mercredi 6 octobre 2010

Le réconfort d'un mur pour affronter l'Oncle Boonmee et ses vies antérieures

Il m’en aura fallu du temps. Je ne m’en cache pas, j’ai vraiment traîné la patte pour aller voir la Palme d’Or 2010. A vrai dire, j’ai même attendu le dernier moment, mardi 5 octobre 2010, plus d’un mois après sa sortie dans les salles françaises, et alors que les cinémas programmant le film ne se comptaient plus que sur les doigts d’une main dans la capitale. Mais bon, l’essentiel, c’est de l’avoir vu n’est-ce pas, ce fameux Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures ?

Pour un film qui m’aurait véritablement attiré, je m’en serais voulu d’avoir ainsi tant attendu qu’il ne me restait plus que la petite salle 6 du mk2 Beaubourg pour le voir. Mais j’avoue volontiers que si le nouveau film d’Apichatpong Weerasethakul n’avait pas été couronné sur la croisette en mai dernier, ma curiosité cinéphile ne se serait pas arrêtée dessus. Le cinéaste thaïlandais m’a trop fait souffrir par le passé (ne me lancez pas sur Tropical Malady et son tigre nocturne). Mais bon, le cru 2010 s’est vu décerné la Palme par Tim Burton et son jury, alors voilà, j’ai fait l’effort.

Le maniaque du placement en salle que je suis s’est laissé aller à accepter un siège tout excentré au deuxième rang, histoire d’être tranquille pendant le film. En plus cela me permettait d’être contre le mur, une place que j’adorais m’attribuer lorsque j’allais au ciné gamin. Cela a quelque chose de rassurant un mur, un élément contre lequel s’appuyer et qui ne laisse pas de place pour le doute. Mais aujourd’hui, à 28 ans, devant le nouveau film d’Apichatpong Weerasethakul, ce n’était pas la sécurité que je cherchais dans ce mur qui s’offrait à mon flan droit, mais quelque chose me servant d’appui en cas d’assoupissement. Eh oui, mon expérience avec le cinéma du thaïlandais m’a enseigné que je m’y ennuie rapidement. Et malgré tout le respect que je peux avoir pour tout ceux ayant crié au génie devant Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures, la Palme d’Or n’y a rien fait. L’ennui s’est emparé de moi et m’a entraîné profondément avec lui.

Ce n’est pas une question de lenteur, ou de contemplation. Ceux qui ne me connaissent pas pourraient croire que si je n’accroche pas aux films de Weerasethakul, c’est que je n’aime pas le cinéma contemplatif et méditatif. Ce n’est pourtant pas le cas. Je pourrais aimer un film de Weerasethakul. J’aurais pu aimer ce conte fantastique qu’est Oncle Boonmee…, ce récit de ce vieil homme au seuil de la mort qui voit apparaitre le fantôme de sa défunte épouse et une forme fantasmagorique de son fils disparu alors que lui-même sait que la maladie est sur le point de l’emporter. Mais non. Au lieu de palpitations affectives, ce ne sont que des tremblements de paupières qui m’ont agité.

Les hommes singes à yeux rouges, les expéditions en forêt, les souvenirs de vies antérieures, tout cela m’a vite lassé, tout autant que le soudain retour à une réalité plus urbaine qui surgit dans le dernier acte, se concluant sur un étrange morceau de musique contemporaine pour le moins désarçonnant dans le contexte global du film. J’aurais aimé acquiescer le choix de Burton et son jury, mais sans surprise, Lee Chang Dong et Xavier Beauvois, tout de même justement récompensés, auraient chacun fait une plus belle Palme à mes modestes yeux. La grande question maintenant est, irai-je voir le prochain film que réalisera Apichatpong Weerasethakul s’il ne remporte pas de Palme d’Or ? Hum…

13 commentaires:

selenie a dit…

Idem pour moi ça ne passe pas... Quelques très belles scènes (la scène d'amour wouah !) et de très beaux plans (le premier notamment) mais au final je ne trouve pas qu'il filme si magnifiquement la jungle, en tous cas pas sur toute le longueur. L'idée n'est pas mauvaise, loin de là mais trop interrogations restent sans réponses. Pourquoi une défunte apparait quasi invisible tandis que l'autre apparait en sorte de bigfoot de la jungle ?! L'autre gros soucis (le plus gros) est le manque d'émotion, jamais aucune émotion ne parait des interprètes... Et je ne parle pas des dialogues insipides ou/et inoffensifs. 1 seul point donc pour les 2-3 scènes de pures grâces. Je pense que Apitchapong se regarde de plus en plus le nombril...

