Depuis plusieurs jours, les films m’assaillaient pour essayer de me tirer des larmes. J’en entendais qui reniflaient pour contenir leur émotion, mais non, les retrouvailles des filles de Sunny ne m’ont pas ému à ce point-là, et non, la romance impossible entre Hyeon Bin et Tang Wei dans Late Autumn ne m’a pas déchiré, ou alors de rire. Je croyais donc être à l’abri lorsque je suis allé au Festival Franco-Coréen du Film samedi après-midi. Mais une bourrasque émotionnelle inattendue m’a emportée.
Il était autour de 18h30 dans la salle 2 du St-André des Arts. Perché au sixième rang, exactement au centre de l’écran, à l’instant précis où dans la rue repassait pour la troisième fois de la journée un mec en pousse-pousse cycliste, à la seconde exacte où un pigeon se posait tranquillement sur la tête de la statue de Molière rue de Richelieu, au moment même où Sébastien V., 34 ans, assis au Gaumont Marignan devant Les Trois Mousquetaires 3D, se disait que finalement, il aurait dû prendre du pop corn à grignoter devant le film, oui à cet instant-là, j’ai versé une larme devant un film du Festival Franco-Coréen du Film.
Ce n’était pourtant pas le film que j’attendais le plus en ce samedi, cinquième journée du festival. Cette étiquette était réservée à Anti-Gas Skin, le film annoncé si strange du duo Kim Gok et Kim Sun. Et strange, il l’est bel et bien, mais comme End of Animal la veille, il est des raisons de se demander si faire du cinéma étrange, profondément énigmatique et potentiellement métaphorique est un gage de qualité en soi. Je ne renie aucunement la nécessité de montrer et voir un film tel que Anti-Gas Skin, mais je me demande s’il y a autre chose à en tirer qu’un paluchage interprétatif post-projection. Car dans la vérité et le plaisir immédiat, le film me pose problème.
Tout d’abord le long-métrage est à peu près impossible à résumer, mais ce n’est pas là une faute. Il fourmille de personnages et de pseudos intrigues, alors réduisons cela à la présence d’un tueur en série dans les rues de Seoul qui opère camouflé derrière un masque à gaz ; un député qui se présente comme candidat à la mairie de la ville ; une adolescente à barbe qui est le gourou d’une petite secte suicidaire ; et un flic qui se rêve justicier costumé et est persuadé qu’il est le seul à pouvoir arrêter le fameux tueur au masque à gaz.
En guise de présentation, la programmatrice nous a notamment mentionné l’hommage voulu dans le film à Robert Altman, et je vois bien que dans ces destins croisés de citadins, les cinéastes lorgnent en effet sur le Altman époque The Player et Short Cuts, bien sûr dans une lignée fantaisiste. Le problème principal de Anti-Gas Skin réside dans son incapacité chronique à faire naître tout enjeu scénaristique. Chaque scène nous plonge dans l’expectation d’une tension à naître qui finalement n’arrive jamais. Chaque scène induit des évènements imminents qui ne pointent jamais le bout de leur nez. Chaque agencement du montage, chaque enchaînement d’un plan à l’autre, induit une dangerosité qui en fait ne décolle jamais et reste à l’état larvaire. La folie reste circonscrite à une impression.
Bien sûr il y a toute une symbolique derrière le dédale scénaristique qui à un moment creuse les méninges. Mais plus le film avance, moins cela semble avoir de l’importance. Il arrive un moment, non défini, juste une sensation qui s’installe, où à force de ne jamais chercher à faire décoller la tension de son film, à ne jamais se lâcher et plutôt tout contenir, la curiosité se perd en route. Super Bok-Shi, le flic adepte d’arts martiaux qui court après le tueur, maintient le film à flot par son grain de folie qui fait battre le cœur de l’intrigue, mais les autres personnages s’enfoncent dans un cercle monotone duquel ils ne parviennent à s’extraire. Je n’ai même pas mentionné le GI américain dont la fiancée coréenne a été assassiné, qui est un personnage absolument pathétique tant ses dialogues sont ridicules et le jeu du comédien absolument risible. Est-ce voulu de la part des réalisateurs ? Espérons-le. Je suis sorti un peu décalqué d’Anti-Gas Skin, frustré de cette matière riche qui n’arrive à rien mais qui aurait pourtant pu offrir tant.
J’avais envie de très vite retourner en salle pour un film plus direct, après cette déception de constater que mon film le plus attendu de la journée s’était posé sans faire de bruit alors que j’attendais un crash violent. Hello Ghost semblait un film gentil et sympathique à même de calmer ma frustration. Mais la douleur dans laquelle le film a commencé à être projeté m’a fait un temps penser que j’étais peut-être embarqué pour une journée maudite. Pendant un bon quart d’heure (voire même un peu plus), le projectionniste du St-André des Arts s’est montré incapable de faire la mise au point sur la copie. L’image restait désespérément floue tandis que la salle se tournait régulièrement vers lui, abasourdie de constater que le film se déroulait sous nos yeux sans qu’on le voie vraiment (alors que les sous-titres eux, projetés de la salle elle-même, étaient tout à fait lisibles).
