La journée avait commencé dans le malaise. Un film mexicain joliment mais froidement maîtrisé, Daniel y Ana, comparé ici et là au cinéma de Michael Haneke, vu dans la crispation qui sied bien au MK2 Beaubourg. Bienheureux celui qui ne se sentira pas mal devant ce frère et cette sœur kidnappés et menacés de mort s’ils n’acceptent pas de se laisser filmer en plein acte sexuel.
Peut-être m’aurait-il fallu un film exceptionnel après cette plongée douloureuse dans les ravages psychologiques faisant suite à cet acte forcé. Cette sœur bouleversée faisant l’effort de remonter la pente et de surmonter cet épisode traumatisant. Ce frère plus en retrait, tiraillé entre la culpabilité et un sentiment qu’il a dû mal à contenir. Cette douleur sourde qui découle de cet acte imprime l’image, et laisse clairement entrevoir des conséquences comportementales irrémédiables sur ces protagonistes. Le malaise ronronne avant de rugir avec évidence, conduisant vers un dénouement inexorablement perturbant mais par trop prévisible.
Daniel & Ana est une mise en bouche amère pour une journée cinématographique, et m’aventurer dans la version Burtonienne d’Alice au Pays des Merveilles après le malaise mexicain offrait au moins la perspective d’une évasion bienvenue.
Si Tim Burton m’a un jour séduit, amusé, emballé, ce jour est lointain. En y réfléchissant c’est étrange car mon rapport au cinéaste américain est peu ou prou similaire à celui du japonais Kitano que j’ai relaté il y a quelques jours. Des années 90 fantastiques, des années 2000 décevantes. Dans le cas de Burton, la poésie sombre et mélancolique d’Edward aux mains d’argent ou l’humour corrosif et débridé de Mars Attacks ! ont laissé la place à des univers de pacotilles, grandiloquents mais désespérément creux.
Le remake inutile de La planète des singes, l’univers acidulé tournant mollement en rond de Charlie et la chocolaterie, le ridicule d’un Sweeney Todd faussement sanglant mais véritablement niais, m’ont fait largement oublié qu’à une époque, Tim Burton représentait autre chose qu’un instrument de studio sans âme.
Je me suis rendu à Alice aux Pays des Merveilles sans conviction, et sans franche envie. Mais certains noms du cinéma continuent à laisser espérer qu’un jour la flamme reviendra. Un semblant de flamme traversait Big Fish il y a quelques années, mais hormis ce film, le dernier Burton à m’avoir séduit était bien Mars Attacks ! il y a… bientôt 15 ans ! Le dernier Burton en date, Sweeney Todd, m’a pratiquement fait hurler d’horreur, et pas au sens où le cinéaste l’entendait. Je n’attendais donc pas énormément d’Alice. Heureusement, car dans le cas contraire, je serais tombé de haut.
Bien sûr, si l’on a beaucoup parlé d’Alice au pays des merveilles ces dernières semaines, c’est parce qu’il s’agit du premier film majeur à sortir en 3D après le triomphe planétaire d’Avatar. Ils seront nombreux les films à surfer sur la vague 3D, dans les mois et années à venir, mais pour le moment il ne s’agit pas là de films pensés pour la 3D, et tournés comme tels. Le film de Burton a été tourné comme un film « 2D », et customisé pour la 3D. Je me suis donc rendu sans scrupule ni regret aucun à une projection du film sans la brûlante 3D.
Je ne doute pas que j’ai bien fait, tant cette version « plate » m’a déjà trop encombré les papilles visuelles de superflu et de fourbi lassant. L’œuvre de Lewis Carroll, j’ai grandi avec, entre l’écrit et ses adaptations animées, du long-métrage de Disney à la série. Burton a choisi de s’en écarter pour imaginer une suite à « Alice au pays des merveilles ». Une suite dans laquelle Alice retourne au Pays des merveilles des années après sa première visite, et doit de nouveau se frotter à la Reine Rouge, au Chapelier fou et au Chat invisible.
L’idée aurait pu être bonne, si l’univers qu’a imaginé Burton était pourvu de sens et de légitimité. Or, narrativement ou visuellement, son Alice est à la ramasse. Un récit précipité qui montre très vite ses limites, hésitant entre la réinvention et l’acquis. Burton semble incapable de se décider entre l’hommage et le détournement, entre une ligne Disneyenne light et un univers sien plus enlevé. Son Alice picore dans les deux tons avec fadeur.
Visuellement, c’est le pompon. Le cinéaste a eu cette idée farfelue pas vraiment lumineuse de laisser aux ordinateurs le boulot, et qu’on le ressente parfaitement à l’écran. Si c’est un hommage à l’univers animé d’Alice avec lequel on a grandi, c’est peine perdue. Le rendu est criard et loin du merveilleux. Quant aux décors, Burton et son équipe donnent l’impression de se reposer sur ce qui a été fait dans l’heroic fantasy cinématographique ces dernières années… en moins bien. Comment ne pas reconnaître dans ces palais tour à tour lumineux et sombres, dans ces champs de batailles désolés et ces ruines l’influence très prononcée du Seigneur des Anneaux et du Monde de Narnia ? Comme si le réalisateur s’était dit « Les gens ont adoré le mélange de merveilleux et de médiéval qu’on trouve dans ces films, c’est ce qu’il faut faire avec Alice au pays des merveilles ! ». L'apothéose tient dans une danse que nous offre Johnny Depp en fin de film, sur une musique moderne. Un instant de ridicule affligeant prêtant plus à la consternation qu'au rire.
Tim Burton sera président du jury au Festival du Film de Cannes en mai prochain. Espérons qu’il saura faire preuve de plus de discernement au moment de remettre la Palme d’Or. Pour le moment, il semble perdu.
4 commentaires:
Ah oui, c'est bien ça. Tout ça. ;-)
> le dernier Burton à m’avoir séduit était bien Mars Attacks ! il y a… bientôt 15 ans !
Tout est dit là-dedans... c'est malheureux pour le bonhomme. Je n'ai même pas envie d'aller le voir celui-là.
Je n'entends que des choses similaires à ce que tu dis dans l'article, du coup ça me fait chier de payer pour aller le voir.. même si je me sens obligé.
Quel gâchis, le bouquin a pourtant un potentiel infini.
Eh ouais, c'est malheureux...
Enregistrer un commentaire