Horizon Jouenne a dit…

super ton blog !

David Tredler a dit…

@ Horizon Jouenne : Merci et bienvenue ;) !!

@ selenie : qu'appelles-tu la scène d'amour ? La scène dans l'eau où la princesse a une rencontre du 4ème type avec le poisson chat ? Celle là ne m'a pas convaincu...
Pourquoi le fils apparait en homme singe, on le sait, par contre je suis bien d'accord sur le fait qu'aucune émotion n'est convoyée par le film. En tout cas je ne me suis pas du tout senti ému...

selenie a dit…

@ David... Oui je pense bien à cette scène d'amour. On sait le pourquoi de l'homme singe ?! J'ai du louper quelque chose, éclaire-moi stp !

David Tredler a dit…

Quand il débarque il raconte où il était passé, son expédition dans la montagne pour suivre le singe, sa fascination, comment il a tout laissé pour partir avec les hommes singes, comment il a trouvé une compagne singe, et comment tout à coup il s'est mis à se transformer en singe lui-même...

selenie a dit…

Effectivement... Mais on ne peut pas dire que j'ai pris ça pour une raison, on est mis dans le fait accompli. Pas du tout convaincu... Sans doute un film qu'il faut revoir en tous cas.

David Tredler a dit…

Si c'est le cas tant pis pour moi mais je n'ai pas franchement envie de le revoir... ;)

Pushka a dit…

Si je n'ai pas vu le discuté Boonmee c'est par peur de l'ennui mortel, déjà ressenti dans la BA. Et même si je n'aime me laisser impressionner par ce format réduit, cette fois cela a suffit. Tu ne fais que confirmer ma pensée. Avec l'implication personnelle qui me plaît.

Je le verrais sûrement, dans longtemps, mais au cinéma, rien y fait, je ne veux pas franchir le pas.

Très bon blog, à bientôt

David Tredler a dit…

Je ne peux pas t'en vouloir Puschka... Le cinéma de Weerasethakul est pour moi plus une épreuve qu'un plaisir, je comprends sans problème ton sentiment.

Merci et à bientôt ;)

Xavier C. a dit…

C'est marrant tout ce monde apeuré par un film de Weerasethakul, quand même. Ca reste du cinéma, il n'est nullement question de vie ou de mort..! Mais je n'arrive toujours pas à comprendre ta déception David : est-ce parce qu'il ne t'a pas transporté ou ému, qu'il t'a déçu? Uniquement ça? N'y as-tu pas vu un vrai travail sur le cadre, le son, au moins? Ou, je ne sais pas, une façon de parler de nos spectres à nous, ceux enfouis au plus profond de nous? Je comprends qu'il t'ai laissé indifférent, mais ta critique laisse sous-entendre qu'il n'y a vraiment rien de bon à garder.

Je suis déçu de lire ça et là que les spectateurs (qui ont semble-t-il payé de leur vie pour se rendre en salles...) retiennent surtout un poisson-chat et un singe aux yeux rouges.

Si on décerne une Palme pour deux bestioles, il y a quelque chose qui cloche, non? Je pense que les aprioris face au cinéma de Weerasethakul, ou l'idée de se rendre en salle en priant de ne pas s'ennuyer, empêcheront toujours le spectateur de ressentir quelque chose. Il n'y a rien de plus terrible que le blocage.

David Tredler a dit…

Aaaah, Xavier, je suis ravi que tu réagisses, je me doutais que l'admirateur de Weerasethakul que tu es ne serait pas satisfait de ma réaction au film...

