldboy, qui incarne ce coréen qui s’installe alors tel un vacancier chez la veuve en attendant de trouver les mots pour lui avouer la vraie raison de sa présence. J’ai beau me plonger sans peine dans cette belle rencontre, mon sexagénaire replonge lui dans les ronflements, ce qui amuse d’autres spectateurs mais m’agacent d’autant plus que je constate que sa compagne est elle aussi en plein sommeil. Mais heureusement, mes protestations le réveillent, et il ne sombrera plus.

Le spectacle aura finalement lieu devant moi, avec ma fausse rousse de cinémaniaque. La scène, je la vois venir, mais elle est tellement énorme que je n’y crois pas. A l’écran, Choi Min-Sik se repose dans un lit, la caméra est fixe sur lui. Un bruit d’instrument se met alors à résonner sur notre droite. A l’évidence, le son provient de l’enceinte perchée sur le mur droit, mais notre cinémaniaque rousse, absorbée par le sommeil de Choi Min-Sik, et ne voyant aucun instrument de musique à l’écran, remue sur son siège. Je la vois au bout de quelques secondes se pencher en avant et regarder du côté des trentenaires retardataires, qu’elle a à l’œil depuis le début du film car ils ont une nette tendance à se murmurer des choses à l’oreille pendant le film. C’est énorme, elle ne va pas le faire !? Mais si, elle le dit. La cinémaniaque balance sèchement à ces voisins de devant « Vous pouvez arrêter avec votre bruit là ?! », à quoi le mec lui répond, évidemment, tout aussi sèchement « C’est dans le film ! ». Je ne peux résister, j’ai un petit pouffement de rire. Le plan fixe se fait alors mouvant, et la caméra se tourne vers la droite, révélant un vieil homme jouant d’un instrument qui émet ce son si particulier. J’aurais voulu voir la tête de ma cinémaniaque lorsqu’elle comprend son erreur. Je l’entends simplement émettre un léger « Oh… ». Toute la salle l’avait entendu balancer sa remarque, et toute la salle émet alors un petit ricanement.

La passion l’aura aveuglée, difficile de lui en vouloir. Mais nul doute que cette scène l’aura plongée dans un grand embarras : on ne l’a alors plus entendue de tout le film. Il n’est jamais trop tard pour rencontrer une nouvelle cinémaniaque que la maladresse rend touchante, et avec elle s’est achevée cette longue et presque folle journée dans les salles, que les mésaventures ont rendue encore plus savoureuse. Les rencontres sont infinies dans les salles de cinéma parisiennes.

vendredi 26 novembre 2010

Des spectateurs en retard ! Panique dans les rangs !

Je me souviens parfaitement de chaque fois que je suis arrivé en retard à un film. La séance avait eu le temps de s’écouler, la lumière de s’éteindre complètement, et le long-métrage de commencer à égrainer quelques minutes de son intrigue. J’ai horreur d’arriver en retard au cinéma. Déjà que je n’aime pas rater les bandes-annonces, alors rater le début d’un film, imaginez à quel point cela peut m’insupporter. Je me souviens encore comme si c’était hier de ce jour de 1992 où ma mère nous avait emmenés, ma sœur et moi, voir Hook ou la revanche du Capitaine Crochet de Steven Spielberg. Lorsque nous avions pénétré dans cette salle qui me semblait immense du Paramount Opéra, le film était bien entamé depuis 5 ou 6 minutes. Mais à dix ans, je ne demandais rien de mieux que me plonger directement dans les aventures de ce vieux Peter Pan.

Je me souviens également de Gorilles dans la brume au cinéma Jacques Tati de Tremblay-en-France, où mes parents n’avaient eu d’autre choix que de nous installer dans les premiers rangs alors que le film commençait. Ces vieux souvenirs ont en commun que les salles dans lesquelles les films étaient projetées étaient quasi pleines. Dans ces cas-là, on fait profil bas et on s’assoit où l’on peut.
Depuis, j’ai développé une nette allergie pour les retards au ciné. Je suis prêt à arriver une heure à l’avance au cinéma pour un film que je meurs d’envie de voir si j’ai peur qu’il y ait du monde et que les meilleures places de la salle soient prises d’assaut rapidement. Pourtant il m’est arrivé, ici ou là, de caler mes fesses dans la salle alors que le film avait déjà été lancé par le projectionniste. Cela a été le cas pour Kung-fu Panda, Sicko ou le petit thriller australien Acolytes.

En général lorsque j’arrive ainsi en retard, j’ai bien trop honte pour en plus me permettre de déranger les autres spectateurs en me plantant juste devant eux. Mais ce n’est pas là une considération qui passe par la tête de tous les retardataires. L’autre soir, j’ai enfin réussi à attraper Biutiful d’Alejandro Gonzalez Iñarritu. Plus d’un mois après sa sortie, le film ne passait déjà plus que dans deux salles, dont ce Saint-Lazare Pasquier qui a eu ma préférence et m’a fait attendre dans le froid nocturne (c’était la séance de 21h) que l’on puisse entrer en salles. La récompense fut belle car je fis l’heureuse constatation que le film était programmé en salle 1, la dernière des trois salles du cinéma que je n’avais encore jamais visitée. En plus c’est à l’évidence la grande salle, dont la petite salle 3 (dans laquelle j’avais vu l’année dernière Une arnaque presque parfaite) a sûrement été à une époque révolue le balcon.

Un bel et grand écran courbe surplombant une salle à plat, ayant tendance à monter vers l’écran. Je me suis tranquillement posé au cinquième rang (une valeur sûre, croyez-en le cinémaniaque que je suis) pensant, vu l’heure et le nombre raisonnable de spectateurs, que personne ne viendrait s’installer juste devant moi. Perdu. Alors que le rang devant moi est complètement vide, et que je suis moi-même sur un côté du rang pour ne pas gêner les deux filles au 6ème rang, un groupe de quatre amis, qui auraient eu la place de se mettre en décalé par rapport à moi, se collent pile devant moi. Je rumine, car je vois bien que cette salle est de celles dont on voit les têtes devant soi si celles-ci n’appartiennent pas à quelqu’un s’affaissant expressément pour ne pas déranger. Je laisse donc à mes voisins de devant le bénéfice du doute. Ils ont l’air sympa, ils ne vont pas rester raides comme des piquets. Sauf que peu après, voilà des parents et leur fille qui se calent devant eux. Je crains le pire, mais non, tout se passe bien, et personne ne se semble vraiment se gêner, chacun se rétrécit un peu dans son siège.

Mais soudain, alors que 10 ou 15 minutes de film sont déjà derrière nous, les voilà qui arrivent. Eux. Les emmerdeurs. Les mouches du coche. Ceux qui débarquent sans se poser de question et qui sans le savoir (?) vont être à deux doigts de vous bousiller le film. Eux, c’est un couple, la quarantaine, habillés assez chic pour une séance en semaine. Où se mettent-ils ? Il y a l’embarras du choix. Il ne doit pas y avoir plus de 25 personnes dans une salle de plus de 130 places, les côtés sont notamment totalement déserts et parfaitement accessibles sans gêner personne. Mais non, ce serait trop facile, ou sympa. Non. Nos emmerdeurs du soir ont décidé qu’ils se mettraient au deuxième rang. Madame se place presque devant la mère du 3ème (les sièges sont en décalés d’un rang à l’autre) en prenant soin de rester bien droite dans son siège. Après cinq minutes, la mère du 3ème rang râle, se lève, fait le tour, et va s’installer elle aussi au 2ème rang, presque à côté du couple fraîchement arrivé, histoire de ne pas avoir la tête blonde devant elle. Madame jette un coup d’œil à sa gauche, mais ne se demande pas si elle gêne.