Essayez donc de rentrer dans un film en passant les quinze premières minutes sans focus. C’est dur, et désagréable. Un moment j’ai envisagé de quitter la salle. D’autant qu’au bout de ce quart d’heure, le projectionniste avait trouvé une mise au point qui semblait à peu près lui convenir et n’était donc plus affairé en cabine, mais à l’écran, le résultat était peu probant. D’après ce que j’ai cru voir, il semble que ce soit quelqu’un du staff du festival qui s’est introduit en cabine pour tenter de faire mieux que le projectionniste, et effectivement, à partir de ce moment-là, le focus a offert une meilleure tenue, même si ce n’était pas parfait.
Enfin. Au bout du compte, je suis peu à peu parvenu à rentrer dans la vie de Sang Man, ce jeune homme suicidaire qui après une tentative ratée de mettre fin à ses jours se réveille à l’hôpital et découvre… qu’il peut voir les morts. Quatre en particulier qui ne le lâchent pas, deux hommes, une femme et un enfant. Décidé à s’en débarrasser, Sang Man accepte de les aider à accomplir chacun une volonté. Avec ma difficulté à rentrer dans le film en raison des problèmes techniques pourtant, le film semblait d’emblée un peu faiblard.
Mais à force, on finit par trouver les personnages attachants, et malgré un décalage de quelques secondes dans l’affichage des sous-titres qui faisait tomber à plat nombre de répliques, Hello Ghost prenait lentement mais sûrement le chemin de la comédie réussie, drôle avec quelques grains de folie. Et puis sans prévenir, le missile est tombé. Alors que le film se dirigeait vers une sortie appropriée et sage, Kim Yeong-Taek, le réalisateur, a sorti sa botte secrète. Un twist final inattendu nous bombardant d’émotion. Tout à coup je me suis senti con. « Nan. Nan. Nan attend c’est pas vrai. Qu’est-ce qu’il me fait là. J’y crois pas. Pas ça. Nan. Oh le con il va me faire chialer. Je le sens ça monte là. Ca y est j’ai les yeux humides je le sens. Attend attend. Ah d’accord carrément. Je l’ai pas vue venir celle-là. Oh merde ça y est j’ai la larme à l’œil. Le salaud il m’a bien eu ». Partout dans la salle, les nez reniflaient, les mouchoirs s’activaient. Hello Ghost ne promettait pas grand-chose, mais parfois, c’est lorsque l’on en attend le moins que l’on se laisse le plus emporté, et c’est ce qui est arrivé en fin d’après-midi lorsque ma larme a coulé devant cette comédie sensible.
En sortant, il s’agissait d’avouer que oui, moi aussi j’ai versé ma larme devant Hello Ghost, alors qu’on arrête de me dire que je suis insensible parce que j’ai trouvé Late Autumn pathétique. Les blogueurs de Kim Bong Park ne nous croyaient pas quand on leur disait que l’émotion avait été au rendez-vous de cette improbable comédie. Eh non les gars, je ne déconnais pas. En début de soirée, on s’est tous trouvés à la séance de rencontre avec Yoon Sung-Hyun, le réalisateur Bleak Night. Une fausse masterclass pour ce jeune cinéaste mis à l’honneur par le FFCF. Très vite je ne me suis pas senti à ma place dans la salle. J’avais eu du mal à suivre Bleak Night à cause de cette satanée lumière qui m’avait perturbé pendant tout le film, je n’étais donc pas un fervent fan du film, et je n’avais vu aucun des courts-métrages.
Du coup, la conversation qui s’est engagée avec le cinéaste m’a peu passionnée, à l’exception d’une question posée par Pierre Ricadat, l’un des programmateurs du festival, à propos de l’école de cinéma dont Yoon est issue. Le réalisateur nous a éclairés sur le fonctionnement de cette école, et les informations étaient assez passionnantes. Le reste des questions et réponses ont manqué de proprement m’intéresser, du fait de ma méconnaissance du personnage. Je ne mentionnerai même pas quelques questions du public qui se sont révélées… étonnantes pour rester diplomatique. J’aurais sûrement mieux fait de zapper la rencontre pour aller manger tranquillement (choses que j’ai peu fait depuis le début du festival) avant la dernière séance du jour, Invasion of Alien Bikini.
Quiconque attendait du film de Oh Young Doo d’être LE film du festival était promis à la déception, mais en y allant avec l’amour de l’absurde, le rendez-vous était immanquable et culte avant l’heure. Le titre parlait pour lui-même, même si la rumeur bruissait dans les couloirs du festival qu’on ne trouverait que peu d’Aliens et point de bikini dans le film. Quoiiiiii ? C’est vrai ? Mais moi je veux voir des aliens sexy en bikini qui envahissent la Terre moi, le titre me le promet, je le veux !