Pour ma part il n'était pas du tout question de peur devant Weerasethakul. Le cinéma ne me fait pas peur. La réalité est plus triviale, Weerasethakul ne fait que m'ennuyer. Et si Oncle Boonmee m'a ennuyé, il ne s'agit pas seulement de n'avoir pas été ému et transporté. Nombre de films ne m'émeuvent ni me transportent, sans pour autant m'ennuyer.
Bien sûr qu'il y a un travail sur le cadre, bien sûr qu'il y a un travail sur le son. Je ne nie pas que Weerasethakul sait apporter une qualité plastique à son cinéma. Mais voilà bien longtemps que la réussite technique d'un film ne suffit plus à me satisfaire, j'en discute souvent avec une amie qui fait du cinéma et ne jure elle que par la technique. C'est malheureusement tout ce que je veux bien trouver de réussi dans le film. Certes je ne l'ai pas mentionné. Car finalement si je préfère fermer les yeux par ennui devant l'histoire qui m'est contée, alors la maîtrise technique d'un film devient futile.

Et j'ai eu beau lutter, mes yeux voulaient absolument se fermer de temps en temps.
Il est peut-être, et effectivement dommage de retenir avant tout un poisson chat humanisé sexuellement et un homme singe aux yeux rouges, mais lorsque l'ennui surnage, l'extra-ordinaire prend le pas sur le tout venant lorsqu'ils s'agit de retenir des images.

Je suis bien d'accord avec toi, les à priori jouent des tours, même s'ils peuvent également donner lieu à de belles surprises lorsque l'on n'attend pas grand chose d'un film et que celui-ci parvient tout de même, contre toute attente, à nous toucher. Je pense à mon aversion pour Lars Von Trier, qui ne m'a pas empêché de sortir sous le charme de "Dogville". J'aurais pu être touché par "Oncle Boonmee", malgré mon à priori sur Weerasethakul. Ca n'a pas été le cas.
Mais ne confond pas à priori et blocage. Un à priori n'empêchera jamais d'aller voir un film et de potentiellement l'aimer. Le blocage coupe tout désir et toute curiosité et poussera à ne même pas se déplacer...

C'est normal d'avoir des à priori si l'on voit beaucoup de films divers et variés. On finit forcément par se forger des opinions. Ca n'empêche pas d'être ouvert et d'aller voir les films sur lesquels on peut avoir des à priori.

Xavier a dit…

J'ai également pu être très surpris par des films dont j'avais de sacrés aprioris, et dieu merci!

Mais de toute manière, je me doutais bien que tu n'allais pas passer un grand moment devant Boonmee, qui n'est pas son meilleur film. Alors si en plus tu n'avais pas accroché à ses précédents, c'était mission quasi impossible ^^.

Mais ce qui est bien, c'est qu'un film comme ça fait débat. Et là où certains grands manitous ne s'arrêtent qu'à son côté auteurisant, intello et j'en passe (alors que Boonmee est sûrement son film le plus léger et évident), d'autres y voient un film à sensation. J'avais lu (ou vu) un mec qui disait que c'était assez rare au cinéma de s'endormir devant un film, et de se reveiller zen. Du genre, tu piques un somme, tu te reveilles, et bien le mec qui est à l'écran dort sur son pieu avec le bruit des insectes, les feuilles qui bougent au gré du vent, etc. Boonmee, quoi. Comme une sensation d'apaisement, de tranquillité. Je ne sais plus où j'ai vu ça et j'avais trouvé la remarque assez drôle.

En tout cas, quasiment toutes les personnes qui n'ont pas aimé le film ont toutes terminé avec "au moins, j'ai tenté", "au moins j'y suis allé". Boonmee, c'est une épreuve dans la vie de tout cinéphile =D

David Tredler a dit…

Eh oui, parfois les à priori négatifs ont un meilleur effet que les grandes attentes...

Le débat est sain, et c'est aussi ce qui rend le cinéma un art si passionnant. S'il n'y avait que des vérités sur les opinions à formuler concernant les films, tout cela perdrait nettement de son attrait. Tout comme si l'on ne devait voir que les films que nous serions sûrs et certains d'aimer. Il faut affronter les épreuves parfois ;)

Concernant l'aspect zen du film, il a dû pleinement jouer sur moi car LE moment où mes paupières en ont eu assez de lutter et se sont fermer quelques instants pour recharger leurs batteries, c'est justement à un moment où la nuit tombait sur la jungle thaïlandaise, et où chacun des personnages en position repos. Je me suis laissé influencé par le récit et j'ai imité les personnages^^

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