Le film suit son cours, et au bout d’une heure, c’est monsieur qui suit l’exemple de madame, se redresse et se tient bien droit. Ils n’ont plus personne juste derrière eux, mais deux rangs derrière, il y a mes voisins de devant. D’où je suis, je me doute bien que le couple de retardataires est gênant, car trois rangs devant moi, je vois le haut de la tête de monsieur empiéter sur le bas de l’écran. Mais pas de quoi me gêner.
Le problème, c’est que je vois que ma voisine de devant a du mal à lire les sous-titres en restant calée au fond du siège pour ne pas me déranger. Alors elle fait des balayages de gauche à droite pour suivre les sous-titres d’un côté et de l’autre de la tête de Monsieur 2ème rang. Ca commence à l’agacer, et moi ça commence à me donner le tournis. On guette tous les deux le moment où sa tête va bien vouloir s’affaisser. Mais ce moment n’arrive pas.

Au lieu de cela ma voisine abandonne la lutte, mais plutôt que de se déporter sur le côté pour ne plus être gênée, elle m’y condamne en se relevant totalement et se faisant la plus grande possible pour lober de son regard la tête du 2ème rang. Et voilà, pour moi c’est foutu, je me retrouve avec un bon quart de l’écran bouché. Je souffle un bon coup, j’attrape mon sac et mon manteau, et je me déporte sur la gauche, me décalant de 4 ou 5 sièges pour ne pas gêner les spectateurs dans mon dos qui sont peut-être, eux, plongés sans difficulté dans le film depuis près de deux heures. Délesté de toute tête traînant à l’horizon de l’écran, j’ai pu enfin me projeter dans le film.

J’aurais aimé pouvoir le faire pendant les 2h30 de ce beau film qu’est Biutiful plutôt que sur ces seules quarante-cinq dernières minutes. J’aurais aimé ressentir l’âpreté de ce récit désenchanté dans les rues de Barcelone du début à la fin. J’aurais aimé être complètement happé par la performance de Javier Bardem, récompensé du Prix d’interprétation masculine à Cannes cette année pour ce rôle de père malade cherchant à régler ses affaires personnelles et professionnelles avant de quitter ce monde.

Ce soir, je suis allé voir L’homme qui voulait vivre sa vie (un autre que j’avais en retard) d’Eric Lartigau. Je n’étais plus au Saint-Lazare Pasquier mais à l’UGC Ciné Cité Bercy, et je suis resté fidèle au 5ème rang. Ce soir, je n’avais pas un seul spectateur entre moi et l’écran, tout le monde ayant préféré se mettre plus haut. Ce soir, j’avais l’écran, et le film, pour moi seul (c’est ainsi que mes yeux l’ont perçu en tout cas). Et après la mésaventure Biutiful, cette sensation de solitude fut grisante. D’autant que le film tient bien la route.

Avis aux retardataires ne se souciant guère des autres spectateurs : je vous ai à l’œil…

lundi 22 novembre 2010

Des Scott, des Jones et des Valois pour remplacer les coréens

Une semaine de films coréens, 17 longs-métrages et neuf courts-métrages, ça épuise. Et ça fait prendre du retard sur le reste de la production cinématographique sortant officiellement en salles. Me voilà donc à courir les cinémas pour attraper ces films que je ne voudrais voir m’échapper. La liste est longue, décourageante à étaler, et nul doute que je ne parviendrai pas à voir tout ce qui m’intéresse. Mais ça ne coûte rien d’essayer.

Ce week-end, j’ai donc enchaîné les films. Certes je n’ai pas encore réussi à caser Biutiful, Le braqueur ou Fair Game, mais chaque chose en son temps. Une des priorités se nommait La Princesse de Montpensier, et celui-ci, je peux désormais le rayer de ma liste. Le nouveau Bertrand Tavernier, passé par la compétition du dernier Festival de Cannes, s’est enfin glissé sous mes yeux. Cette histoire d’amours et de guerres de religion au 16ème siècle, adapté d’une œuvre de Mme de Lafayette, semble grandement divisé ses spectateurs, qu’ils soient journalistes ou pas. Lorsque le générique a commencé à défiler après près de deux heures et vingt minutes de film, les spectateurs remuant et se levant ne semblaient pas mécontent de voir les choses se clore.

« Oh c’était long quand même ». « Oh il aurait pu couper certaines scènes quand même ». « Oh c’était pas génial quand même ». Les intrigues amoureuses autour de la Princesse de Montpensier et le désir qu’elle suscite auprès de son époux le Prince, du Comte de Chabannes, du Duc de Guise ou du royal Duc d’Anjou, semblent susciter beaucoup de « quand même » auprès du public. Pourtant pour ma part je me placerai volontiers dans le camp des charmés qui ont trouvé dans le film en costumes de Tavernier une fraîcheur, un rythme et une modernité qui le rendent tout à fait pertinent. Les amateurs d’Histoire et des intrigues à la cour des Valois seront peut-être déçus de trouver un film qui fait plus la part belle aux intrigues amoureuses, mais il faut reconnaître que Tavernier trouve un équilibre remarquable entre un cadre historique joliment restitué, celui des guerres religieuses entre catholiques et protestants, et un regard tranchant et passionné sur les enjeux romantiques de l’époque.

Certes Grégoire Leprince-Ringuet peine à s’installer dans le ton du film, mais il a face à lui des comédiens qui parviennent à faire coexister le classicisme du cadre et le virevoltant moderne des personnages, notamment Raphaël Personnaz qui compose avec distinction et aisance un Duc d’Anjou intriguant.

A côté des ducs, princes et princesses de Tavernier, le reste de mes films du moment avaient un net accent américain. Il y eut notamment les Scott, oncle et neveu. Si Ridley, avec son Alien, son Blade Runner, ses Thelma et Louise ou son récent Robin des Bois est le plus célèbre et respecté de la famille, il a un frère qui n’est plus à présenter et un fils qui monte. Ce dernier se prénomme Jake qui, après un premier film qui semble avoir été réalisé il y a une éternité (l’étrange Guns 1748), revient au long-métrage avec un délicat film sur un homme d’affaires se prenant d’affection pour une stripteaseuse de 16 ans lui rappelant sa fille décédée quelques années plus tôt. L’effeuilleuse entreprenante en question est campée par une Kristen Stewart que ne reconnaitront pas les fans de Twilight (ouf). Mais c’est surtout James Gandolfini en père qui se trouve une fille de substitution et cette Nouvelle-Orléans qui sert de cadre au film qui attirent et donnent du cachet à Welcome to the Rileys. L’ancien Tony Soprano est décidément de ces acteurs que le cinéma ferait bien d’utiliser comme il se doit.

Gandolfini a par ailleurs déjà tourné avec le tonton de Jake, Tony Scott. C’était dans ce qui s’est avéré un des rares bons films du monsieur, USS Alabama, dans lequel Tony dirigeait pour la première fois Denzel Washington, devenu depuis son acteur fétiche. Quelques heures après avoir vu le film du neveu Jake, j’ai donc vu le nouveau blockbuster de tonton Tony, Unstoppable, son cinquième avec l’ami Denzel après le déjà nommé USS Alabama, Man on Fire, Déjà vu, et L’attaque du train 1 2 3. Tonton Tony et moi, c’est loin d’être une histoire d’amour. L’ancien réalisateur de pubs n’est jamais parvenu à se défaire de ses tics publicitaires et n’a jamais compris que réaliser une pub et réaliser un long-métrage de cinéma n’était pas exactement la même chose, et cela a en général le don de m’énerver. Et saute une nouvelle fois aux yeux avec Unstoppable, ou le combat de deux employés du chemin de fer tentant d’arrêter un train fou sans conducteur fonçant à travers la Pennsylvanie avec une cargaison de produits qui pourraient faire exploser une ville entière.