J’ai découvert en voyant le film que le déploiement de la rumeur sur l’absence de bikini dans le film était en fait la petite bête cherchée par des spectateurs pointilleux. Certes, ils ont raison, on ne trouve point d’Alien en bikini dans Invasion of Alien Bikini. En réalité, l’alien en question passe les trois-quarts du film en sous-vêtements plutôt sexy qui lui vont à ravir (oui, l’Alien a les traits et le corps d’une ravissante jeune femme, elle ne mesure pas 2m50 et n’est pas bleue). Bon, c’est déjà ça de pris. Et le reste ? Le reste, c’est une comédie parodique et absurde souvent délirante ou un justicier anonyme de Seoul sauve une belle jeune femme qui se fait agressée par une bande de mecs. Il la ramène chez lui, elle tente de le séduire, car il ne sait pas qu’elle est une Alien cherchant à se reproduire…
Non, Invasion of Alien Bikini ne restera pas dans les annales, probablement même pas dans les annales des nanars et autres séries B tendance Z rendant hommage à l’amour de l’absurde. Mais il y règne dans sa première partie une telle vigueur comique (l’intrigue interrompue par une coupure pub pour Rolex, c’est divin) qu’on peut bien lui pardonner de n’être qu’une gentille comédie SF délirante. Un samedi soir, entre 22h et minuit, c’est le genre de films qu’il est savoureux de se coller au palais dans une ambiance de festival. D’autant plus qu’il confirme le grand écart osé par les programmateurs et laisse penser qu’après les surprises, bonnes ou mauvaises, du jour, le FFCF 2011 peut encore nous étonner. Tant mieux.
7 commentaires:
Pour commencer, j'aime ta façon de commencer les choses. L'heure, ce qui se passe ici et là. Pas mal comme idée. C'est... le monde qui vibre.
On se rejoint sur Anti Gas Skin bien que j'ai envie de le défendre ce film et qu'il nous réserve des interprétations mufti-facette, trop compliquées pour le commun des mortels. Mouarf ! :D Non, c'est vrai, on peut pas piger le boulot des frères Kim. Ils nous viennent d'une autre planète. ;)
Hello Ghost. Mouarf, il a presque pleuré comme une fille ! ^^ Oups, moi aussi... mince, j'en ai des frissons d'émotion à l'instant. Ca ne m'étais plus arrivé depuis Almost Love ou encore la mort violente de Tony Montana. Pas un grand film, de grosses ficelles mais pourtant il y a un truc dans cet Hello Ghost.
Invasion of Alien Bikini. Sympa. Et tu résumes bien la chose. Il restera pas dans les annales mais ça reste un super moment de cinéma même avec ses quelques longueurs.
C'est clair que je préfère mille fois un film comme Anti Gas Skin que je ne trouve pas abouti mais qui tente d'imprimer un univers iconoclaste et une imagerie forte à une petite daube comme Late Autumn. Mince, je le casse encore, dès que j'en ai l'occasion, je peux pas résister, je tape sur Late Autumn, je devrais me calmer là-dessus ^_^
Tu chiales devant la mort de Tony Montana toi ? Ah ouais ? Moi je chiale devant Meryl Streep qui n'ouvre pas sa portière dans "Sur la route de Madison" (vous voyez les filles, j'ai un coeur^^) ;)
Et moi, j'ai pas un coeur ? Tony qui splash dans sa p'tite piscine d'intérieur venant la souiller de son sang, c'est tragique punaise. Tony c'était juste un gamin qui avait des rêves grand comme ça... et vlam fauché en pleine force de l'âge... je m'en remettrais jamais. Sousa est une enflure, c'est dit.
Late Autumn indépendamment de Hyène Pine, c'est vraiment moche, comme Seattle en somme. Beaucoup pensent que nous faisons une fixette sur Hyène Pine mais c'est pas vrai. Y a lui et le reste du film qui sont franchement pas terrible. Je mets à part la douce et tendre Tang Wei, magnifique même avec des répliques en langue anglaise.
Meryl Streep c'est qui ? Lol ! T'y as cru hein ? ;)
eh bien oui tu as donc vu l'alien bikini sans bikini... ça devait etre chouette, même si tu dis que ça ne restera pas dans les mémoires...
en tout cas un article (et un festival) très émouvant du coup, même si tu as pleuré aussi à cause des problèmes techniques... ;)
Et bah alors, pas de compte-rendu ce matin ?
Eh non, pour cause de reprise du boulot lundi matin après ce délicieux week-end de 4 jours, il faudra attendre le courant de la journée pour le compte rendu encore riche de dimanche ;)
Ta passion pour Montana me dégoûte ID ;)
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