Il y a quelques semaines sortait discrètement en France un joli film indépendant américain, The Good Heart. Il faut vraiment de bons arguments pour que je me déplace à un film au générique duquel figure Isild le Besco (c’est la même chose pour sa sœur, remarquez), et celui-ci en comptait bien assez pour que j’ignore le facteur Le Besco. Je ne dirai pas que la présence derrière la caméra de Dagur Kari était la raison numéro un qui m’a attiré vers The Good Heart, mais le réalisateur islandais m’avait suffisamment séduit il y a quelques années avec son Noi Albinoi pour éveiller ma curiosité.
L’intérêt premier de The Good Heart résidait à mes yeux dans le duo formé à l’écran par Brian Cox et Paul Dano. Le premier incarne Jacques, propriétaire de bar acariâtre et misanthrope sur les bords, qui rencontre à l’hôpital Lucas, un jeune sans abri, doux et naïf. L’un est là pour une énième crise cardiaque, l’autre pour une tentative de suicide. A sa sortie d’hôpital, Jacques décide de prendre sous son aile Lucas, et de le modeler pour qu’il assure la relève de son bar une fois que l’heure de la retraite aura sonné pour lui.
Le défaut de The Good Heart (autant commencer par là, ce sera dit), est Isild Le Besco. Non je ne raille pas gratuitement l’actrice (quoi que…), car le défaut réside plus dans son personnage que dans Le Besco elle-même. Elle incarne une jeune femme instable qui va entrer à un certain moment dans la vie de Lucas, et donc de Jacques, et mettre à mal cet étrange équilibre qui va peu à peu naître entre les deux hommes. C’est le personnage superflu du film, trop attendu, trop prévisible, qui ramène le film à un triangle parfois convenu lorsque le face-à-face Jacques / Lucas se suffisait à lui-même et promettait une confrontation plus complexe que s’il était perturbé par l’irruption d’une femme.
Mais finalement le défaut n’est que mineur. Car l’essentiel, c’est eux. Jacques et Lucas. Brian Cox et Paul Dano. Le vieux briscard et le jeune paumé. Le chien méchant et le frêle agneau. Le blasé et l’ingénu. La réussite de Dagur Kari, c’est d’aimer ses personnages, qualités comme défauts, de les embrasser, leur donnant du même coup une consistance séduisante. La réussite, c’est aussi la mise en scène du réalisateur, qui préfère adopter le style new yorkais des années 70, une atmosphère grise, un grain terne, où chaque éclair de lumière est une bouffée d’air. Dans la vie de ces deux marginaux, ce parti pris esthétique prend sens. Jusqu’à un dénouement sec, inattendu, confirmant la maîtrise de son sujet par l’islandais.
Bien sûr, il s’agit beaucoup à l’écran de Brian Cox et Paul Dano. De l’alchimie entre les deux comédiens. C’est une saveur particulière que Kari offre peut-être involontairement à The Good Heart en réunissant ces deux là. Car Paul Dano a été révélé il y a neuf ans, âgé à l’époque de 16 ou 17 ans, dans L.I.E. – Long Island Expressway, le premier long-métrage de Michael Cuesta… face à Brian Cox. L’histoire délicate et remarquable d’un adolescent perturbé et d’un vieil homme ayant une affinité particulière avec les jeunes garçons. C’était en 2001 (le film est sorti en salles en France en 2003). Ce petit film a eu un impact majeur sur les carrières des deux comédiens.
Cox, irlandais né en Ecosse, avait certes une longue filmographie derrière lui, particulièrement Le sixième sens de Michael Mann dans lequel il campait le premier Hannibal Lecter sur grand écran, ou des petits rôles dans Braveheart, Au revoir à jamais ou Rushmore. Mais LIE – Long Island Expressway, outre quelques récompenses méritées, lui a valu des rôles plus consistants, et une reconnaissance immédiate, dans des blockbusters comme la trilogie Jason Bourne, X-Men 2 (le meilleur) ou Troie, ou chez des cinéastes tels que Spike Jonze (Adaptation.), Spike Lee (La 25ème heure), Woody Allen (Match Point) et David Fincher (Zodiac).
D’acteur de troisième plan, Brian Cox est devenu un dévoreur d’écran, un acteur au visage si fort, à la verve si puissante, qu’il imprime la rétine sans difficulté. Qu’il n’apparaisse que le temps de quelques scènes ou tout le long d’un film, comme c’est le cas dans The Good Heart. Un parfait antagoniste, en apparence, pour son partenaire Paul Dano, qui a jusqu’ici principalement construit sa carrière sur les personnages effacés, sans pour autant qu’il le soit lui. Étudiant transparent et pourtant brillant dans Le Club des Empereurs, ado nietzschéen n’ouvrant pas la bouche dans Little Miss Sunshine, jeune travailleur rêvant de paternité dans Gigantic, ou créature que personne n’écoute dans Max et les Maximonstres. Et bien sûr aujourd’hui sans-abri pris en charge par un vieux grincheux.
Pourtant Paul Thomas Anderson a eu l’audace de faire de Paul Dano une force dévastatrice dans There will be blood, dans lequel le jeune homme, contre toute attente, tenait magnifiquement tête à la fureur intense de Daniel Day-Lewis (combien de types d’à peine plus de 20 ans l’auraient fait ?). Le réalisateur a révélé la force qui sommeille en Dano, sans l’ombre d’un doute un des comédiens les plus prometteurs du cinéma américain, où il s’épanouit dans l’indépendance. Car pour un blockbuster avec Tom Cruise de prévu (Knight and Day, sortie cet été, et qui a l’air plutôt fun pour le coup), il compte trois petits films alléchants à venir : le nouveau Kelly Reichardt (réalisatrice d’Old Joy), le nouveau Kim So Yong (le récent Treeless Mountain) et The Extra Man, le nouveau film du duo Robert Pulcini / Shari Springer Berman (American Splendor, c’était eux). Tous des cinéastes sensibles, aux univers forts et aux personnages fascinants, auprès desquels Dano ne pourra sortir que grandi j’en suis sûr.
Les carrières de Brian Cox Cox et Paul Dano s’étaient croisées en 2001, les propulsant vers une décennie glorieuse pour chacun. Nul doute que ces retrouvailles autour de The Good Heart ne font qu’annoncer une nouvelle décennie riche en cinéma pour les deux. En bon cinéma.
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