L’avantage d’un film comme celui-ci, c’est que la réalisation épileptique de Tonton Tony colle mieux au sujet que lorsque qu’il s’essaie au drame vengeur (Man on Fire) ou au film d’espionnage (Spy Game). Du coup, ça passe, et le film se regarde avec plaisir, sans autre promesse qu’une virée hollywoodienne sous adrénaline. J’ai compris depuis longtemps qu’on ne pouvait espérer guère mieux de Tonton Tony, je m’en contente donc avec joie.

Il est également question de famille dans mon dernier film de rattrapage du week-end, La famille Jones. Mais celle-ci sent tout de suite le chiqué. Dès cette première scène où l’on voit David Duchovny (qui se bonifie avec l’âge), Demi Moore (toujours aussi désirable 20 ans après) et leurs deux grands enfants (dont Amber Heard, la fameuse Mandy Lane), tous ensembles en voiture se dirigeant vers leur nouvelle ville, cette famille là sent le coup fourré. Qui sont-ils, ces Jones ? Seraient-ils des arnaqueurs venus dépouiller d’une quelconque manière les habitants crédules d’une riche petite ville ? C’est bien plus compliqué et intéressant que cela. Ils viennent exposer un bonheur et un confort simulés pour pousser leurs nouveaux voisins à la surconsommation. Madame vend de façon subliminale ses fringues et parfums, monsieur son équipement de golf, fiston ses consoles et la petite dernière son foulard sexy.

La famille Jones, un premier film, étonne pour le moins et fonctionne bien, jouant à fond la carte de la comédie entre le jeu de séduction entre les faux époux, la vraie nymphomanie de la fille, et ces voisins gentiment beaufs interprétés par l’inénarrable Gary Cole et la trop rare Glenne Headly (sérieusement, depuis quand ne l’avait-on pas vu ?!). Le film vire un peu maladroitement au drame dans son dernier acte, mais par là même fait passer un message anticonsumériste et anticapitaliste pour le moins étonnant dans le paysage cinématographique du pays de l’Oncle Sam. Et ça on ne peut que le saluer.
Allez, c’était pas mal tout ça, mais j’ai toujours du retard à rattraper… j’y retourne !

jeudi 18 novembre 2010

Une cérémonie, un palmarès, un dernier film... Goodbye FFCF 2010

Ca passe vite une semaine, lorsqu’on la comble par une pluie de films coréens. Eh oui, il est déjà fini cet enchaînement frénétique de longs et courts métrages entre les deux salles de l’Action Christine ! Beaucoup de souvenirs en perspective, cinématographiques et humains. Mardi soir, pour célébrer la clôture du festival, les spectateurs se bousculaient moins qu’à cette soirée inaugurale particulièrement courue. Cette dernière soirée aura plutôt été la réunion des fidèles, de ceux que l’on aura vus tout au long de la semaine, ceux n’ayant pas raté une miette de ce festival qui chaque année parvient à s’élever au-dessus du suivant.

Tous ceux qui ont vécu le FFCF étaient donc là. Les quelques membres masculins du staff, entourés de toutes ces femmes. Les membres des jurys, professionnel et étudiant. Et les spectateurs les plus assidus. Le festival aura beau avoir duré une semaine de moins qu’en 2009, celle-ci aura tout de même permis à chacun de se familiariser avec ses voisins de salle. Celle-ci n’était d’ailleurs peut-être pas pleine pour la clôture, mais elle l’était suffisamment pour montrer l’intérêt que chacun porte à ce festival. Il y eut moins de discours, même si l’inénarrable coréen de la compagnie aérienne Asiana, partenaire du festival, a pu placer un petit discours qui s’est montré populaire auprès des spectateurs (forcément enjoindre le Festival parisien à se montrer plus populaire que le Festival de cinéma coréen de Londres, se jouant à la même période, a boosté la salle).

Bien sûr, il y avait un palmarès à révéler. Un Prix du Court-Métrage Fly Asiana remis par des professionnels à Suicide of the Quadruplets avec Mention Spéciale à Somewhere unreached. Ce dernier a quant à lui raflé le Prix du Jury Jeune Public, catégorie court-métrage. Malheureusement je n’ai pu voir aucun de ces deux films pendant le festival. En tout je n’ai pu voir que neuf courts durant la semaine, dont cinq seulement parmi la sélection officielle. En revanche j’ai vu tous les longs-métrages de la sélection officielle, et j’étais donc assez curieux de découvrir quelle œuvre avait le plus charmé le Jury Jeune Public, et la déception fut au rendez-vous. Après avoir avoué avoir hésité avec My Dear Enemy et Oishi Man (le meilleur film de la sélection à mes yeux), les étudiants ont finalement remis le prix à… Vegetarian. Mouais. Certes le film est original, mais passé l’originalité, difficile de trouver là le film le plus méritant de la semaine. Par ailleurs, leurs hésitations révèlent que les membres du Jury Jeune n’ont jamais envisagé de remettre le Prix à un documentaire, alors que le genre frappait fort cette année entre l’assaut de l’usine de Before the Full Moon, les errances artistiques et humaines de Sogyumo Acacia Band’s Story le beau portrait de femmes de Earth’s Women, et la radicalité audacieuse de Taebaek, Land of Embers. Enfin.

La clôture du festival, c’est bien évidemment un film, aussi. L’année dernière, le FFCF s’était refermé dans la bonne humeur de Robot Taekwon V, une belle conclusion confirmant l’audacieux mélange des genres qu’avait été la manifestation. Cette année, force a été de constater que la diversité avait été moins recherchée, les programmateurs (hasard ou pas ?) ayant réuni des films qui avaient la particularité de tous s’attacher soit au social (la plupart des documentaires notamment) soit à des personnages paumés et en quête d’un but dans la vie. Du cinéma très mélancolique, voire amer, qui s’est confirmé dans le film choisi pour faire la clôture, Break Away.

Ce dernier film du FFCF 2010 suit deux garçons ayant déserté le service militaire pour des raisons personnelles qui ne nous sont pas révélées d’emblée. Ils deviennent vite les ennemis publics numéros 1 à travers le pays, avec flics et soldats à leurs trousses. Bien décidés à ne pas se faire attraper et à ne jamais remettre les pieds sur leur base, ils trouvent de l’aide en la personne de la petite amie de Hae-Joon, l’un des deux déserteurs. Mais combien de temps peuvent-ils tenir ainsi lorsque tout le pays semble les chercher ?

Pas de doute, Break Away s’inscrit dans la droite lignée des films du FFCF 2010. On y trouve deux personnages cherchant à s’extraire du carcan dans lequel la société veut les astreindre. Tristes et paumés, ils rêvent d’ailleurs, ils rêvent d’être libres de leurs gestes au sein d’une société où il ne fait pas bon sortir des sentiers battus. Avant que ne se dégage ce sentiment fort dans le long-métrage de Lee Song Hee-il, il faut tout de même traîner dans une course-poursuite un peu trop téléphonée. Le film démarre vite, nous plongeant dans la forêt avec les déserteurs qui ont déjà l’armée aux trousses. Pendant la première heure, peu de surprise. Le déroulement scénaristique suit une trame standard : les deux hommes se séparent dans leur cavale, chacun partant retrouver des êtres chers, pour l’un sa mère mourante, pour l’autre sa sœur, mais évidemment tout ce qui les attend sur ce chemin, ce sont les hommes qui les pourchassent, et ils se retrouvent donc de nouveau ensemble, finalement conscients que leur fuite ne passe pas inaperçue, et qu’elle ne pourra jamais mener à une vie normale.

