lundi 20 mai 2013

"L'ultimatum des trois mercenaires", attention rareté !


Parfois les ressorties de vieux films me mettent face à mes lacunes cinématographiques. En ce moment je suis dans une spirale qui me fait revenir continuellement dans le Quartier Latin pour profiter au maximum des ressorties en version restaurée de classiques du cinéma américain. Certains classiques sont surtout des raretés et des films méconnus plus que de véritables classiques et… Bon je le dis, je le chuchote… non allez je le dis tout haut, autant assumer les lacunes jusqu’au bout. Jusqu’à ce que j’aperçoive ici ou là dans la presse des articles pour mentionner la ressortie du film, je crois bien n’avoir jamais entendu parler de « L’ultimatum des trois mercenaires » de Robert Aldrich.

J’en entends certains ricaner et dire « Oh le mec il connaissait pas… », j’en entends d’autres murmurer « L’ultimatum de quoi ? ». Non, désolé, je n’étais pas familier du film d’Aldrich, mais les quelques lignes aperçues dans Libé et Les Inrocks ont éveillé ma curiosité, et lorsqu’il s’est agi de trouver un film dans le quartier pour enchaîner avec « Une place au soleil » de George Stevens qui était sur mes tablettes, « L’ultimatum des trois mercenaires » s’est donc contre toute attente imposé à moi.

Je n’étais manifestement pas le seul dans la salle à ne pas vraiment savoir à quoi m’attendre et à avoir lu le synopsis du film en patientant sur le trottoir que Le Champo nous ouvre ses portes. Le film était projeté dans la salle du sous-sol, celle avec les petites loupiottes au plafond qui font penser à un ciel étoilé, façon Grand Rex miniature. Assis juste derrière moi, deux mecs, plus ou moins mon âge, e mettent vite à glousser lorsque le film commence. Dès le générique d’ouverture en fait, et régulièrement – pour ne pas dire continuellement – au cours des dix ou quinze minutes suivantes.

Pour ceux qui comme moi il y a quelques jours ne sont pas familiers du film de Robert Aldrich, une mise en place est requise. Réalisé à la fin des années 70, le film est un suspense dans lequel des militaires renégats, dont un général incarné par Burt Lancaster, s’introduisent sur une base secrète américaine où sont stockés neuf missiles nucléaires. Ils en prennent le contrôle et avisent les autorités qu’ils n’hésiteront pas à appuyer sur le bouton si leurs exigences, quelques millions de dollars et la publication d’un rapport confidentiel sur la Guerre du Vietnam, ne sont pas écoutées et appliquées.

Vous imaginez donc bien que les gloussements répétés de mes voisins du rang derrière ont pu paraître incongrus, voire agaçants. M’est avis qu’ils n’avaient jamais vu un film des années 70 (réalisé avec les moyens du bord, le bureau ovale de la Maison Blanche reconstitué dans un studio allemand), et la direction artistique de l’époque que cela implique, forcément différentes d’un film tourné en 2013. Heureusement les rieurs en ont eu marre de rire et ne s’imaginaient pas le faire pendant les 2h25 que dure le film, et ont donc pris la tangente. Ouf.

La version proposée en ce moment dans les salles est en fait inédite dans les salles françaises, l’échec au box-office américain du film à sa sortie en 1977 ayant poussé le studio à l’époque à opérer un charcutage en règle du film, qui s’est retrouvé amputé de près d’une heure pour expurger au maximum l’aspect politique et resserrer le montage vers le film de casse plutôt que sur la diatribe politique. Il aura donc fallu attendre 2013 pour qu’enfin « L’ultimatum des trois mercenaires » voit son ambition et son audace restaurées, et Burt Lancaster, Charles Durning, Richard Widmark, Joseph Cotten et Melvyn Douglas replonger pendant 2h30 dans ce qui fut l’un des tout derniers films de Robert Aldrich. Un suspense haletant doublé d’un discours politique acerbe et explosif qui en fait un exemple remarquable de divertissement intelligent. Et si vous ne jurez que par les films de Michael Bay, sachez que « The Rock » (oui oui, Sean Connery et Nicolas Cage à Alcatraz) doit beaucoup au film d’Aldrich. Jetez-y un œil, vous verrez, c’est flagrant.