Là où le film devient intéressant, c’est dans sa seconde partie, lorsque la course-poursuite se calme. C’est vrai qu’à un moment, les voir se pointer un peu partout et trouver à chaque fois les flics qui leur courent après rapidement, ça devient lassant. Mais lorsque le film se pose, qu’il prend le temps de mettre les personnages face à leurs possibilités et à leurs choix plutôt que de les placer dans un mouvement prévisible, le réalisateur parvient à insuffler du caractère à l’œuvre. Bien sûr il eut été préférable de s’écarter de la facilité dans laquelle Break Away se complait parfois un peu trop, mais finalement un rythme et une voix se font entendre, une voix criant son agacement des institutions, des préjugés et d’un certain immobilisme sociétal. Une voix amère bien sûr, représentative du cinéma qui nous a été projeté une semaine durant à l’Action Christine.

Après Break Away, la lumière est revenue une dernière fois pendant ce Festival Franco-Coréen du Film 2010. Un festival qui se sera révélé intense en se resserrant sur une semaine, même si sur ce tempo, il passe bien trop vite et s’avère épuisant. L’année prochaine, je sais déjà que les fidèles reviendront. Et j’espère qu’ils seront encore plus nombreux.

mardi 16 novembre 2010

Deux p’tits derniers avant la clôture : Elbowroom et Earth’s Women au FFCF 2010

Quand on est cinéphile et qu’on fréquente les salles parisiennes, les choix cornéliens sont une habitude hebdomadaire. Il n’y a décidément pas assez de jours dans une semaine pour voir tous les films que l’on voudrait voir, et c’est encore plus vrai lors d’une manifestation comme le Festival Franco-Coréen du Film où l’on voudrait voir tous les films programmés.

Lundi soir, il me fallait ainsi choisir entre voir le dernier film de la sélection 2010 à n’être pas encore passé devant mes yeux et le KOFA Classique Quit your life qui me faisait terriblement envie après les coups de tatanes jubilatoires vécus samedi avec Returned Single-legged Man. Mais avant de me décider, quoi que je décide, je devais voir Elbowroom. Et ce n’est pas sans crainte que j’ai posé mes fesses devant ce drame prenant pour cadre un établissement pour personnes handicapées et pour héroïne Soo-hee, l’une des pensionnaires ayant à subir les abus physiques et psychologiques du personnel. Car si Lee Chang Dong s’est magnifiquement emparé d’un tel personnage pour son Oasis, le sujet est clairement casse-gueule et a une nette tendance à plonger ses spectateurs dans un état dépressifs.

Le début du film m’a d’ailleurs conforté dans mes doutes de pré-projection. Tout est brut dans le film de Ham Kyoung-Rock, et je me suis vu partir dans une spirale de noirceur à laquelle je ne me voyais pas m’accrocher. Je n’ai rien contre la noirceur, au contraire, mais celle-ci montrant des sévices sur des handicapés, je n’en avais pas envie. Pourtant à ma grande surprise, plus le film avançait, plus je m’y accrochais. L’austérité se fissure peu à peu pour laisser transparaître des émotions. Surtout, l’actrice principale, au cœur du film qu’elle porte de bout en bout, aimante la caméra et avec elle l’attention du spectateur. Le sujet, grave, profond est d’une banalité terriblement fascinante. De la peur des premiers instants nait finalement un film dur et beau.

Mais tout beau qu’il soit, Elbowroom confirme une nette tendance de la sélection 2010 du FFCF à un cinéma sombre, mélancolique et social qui aura laissé peu de place à la légèreté et à l’humour. Bien sûr Crazy Lee et les KOFA FFCF Classiques auront pu remplir ce rôle, mais il semblait tout de même manquer de rupture de ton dans les films sélectionnés pour la compétition, contrairement à une édition 2009 où les films n’étaient peut-être pas d’une qualité supérieure mais offraient tout de même une plus grande diversité de genre, à l’image de Rough Cut, Viva ! Love ou Norwegian Woods, lorsque cette année, sortis des documentaires sociaux et des drames dopés au spleen, il n’y avait pas grand-chose.

C’est pour cela qu’après Elbowroom, j’ai finalement opté pour Earth’s women plutôt que pour Quit your life. Je m’étais juré de voir tous les films en compétition, et celui-ci était le dernier qui me manquait. Je voulais m’assurer qu’il n’y avait décidément pas de comédie cette année parmi la sélection du FFCF.
Évidemment, c’est dans ces moments-là qu’un film arrive pour contredire les conclusions de fin de festival, et que je me mets donc à rire. Eh oui, Earth’s women a beau être un documentaire social lui aussi (encore), mais ça n’empêche pas sa réalisatrice Kwon Woo-Jung de nous faire rire. Pour son deuxième long-métrage, Kwon a suivi pendant un an et demi trois femmes ayant choisi, après leurs études près de deux décennies plus tôt, de s’installer à la campagne et de devenir agricultrices. Si Earth’s Women n’est certainement pas le documentaire le plus abouti cinématographiquement, avec une structure et une approche plus classique que les autres documentaires, le film n’en est pas moins un triple portrait de femmes sachant se montrer savoureux.

La réalisatrice se penche sur leur passé, leur arrivée à la campagne des années plus tôt, leur adaptation, et le rôle que chacune d’elle joue aujourd’hui au sein de leur communauté. L’humour surgit constamment dans la première partie du film, avant de mettre en avant les luttes sociales et l’émotion d’une des femmes devenant brutalement veuve. Peut-être aurais-je moins apprécié Earth’s women si je l’avais vu en début de festival. Mais après tous ces films sombres et amers (tout en étant bons, voire très bons pour certains d’entre eux) qui ont composé les longs-métrages de la sélection 2010 du FFCF, cette petite bouffée d’air campagnarde m’a fait le plus grand bien. C’est bon, je suis prêt pour la clôture !

Ah oui, et pour ceux qui ont compté et se disent que non, je n'ai pas vu tous les films de la sélection puisqu'ils n'ont vu nulle part trace d'un avis sur Sakwa, rassurez-vous, c'est juste que le film ne m'a pas inspiré le moins du monde l'envie d'écrire dessus. Ce faux triangle amoureux pas vraiment mauvais mais invraisemblablement long m'a laissé totalement insensible et mortellement ennuyé, à un degré tel que je ne voulais pas écrire la moindre ligne dessus. Et bien sûr maintenant c'est raté, voilà que je me suis mis à écrire dessus. Tant pis !

lundi 15 novembre 2010

Un dimanche au Festival Franco-Coréen du Film 2010

Lorsque le FFCF s’étalait sur deux semaines, enchaîner trois ou quatre films dans la même journée n’était pas nécessaire. Cette année, c’est mission impossible de tout voir si l’on refuse de faire journée pleine sur journée pleine. On bouffe de la pellicule (bon en l’occurrence, plutôt de la betacam, mais l’idée est la même) du début d’après-midi à l’entame de la nuit, et malgré la fatigue, malgré la future nostalgie d’un festival qui aura filé trop vite, malgré la malbouffe ingurgitée, c’est du bonheur.

Mais il y a des soirs - surtout les dimanches lorsqu’il faut se lever tôt le lendemain pour aller bosser - il y a des soirs - c’est ça de faire son fier à tenir son blog seul quand tant d’autres sont rédigés à plusieurs mains (un gros clin d'oeil) - il y a des soirs (mais je vais y arriver bon sang !) où multiplier les billets pour rendre compte de tout ce qui a été vu dans la journée est totalement déraisonnable. Et ce dimanche fut une de ces journées dantesques qu’il serait trop dommage de ne pas décrire dans son intégralité. Alors voilà, tout le monde se met en place, on éteint sa clope, on colle le biberon à bébé pour être tranquille, on vérifie que le boss est pas dans le coin si on est au boulot... c’est bon, tout est prêt ? Allez c’est partie pour le récit d’une dimanche au Festival Franco-Coréen du Film 2010.

12h55. Les portes (de bois ?) de l'Action Christine ne sont pas encore ouvertes, mais le duo de Made in Asie est lui aussi prêt pour faire son marathon FFCF en ma compagnie. Le premier film au programme est Taebaek, Land of Embers. J’ai entendu le directeur artistique du festival, Yoo Dong-Suk, dire le plus grand bien de ce documentaire s’attachant à une petite ville minière dont l’énergie due à l’activité charbonnière n’est qu’un souvenir chancelant de plus en plus lointain. Après un premier quart d’heure à deux doigts de me mortifier, se contentant de filmer en silence les tunnels et les paysages miniers, le film de Kim Young-Jo s’éveille enfin, se penchant sur l’histoire de Taebaek, sur les gens qui peuplent la région, sur les souvenirs, les doutes, les craintes. Un regard sans fioriture, osant parfois de longues séquences silencieuses où l’on suit un homme marchant à travers la ville, ou une vieille femme faisant de même. Dans ces moments-là, mes lourdes paupières n’ont pu résister à se fermer pour recharger les batteries. A noter que l’année dernière, le précédent documentaire de Kim Young-Jo, le très intime Portrait de famille, faisait partie de la sélection 2009 du FFCF.

14h20. Sortis de la salle 1, plus d’1h30 nous sépare de la Masterclass de Ryoo Seung-Wan inscrite dans mon planning. Du coup, je me glisse à la suite des amis de MIA dans la salle 2 pour attraper en cours de route le programme 1 de Courts-métrages, commencé à 14h. Il reste trois courts-métrages, ce qui justifie amplement de s’installer en salle plutôt que d’aller glander dans la rue. Après la gentille histoire d’une fillette de cm2 tombant amoureuse d’une petite danseuse du même âge, Feel so Good, deux courts pour le moins étranges se succèdent. L’éthéré At 3pm de Kim Ji-Gon, balade soporifique dans différents quartiers urbains, et particulièrement dans la cabine de projection d'un cinéma. Retirez la mention « étrange » pour celui-là, il était juste gonflant. En revanche, Tongro mérite assurément la mention. Le film semble d’abord nous emmener vers du fantastique inquiétant, avec trois jeunes gens mettant la main sur des bébêtes mystérieuses, mais finalement l’attente suscitée s’évanouit, le réalisateur Lee Tae-an n’exploitant finalement aucune des possibilités posées par son idée de départ. Au lieu d’aller nous titiller, le film vient juste nous décevoir. Bouh.

15h35. A la sortie du programme de courts, un type qui était déjà présent à la séance précédente pour Taebaek m’alpague en révélant qu’il m’a grillé en train de m'endormir devant le documentaire ouvrier. J’avoue, « Oui, je fermais les yeux, mais je ne dormais pas ! ». L’anecdote va me poursuivre tout l’après-midi.

16h et des poussières. Quelques dizaines de spectateurs s’installent pour la Masterclass dispensée par Ryoo Seung-Wan, dont j’ai vu deux films dans les jours précédents au FFCF. Charles Tesson joue au chef d’orchestre et Yoo Dong-Suk au traducteur pour l’occasion. Les classiques questions d’un Tesson que l’on découvre totalement unaware de la carrière du cinéaste coréen lancent Ryoo dans de longues tirades où il nous révèle ses premiers souvenirs de cinéma (Bruce Lee et Jackie Chan en force !), ses premiers émois cinéphiles (John Ford), et ses débuts professionnels au côté de Park Chan-Wook après avoir dévoré les critiques écrites par ce dernier, critiques qui ont forgé son goût pour la série B. Parsemée de quelques bugs techniques, la Masterclass s’est ponctuée d’extraits de films commentés (No blood no tears, Arahan et Crying Fist). Sympa le Ryoo Seung-Wan.

18h. A peine sortis qu’on retourne dans la salle 1 ! De nouveau pour un documentaire donnant dans le social. Après la mine, direction Before the full moon et son usine de Ssangyong Motors où, à l’été 2009, les employés se sont dressés 77 jours durant contre leur direction pour tenter d’empêcher des licenciements en masse. Le film a beau être parcouru d’une voix-off didactique un peu trop lénifiante et journalistique, le sujet est explosif, et les images des assauts policiers pour tenter d’enrayer la grève sont édifiantes. L’émotion est palpable dans la salle. Avant la projection, des ouvriers coréens sont venus faire un discours. Ceux-ci luttent également à leur manière contre leur (ex) employeur, le français Valéo. Depuis des mois, ils viennent régulièrement en France manifester devant le siège social de l’entreprise française, dans le 17ème arrondissement parisien, pour tenter de se faire entendre et ne pas se laisser mettre à la porte sans l’égard économique et financier qui leur est dû. Courage les gars, on est avec vous !

19h30. Avant d’aller voir Vegetarian à 21h30, un rendez-vous à 20h30 avec des amis qui eux sont allés voir Ha Ha Ha à 18h30 m’empêche d’aller voir le programme 2 de courts-métrages dans son intégralité. Mais rien ne m’empêche d’aller voir les deux premiers courts et de sortir discrètement après. Il y a du monde dans la salle, étonnant pour un programme de courts. Lorsqu’il est annoncé que le réalisateur français (Yann Kerloc’h) du film Ballad of a thin man est présent pour la projection de son court avec toute l’équipe de son film, tout s’explique. Dommage, son court sera le dernier projeté, et je ne serai plus en salle lorsqu’il passera. D’autant que les deux courts vus, Shall we take a walk et Indra’s net, sont peu mémorables.

20h30. En attendant que mes amis sortent de Ha Ha Ha, je discute avec un membre du staff du festival, qui me reconnaît de la soirée d’ouverture, lorsque je ne l’avais pas lâché pour savoir si mon amie pourrait finalement acheter une place pour entrer en salle elle aussi. Ce dimanche, on discute des films que j’ai vus dans la journée, et lorsque je lui dit que j’ai vu Taebaek, il me révèle qu’il habitait là-bas lorsqu’il était jeune enfant. « Dans une autre vie » me dit-il avec le sourire. Puis la conversation dérive vers Hong Sang-Soo. Oui j’ai vu ses films lui dis-je. Non je ne savais pas que Hong y disait tout haut ce que les hommes coréens pensent tout bas. « Je peux pas voir un de ses films avec mon père ou ma mère, ça me fait rougir » me révèle-t-il. J’adore le staff du FFCF.

21h30. Les premiers spectateurs de la salle 1 sortent enfin, ceux qui ont pu voir les courts métrages 2 dans leur ensemble. Mes camarades de Made in Asie sont parmi les premiers à sortir. « Alors ! Ils étaient comment les courts que j’ai ratés ? ». Rien qu’à leur tête, les mots étaient inutiles. Et chaque spectateur que je connais sortant de la salle me fait bien comprendre que je n’ai rien raté en zappant Ballad of a thin man, qui semble avoir fait l’unanimité dans le mauvais sens. Mais celui-là, je laisserai ceux qui l’ont vu en parler.

22h. C’est avec près de trente minutes de retard que l’on s’engage enfin dans Vegetarian, le premier long-métrage de Im Woo-Seong. Dans les escaliers menant à la salle, je tombe sur celui qui m’avait surpris les yeux fermés devant Taebaek plusieurs heures plus tôt, qui ne peut s’empêcher de ressortir une petite blague, profitant de l’heure tardive pour laisser entendre que je vais m’écrouler. Je lui assure pourtant du contraire. Et s’il s’avère effectivement que non, je n’ai pas eu besoin de recharger les batteries devant le dernier film de la journée, je n’en suis pas pour autant sorti conquis. Malgré quelques beaux passages, ce récit d’une femme persuadée qu’elle peut devenir plante et exerçant une puissante fascination sur son beau-frère appuie parfois trop lourdement sur ses effets (mes oreilles souffrent encore de la musique grandiloquente…). Sundance a peut-être été conquis, je suis plus sceptique.