lundi 6 mai 2013

Où David Lean refait son apparition dans les cinémas parisiens, et devant mes yeux patients


Dans un coin de mon être, les tambours continuent de résonner. Il me suffit, des mois après la projection de « Lawrence d’Arabie » à la Cinémathèque Française, de fermer les yeux, et la musique de Maurice Jarre accompagne toujours mon écran noir intégré. La magie de ces quatre heures dans le désert avec Peter O’Toole ne s’est pas éteinte. Je peux encore en récolter l’essence en faisant le vide autour de moi.

Les semaines, les mois ont passé, et voici que David Lean et son cinéma fait pour le grand écran ont de nouveau les honneurs des cinémas parisiens. Tout du moins de l’un d’entre eux, le bien caché Action Christine, dont la localisation discrète, dans cette rue Christine où les rares passants sont presque tous cinéphiles, n’empêche pas les amateurs de vieux cinéma américain de se montrer en nombre lorsqu’il s’agit de découvrir ou redécouvrir un classique restauré comme c’est le cas en ce moment. Le cinéma organise un cycle d’incontournables en version restaurée, où « African Queen » et « Sur les quais », que j’ai déjà par le passé vus chacun sur grand écran, côtoient deux films de David Lean, le fameux « Lawrence d’Arabie » et « Le pont de la rivière Kwai ». Si l’évocation du premier me ramènera pour le reste de mes jours à ce soir de novembre 2012 dans la salle Langlois de la cinémathèque, le second fait partie de ces films découverts un après-midi de vacances adolescentes où j’étais probablement scotché à la télé. Et depuis, rien.

« Le pont de la rivière Kwai » n’était jusqu’ici qu’un souvenir télévisuel de l’enfance et rien d’autre. Il ne pouvait en être autrement pour « Lawrence d’Arabie », cette magnifique version restaurée était destinée à ressortir en salles (même si j’imaginais mieux qu’une poignée de séances par semaines à l’Action Christine), et je nourrissais ce mince espoir que peut-être, une salle en profiterait pour passer d’autres films de Lean qu’il me restait à découvrir sur grand écran. L’Action Christine a donc exaucé mon vœu, et je me suis retrouvé un dimanche après-midi à emprunter la calme rue Christine que je n’avais pas traversée depuis bien longtemps, trop longtemps.

Je fus bien heureux de découvrir que je ne suis pas le seul à penser que seule la salle de cinéma rend justice aux films épiques de David Lean. Je fis montre de patience lorsque la petite vieille devant moi se trompa dans l’ordre du chèque qu’elle rédigeait pour acheter un nouveau carnet de places. Il fallait recommencer avec une fébrilité extrême qui inquiéta la caissière, proposant à la grand-mère cinéphile de rédiger le chèque pour elle, une proposition accueillie avec un grand sourire par la septua… disons même octogénaire. Mais cette épreuve ne m’empêcha pas de descendre l’escalier et d’entrer dans la familière salle pour aller directement m’asseoir au quatrième rang où je trouvai un intrus nommé Nyal qui squattait ma place mais à côté duquel j’acceptai de bonne grâce de m’installer.

William Holden et sa gouaille, Alec Guinness et sa baguette de leader, la jungle birmane, ces soldats sifflant en rythme cet air mémorable entré depuis bien longtemps dans l’imaginaire collectif. « Le pont de la rivière Kwai » n’a pas la grandeur de ce que sera « Lawrence d’Arabie » quelques années plus tard, mais il cache sous son trompeur aspect de film d’aventures (si tant est qu’un film sur un camp de prisonnier puisse être considéré comme tel) un discours fort et amer sur l’orgueil humain. Aaah, ces films hollywoodiens à l’ampleur et l’ambition disparues... Mais si l’on ne produit plus vraiment de tels films à Hollywood, il nous reste heureusement les salles obscures parisiennes pour nous replonger en 1942, 1957, 1962 ou 1976, pour voyager dans l’histoire du cinéma sans avoir à dénicher de DeLorean.
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