Minuit. Notre long dimanche à l’Action Christine s’achève. Il avait commencé avec les portes du cinéma qui s’ouvraient, il se conclue avec ces mêmes portes refermant pour quelques heures les deux salles du 6ème arrondissement parisien. Que je retrouverai dès le lendemain.

dimanche 14 novembre 2010

Returned single-legged man ! Quand le titre trompe mais le film éclate !

L’une des sections les plus appréciées des amateurs de cinéma coréen se déplaçant avec fidélité au Festival Franco-Coréen du Film, c’est le KOFA-FFCF Classiques. Une programmation de film d’archives autour d’un thème ou d’un genre commun. L’an passé, le festival nous avait régalés avec des films de propagande. Pour l’édition 2010, ils ne semblent pas s’y être trompés non plus en choisissant de nous introduire à quelques raretés du cinéma d’action coréen des années 70.

Samedi après-midi, rendez-vous était donc pris en salle 1 de l’Action Christine pour découvrir Returned single-legged man réalisé par Lee Doo Yong en 1974. Attention cependant. Ceux qui pensent trouver là les aventures vengeresses d’un guerrier unijambiste seront déçus, car le film n’a à l’évidence pas été choisi pour refléter ce que l’on trouve dans le film. Non, le héros ne marche pas sur une seule jambe. Ni aucun second rôle. Personne n’a de jambe en moins, écrasée, coupée, tranchée, explosée ou que sais-je encore, de la première à la dernière minute du film. Oui je vous entends huer d’ici « Bouuuuuuh, publicité mensongère, remboursez nos billets ! ». Du calme du calme. Certes les coups de tatane ne sont pas prodigués par un unijambiste dans Returned single-legged man. Mais cela n’empêche pas le film de Lee Doo-Yong d’être un moment d’éclate total, et c’est déjà le plus important, non ?

A défaut de guerrier unijambiste, le héros du film est un tigre. Du moins se fait-il appelé Le Tigre. Coréen, il est le fils adoptif d’un puissant malfrat chinois de Harbin (les sinophiles sauront placer la ville sur une carte au nord-est de la Chine) qui fut un temps une véritable terreur pour ceux qui croisaient son chemin. Mais Le Tigre, alias Yong-Cheol, n’est plus que l’ombre de lui-même. Il passe désormais son temps à écumer les bars en vagabondant. Cependant lorsqu’il apprend que la femme qu’il aime, qu’il avait dû quitter parce que ses activités au sein de la Mafia de Harbin avait conduit à la mort de son beau-frère, a dû épouser de force un vilain japonais du nom de Yamamoto qui a pris le contrôle de la ville, Le Tigre se refait une santé et s’apprête à montrer l’étendue des qualités de son taekwondo.

Returned single-legged man a la saveur des films désuets. On s’y rend pour le plaisir d’un film d’une époque passée où les standards de coolitude au cinéma n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui. En résulte un film d’action devenant avec le recul comédie pour notre plus grand plaisir. Les dialogues surannés et le jeu des acteurs outranciers sont une constante tout au long du film. Et si on ne peut qu’admirer l’agilité du Tigre, qui nous fait une sacrée démonstration de ses capacités à distribuer des coups de pieds d’une amplitude proprement hallucinante, le plaisir du film tient également (surtout ?) dans ses petits détails de la mort qui tuent. Cette petite moustache ornant les lèvres du Tigre. La facilité avec laquelle il prend des poses « sexy » en toutes circonstances. Ses courses qui ne se montrent pas tout le temps très masculines.

Mais s’il y a une chose à retenir de Returned single-legged man, une séquence d’anthologie qui rende le film inoubliable, c’est le combat entre notre héros et son futur beau-frère dans un flash-back jouissif. Les deux s’affrontent car le futur beauf refuse la main de sa sœur au Tigre, qui va donc l’affronter à mort. Bien sûr finalement, le beauf acceptera de changer d’avis devant la force de persuasion et l’agilité du Tigre, mais avant cela, leur combat se montrera absolument délicieux. Oui bien sûr, il y a l’échange de coups de tatanes, les sauts 10 mètres et l’endurance légendaires de ce type de combat, mais ce qui rend celui-ci particulièrement bon, c’est une séquence de combat aquatique. Oui, vous avez bien lu, les deux hommes s’affrontent sous l’eau. Mais comment, vous demandez-vous ?!

Le réalisateur, ingénieux, a mis au point une technique redoutable. Lorsque les deux adversaires se renversent dans une rivière adjacente à leur combat, ils se retrouvent immergés… Mais toujours combattifs. La caméra reste focalisée sur la rivière, tandis que le bruit caractéristique des coups dispensés se fait entendre « Pif ! Paf Bam ! », sans que l’on voit les adversaires. Seule la rivière est filmée, et la caméra se déplace sur elle, comme si elle suivait les déplacements des deux guerriers sous l’eau. Puis au bout de quelques dizaines de secondes de ce combat aquatique invisible, les deux hommes s’éjectent de la rivière et se retrouvent sur le sable.

La séquence est plutôt hallucinante et parfaitement hilarante. Bien sûr le film tire trop en longueur, comme souvent pour ce genre d’œuvre dont le style est quelque peu tombé en désuétude et dont la saveur ne tient pas forcément sur la longueur. Mais cette séquence sous-marine entièrement filmée sur la terre ferme rend Returned single-legged man, le film sans unijambiste malgré le titre, immortel.

samedi 13 novembre 2010

Deux films pour confirmer la bonne santé du Festival Franco-Coréen du Film

Alors que le Festival Franco-Coréen du Film bat son plein, je ne peux que d’ores et déjà constater quelque chose que nul festivalier ne pourra renier : l’édition 2010 est en forme. Je parle de films bien entendu, de films qui jusqu’ici, malgré une ou deux déceptions, se montrent de belle qualité, de meilleure qualité qu’en 2009. Preuve en a encore été faite vendredi, quatrième jour de la manifestation. D’abord avec Crying Fist dont je vous ai parlé plus tôt, ensuite avec deux films de la sélection, dont un en particulier a comblé mes attentes de spectateurs.

Mais contrairement au bouche-à-oreille, ce film n’est pas A light sleep. Non, le premier long-métrage de Yim Seong-Chan n’est pas un mauvais film, il est même plutôt intéressant. Mais on m’en avait dit tant de bien depuis sa première projection mercredi que je m’attendais à voir LE film essentiel de la compétition de longs, alors que ce titre venait d’être emporté quelques minutes plus tôt à mes yeux par un film dont je parlerai un peu plus bas.

A light sleep suit les pas de Yeo-Lin, une lycéenne solitaire qui s’occupe seule de sa petite sœur depuis le décès de leurs parents. A la fois taciturne et enjouée, Yeo-Lin repousse sans conviction les avances de Joo-go, au grand dam d’une de ses camarades de classe qui elle se pâme d’amour pour lui. Les petites histoires de cœurs lycéennes sont loin d’être ce qu’il y a de plus intéressant dans ce délicat film. J’irai même jusqu’à dire que ce qui rend le film bancal, c’est justement ce sentimentalisme pas déplaisant mais mal maîtrisé scénaristiquement. Le film bénéficie d’une belle déconstruction narrative, zigzaguant entre les jours, mais autant le portrait de jeune fille qui se dessine au long du récit tient bien la route, notamment grâce à la délicatesse de la jeune comédienne Choi Ah-Jin, autant les trous laissés par l’errance narrative plombent par certains aspects le film.

Le point d’orgue de cette déception est la scène flash-back épilogue qui tombe comme un cheveu dans la soupe, loin d’être nécessaire et même cohérente. Mais la légèreté globale de l’œuvre, parcourant le film avec douceur, le rend tout de même charmant, à défaut d’être indispensable.

Pour moi la vraie révélation de la journée fut Oishi Man. Peut-être parce que je n’en avais pas entendu parler depuis deux jours contrairement à A light sleep, mais certainement aussi parce que le film déborde d’une poésie cinématographique qui m’a enchanté.
Le film suit les déambulations de Hyun-Suk, ex-futur musicien à succès qui, ayant appris que ses problèmes d’oreille mettaient un terme à sa carrière, part dans le froid japonais d’Hokkaido, où il ne connaît personne, où le froid fait régner le silence, et où il ne parle pas la langue. Là-bas, il s’installe quelques jours dans une pension tenue par une japonaise un peu excentrique, Megumi.

Oishi Man est de ces films dont j’ai du mal à exprimer les qualités, car celles-ci ne sont pas quantifiables ou clairement identifiables. C’est un cinéma du ressenti, et c’est ce trait qui cristallise les émotions devant le film de Kim Jeong-Jung. Le décor enneigé d’Hokkaido joue un rôle déterminant dans le film, il ne s’agit pas d’un simple décor, c’est un personnage à part entière, dialoguant presque avec les personnages.

Le froid, les sons, la musique qui parcourent Oishi Man en font un cocon cinématographique, une bulle d’oxygène dans laquelle on vit en décalé, à un rythme ralenti. Ce soin extrême étonne tant que dans les premiers moments du film, j’avais la sensation qu’il pouvait basculer dans le thriller. Mais heureusement non. Le film se contente merveilleusement d’être une errance poétique et bucolique d’un être cherchant à se sortir de ses doutes et à se régénérer, parcouru au passage de jolis moments de comédie dans les confrontations linguistiques et culturelles entre le coréen mutique et la japonaise iconoclaste.
Inattendu, posé, réfléchi, délicat, Oishi Man est une belle révélation du Festival.

Ryoo Seung-Wan à l'honneur avec humour et style au FFCF 2010

L'an dernier, le Festival Franco-Coréen du Film avait invité le peu intéressant Lee Myung Se comme cinéaste à l’honneur. Les films que j’avais déjà vus de lui m’avaient peu impressionné, et les trois que j’avais découverts au FFCF 2009 m’avaient confirmé que le cinéma du réalisateur coréen n’était pas du tout compatible avec mes goûts cinématographiques. Forcément, je guettais avec curiosité et inquiétude le nom de celui qui lui succéderait au cours de cette édition 2010. Lorsque ce fut Ryoo Seung Wan qui fut annoncé, la satisfaction domina les autres sentiments, car je n’avais vu qu’un film du metteur en scène jusqu’ici (je sais, je sais, vous allez me dire « Mais la plupart existent en DVD en France ! »).

La crainte n’était tout de même pas loin derrière la satisfaction, car le seul film vu jusqu’ici était Die Bad, vu il y a quatre ans à Paris Cinéma, qui m’avait laissé froid. Ce premier long-métrage (en fait plusieurs sketches assemblés) est par ailleurs l’un des films retenus par le FFCF… peut-être lui aurais-je laissé une seconde chance si le programme du festival avait été moins chargé, mais ma priorité a été mise sur les deux autres œuvres de Ryoo Seung-Wan présentées.

La première est arrivée jeudi soir après avoir souffert devant The Room Nearby, et le spectacle que m’a offert Crazy Lee – Agent secret coréen correspondait parfaitement à ce dont j’avais besoin en tant que spectateur ce soir-là. Une bouffée d’air purement délirante aux effets salvateurs dans le contexte post-mauvais film. Pourtant dans les premières minutes du film, j’ai douté. J’entendais les coréennes rire à gorges déployées derrière moi pendant que je me demandais ce qu’il y avait de si drôle dans une des scènes d’ouverture.
Crazy Lee suit une mission de Dachimawa Lee, le plus grand agent secret coréen, adulé des hommes et désiré des femmes, sous l’occupation japonaise des années 40. L’agent Lee doit mettre la main sur un Bouddha en Or renfermant une liste que convoitent des comploteurs japonais, chinois, et même coréens renégats. Voilà le point de départ, prétexte à une parodie absurde et jouissive d’un cinéma local qu’il n’est pas nécessaire de connaître pour se régaler (je ne connais pas les films parodiés, et cela ne m’a pas empêché de rire !).

La fameuse séquence qui au début du film me laissait perplexe voyait les comploteurs réunis, coréens, chinois, japonais, pour mettre au point leur plan. Les coréennes riaient tellement dans la salle que j’avais du mal à prêter attention à ce qui se disait et comment cela se disait… Puis en tendant mieux l’oreille et en faisant abstraction des rires, j’entendis mieux les chinois et les japonais parler… et ceux-ci parlaient en réalité coréen. Ils dialoguaient en prenant des accents chinois ou japonais ultra appuyés, mais en coréen. Sur le coup c’est désarçonnant, mais une fois qu’on a assimilé le trait d’humour, c’est irrésistible, et l’on se délecte des accents traînants et chuintants des coréens parlant chinois (en coréen).

Le film est à l’image de ce type d’humour, moqueur et irrésistible. Tout y contribue. La musique qui consiste parfois en des standards occidentaux modernes réorchestrés, les scènes d’action étirées jusqu’à l’absurde, et bien sûr Dachimawa Lee lui-même, interprété par un acteur au physique plus que banal, Im Won-Hee. Mais ce standard n’a pas lieu d’être dans ce monde où Dachimawa Lee est un sex-symbol ultime qui fait tomber les plus belles filles de Corée. Aaaaaah qu’il fait bon s’aventurer en Mandchourie sur grand écran avec Dachimawa Lee… Ryoo Seung-Wan est remonté dans mon estime en un film.

Et dès le lendemain vendredi, un second film me confirmait que le cinéaste coréen est bien de ceux à surveiller. J’aurais aimé voir Crying Fist plus tôt. J’aurais aimé le voir il y a cinq ans, après qu’il fut présenté au Festival de Cannes 2005, à la Quinzaine des Réalisateurs. La plupart des films passant par une des sections de la Croisette sortent dans les mois qui suivent dans les salles obscures françaises, mais le film de Ryoo Seung Wan n’a jamais eu cette chance, ou plutôt c’est nous, spectateurs français, qui n’avons jamais eu cette chance.

C’est donc avec plaisir que je venais découvrir Crying Fist sur grand écran. Le film suit les destins parallèles de Gang Tae-Shik et Yoo Sang-Hwan. Le premier est un ancien champion de boxe qui a passé la quarantaine et vient de se faire viré par sa femme. Il se retrouve à vivre dans une cabane sur le toit d’un immeuble et vivote en tant que punching-bag humain, se laissant boxer par les passants dans la rue contre 10,000 wons. Yoo Sang-Hwan est lui une petite frappe de 19 ans commettant méfait sur méfait et finissant en prison, où il va commencer à monter sur le ring.

Si j’ai un moment pensé que les chemins des deux protagonistes allaient rapidement se croiser, je me suis finalement ravisé. Il apparaît finalement assez clairement que ces deux hommes ne pourront se croiser que sur un ring lors du climax du film. Cette rencontre tant attendue n’en est rendue que plus forte, et elle permet au film de tisser en profondeur les portraits de ces deux hommes. Ryoo Seung-Wan a beau être un réalisateur connu pour son cinéma d’action, Crying Fist l’affirme pourtant comme un cinéaste capable de laisser l’action de côté pour composer un drame humain et social fort.

Le portrait croisé de Tae-Shik et Sang-Hwan fonctionne car il n’y a pas d’opposition, il n’y a pas de jugement de valeurs les distinguant. Les deux hommes sont mis sur un pied d’égalité, et le réalisateur les aime tous deux, et nous les fait aimer tous deux. Malgré leur différence d’âge, leurs vies sont observées dans ce qu’elles ont de commun. Dans leurs luttes, leurs adversités, leurs pertes, leurs amitiés, leurs souffrances, et leurs victoires, aussi infimes soient-elles. Crying Fist plait car il ne s’arrête pas à un film sur la boxe et les boxeurs. Il ne s’arrête pas à raconter l’histoire d’hommes combattant sur le ring et en dehors, contre les préjugés et les injustices. Il ne s’arrête pas à des problèmes de familles dysfonctionnelles. Crying Fist parvient à s’attacher à tout cela, avec patience et style. Il permet à Choi Min-Sik de livrer une belle performance de vieux boxeur blessé prêt à rallumer la flamme une dernière fois. Les plus belles scènes du film le lient à un restaurateur mutique qui le prend en amitié. Ryoo Seung-Beom, le jeune chien fou, en fait parfois un peu trop, mais sa présence à l’écran est indéniable.

Il y a trois jours, je n’avais vu qu’un film de Ryoo Seung-Wan, un film que j’avais préféré oublier. Aujourd’hui, avec deux bons films de plus au compteur, ma perception du cinéaste coréen a changé. Il serait peut-être temps que je me penche sur les DVD de ses autres longs-métrages…

vendredi 12 novembre 2010

FFCF 2010 : D'une douce musique au cris hystériques

Festival Franco-Coréen du Film 2010, troisième jour. Mon rythme de croisière semble tout trouvé, m’engouffrant de nouveau à trois reprises dans les salles de l’Action Christine en ce jeudi 11 novembre. Et comme hier, le programme a permis de jongler entre les genres : documentaire musical, drame social et comédie parodique étaient au rendez-vous.

Le premier film de la journée, en fin d’après-midi, attirait des amateurs de rock indé coréen. Sogyumo Acacia Band’s story suit un groupe coréen que peut de mélomanes européens doivent connaître. Personnellement avant de découvrir le film dans le programme du FFCF 2010, je n’en avais jamais entendu parler. Et il apparait assez rapidement qu’apprécier ou non la musique du groupe importe peu, la qualité du documentaire étant bel et bien cinématographique.

Les premières minutes du film présentent un groupe sympathique ressemblant à une bande de potes jouant leur musique dans la joie et la bonne humeur. C’est bon enfant, et on se dit que l’on est parti pour un petit portrait de musiciens sympatoche. Et puis le scénario du film s’affine et s’affirme. Les répétitions et les concerts dans la bonne humeur laissent peu à peu la place à quelque chose de plus réaliste et amer. Tout d’abord les déboires de musiciens ayant du mal à vivre de leur musique. Ils ont trente ans mais ne touchent que quelques centaines d’euros par mois pour vivre, certains vivent encore chez leurs parents, et les incertitudes quant à leur avenir et leur potentiel semblent les hanter.

Le documentaire s’éloigne déjà de ces films ayant pour ligne de faire l’apologie de la liberté artistique et du « C’est bon de faire du rock sans rendre de compte à personne ». En fait de documentaire musical se dessine en filigrane un constat social en toile de fonds. Mais le film ne s’arrête pas là, et creuse encore plus. Peut-être n’étais-ce pas le but à la base, car qui peut savoir comment le sujet de son fil narratif, en documentaire, va évoluer ? Toujours est-il que peu à peu, c’est le mal-être au sein du groupe qui passe au premier plan dans Sogyumo Acacia Band’s story. Les incompatibilités de caractères, les conflits d’ego, les envies et rêves qui divergent…

Ce groupe qui nous semblait sympa, uni et prenant plaisir à jouer ensemble sa musique, révèle alors ses failles. Et à travers ce portrait, c’est une aventure humaine fascinante qui prend forme. Ce n’est plus seulement une histoire de musique, c’est aussi une histoire humaine qui se dessine, au-delà du genre dans lequel on navigue ici. C’est une belle évolution qu’offre le film, ne se reposant jamais, montrant toujours plus, collant au plus près des hommes et femmes qu’il dépeint.
Sur le plan musical, c’est également une belle occasion de découvrir l’œuvre de Sogyumo Acacia Band, des chansons un brin naïves mais pleines de charme. Un beau documentaire, maîtrisé et révélateur.

Beau et maîtrisé ne sont en revanche pas des termes que j’emploierais pour définir The Room Nearby, le premier long-métrage de Goh Tae-Jeong, et second film que je voyais jeudi. Confus me semble tout à fait approprié pour commencer. Résumer le film m’apparaît ardu, ce qui en soi n’est pas une mauvaise chose, pourrait-on se dire. Un film difficile à définir, c’est un film qui a du caractère. Pourtant dans le cas de The room nearby, il ne s’agit pas de cela. La raison en est plus triviale, à savoir que j’ai ramé par moment pendant le film pour bien comprendre tous les tenants et les aboutissants. Pour comprendre les relations entre certains personnages, pour comprendre le passé de chacun.

La protagoniste du film, Eon-Joo, n’est pas satisfaite de sa vie. Elle cherche un appartement pour quitter ce logement minuscule dans lequel elle vit. Elle cherche à s’affirmer dans son travail, professeur à domicile, à travers lequel elle doit faire du porte à porte pour trouver des élèves. Quant à sa vie amoureuse, elle ne sait pas quoi faire de son ami d’enfance qui lui court gentiment après mais qui n’a pas une situation sociale mieux lotie qu’elle. Eon-Joo galère, lorsqu’un jour elle pénètre dans une grande demeure ouverte dans laquelle vit une ajuma veuve et chef d’entreprise, enfermée dans sa solitude depuis le décès de son enfant des années plus tôt.

Il y avait matière à faire quelque chose de bien, probablement, avec ce cadre posé. Le désir de faire un film social est clair, et par bien des aspects The room nearby parvient au moins à pointer du doigts les disparités sociales contemporaines ainsi que cette solitude humaine qui touche indubitablement la société, quelle que soit notre situation sociale. En cela on ne peut que saluer Goh Tae-Jeong.
Malheureusement le long-métrage déraille. Peut-être est-ce dû à ce que le film avait été pensé à la base pour être un thriller, comme nous l’a indiqué Pierre Ricadat, qui a présenté le film en préambule. Peut-être. Toujours est-il que le film s’enfonce peu à peu dans une confusion de plus en plus profonde, informant peu le spectateur sur ce qui s’est joué dans le passé et résultant ainsi souvent d’une sensation de n’importe quoi capable de virer à l’hystérie.

Le caractère des personnages repose en grande partie sur des évènements passés qui ne sont qu’effleurés, et bien souvent les personnages semblent donc s’agiter dans le vide. Leurs caractères virent de bord d’une séquence à l’autre sans que l’on comprenne vraiment pourquoi, et au cours du dernier acte, la fatigue s’empare du film. Devant toute cette agitation incohérente, j’ai été déconnecté, et My friend and his wife, un film présenté l’année dernière au FFCF 2009 m’est revenu à l’esprit. Un film qui souffrait du même mal, celui de nous pousser à ressentir de l’antipathie pour ses personnages, malgré leur misère, malgré leurs souffrances, tout ce que l’on veut, c’est les quitter au plus vite.

Après un tel film, sombre, moite et agaçant, un besoin de fraîcheur s’est emparé de moi. Ca tombe bien, le troisième film de la journée allait m’offrir exactement cela… (à suivre !)

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